Difficile d'aborder Rambo - Last Blood (car c'est de ça qu'il s'agit) sans parler, au moins un peu, de l'ensemble de cette saga plutôt... atypique.
Toute la tendresse que l'on peut avoir pour ce personnage rentré dans la culture planétaire (le sens de l'expression "jouer les Rambo" est sans doute compréhensible presque partout dans le monde) vient en fait du premier film, le seul véritablement bon de la franchise. L'on y découvre alors un John Rambo perdu, anéanti par la perte de ses frères d'armes et décontenancé par un pays qui ne veut pas de lui et ne le considère surtout pas comme un héros. Il va alors dévoiler le trait principal de son caractère : il est buté. Mais sévèrement buté. Ainsi, quand le shérif d'une petite ville commence à l'emmerder, il ne joue pas le jeu. Il pourrait baisser la tête, partir sans demander son reste, ne pas faire de vagues, mais il n'en a aucune envie. Non seulement il a le droit (en tant que citoyen honnête et en tant que vétéran) de marcher ou manger où bon lui semble, mais en plus, s'il est aussi résolu, c'est parce qu'il a déjà commencé à s'auto-détruire. C'est la violence, le retour à l'action, qui va permettre à Rambo d'oublier pour un temps la douleur, le jugement facile, la peine et l'injustice.
Filmé dans les décors froids et sauvages de la Colombie britannique, ce First Blood (tiré du roman éponyme de David Morrell), possède un charme esthétique indéniable en plus d'un propos politique cohérent. Le personnage interprété par Sylvester Stallone incarne alors l'archétype du soldat oublié, méprisé, parce qu'il a mené, bien malgré lui, la mauvaise guerre. En tout cas celle qui n'a pas eu bonne presse, car de "bonnes" guerres, il n'en existe que dans l'esprit des vainqueurs arrogants, enivrés par la réécriture facile des livres d'Histoire.
Tout va malheureusement basculer dès le deuxième opus. Rambo II, totalement dépourvu d'une quelconque profondeur, n'est qu'un mauvais film d'action de série B, enchaînant les fusillades et les explosions. Rambo III, dans la même veine, ne fera guère mieux et parvient même à s'auto-parodier involontairement. De rebelle et victime du système, Rambo devient même le chantre de l'Amérique reaganienne, un comble ! Ce n'est plus un traîne-savate esquinté par les épreuves de la vie, c'est une machine de guerre rutilante, au service du "Bien" (vous savez, celui qui fait peur et est incarné aujourd'hui par les tout aussi décérébrés SJW).
En 2008 sort alors John Rambo, que l'on pense être le dernier opus. Moins "lumineux" que les deux précédentes suites, il s'avère tout aussi raté. Brutal mais fade, ancré dans le réel mais sans propos pertinent pour le soutenir, parfois violemment dérangeant mais brouillon, le film se traîne difficilement durant 1 heure 30, sous la caméra d'un Stallone échouant à donner une dimension moderne à son personnage mythique.
Et l'on en arrive tout doucement à ce Last Blood, dernière chance pour Sly (encore au scénario, mais de toute façon, même s'il n'était pas crédité à ce poste, l'on se doute bien que c'est lui qui a le dernier mot sur les choix importants) d'offrir une sortie honorable à ce vieux John.
Qu'est-ce que je pourrais bien faire ce week-end ? Oh, je sais ! Je vais aller en boîte au Mexique, qu'est-ce qui pourrait mal se passer ? |
C'est peu de dire que Stallone n'a pas réussi à corriger le tir. L'on se retrouve cette fois aux États-Unis, non loin de la frontière mexicaine, où John traîne son mal de vivre dans l'ancien ranch de son paternel. Il a pris sous son aile une ravissante jeune fille qui, malheureusement, veut à tout prix rencontrer son père, qui s'est barré au Mexique. John, qui sait très bien qu'au Mexique, on n'attrape rien de bon, si ce n'est une turista fulgurante, lui déconseille de s'aventurer en dehors des States. Mais la jeune andouille n'en fait qu'à sa tête, et la voilà qui se fait enlever, droguer, mutiler et recruter pour jouer les vide-c... hmm... les filles de joie. Enfin, ça dépend pour qui, la "joie".
Aller au Mexique... n'importe quoi. Pourquoi pas des vacances en France, aussi ? |
Là on se dit, "putain, ils savent pas sur qui ils sont tombés les latinos, Rambo va venir leur latter les couilles, mais quelque chose de sévère". Sauf que... non, en fait, John se fait même consciencieusement tabasser par un cartel de trous du cul. Une cicatrice dans la gueule et une commotion cérébrale plus tard, il se fait sauver les miches par une journaliste, qui le recueille et le rafistole.
Là, on passe à la vitesse supérieure. John retrouve le mec qui l'a balafré et lui coupe la tête. Non mais ! Puis, il retrouve la jeune Gabrielle, mais trop tard. Elle clamse dans la bagnole avant d'être arrivée au ranch. Ah c'est plus ce que c'était cette génération, le moindre changement de température les fait passer l'arme à gauche, on dirait des guppys. Bref, John retourne dans son ranch, installe des pièges partout (parce qu'il a prévu que les potes de l'autre crétin décapité allaient débouler), et se prépare à faire la guerre. Qu'il gagne d'ailleurs, parce que, ben... c'est Rambo. Il n'a pas filé une dérouillée aux Viets et à l'armée russe à lui tout seul pour se laisser flanquer une rouste par une douzaines d'allogènes dépenaillés.
