Retour sur un itinéraire dans l'Imaginaire

Long et plein d'embûches fut le chemin.


Il y a 5 ans, Jeff (du site MDCU) nous avait fait l’amitié de conter son "aventure comics" sur la première version de UMAC. J’ai pensé faire plus ou moins la même chose en essayant de dresser un petit bilan sur mon rapport, déjà ancien, aux comics, voire aux livres en général.
Même si je suis partisan de toujours regarder "vers le sommet de la montagne", ce n’est pas désagréable parfois de se poser un peu pour se remémorer le chemin parcouru.

Je dois avoir 4 ou 5 ans quand je découvre mes premiers comics. Il s’agit d’albums Lug grand format, de Spider-Man (appelé encore à l’époque l’Araignée) et des Quatre Fantastiques. C’est surtout ce bon vieux Spidey qui va me marquer durablement, bien que je ne le réalise pas encore. Pourtant, ma culture BD, durant mon enfance et même mon adolescence, sera essentiellement franco-belge. Contrairement à bien des lecteurs de ma génération, je passe en effet un peu à côté de la mythique période Strange. Je connais la revue, je l’achète de manière sporadique, mais je ne suis pas alors un grand adepte du genre super-héroïque et du côté feuilletonnant.
Je vais donc, pendant mes jeunes années, dévorer pas mal de BD européennes : Tintin, Astérix, Lucky Luke, Achille Talon (dont je préfère les aventures complètes plutôt que les recueils de gags), Les Tuniques Bleues, Buck Danny, Michel Vaillant, Alix, Lefranc, Tanguy & Laverdure, Jérôme K. Jérôme Bloche… bref, un paquet de titres très connus et facilement trouvables (amazon et ebay n’existent pas, je m’arrange avec ce que proposent les librairies ou grandes surfaces du coin, ou avec le bouquiniste ambulant qui vient le samedi au marché).
Je garde quand même un œil sur les comics, mais je n’accroche pas vraiment.

Bien sûr, je ne lis pas que des bandes dessinées. Si j’ai découvert les romans par le biais d’auteurs jeunesse, comme Blyton, Buckeridge, Volkoff (sous le pseudonyme Lieutenant X), le duo Boileau-Narcejac (et leur Sans Atout) ou George Bayard, je passe vite aux romans pour adultes. Je découvre à 12 ans Leblanc et son Arsène Lupin, auteur que je considère, encore aujourd’hui, comme l’un des Grands de la pop culture. Je passe ensuite à des lectures plus sombres et violentes, en puisant allègrement dans la collection Épouvante de J’ai Lu ou dans les romans de gare du label Gore. Premiers contacts avec les univers du grand King ou de Dean Koontz.
Il m’arrive, avec quelques francs en poche, de prendre mon vélo pour aller farfouiller dans les librairies de Thionville. C’est presque un rituel. Il y a le plaisir de l’inconnu, de la découverte, le fait de faire un effort physique pour se rendre sur place. Et puis les frissons sous la couette, le soir venu, lorsque l’on tourne les pages.

Ai-je pensé à cette époque devenir auteur ou travailler dans l’édition ? Non, pas sérieusement. L’idée m’a effleuré l’esprit lorsque j’étais petit, mais c’est un peu comme lorsque l’on dit vouloir devenir policier ou astronaute, l’on ne sait rien de la réalité de ces métiers et l’on sait même, presque inconsciemment, que c’est là un souhait qui n’engage à rien. Les rives de l’âge adulte paraissent si lointaines…
À l’adolescence, si je continue à lire énormément, je ne vais jamais avoir l’idée d’écrire sérieusement (pourtant, je noircis déjà des agendas vierges que mon père ramène de l’usine) ou même de m’intéresser à un métier de l’édition. Comme beaucoup de jeunes, je suis dans le flou, j’ignore ce que je veux faire réellement. L’école, la société, les parents n’aident pas vraiment, tous poussant à trouver un "vrai" métier. Le déclic se fera plus tard.

