"Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn", comme dirait l'autre !
Cambridge, 1919. Le docteur Tanner est un spécialiste des civilisations pré-sumériennes qui nourrit à leur propos des idées fortement contestées par son employeur, l'université de Harvard. Convaincu du bien-fondé de ses théories, il est parti en Mongolie pour prouver leur véracité… Cela lui a valu son renvoi de l'université et l'inquiétude de son plus proche ami : le professeur Seth Armitage, notre héros.
Après un certain temps, ce dernier reçoit une lettre de Tanner en provenance de Chine et décide, malgré l'interdiction du Président Abbott Lawrence Lowell, de quitter son poste pour partir à la recherche de son ami.
Mais Seth ignore encore que ce voyage sur les traces de son collègue disparu l'amènera en des territoires inconnus et, classique lovecraftien s'il en est, ébranlera fortement ses convictions avant de changer à jamais sa vision du monde…
Il reviendra transformé de son étrange périple avec, dans le dos, un tatouage représentant d’étranges signes cabalistiques en lesquels les plus fans des œuvres d'Howard Phillips Lovecraft reconnaîtront sans peine une sorte de cartographie du ciel des Grands Anciens.
Seth ne travaillera plus à Harvard. Et Harvard s'est même arrangé pour que toutes les universités du pays lui ferment leurs portes, même les plus modestes.
Pourtant, il ne tardera pas à recevoir une convocation à un entretien d'embauche émanant de... (attention, les connaisseurs voient où l'on veut en venir) l'Université de Miskatonic à Arkham ! Eh ouais !
Comme si tout se mettait peu à peu en place autour de lui et lui seul, on lui propose de remplacer un professeur décédé accidentellement en raison d'un accident on ne peut plus accidentel… vous voyez venir le truc ? Disons-le sans tergiverser : cette mort est carrément louche et, même si c'est à demi-mots, tout le monde avoue en avoir bien conscience.
N'ayant guère le choix et séduit par le poste qu'on lui offre autant que par la bibliothèque spécialisée en l'occulte à laquelle il donne accès (et qui contient même un exemplaire du De Vermis Mysteriis et un du Necronomicon, rien que ça !), Seth accepte bien entendu d'endosser la charge de spécialiste des religions et cultes disparus.
À partir de là, en compagnie de Skylark Duquesne, journaliste de l'Arkham Sentinel et rien moins qu'un étrange correspondant du journal en provenance de Providence du nom de Howard Phillips Lovecraft, Seth va enquêter sur les mystères d'Arkham... et autant le dire de suite, cela augure quelques allusions à des "horreurs indicibles" !
Autant se l'avouer de suite, l'univers de H.P. Lovecraft est tellement emblématique que se risquer à en faire une adaptation en bande dessinée est une initiative casse-gueule qui mérite le respect ; ne serait-ce que pour l'audace qu'il faut avoir pour tendre le bâton pour se faire battre à tous les spécialistes autoproclamés de l'œuvre du maître de Providence. Preuve en sont les commentaires reçus, par exemple, par la version illustrée de L'appel de Cthulhu récemment éditée par Bragelonne. Ou alors, il faut changer de ton et d'approche, c'est plus simple... comme avec Le jeune Lovecraft, par exemple...
Rappelons aussi à toute fin utiles l'existence d'une relecture du mythe signée Alan Moore avec Neocomicon et Providence. Même notre Nolt national, rédacteur en chef et créateur de cette page, s'est prêté à l'exercice dans un recueil de 2018 intitulé Sur les traces de Lovecraft.
Rappelons aussi à toute fin utiles l'existence d'une relecture du mythe signée Alan Moore avec Neocomicon et Providence. Même notre Nolt national, rédacteur en chef et créateur de cette page, s'est prêté à l'exercice dans un recueil de 2018 intitulé Sur les traces de Lovecraft.
Mais du coup, à quoi se référer ? Aux seuls écrits de l'auteur ou à la mythologie complète qu'elle engendra ? Comment l'aborder ? Par le biais de l'aventure ou celui de l'horreur ? Faut-il ou non ancrer l'aventure dans une réalité historique scrupuleuse ?
Dans le petit monde des jeux de rôles, l'éditeur Edge vient par exemple de récupérer les droits de L'Appel de Cthulhu (qu'on évoque dans cet article spécial Halloween). Son approche graphique colorée du sujet lui vaut les grincements de dents d'une partie conséquente de la communauté des joueurs ne jurant que par les visuels réalistes de l'ancien éditeur, feu Sans Détour... Pourtant, même si la collection précédente était très qualitative et si certaines couvertures de la nouvelle édition font davantage appel à l'imaginaire de Chair de poule qu'à d'ineffables entités issues du fond des âges, ça n'en reste pas moins un travail d'édition de grande qualité.
