Le moyen le plus simple d'être la personne la plus intelligente de la pièce est encore d'être entouré de cons...
N'est pas Arthur Conan Doyle qui veut. Cette relecture de son personnage emblématique de Holmes, sans doute le détective privé de fiction le plus connu de par le monde, se targue de présenter de lui une version "anarchiste ne respectant rien ni personne", selon le dossier de presse. Mais le minimum eut quand même été de respecter le lecteur. Rapide survol de cette itération parue chez Soleil avant de vous en conseiller une autre plus recommandable.
Un peu comme dans Ange Leca, déjà chroniqué ici et d'une bien meilleure facture, l'histoire commence par la découverte du corps d'une fillette rejeté par le fleuve. Ici, le fleuve n'est pas la Seine mais la Tamise. Les autorités qui, vous le verrez, ont la perspicacité d'une loutre morte et la pertinence d'une poche d'urine utilisée comme ultime recours contre la noyade, vont de suite soupçonner la communauté jamaïcaine de l'East End en raison des mutilations subies par la pauvre enfant. Le commissaire Lestrade, se fiant à son instinct, se dit que ça ne tient pas la route et consulte donc le fameux Sherlock Holmes.
Première apparition de notre héros : il se raille de Lestrade et de son instinct en lui demandant s'il est un chien de chasse (agréable !) et démontre sa fabuleuse intelligence en... remarquant que l'East End est en aval de l'endroit où le petit cadavre a été retrouvé et non en amont. Parce que la police britannique, selon Jean-Pierre Pécau, est capable de se tromper sur le sens d'écoulement de la Tamise ! Ca démarre bien, hein ? Les Jamaïcains se voient ensuite doublement disculpés parce que le masque trouvé avec le corps est un masque rappelant plutôt la culture africaine (l'appropriation culturelle serait-elle interdite par Jah ?). Holmes n'est toutefois pas capable de démontrer par lui-même s'il s'agit d'un vrai masque africain (ah bon ?) et va donc, pour lui en demander une analyse, faire acquitter un anarchiste spécialiste de ce genre de pièces, actuellement jugé pour avoir posé une bombe dans un établissement public. L'anarchiste conclura en trois secondes qu'il s'agit d'une pale fabrication contemporaine qui n'essaie même pas de contrefaire un modèle connu de masque africain... ce que n'importe quelle autre version de Holmes aurait remarqué d'elle-même, n'est-ce pas ? Ah mais c'est que l'auteur avait ici besoin de prouver à quel point son Sherlock était au-dessus de toutes les lois... car il a fait acquitter un coupable ! Oui, vous lisez bien : il a fait libérer un poseur de bombe dans le seul but d'obtenir de lui une expertise évidente. Et le plus drôle dans tout ça est que le tribunal s'est laissé abuser par un plaidoyer Holmesien ne faisain appel qu'à des arguments ne tenant pas la route une seule seconde... Ainsi, le détective soutient que ça ne peut pas être le suspect car il avait des amis dans l'établissement. N'importe quel juge rétorquerait : "Car la trahison n'existe pas, bien entendu !" Il avance également que le mercure trouvé au domicile de son expert ne saurait servir à faire une bombe, tout au plus un thermomètre (huhuhu, humour !). Tout magistrat sensé lui ferait remarquer que la présence de mercure ne disqualifie en rien l'hypothèse qu'une bombe ait quand même été assemblée à cet endroit. Il affirme que, le déclenchement de la bombe faisant intervenir un acide, l'absence de brûlures d'acide sur les mains de l'expert prouve son innocence. Ce à quoi n'importe qui pourrait lui opposer que les gants, ça existe ; voire simplement la prudence!
Vous le voyez, le problème ? Sherlock n'est pas un génie, c'est un être amoral et manipulateur entourés de débiles profonds. Pas sûr d'avoir envie de lire son histoire, à ce bonhomme. Mais nous l'avons fait pour vous ; pour vous épargner cela.
Par la suite, Sherlock prouve qu'il a une mémoire éléphantesque en racontant à la date près des événements survenus trente ans plus tôt et à peine connus comme des reliquats de légende urbaine, il reçoit des leçons de sociologie et d'anthropologie de base telles que "qu'est-ce qu'un rite de passage" (il n'est pas supposé être érudit ?), il s'immisce dans une orgie et se lie à une confrérie d'anarchistes spécialisés dans le vol...
Bien que peu fascinés par le personnage, nous en avons néanmoins en tête une idée archétypale. Et si l'on peut en accepter une version arrogante, méprisante, voire odieuse... il est bien plus malaisé d'en supporter une qui ne soit au final qu'un sale type dont l'unique qualité est d'être en possession d'un réseau neuronal vaguement en état de marche alors que tous ses contemporains ont des capacités cognitives proches de celles de l'étoile de mer.
C'est donc un non.
Non à cet auteur. Non. Faire référence à de nombreuses enquêtes de Holmes déjà écrites ne va pas légitimer votre version du personnage. Au contraire. Et simplifier les coups de maître de l'enquêteur parce qu'on n'a pas le talent d'écriture nécessaire à en broder qui soient réellement magistraux ne devrait pas être autorisé : si l'on n'a pas le talent nécessaire à donner vie à un génie, on s'abstient de le faire au lieu de le rendre si pitoyablement banal.
Passez donc votre chemin, d'autant plus que ce premier tome réclame une suite et n'offre pas la solution à cette énigme de la fillette... désolé, livre, mais tu ne m'as pas suffisamment hameçonné pour me donner envie de voir ce que tu me réserves dans ta suite !
Si vous pensiez vous repaître de jolis dessins, à défaut d'une histoire de qualité, sachez que l'on a parfois droit à des cases dont le trait semble tenir davantage du travail de recherche que de l'encrage définitif et que, par exemple, les textures de certains vêtements comme le fameux couvre-chef de Holmes vont et viennent au gré du niveau de flemme de Michel Suro, parfois même dans deux cases à l'échelle de plan identique.
Flemme. Voilà bien un mot qui semble convenir tant tout ici semble avoir été vite rédigé, vite dessiné... attention, le terme "semble" est ici utilisé à dessein. Peut-être le travail a-t-il été fait avec le plus grand sérieux par des gens de bonne volonté mais qui n'ont tout simplement pas réussi à satisfaire nos attentes. Tout le monde ne peut pas toujours avoir les compétences requises pour les tâches à accomplir. Mais ici, on dirait une œuvre alimentaire, mon cher Watson.
Flemme. Voilà bien un mot qui semble convenir tant tout ici semble avoir été vite rédigé, vite dessiné... attention, le terme "semble" est ici utilisé à dessein. Peut-être le travail a-t-il été fait avec le plus grand sérieux par des gens de bonne volonté mais qui n'ont tout simplement pas réussi à satisfaire nos attentes. Tout le monde ne peut pas toujours avoir les compétences requises pour les tâches à accomplir. Mais ici, on dirait une œuvre alimentaire, mon cher Watson.
Toujours est-il que, pour en finir avec cela, nous ne pouvons nous empêcher de vous recommander une fois de plus, au contraire, la toujours brillante et ingénieuse version du détective livrée par Cyril Lieron et Benoît Dahan avec leur Dans la tête de Sherlock Holmes. Ça, on en redemande, par contre !
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