Il a lieu en 2002. Aussi fou que cela puisse paraître si l’on considère l’addiction qui viendra ensuite, à cette date, je ne suis toujours pas devenu un lecteur compulsif de comics. Je viens de quitter un job alimentaire et de prendre une décision radicale : je vais vivre de ma plume. Ou en tout cas, trouver un job en rapport avec les livres. Je ne me laisse pas de date butoir, je suis dans une optique "c’est ça ou rien". Je ne veux pas de plan B. Peu importe le temps que ça prendra, peu importe les efforts, le temps, l’énergie, dans mon esprit, c’est ça ou crever. Et je ne suis pas certain que ce soit réellement une métaphore.
Heureusement, si j’ai bien des défauts, je crois avoir au moins la persévérance au nombre de mes quelques qualités. Pendant des mois, je vais écrire, sans jamais être satisfait de rien. C’est normal, je me lance dans un métier, très technique, dont je ne sais encore rien, ou presque. Si je pense avoir une certaine aisance au niveau de l’expression écrite, ce n’est pas encore ce que l’on peut appeler un "style". Et je tâtonne sur bien des aspects techniques : le rythme, la construction des personnages, l’identification, l’utilisation appropriée de certains effets, les ruptures… tout est à apprendre. Je tombe dans tous les pièges, les ornières, me prends en pleine gueule tous les écueils. Mais j’ai la conviction aussi de progresser. Au bout de quatre ans, enfin, je pense produire des nouvelles intéressantes. Mais je ne me sens en rien légitime. Inconsciemment, j’ai envie de faire valider mon travail.

Un peu avant cette "validation", en me baladant dans une librairie, je tombe sur un Deadpool. Je feuillète un peu. Je ne suis pas fan du personnage (il faut être un virtuose de l'écriture pour le rendre vraiment drôle), mais le style graphique me donne envie de retrouver les personnages de mon enfance, et en premier lieu Spidey. Je commence à acheter quelques ouvrages, un peu au hasard.
Mais c’est surtout le kiosque qui va attirer mon attention. Je vais d’abord lire régulièrement la revue consacrée à Spider-Man, puis celles des Avengers, de l’univers Ultimate, des X-Men, puis… j’en viens à systématiquement tout acheter. Je suis pris d’une frénésie, j’achète des Intégrales, des comics en VO, des encyclopédies, puis je passe à l’univers DC, puis aux séries indépendantes, je découvre alors réellement, pour la première fois, l’immense variété de la bande dessinée américaine.

En parallèle, j’écris toujours. J’ai l’idée de me "tester" en envoyant des nouvelles aux magazines qui en publient. Je découvre rapidement qu’en France, ces magazines se comptent sur les doigts d’une main. Et que l’on a même pas mal de doigts en trop.
Je commence par Khimaira, un magazine qui traite de fantastique et de science-fiction. J’envoie mon premier texte, Blessures de Lame, qui est retenu et publié. Par la suite, Maître Roland Habersetzer, expert en budo et écrivain lui aussi, me fera l’honneur de publier cette nouvelle, qu’il qualifiera de "belle histoire de dojo qui donne matière à réflexion", sur son site. Mais à ce moment-là, ce premier test réussi est loin pour moi d’être suffisant. J’envoie ma deuxième nouvelle au magazine Lanfeust Mag. Cette fois encore, elle est acceptée. Je reçois d’ailleurs à cette occasion mes premiers droits d’auteur. Plus symboliques qu’enrichissants, mais ces premiers euros récoltés par la plume ont une douce saveur. Nous sommes en 2006.

