Le point sur ce qui est annoncé comme le gros événement "mutant" chez Marvel : House of X/Powers of X.
C'est actuellement en cours en France (le deuxième mensuel sort chez Panini ce mois-ci, dans le format "vrai faux kiosque" qui se trouve désormais en librairie) et c'est peu de dire que HoX/PoX est attendu tant certains nous l'ont vanté, voire survendu. Or, si cette série (deux titres qui n'en forment qu'un en réalité) a des qualités réelles, elle se trimbale aussi son lot de (gros) défauts.
Voyons déjà un peu le contexte.
Tous les mutants sont réunis sur Krakoa, devenue un État indépendant. Xavier a abandonné son rêve de cohabitation pacifique avec les humains. Avec l'aide de Magneto, il dirige maintenant une nation mutante communautariste qui souhaite obtenir la reconnaissance et le respect des autres pays. Krakoa, outre sa population composée de surhumains, dispose en plus de quelques atouts pour faire une entrée remarquée dans les domaines géopolitiques et économiques, notamment des remèdes médicaux intéressant les humains et permettant de servir de moyens de pression.
Le cas Hickman
Le principal problème de HoX/PoX reste son scénariste, l'incroyablement surcoté Jonathan Hickman. Attention, il ne s'agit pas ici de juger ses idées (dont certaines sont d'ailleurs très bonnes) mais bien la manière dont il les met en œuvre.
Dans le genre de publication très particulier que sont les comics feuilletonnant, il y a deux éléments narratifs à prendre en compte : l'arc complet que forme un récit fini, et chaque épisode individuellement. Or, Hickman est très loin de maîtriser ce dernier point, qui constitue pourtant une brique narrative essentielle. Bien souvent chez Hickman (on a déjà pu observer ça sur les titres Avengers dont il s'est occupé, avec les incursions et tout le fatras pré-Secret Wars), l'on ne comprend rien - au moins sur le moment - à ce qu'il se passe. Sa manière de développer son histoire est pour le moins... ésotérique, diront les plus indulgents, ou clairement maladroite si l'on est un peu exigeant en matière d'écriture.
Là encore, il convient de bien préciser que le reproche fait à Hickman n'est pas la complexité supposée de ses récits (au contraire, c'est plutôt une qualité de s'attaquer à de vastes et ambitieuses sagas), mais bien le fait qu'ils manquent de clarté et que cette impression de complexité est en réalité totalement artificielle et inutile. Dans l'idéal, un épisode d'une mini-série, même s'il ne donne évidemment pas toutes les clés, toutes les réponses, devrait avoir son propre intérêt intrinsèque, ce qui n'est jamais le cas avec Hickman, qui ne prend en compte que la globalité de ce qu'il raconte, sans se soucier du découpage pourtant imposé au lecteur.
Et ce n'est pas là le seul défaut de Hickman. En effet, l'auteur (parce qu'il en est incapable ou parce que ça ne l'intéresse pas) délaisse totalement le développement des personnages, l'aspect psychologique du récit, le côté "intimiste", etc. Il se concentre plutôt sur les concepts (souvent novateurs mais obscurs) et l'action. Or, sans un ancrage émotionnel (qui passe par les personnages), ce qui se déroule n'a pas forcément d'intérêt. Ce manque d'intensité dramatique est encore renforcé par la profusion de protagonistes, ce qui dilue encore plus le peu de charge émotionnelle que certains pourraient générer.
Du coup, l'effet est particulier. Difficile de s'identifier à des personnages si peu "épais" ou de trembler pour des seconds couteaux que l'auteur présente à peine.
Bref, le style Hickman constitue à lui seul un frein essentiel à la lecture. L'on est loin d'un Straczynski ou même d'un Bendis quand il est en forme.
Statu quo et aspect SF
Si HoX/PoX est présenté de manière si enthousiaste parfois par certains, c'est notamment à cause du fameux changement de statu quo, censé bouleverser l'univers des X-Men. Et il est vrai que l'ordre établi est bouleversé. Parfois même au détriment de la logique (voir des personnages comme Apocalypse rejoindre Xavier et son équipe... c'est relativement surprenant). Quant au revirement de Xavier (après avoir fait chier tout le monde pendant des années avec son "rêve"), il est tellement spectaculaire qu'il en devient louche.
Niveau "changement", ce n'est pas forcément aussi novateur que ça, après tout, Cyclope et son Utopia avaient déjà bien défriché le terrain au niveau de la thématique. Sans parler de Magneto et Genosha.
Le plus grand changement demeure en fait le glissement de genre. Car ici, comme souvent avec Hickman, on se rapproche plus de la science-fiction que du super-héroïsme classique. Ce n'est certes pas un défaut en soi, mais on n'est plus du tout dans le concept fondamental de base (des gens à part dans un monde normal).
Et surtout, qui peut encore croire que ce changement (surtout aussi radical) sera réellement durable ?
Car, justement, un statu quo, par définition, ça ne se change pas. Au contraire, c'est fait pour qu'on y revienne sans cesse. Pour figer les personnages et leur cadre dans de l'ambre certes métaphorique mais très efficace. Et question surplace narratif, Marvel a prouvé, au cours de ces dernières années, qu'ils savaient y faire pour ne jamais progresser et enterrer toute forme d'évolution dès qu'elle survenait (j'ai déjà longuement et souvent abordé le sujet, notamment dans cet article concernant Spider-Man, donc je ne m'étends pas plus là-dessus).