Voilà, c'est fini. C'était bien, hein ?
Je précise que je n'ai rien spoilé, bien entendu (cf. cet article). Aucune révélation ne peut "gâcher" ce film.
Bon, voyons cet abominable gâchis de plus près. Grosso modo, deux pistes s'offraient à Stallone pour clore cette saga. Soit verser dans le second degré (un peu comme ce que les auteurs ont fait, avec peu de réussite, avec L'arme Fatale), soit assumer jusqu'au bout et tenter l'épique et le drame. C'est la deuxième option qui est choisie. Car Last Blood se veut très sérieux, ce qui n'aurait pas été un mauvais choix si l'écriture avait été à la hauteur. Or là, rien ne va. Mais rien du tout.
Dans un premier temps, on se demande si John n'est pas devenu un peu trop vieux pour ces conneries, vu qu'il se fait repérer et se prend une trempe d'une manière assez ridicule. Puis, dans la seconde partie du film, c'est l'inverse. Il virevolte, surgit comme un diable de sa boîte, galope dans les tunnels (ah, oui, il a creusé des tunnels partout, pas pour l'occasion, juste parce qu'il aime ça), passe une tête comme un suricate le temps de balancer une rafale ou de décocher une flèche, et vient à bout de la racaille sans difficulté. Il n'y a même pas d'affrontement classique avec le "boss de fin", mais une simple exécution.
— Vous allez libérer la gamine, d'accord ? — Attends mon gros, t'es tout seul, on est 78. C'est des tartes sur ta gueule qu'on va libérer. |
Ce traitement, sans émotion, sans effet dramatique, sans enjeu presque, rend évidemment le tout totalement insipide. Rambo, encore une fois, n'a rien d'humain, ce qui fait que l'on ne s'y attache évidemment pas. Pire encore, les scènes censées être émouvantes sont ratées, tout est fade, terne, bâclé. Même les dialogues sont d'une pauvreté sans nom. Du genre "je vais venir t'arracher le cœur, comme ça tu verras ce que je ressens"... question punchline, c'est clair, on est loin de John McClane ou Dirty Harry.
Le propos, à part "c'est dangereux d'aller au Mexique", on le cherche encore. Certains trouveront que le discours est "puant", mais c'est bien pire que ça : il est absent.
Les gens ne s'en rendent pas compte, mais dans mon job, il y a une grosse partie de bricolage. |
Et, le pire, c'est la débauche de violence. Je ne parle pas du final très aseptisé, où les méchants crèvent de loin et dans la pénombre par grappes de douze, mais plutôt de certaines scènes, avec des gros plans franchement très complaisants. Par exemple quand Rambo ouvre au couteau un mac (un proxénète, pas un ordinateur) avant de plonger sa main dans la blessure, histoire de le convaincre de cracher quelques infos. Ou de la scène finale, grotesque, où Rambo arrache le cœur, encore palpitant, du chef des méchants (on dirait du Tarantino sans le talent et l'habileté narrative). Cette plongée dans le gore met mal à l'aise car, non seulement ce qui pouvait la justifier a été mal préparé (le personnage de Gabrielle est mal installé, et l'on ne perçoit aucunement la profonde détresse de Rambo), mais, en plus, cela entraîne une dichotomie involontaire entre la fadeur de la plupart des scènes, très plates, et les explosions de violence décomplexée.
En fait, ce "dernier sang" est plombé par l'un des pires défauts qui soit : un style d'écriture très "rapport de police" (donc très factuel, il se passe ça, puis ça, etc.), qui n'est appuyé sur aucun effet, aucune technique narrative pour magnifier les scènes ou leur donner, au moins, un semblant de sens.
On ne s'ennuie pas vraiment, parce que c'est Stallone, parce que c'est Rambo, mais sans ces deux éléments, ce machin serait à peine digne d'un téléfilm du dimanche sur M6.
Seule petite trouvaille de l'ensemble (pas grand-chose mais on se raccroche à ce que l'on peut à ce stade), une petite "rétrospective", à base de scènes des anciens films, lors du générique de fin. Eh ben ! C'est sûr que lorsque la seule bonne idée d'un film arrive pendant la musique finale, on peut parier sans trop de risques qu'il n'est pas en route pour les Oscars.
Voilà donc comment John Rambo, brave type perdu dans la tourmente des conséquences de la guerre du Vietnam, termine sa carrière... en tant que symbole du héros musculeux, monolithique et invincible. Stallone, enfermé dans une vision décidément très naïve voire enfantine du personnage, ne lui aura permis ni d'évoluer dans le bon sens, ni de mourir dignement, ni même de délivrer un ultime semblant de message humaniste. Le célèbre guerrier américain restera donc à tout jamais le symbole de la machine à tuer froide et efficace. Et tant pis pour ceux qui verseront une larme nostalgique sur le petit gars qui luttait, en 1982 dans le comté de Liggett, contre les effets post-traumatiques d'une guerre que les gendarmes du monde n'ont jamais assumée en plus de la perdre...
Le bon vieux temps... |
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