Preacher
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Gros plan sur Preacher, un comic acide aux relents métaphysiques, qui sent le sang et la pisse.

Lorsque le révérend Jesse Custer se met à révéler les secrets des habitants de la petite ville dans laquelle il officie, cela a deux conséquences : il se prend une bonne raclée et fait le plein de fidèles pour son sermon le lendemain matin. Il n'a pourtant pas vraiment le temps de profiter de ce regain d'affluence car un être fabuleux, appelé Genesis et issu de l'accouplement coupable d'un Séraphin et d'une créature démoniaque, va prendre possession de lui, le dotant par la même occasion d'un pouvoir extraordinaire.
Ainsi débute une longue cavale en compagnie de Tulip, une fille sexy maniant plutôt bien le flingue, et Cassidy, un vampire irlandais à l'humour ravageur.

On connaissait déjà le tandem formé par Garth Ennis et Steve Dillon pour leur collaboration sur la série Punisher mais, avec Preacher, nous avons ici probablement leur meilleur boulot commun. Visuellement, c'est du Dillon, donc ce n'est pas parfait mais, malgré des visages souvent très semblables (sauf "Tête-de-Fion" évidemment), le dessinateur maîtrise parfaitement ses effets. Les covers (bien plus inspirées) sont, elles, de Glenn Fabry. Le graphisme est pourtant presque secondaire tant l'intérêt véritable de ce comic est surtout basé sur l'originalité de l'histoire, l'humour omniprésent et les dialogues percutants.
Preacher, comme souvent chez Ennis (cf. The Boys), est plutôt violent, parfois gore même, les dialogues sont crus, mais la drôlerie et l'originalité des situations permettent de faire passer tout cela sans aucun problème (avec tout de même un avertissement "pour lecteurs avertis" à la clé). Dans le genre cradingue, signalons une scène qui se passe dans un abattoir insalubre, où les employés urinent au milieu des pièces de bœuf. Une image quasiment semblable est visible dans la série 303, du même Ennis. Petit clin d'œil volontaire ou réelle obsession pour les boucheries dégueulasses ? Bonne pub pour les végétariens en tout cas.

Cassidy et Eccarius, sous la plume de Garth Ennis.

— Imagine que t'es un type normal, pas comme nous, et que tu t'écrases en avion dans la putain de jungle. Pas d'autres rescapés. Aucun signe de civilisation. T'es coincé là. Par miracle tu tombes sur un exemplaire de Tarzan. Tu le lis. Est-ce que tu vas pour autant vivre dans les arbres et parler aux singes ?
— Non.
— Et attention hein, j'adore Dracula. Je l'ai lu un paquet de fois. Mais à chaque fois que j'arrive à la fin, je me dis... quel trou du cul ! Putain, pas question que je me fasse avoir comme ça ! [...] On a le monde entier qui nous tend les bras, et l'éternité pour en profiter. Et voilà l'essentiel mon pote : faut profiter de la vie. Pas se vautrer dans la mort ou une crétinerie du genre.



La galerie de personnages est aussi savoureuse que sulfureuse. On passe du vieux shérif texan bourru et plein de préjugés aux anges pas si angéliques que ça et maniant mieux le juron et les expressions fleuries que les références bibliques. Notons aussi la présence, en vrac, d'un puissant industriel psychopathe, du Ku Klux Klan, d'une avocate sado-maso néo-nazie et de quelques braves pécores locaux.
La plupart des répliques sont excellentes et cyniques à souhait (cf. encadrés). Quant au trio principal, qui se débat au milieu des envoyés du Ciel, des flics et des cinglés en tout genre, on s'y attache rapidement malgré son côté déjanté.

L'auteur profite de ce "road-comic" très rock n' roll pour offrir son point de vue, plutôt décapant, sur certains sujets (il n'est pas très copain avec les psychologues par exemple). Au milieu de ce maelström de jurons et de gnons, il développe son intrigue avec minutie. Par exemple, un aspect dérangeant de Cassidy, qui sera dévoilé avec une grande délicatesse, permettra de rendre les réactions de l'immortel à la fois crédibles et très humaines. Un style (du trash qui a du sens) dont Ennis s'est fait le maître (cf. notamment le touchant La Pro, qui préfigurait déjà le propos tenu dans The Boys). En effet, sous la violence et la crasse se cache une véritable profondeur, une douceur même, qui cohabite avec des moments complètement délirants, voire choquants (le baron de la viande, heurk !) et des punchlines d'anthologie. Les révélations sur l'enfance de Tulip, notamment, se révéleront être une parenthèse tendre et touchante au milieu de la folie ambiante.

Cosmo et Jessy, sous la plume de Garth Ennis.


— Une fichue ligue de handball dont personne n'entendra jamais parler. Merde, personne n'a jamais gagné quoi que ce soit en jouant à ce jeu débile...
— On ne peut jamais savoir quand il s'agit d'argent, Cosmo.
— Non, mais on peut faire des pronostics. C'est pour ça que les gens investissent sur l'or et pas sur la merde de buffle en poudre.



Dans un premier temps publiée par Le Téméraire puis par Panini, la série, de 75 épisodes en tout (si l'on compte les numéros spéciaux et une mini-série en quatre chapitres), est rééditée aujourd'hui chez Urban Comics (dans de gros volumes de 392 pages, pour 28 euros pièce). Il est peu de dire qu'à côté, l'adaptation en série TV (dont nous vous parlions dans ce Digest) fait pâle figure : les scénaristes, ayant parfaitement retenu le côté gore et excessif, peinent par contre à retranscrire toute la subtilité de l'écriture d'Ennis, même si ce dernier a été associé au projet et en semble satisfait. 
Ce comic (encore un classique du label Vertigo) a obtenu de nombreux prix mérités, dont l'Eisner Award du meilleur scénariste, en 1998, et celui de la meilleure série régulière, en 1999. Cette histoire d'un gamin maltraité (torturé même), devenant un pasteur borderline ayant le coup de poing facile, a réussi à s'imposer comme une référence de la bande dessinée en maniant parfaitement humour, émotion et transgression. Difficile de passer à côté lorsque l'on s'intéresse aux comics.

Atroce, sublime, dérangeante et drôle, une excellente série à la liberté de ton rafraîchissante.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Drôle et décapant.
  • Une violence certes extrême mais toujours au service du propos.
  • Des personnages humains et attachants (ou détestables pour certains).
  • Le côté transgressif, pas juste en ce qui concerne la religion.
  • Une narration habile qui alterne action et moments de grande émotion.
  • Le triangle amoureux et amical formé par les trois protagonistes principaux. 

  • Les visages de Dillon, pas franchement top pour la plupart et trop semblables.