Cela étant, les fans de H.P.L. sont souvent eux-mêmes des sortes de cultistes adorant l'approche par laquelle ils entrèrent en contact avec le mythe de Cthulhu.
C'est que Lovecraft joue sur plusieurs tableaux et peut donc être abordé de maints côtés.
Alors restons raisonnables et réjouissons-nous, simplement, qu'un auteur comme Richard D. Nolane (Wunderwaffen, Vidocq, Harry Dickson, Millénaire...) se penche sur la transposition des mystères d'Arkham au médium bédéistique.
Nolane n'est en effet pas un inconnu dans le très sélect club des auteurs d'adaptations littéraires : Jean Ray, Jules Verne, H.G. Wells ou Conan Doyle sont autant de glorieux ancêtres dont il a su manipuler les codes littéraires afin qu'ils tiennent au sein de petites cases de BD sans pour autant les trahir.
Arkham Mysteries ne fait pas exception : choisissant de ne pas choisir entre le pulp aventurier et l'horreur fantastique, Nolane débute son récit avec la visite d'un site lié au culte de l'Ancien Lloigor avant de poursuivre avec un début d'enquête à proximité de Dunwich, Salem et Innsmouth, les villages rendus tristement célèbres par le maître lui-même (et un peu par l'Histoire elle-même, en ce qui concerne Salem).
Nolane parsème son récit de références bienvenues au mythe qui raviront les fans sans pour autant perdre les non initiés, tels ces êtres apparemment pacifistes et difformes qui peuplent certains quartiers d'Arkham et que l'on identifiera sans peine comme étant les hybrides résultant de l'alliance charnelle contre nature entre un Profond (une créature amphibie vivant dans des cités sous-marines) et un humain.
Mais il ne se limite pas à cela et se permet certaines altérations pour se dissocier de ce qu'a pu écrire Howard Phillips, ne serait-ce qu'en le mettant directement en scène, comme un témoin privilégié de ce qu'il décrira ensuite, offrant par là une crédibilité plus grande encore à l'œuvre du maître.
On retrouve les patronymes de certains personnages bien connus mais précédés d'autres prénoms : l'ambiance subsiste mais on nous informe que l'histoire est inédite. On fait la connaissance d'un personnage féminin aux origines amérindiennes qui prend plus de place que n'importe quelle femme dans n'importe lequel des romans. On a ici droit au traitement d'un Grand Ancien peu évoqué par les récits originaux, offrant donc un tout nouveau champ des possibles pour le scénario... c'est du Lovecraft, mais c'est nouveau.
On retrouve les patronymes de certains personnages bien connus mais précédés d'autres prénoms : l'ambiance subsiste mais on nous informe que l'histoire est inédite. On fait la connaissance d'un personnage féminin aux origines amérindiennes qui prend plus de place que n'importe quelle femme dans n'importe lequel des romans. On a ici droit au traitement d'un Grand Ancien peu évoqué par les récits originaux, offrant donc un tout nouveau champ des possibles pour le scénario... c'est du Lovecraft, mais c'est nouveau.
Au dessin, l'on découvre le prolifique espagnol Manuel Garcia. Très branché comics (Empyre, Iron Man Noir, Justice League, Star Wars - Clone Wars...), il change parfois son trait pour fournir une bande dessinée de format européen (Le Troisième Fils de Rome...).
Ici, il a l'intelligence d'offrir à ses cases une noirceur prononcée dans les ombres desquelles on se surprend à imaginer le pire, comme lorsque l'on se laisse aller à cauchemarder éveillé à la lecture des énigmatiques descriptions lacunaires de Howard Phillips Lovecraft.
Un dessin on ne peut plus approprié à l'univers tentaculaire ici traité et que n'annonce pourtant pas la néanmoins très jolie couverture signée Jean-Sébastien Rossbach.
Un dessin on ne peut plus approprié à l'univers tentaculaire ici traité et que n'annonce pourtant pas la néanmoins très jolie couverture signée Jean-Sébastien Rossbach.
Le tome 1 d'Arkham Mysteries est une réussite à la fin abrupte réclamant une suite que nous ne manquerons pas de lire avec avidité. Puisse-t-elle amener autant de découvertes au sujet des Anciens que de nouvelles interrogations menaçant notre santé mentale, comme il est de bon ton pour tout ce qui touche à Arkham.
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