À la limite, si HoX/PoX s'était déroulé dans un univers parallèle ou un futur alternatif, cela aurait permis d'éviter la sempiternelle déception quand tout sera balayé d'un revers de main lors de l'énième remise à zéro des compteurs qui ne manquera pas d'arriver. On se demande d'ailleurs si le terme "continuité" a encore un sens chez Marvel, tant tout ce qui constitue son univers n'est clairement pas "continu".
Du bon et du moins bon
Voyons plus précisément maintenant, sans spoiler d'éléments importants (voir cette Parenthèse de Virgul pour prendre connaissance de l'échelle du spoiler appliquée sur UMAC), les principaux points positifs et négatifs de cette saga. La meilleure idée de l'auteur, malheureusement sous-exploitée, est sans doute le concept de "vies multiples" concernant Moira MacTaggert : c'est original, ça explique et permet bien des choses, et ça a un côté un peu... troublant, voire glauque (vous comprendrez pourquoi en lisant les comics). Par contre, typique de Hickman, il place un concept génial et... ne s'en sert pas pour développer le personnage plus que ça ou insuffler un peu d'émotion et de lyrisme dans son intrigue.
L'utilisation de Krakoa, et notamment de ses fleurs, est également plutôt bien fichue.
Même le professeur X commence à être plus cool que casse-couille.
Dans le décevant, ce ne sont pas les choix qui manquent. L'on a déjà évoqué le manque d'épaisseur des personnages et le côté froid qui en découle lors de la plupart des scènes.
Un autre élément, a priori sympa, est assez révélateur : les pages "encyclopédiques" qui parsèment le récit. Régulièrement, Hickman intercale des pages purement informatives afin de donner au lecteur des éléments clés, comme des cartes, des définitions, des schémas...
L'on pourrait croire que c'est plutôt un plus. Sauf que, ici, ce n'est pas un "plus", c'est une béquille.
Ce genre d'infos, comme les dossiers du SHIELD présents dans Secret War (l'opération secrète menée par Nick Fury en Latvérie, rien à voir avec les Guerres Secrètes), ou n'importe quel topo présent dans une encyclopédie (cf. ce dossier consacrée aux encyclopédies comics), c'est censé vous résumer le parcours d'un perso, vous expliquer ses pouvoirs, etc. Ça ne sert pas à compléter les trous dans une intrigue. Or, ici, c'est exactement ça, Hickman se sert de ces pages explicatives pour faire passer ce qu'il n'arrive pas à dire dans les pages comics traditionnelles. Ce qui, encore une fois, n'aide pas à considérer l'auteur comme quelqu'un qui maîtrise la narration et les particularités de la BD.
Quant au pire des défauts, c'est cet aspect fouillis et hermétique, qui peut dérouter même les fans. Que dire alors du novice qui s'attaque à l'univers Marvel avec une telle usine à gaz en termes de personnages, de concepts perchés et de métaphysique hickmanienne ?
Dream of M
La suite de Hox/PoX s'intitule Dawn of X. Il ne s'agit pas d'un event ou d'une mini-série mais d'un "label" définissant le contexte de divers titres (comme Dark Reign par exemple, cf. notre Chronologie Marvel pour comprendre ces différences). Le futur des mutants, sous l'influence de Hickman, se déroulera donc dans des titres comme X-Men, Wolverine, New Mutants, Marauders ou encore Excalibur.
Que vous dire en conclusion... si vous êtes un inconditionnel des X-Men, ben, pas le choix, faut vous taper l'univers Hickmanisé pour le moment. Si vous êtes un fan de Hickman (il y en a apparemment), ben, c'est la fête. Et si vous aimez les bonnes histoires, bien racontées, qui permettent à des personnages bien mis en place d'évoluer, ben... pourquoi vous lisez du Marvel ?
La dernière phrase est "un peu" dure, je sais bien, mais elle est à la mesure de ma déception et de mon amertume. Impossible de ne pas voir ce gâchis (l'éternel retour en arrière, l'arrivée, voire la sacralisation, d'auteurs au savoir-faire contestable) sans imaginer, aussi, ce que serait l'univers Marvel avec à sa tête des responsables ayant un peu d'audace.
Dans ce rêve, Marvel ne pratique plus le radotage. Les personnages avancent, évoluent, avant de céder leur place (pas question de se passer de Spider-Man, mais même si l'époque Peter Parker est importante pour certains, l'on peut imaginer un passage de flambeau, sans pour autant que l'éditeur ne perde l'image iconique du héros). Dans ce rêve, les events sont réellement des "événements". L'un ne chasse pas l'autre, ils sont rares et leurs effets sont réels et durables. Dans ce rêve, Marvel respecte les fondamentaux des personnages sans pour autant les condamner à être emmurés dans une vision unique, passéiste et suicidaire sur le long terme. Dans ce rêve, pas si irréalisable, contrairement à celui du vieux Charlie, le lecteur que je suis (et le fan que je reste encore) ouvre un comic sans connaître sa fin, en tremblant de joie et d'excitation, en sachant qu'un personnage peut perdre la vie, en ressentant des émotions, puissantes, réelles, en acceptant toutes les idées, fantastiques ou saugrenues, des auteurs, pour peu qu'elles mènent à un chemin non encore parcouru.
Ceci dit, en général, la réalité éditoriale s’accommode très peu des ambitions oniriques. Ça ne veut pas dire qu'il est interdit de rêver, juste qu'il faut admettre que les bonnes histoires, les bons auteurs et les bons éditeurs ne sont pas la norme mais l'exception.
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