La Pro : du trottoir au super-héroïsme



Petit coup d'oeil sur une parodie décapante signée par un auteur habitué à ne pas faire dans la dentelle : La Pro. Moins de 18 ans s'abstenir.

C'est une prostituée. Elle a un gosse à nourrir, des clients à satisfaire et une vie passablement glauque. Un jour, un être cosmique souhaitant mener une petite expérience sur l'héroïsme va la doter de super-pouvoirs. Elle est maintenant plus rapide, plus forte, elle peut voler... mais est-ce suffisant pour changer vraiment ?
En rejoignant la Ligue d'Honneur, elle va être confrontée à un autre monde, policé et respectable en apparence mais loin d'être parfait. Peut-on changer de vie en endossant un autre costume ? En a-t-elle seulement envie ?

C'est Garth Ennis que l'on retrouve au scénario de cet album datant de 2003. Si le scénariste est parfois considéré comme un spécialiste du trash, l'on voit tout de même ici, derrière les scènes osées et les gros mots, poindre une vision anticonformiste et acide qu'il confirmera dans d'autres œuvres comme The Boys (très proche au niveau de la thématique) ou Preacher.
Les dessins, de fort bonne facture, sont l'œuvre d'Amanda Conner.

L'entrée en matière est directe, avec une scène explicite décrivant les "conditions de travail" de l'héroïne principale. Très vite, l'on bascule dans la franche parodie avec une Ligue d'Honneur s'inspirant des personnages de DC Comics. Le Saint campe un Superman propret et quelque peu niais, Le King et le Sous-Fifre forment un duo très tendancieux librement inspiré de Batman & Robin, Le Citron Vert remplace Green Lantern dans un style très hip-hop, bref, tout le monde en prend pour son grade, Wonder Woman et Flash ayant également leurs pendants.


La Pro, sous la plume de Garth Ennis.


— La prochaine fois que je dis merde ou putain ou trou du cul ou bite, jetez un coup d'oeil par la fenêtre. Je vous parie cinquante dollars que le monde ne s'arrête pas de tourner.



Il faut l'avouer, le cocktail, à base de fellations, d'hémoglobine et de langage de charretier, est corsé et est à déconseiller aux âmes sensibles. Pourtant, malgré une forme très..."rock n'roll", le fond est loin, comme souvent avec Ennis, d'être stupide. L'on sent au contraire une critique très acerbe du politiquement correct à travers la mise à mal des mythes super-héroïques classiques.
Mieux encore, l'auteur s'autorise même un début de réflexion sur le pouvoir et son apparente incapacité à changer les choses. Ainsi, alors que l'un des personnages se vante des périls qu'il a pu vaincre dans sa carrière, la Pro a cette réflexion douloureuse : "dommage que vous ne puissiez pas faire en sorte que je ne suce plus de bites pour nourrir mon gosse."
La sentence est cruelle mais loin d'être gratuite, quant au côté brut du style, il est presque ici nécessaire, tant pour crédibiliser ce personnage malmené par la vie que pour bousculer des oreilles (ou des yeux dans notre cas) habitués à recouvrir les vilaines blessures de notre société par de beaux mots bien plus acceptables.

Bon, bien entendu nous ne sommes pas ici dans un traité de philosophie, mais tout de même, pour qui sait voir au-delà des apparences, Ennis devient alors plus qu'un scénariste un peu trash.
Ceci dit, le but de la manœuvre reste essentiellement de divertir. Vous aurez ainsi l'occasion de voir ce que donne une éjaculation de surhomme par exemple. Eh, c'est logique non ? Super vitesse, super force, super éjac ! Et gros dégâts.

Une version française de La Pro est disponible aux Éditions USA. On peut encore trouver assez facilement l'ouvrage d'occasion et à un prix abordable. La traduction aurait mérité un plus grand soin, l'album comportant tout de même son lot de fautes de frappe ou même de sens ("peut" au lieu de "peu", "sensée" à la place de "censée"...).

Un comic drôle, osé et loin d'être bête.
Comme le dirait Ennis sur la planche finale, c'est déjà pas mal.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'humour.
  • Le côté trash et rentre-dedans.
  • Une véritable réflexion qui soutient le propos.
  • Quelques moments émouvants.
  • L'aspect parodique et les références.

  • La VF de piètre qualité.