Je suis encore loin d’avoir confiance en moi, deux textes, ce n’est pas suffisant. Mais j’ai déjà fait le tour des magazines que l’on trouve en kiosque. Les fanzines confidentiels ne m’intéressent guère.
Reste les concours.
Eux sont nombreux mais l’on trouve de tout. Du truc non rémunéré, organisé par des gens qui ne connaissent rien à l’écriture, et qui permet de gagner un jambon de pays, au véritable concours sérieux, permettant de récolter un peu d’argent et légitimé par la présence d’écrivains et éditeurs confirmés. Dans un premier temps, je me renseigne et tente donc de faire le tri. J’en sélectionne cinq. Mes nouvelles remportent des prix dans quatre d’entre eux, dont un premier prix dans un concours présidé par l’écrivain et éditeur Philippe Ward, ainsi qu’une deuxième place au prix Vedrarias, présidé par Alain Absire. C’est ce dernier qui, sans le savoir, va changer mon état d’esprit. Radicalement.
Je rencontre Alain Absire à l’occasion de la remise des prix, dans la région parisienne. Je suis un peu stressé, j’ai du mal avec les relations sociales. L’ensemble du jury, des participants et de leurs proches sont réunis pour un cocktail. Les écrivains amateurs virevoltent autour d'Absire, guettant le conseil, le coup de pouce. Il faut dire que le type a décroché le Femina en 1987 et qu’il est président de la Société des Gens de Lettres. Il sait de quoi il parle.
Je préfère, personnellement, squatter le bar où je tente d’écluser une bouteille de vin blanc, faute de whisky. Contre toute attente, c’est Absire qui, se rapprochant, m’adresse la parole. J’avais déjà remarqué qu’il semblait avoir apprécié mon texte lors de la remise des prix, mais ce qu’il me dit à ce moment va agir comme un déclic. Ce sont pourtant des paroles fort simples : "C’est bien ce que vous faites. Il faut continuer."
Enfin, je me sens "autorisé" à écrire. Je vais passer à l’étape suivante : les romans.
Parallèlement, je continue à amasser et dévorer des comics. J’ai passé des années à décortiquer des romans, à tenter de comprendre leur fonctionnement, le nez dans le moteur, aussi ces comics sont une vraie détente, même si je vois maintenant, presque naturellement, les défauts techniques ou la grande maîtrise de leurs auteurs.

Je commence à avoir une collection de comics assez volumineuse, et j’ai l’idée de faire alors une sorte de liste. Je suis un grand adepte des listes, classements, procédures et cie. Mentalement, je me situe entre le robot et l’autiste (pour vous donner une idée, dans The Big Bang Theory, pour moi, le mec normal, c'est Sheldon). J’ai l’idée en fait de faire des sortes de fiches de lecture plutôt qu’une simple liste de comics (je ne dispose pas encore d’outils du genre BD Gest, que j’utiliserai des années durant). Je rajoute des résumés… tout cela me prend trop de temps pour finalement pas grand-chose. C’est alors que j’ai l’idée de parler de ces comics sur un blog. Les blogs sont très populaires à l’époque mais sans intérêt, car employés massivement par des gens sans doute très sympathiques mais qui racontent surtout leur journée, dont tout le monde se fout. L’outil par contre me semble intéressant et simple d’utilisation.
La première version d’UMAC est donc née de mon besoin compulsif de classer et ficher les machins que je collectionne. Couplée à mon besoin d’écrire.  
J’en profite pour attirer votre attention sur le fait que le site UMAC actuel est très différent de la première mouture. Tout d’abord, ce n’est plus vraiment un blog (même si nous gardons blogspot comme "hébergeur", parce qu’il est gratuit et que je dispose d’un compte suffisamment ancien pour n’être pas limité par rapport aux images ou vidéos). La version actuelle a été entièrement codée par Tryixie (il ne s'agit pas d’un modèle blogspot) et de nombreuses plumes m’ont rejoint dans l’aventure. Et en plus, on parle maintenant de bien d’autres sujets que les seuls comics.
Bref, je ne le sais pas encore, mais UMAC va m’apporter pas mal de choses. Dont, indirectement, mon boulot actuel.

On peut mélanger comics et franco-belge, mais mieux vaut ne pas se tromper lors des moments importants.


Ce que je découvre en matière de comics est un peu fou. Ça va du très bon Civil War à Strangers in Paradise, en passant par Bone, Powers, Fables, The Boys… sans parler de l’essentiel de la production d’un Straczynski (cf. ce dossier).
En parallèle, j’écris mon premier roman (premier manuscrit en fait, puisqu’il ne sera jamais publié). Je n’ai pas encore de méthode de travail très élaborée, et le résultat est… mitigé.
Je n’ai, de cette période, que des souvenirs de travail acharné et de longues heures de lecture.

