Étude de Personnage #1 : Achille (Troie)



Lancement d'une nouvelle rubrique consacrée aux études de personnages issus de romans, films, BD ou séries TV. Bien sûr, l'on va plutôt choisir du coup des personnages intéressants à plus d'un titre et bien écrits. Et l'on commence avec rien de moins que le célèbre Achille, et plus précisément la version interprétée par Brad Pitt, dans le film Troie, de Wolfgang Petersen, sur un scénario de David Benioff.

Il faut savoir que le Achille de ce film est très inspiré par celui d'Homère, le scénariste conservant un grand nombre de références directes à l'épopée du héros : son conflit avec Agamemnon, le fait qu'il soit bouleversé par la mort de Patrocle, ses traits de caractère également, notamment sa soif de gloire. C'est donc à la fois une vision classique du personnage, très ancrée dans l'Iliade, mais aussi une intéressante composition moderne que Petersen et Benioff nous livrent. 

Technicité contre Force Brute
L'une des premières scènes dans laquelle Achille intervient le montre en train d'affronter, en combat singulier, un adversaire au physique impressionnant. Son ennemi est plus grand, plus musclé et bien plus puissant physiquement. Mais plutôt que de faire d'Achille un "Conan" musculeux invincible, les auteurs vont avoir le bon goût de transformer le personnage en fin tacticien. En effet, alors qu'Achille se rue sur son adversaire, il a une parfaite lecture de la situation, et au lieu de se lancer dans un choc frontal, il fait un pas de côté, bondit, et parvient à vaincre en une seule frappe d'estoc, sa lame venant pénétrer le "colosse" au niveau du cou.
Cette technicité, on l'a retrouvera également à l'entraînement, lorsqu'un Achille, toujours aussi calme et sûr de lui, enseigne le maniement de l'épée à son cousin, Patrocle. Il va même un instant le dérouter, en changeant son arme de main au cours du combat, ce qu'il interdit formellement à son élève. "Lorsque tu sauras te battre, alors tu pourras oublier les règles" précise-t-il à Patrocle. En cela, l'on n'est pas loin de la philosophie martiale nippone et du stade Li, où le pratiquant refaçonne l'art pratiqué à son image et dépasse le carcan stricte des notions de base, pourtant indispensables.
Ainsi, Achille, le guerrier réputé invincible, n'en est pas moins crédible, car les raisons de son excellence dans l'art de la guerre sont clairement expliquées et montrées.

Tourments et Passions
Si Achille a la réputation d'être un demi-dieu, il se révèle pourtant très humain à de multiples reprises. Que ce soit par son ambition et son ardent désir de notoriété (il souhaite que son nom traverse les siècles) ; par son immense peine lorsqu'il apprend la mort de son cousin ; par sa violence et son emportement, parfois injuste (à l'égard de son lieutenant le plus fidèle) ; ou par sa colère à l'égard d'Hector, dont il va même profaner la dépouille en la traînant derrière son char.
Achille n'est nullement détaché des passions de ce monde, il est faillible, colérique, presque fragile parfois. Si bien des aspects de son caractère peuvent être qualifiés de négatifs, il va toutefois se montrer également capable de compassion, notamment envers Priam. Le roi, venu chercher le cadavre de son fils, parviendra en effet à toucher l'impitoyable leader des Myrmidons. 

Ni Dieux ni Maîtres
Plus que son génie au combat, son courage ou l'admiration que lui portent ses hommes, c'est la profonde indépendance d'Achille qui va le définir.
Il n'obéit en effet nullement à Agamemnon, qu'il méprise (il va jusqu'à l'insulter ouvertement). Il ne participe d'ailleurs même pas à certains combats, considérant qu'ils ne le concernent pas. Il n'est ainsi nullement un pion, ni même un capitaine au service d'un roi, mais bien un être libre, sans attaches.
Il semble ne pas plus être impressionné par les dieux, puisqu'il va jusqu'à défier Apollon en mettant à sac un temple lui étant consacré. Il ne respecte pas plus les coutumes de l'époque ou les us de la guerre lorsqu'il emmène le corps d'Hector, qu'il a vaincu en combat singulier, le privant d'une cérémonie funéraire et lui ôtant ainsi tout espoir de repos paisible et de paix dans l'au-delà. Enfin, Achille n'est même pas attaché aux femmes qu'il aime et côtoie. Instruit de son destin exceptionnel, enivré peut-être même par celui-ci, il fait passer ses faits d'armes et son image avant toute chose.

Héros Tragique
Au final, alors qu'Achille pourrait n'être qu'un personnage monolithique, simpliste et peu engageant, il s'avère être bien plus complexe que son statut ne le laissait supposer. Même s'il est puissant, beau, courageux, il n'est pas qu'une longue liste de qualités insipides. Ainsi, il souffre, peut se mettre en colère, se révéler injuste mais aussi touchant et droit. 
Comme tout être vivant, il n'est pas défini par une seule de ses qualités, ni même par son pire défaut, mais par un savant mélange de lumière et d'ombre.
Et s'il est bien un aspect du personnage qui le rend épique, c'est son aspiration à inscrire son nom dans la légende. Plus que son sens de l'honneur, déjà fort développé, c'est sa volonté de marquer la postérité qui va le conduire à une fin tragique. Pour que son nom puisse traverser les siècles, Achille renonce à l'amour, à la paix de l'âme, aux intrigues et même au bon sens. Il accorde plus d'importance à ses exploits qu'à la famille qu'il pourrait fonder ou à la politique des Rois. Achille, s'il se bat, se bat avant tout pour inscrire son nom dans les mémoires, pour atteindre une forme d'éternité, pour au final vaincre une mort qui ne manquera pas d'arriver et l'emportera aussi, lui, le guerrier pourtant parfait.
C'est sans doute là son plus grand combat, et sa plus grande victoire... Achille, du fond des temps, hurle encore son nom, qui raisonne dans nos esprits. 

En traversant les Siècles
Achille est un personnage qui marque indéniablement les esprits et fait vibrer. Violent, entier, majestueux, humain, féroce et pourtant faillible, il renferme de nombreuses strates, toutes exploitables et riches. Sa fin, à la fois conforme à la mythologie et dramatique, achève d'en faire un héros romantique et profondément touchant. 
Cette version, bien campée par Pitt et parfaitement mise en scène par Petersen, respecte le mythe tout en donnant au héros une aura intemporelle. Impressionnant mais nullement invincible, s'offrant le luxe d'être parfois antipathique, Achille, dans cette version de 2004, frôle la perfection en termes d'écriture tant il combine des notions contraires et parvient, malgré une arrogance palpable et un entêtement fâcheux, à conquérir les cœurs aussi facilement qu'il défait ses ennemis. Il est ainsi parvenu à réaliser son rêve ultime... devenir immortel et hanter à jamais nos mémoires.