Fight Girls


10 femmes, 4 épreuves, 1 couronne : la gagnante dirigera un empire ! 

Voici une accroche réussie. 
Ajoutez-y le nom de Frank Cho et vous devriez drainer un lectorat conséquent, tant parmi les amoureux de la première heure de Liberty Meadows, que chez les marvelophiles qui l’ont découvert avec sa version de Shanna ou son run sur les Avengers – ou  encore chez les amateurs de filles bien en chair, d’humour bon enfant et/ou de grosses bêtes à cornes et/ou à griffes. 

Le problème tient justement dans ces trois caractéristiques précitées : Cho semble avoir beaucoup de difficultés à s'extirper d’un genre bien calibré et à ne rien proposer d’autre que des versions plus ou moins « adultes » de sa réinterprétation de Shanna the She-devil. C’est dommage, surtout qu’il en est parfaitement conscient et joue lorsqu’il le peut de ce statut singulier, comme avec le récent Skybourne, une semi-réussite, où l’héroïne s’étonnait encore de n’avoir que des vêtements trop ajustés pour elle tandis qu’un technicien vantait la fermeté de sa poitrine opulente…

Et justement, pour un projet personnel comme celui de Fight Girls, qu’il a porté depuis des années, on pouvait espérer autre chose qu’une litanie d’accortes jeunes femmes (peu vêtues en outre) et de bestioles farouches, surtout avec une histoire déjà vue cent fois depuis le Prix du Danger ou Valérian en passant par Hunger Games ou Battle Royale. Néanmoins, il est clair qu’il y a un public pour cela. 

Et c’est sans doute là que le bât blesse le plus.
 

Car tant qu’à produire une histoire complète sur une compétition entre filles bien déterminées à survivre dans des milieux hostiles sous l’œil avide de millions de téléspectateurs, pourquoi s’être arrêté en chemin et nous servir une soupe tiède, quoique joliment illustrée, dotée d’un léger suspense sous-jacent mais sans aucune réelle portée politique ou sociale ? De fait, si les épreuves en question sont abondamment fournies en pièges mortels, adversaires redoutables, coups du sort et coups de pute, on ressent rapidement une sorte de frustration due au tempo élevé (qui ne nous laisse pas nous attarder sur les péripéties, souvent létales), à la violence tempérée (on est loin des éclaboussures d’hémoglobine de Shanna) et au complot vite déjoué. 

Certes, les filles sont toutes belles (et toutes calquées sur le même moule, la coupe de cheveux et la couleur de peau mises à part), magnifiquement représentées dans des tenues et des postures sportives (on est loin des poses suggestives d’un Deodato – cf. cet article sur ses Dark Avengers – d’un Terry Dodson – cf. cet article sur sa mini-série Trouble – ou même d’un Jim Lee – cf. cet article sur son Batman : Hush) et les créatures qu’elles rencontrent sont parfaitement illustrées, toutes d’écailles et de crocs sur des décors dépouillés – jungle, désert, océan – cependant le contexte en place (des indices finissent par nous prouver qu’on se trouve dans un lointain futur, où la population humaine est répartie dans un empire de plusieurs planètes – et si on ne parle pas de la Terre, on évoque une Base Lunaire) ne sert que de toile de fond éthérée, presque sans substance ; tout au plus suggère-t-on des luttes de classes tandis que les nantis s’affrontent en secret pour accéder au pouvoir, sous la houlette d’un empereur dont on ne sait rien, sauf qu’il attend la future gagnante du Défi pour en faire sa nouvelle épouse régnante. Reste peut-être une forme de challenge féministe (qui serait alors très maladroit) se nourrissant de préjugés – mais ça ne vole de toutes façons pas bien haut et l'on est en droit de douter que la portée des actes de ces concurrentes (dont certaines ont évidemment des ambitions cachées) intéresse un tant soit peu un lectorat divergent.

On en est donc réduit à voir ces filles s’affronter entre elles et survivre à des adversaires coriaces ou des périls insurmontables, à faire preuve de hardiesse, d’endurance et de pugnacité, jusqu’à l’épreuve finale, le duel, où il faudra bien que l’une d’elles batte les autres au corps à corps. Et non, les pervers du fond, pas de combat dans la boue, pas de maillots échancrés : juste quelques alliances et mésalliances de circonstance et de bonne guerre. Beaucoup trouveront sans aucun doute le scénario bien trop timoré avec cette histoire passe-partout et un album trop policé pour être honnête. L’encrage aux vives couleurs, le lettrage très net en font un objet trop propre, trop net : on est tout de même assez loin de la furie visuelle d'un Savage Wolverine - Kill Island dont nous avons parlé récemment.
 
Bref, gentil, mignon, toussa et c’est à peu près tout. On attend mieux et plus de la part d’un artiste de sa trempe. Reste que l'édition Delcourt est toujours aussi esthétiquement réussie et l'album sorti en 2022 trouvera aisément sa place dans les bibliothèques des bédéphiles complétistes.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un bel album, solide, qui fera le bonheur des bibliophiles.
  • Une aventure sans temps mort.
  • Des dessins très agréables à l'œil, rehaussés par une colorisation acidulée.
  • Des filles qui courent et se battent (y a des amateurs).
  • Des dinosaures et autres monstres pleins de griffes et de dents (y a aussi des amateurs).


  • Une histoire sans réelle surprise.
  • Un récit trop sage finalement, qui ne tient pas toutes ses promesses.