Grâce à UMAC et la ligne éditoriale que je défends (je suis notamment très virulent concernant les dérives de certaines adaptations VF ; cf. cet article récent), je suis bientôt contacté par le rédacteur en chef de l’époque du magazine Geek. Celui-ci me demande de participer à un numéro spécial sur les super-héros (domaine dans lequel je suis devenu malgré moi une sorte "d’expert"). Notre collaboration va s’étaler sur près de deux ans. Cela me donne l’occasion de travailler différemment. Alors que sur UMAC, je n’avais pas de contraintes, je dois ici agir dans un espace plus resserré (mais avec une grande liberté de ton). Simples reviews, articles, dossiers, entretiens, tout cela s’avère intéressant, d’autant que je parviens à transposer dans le magazine le principe de "passerelles" que je défends sur UMAC. Il s’agit en gros de partir de la pop culture pour aboutir à des domaines bien différents, comme l’Histoire ou la science.
Quelque temps plus tard, c’est cette fois François Hercouët, responsable de la toute jeune filiale comics de Dargaud, qui rentre en contact avec moi, me demandant si j’accepterais de travailler pour lui comme correcteur. Évidemment, je saute sur l’occasion de pouvoir appliquer sur le terrain des principes dont je dénonce l’absence depuis des années. Ce sera le début d’une longue collaboration qui me permettra de travailler sur de très nombreux titres comics, mainstream ou plus pointus.
Je vais également répondre favorablement à la demande de Guillaume Matthias, qui est en train de mettre sur pied les toutes jeunes éditions WEBellipses, et qui me propose de l’accompagner sur le projet en écrivant des articles de fond pour son webzine. Là encore, je peux aborder des sujets variés en les reliant à des domaines passionnants (que l’école avait pourtant réussi à rendre rébarbatifs).

Dans le domaine de la relecture et de l’adaptation de texte, les contacts se multipliant, j’en viens à travailler sur des livres qui ne se limitent plus aux seuls comics. Ouvrages techniques, romans, livres jeunesse, BD chinoises, encyclopédie… les genres sont on ne peut plus variés.
Ces activités, qui continuent encore actuellement au sein du studio Makma d’Edmond Tourriol et Stephan Boschat, ont également contribué (en plus de revenus indispensables) à aiguiser ma plume, que ce soit par la rigueur qu’elles nécessitent ou les connaissances très variées qu’elles apportent. Et puis, lorsque l’on veut devenir écrivain, autant se dénicher un taf en rapport avec l’édition.
Peu à peu, je vais travailler sur les séries les plus légendaires (cf. cette liste non exhaustive), jusqu’à Amazing Spider-Man. La boucle est bouclée, l’adulte a rejoint l’enfant.

Alors que je me lance dans l’écriture d’un autre roman (qui deviendra Le Sang des Héros, publié chez Nestiveqnen), je mène également de front un autre projet : une bande dessinée parodique sur l’univers des comics. Je n’aime pourtant pas emprunter des personnages que je n’ai pas créés, mais ici ils ne me servent pas à raconter une fiction mais plutôt à commenter les usages d’un milieu éditorial que je commence à bien connaître.
Mais voilà, cette fois, je ne peux travailler seul, il va me falloir trouver un dessinateur. Je pars confiant au départ mais en viens vite à me décourager… soit les artistes intéressés ne peuvent mener à bien un aussi long projet (deux travailleront sur quelques épisodes), soit certains amateurs, après moult promesses, ne donnent plus signe de vie. Une attitude qui a le don de me mettre en rogne. Qu’on abandonne un projet, soit, mais que l’on n’ait même pas les couilles et la politesse de le dire clairement… enfin bon, ces gens sont oubliés aujourd’hui.
Fort heureusement, je croise un jour sur facebook Edmond Tourriol, auteur lui-même, cofondateur du studio Makma (pour lequel je travaillerai plus tard, à cette époque ce n’est pas encore le cas) et traducteur de très nombreux comics, dont The Walking Dead ou Green Lantern pour ne citer qu’eux. Je lui demande alors s’il n’a pas quelqu’un dans ses contacts qui pourrait être intéressé par mon projet (à l’époque, j’ai même déjà un éditeur mais toujours pas de dessinateur fixe). Il me présente alors Sergio Yolfa, un dessinateur talentueux et efficace, qui deviendra non seulement mon compère sur The Gutter mais aussi sur UMAC, où il dessinera une série de capsules humoristiques et, plus généralement, tout ce qui concerne Virgul, notre mascotte (un chat sympathique mais caractériel).
Et maintenant que j’ai le dessinateur… je perds l’éditeur suite à un différend sur lequel je ne m’étendrai pas. Nouvelle recherche qui aboutira cette fois à Nats Éditions. Cette fois, l’ambiance est radicalement différente. Natalie, notre éditrice, se révèle dynamique et compétente en plus d’être adorable.
The Gutter sort finalement le 29 février 2016. Le tirage étant modeste et la distribution assurée par l’éditeur, ce n’est évidemment pas une sortie digne d’un Astérix, mais la BD est tout de même présente en librairie, sur Amazon, la Fnac, etc. Et les retours des lecteurs, sur le net ou en dédicaces, sont très bons.
J’avoue que je suis très fier de cette BD dont on a même soigné les nombreux bonus (d’ailleurs, une édition limitée collector est en préparation, mais j’aurai l’occasion d’en reparler très prochainement).
Ceci dit, la BD est loin d’être mon domaine de prédilection. J’ai en tête quelque chose de très différent…

Rédacteur, correcteur, scénariste, tout cela est très bien mais ce qui m’intéresse, ce sont les romans. Non seulement parce que c’est ma culture de base en tant que lecteur mais aussi parce que, en tant qu’auteur, c’est le support qui me permet de travailler aussi bien la forme que le fond.
L’écriture de mon nouveau manuscrit commence très différemment de celle de Passeur de Feu (ma précédente tentative). Une longue période de réflexion et de documentation la précède. Je construis également un plan, que j’appelle en réalité une feuille de route. Je suis également conscient des ornières dans lesquelles j’étais tombé précédemment. Tout cela, plus un travail de relecture fort long, me permet d’aboutir à un manuscrit que, cette fois, je juge réellement abouti.
La période de démarchage des éditeurs commence alors. Parce que j'ai des exigences que j'estime essentielles et que je ne souhaite pas brader, cette recherche durera plus de deux ans et demi.
L’on en vient ici à une précision importante, concernant aussi bien les publications confidentielles que j’évoquais plus haut que certaines microstructures ayant des pratiques plus que douteuses. Pour moi, l’aspect commercial de mon travail est important. Je suis sidéré quand j’entends des auteurs dire qu’ils n’écrivent pas pour être publiés. Bien sûr que ce ne doit pas être la motivation première, encore moins l’idée de s’enrichir (un premier roman d’un auteur inconnu, même dans une grande maison, se vend à quelques centaines d’exemplaires seulement ; ne rêvez pas, vous n’achèterez donc pas une villa avec vos droits mais plus certainement une tente Quechua… et encore, le petit modèle !), mais un roman, une nouvelle ou une BD sont faits pour être lus. Et, comme le boulanger qui adore sans doute son métier mais doit aussi vendre ses croissants, un auteur n’a pas à rougir de considérer avec sérieux cet aspect pratique.
Cela commence par la sélection des maisons d’édition. Certaines n’ont que peu d’intérêt car créées à la va-vite par des amateurs qui ne connaissent rien du véritable travail de l’éditeur. D’autres sont clairement des escroqueries destinées à soulager l’auteur de quelques euros (cf. cet article). Il y a aussi la mauvaise solution qui consiste à s’auto-éditer, j’en ai déjà suffisamment parlé, je ne reviens pas dessus.
Chacun fera comme bon lui semble, mais personnellement j’ai toujours été soucieux de publier à compte d’éditeur, dans une maison sérieuse. Il a fallu quatorze ans pour que mon premier gros projet aboutisse. Ce qui ne me paraît pas si long que ça, finalement. Quatorze ans pour apprendre un métier, mieux, un art, celui du Conteur, ça reste même assez court, même si la patience n’est plus à la mode dans un monde où la plupart des gens veulent des "astuces" pour obtenir tout, tout de suite. Et donc en général rien, jamais. 

Lorsque Le Sang des Héros sort en librairie, à la rentrée 2016, je suis certes très content mais je connais trop la réalité du milieu éditorial pour m’emballer ou imaginer qu’il s’agit d’un aboutissement. C’est juste une étape supplémentaire. J’ai signé chez Nestiveqnen, une maison que je connais depuis longtemps mais que je n’avais pu solliciter au départ, son service des manuscrits étant fermé pendant un long moment, noyé sous les sollicitations.
L’éditeur dispose d’un diffuseur et d’un distributeur, il a une bonne réputation, une vraie ligne éditoriale, des covers souvent magnifiques, et le contrat proposé est tout à fait honnête, même avantageux.
Je vais avoir deux chocs (très positifs) après cette publication. D’abord en voyant mon roman aux côtés des livres d’un certain… Stephen King, et dans le rayon "meilleures ventes" des Cultura. Ensuite en lisant une critique, très positive, dans le magazine Lanfeust Mag. Ce sont des moments rares, fugitifs, qui permettent de savourer l’instant, de prendre la mesure du chemin parcouru et des obstacles franchis sans compromissions, sans raccourcis ou pis-aller. Ce qui n’est déjà pas si mal.

Ma vie serait différente sans les livres. Je ne parle pas que des miens, je parle des livres en général, ceux que je découvre encore, à l’heure actuelle, et ceux qui m’ont construit, en tant qu’auteur et individu. Ma vie serait plus terne sans Spidey et Tintin. Elle serait plus étriquée sans Orwell et Racine. Elle serait en tout cas très différente sans Leblanc, King, Herbert ou Keyes.
Ces personnages, ces auteurs, constituent mon univers, mon refuge, le lieu où je me sens bien et à ma place.
Pourrai-je un jour vivre de mes seuls droits d’auteur ? Je l’ignore. Mais mon taf alimentaire actuel, qui consiste à améliorer le contenu d’ouvrages signés par d’autres, me convient. Je reste dans l’encre et le papier. Dans l’Imaginaire. Pas l’Imaginaire qui remplace le réel, mais celui qui permet de le supporter, de le magnifier et de voir au-delà.

J’ai plusieurs projets BD en cours. Mon prochain roman est écrit. J’ignore quand tout cela sera publié. J’ignore si cela sera bien reçu. Si ça se vendra ou restera confidentiel. Mais ce que je sais, c’est que je vais faire ça, encore et encore. Parce que c’est ce que je sais faire, ce que j’aime faire, et ce qui me rend heureux. Et puis, je suis trop vieux pour me permettre d’être raisonnable.
Niveau comics, j’avoue que l’engouement est retombé. Si je continue à en lire (et corriger) dans le cadre professionnel, j’en achète très rarement. Mais, de temps en temps, l’envie me vient d’ajouter une figurine, un buste, un TPB ou quelques Heroclix à ma collection. Je ne sais pas si c’est du fétichisme ou de l’achat compulsif, j’ignore si c’est sain ou non (je m’en fiche un peu, faut dire). Mais, j’aime être entouré de ces visages, de ces livres, de ces silhouettes. Ce sont mes bibelots à moi, mes "napperons" sur la télé, mes ramasse-poussière. Encore ce matin, j’ai acheté deux jouets (vraiment des jouets, très cheap, très plastoc) représentant le Quinjet des Avengers et le Milano des Guardians. Et vous savez quoi ? J’en souris encore de bonheur…
C'est sans doute cela que je retiens de ces personnages, de ces fictions : ils peuvent vous faire frissonner sans réellement vous terroriser, ils peuvent vous toucher et vous mettre les larmes aux yeux sans vous déprimer, mais quand ils vous rendent heureux, c'est pour de bon.

Qui sait ce que les auteurs et leurs personnages ont fait de nous ?