Nous avions déjà abordé le roman Conte de Fées, de Stephen King. Je vous invite d'ailleurs à lire le très bon article de Vance. Mais, bien que l'on partage certains points de vue, Vance et moi en avons une vision suffisamment différente pour justifier un second article sur le sujet.
Ce roman, dans son édition Albin Michel, fait environ 720 pages. Or, il en faut 200 pour arriver au cœur du sujet : cet autre monde que l'auteur nous fait miroiter. C'est un peu long. D'autant que King semble avoir ici démultiplié l'un de ses rares défauts : le côté "logistique", lorsqu'un personnage entreprend une tâche, souvent banale (nettoyer des vitres), et que King prend un étrange plaisir à tout surdécrire.
De plus, ce n'est tout de même pas la première fois que l'écrivain nous fait le coup du combo "descente aux enfers, alcooliques anonymes & rédemption" (cf. le James Gardener des Tommyknockers, mais c'est loin d'être le seul exemple). Car en effet, le héros du récit, un jeune garçon prénommé Charlie, doit au départ composé avec un père désespéré qui a noyé son chagrin dans la boisson.
Tout cela (la lenteur du développement et le côté déjà-vu) n'aide donc pas.
Le deuxième tiers du roman est plus enthousiasmant, puisque l'on découvre ce fameux monde magique dont on pressent l'existence (et qui est annoncé de toute façon par le titre lui-même), cependant, là encore, les événements s'étirent de manière assez douloureuse. Les premières rencontres, les repas, les voyages, les haltes, les bribes d'information, tout cela est relativement long et lent.
Attention, c'est fort bien écrit, ça reste très efficace, mais jusque-là, cela manque singulièrement de lyrisme et d'intensité dramatique. Alors que d'autres sagas, bien plus longues (cf. La Tour Sombre) ou plus ou moins équivalentes (Ça), se lisaient sans ressentir cette lourde mise en place, ici, l'on peut peiner à rentrer vraiment dans l'histoire. Et puis...
Et puis tout change dans le dernier tiers. Alors, bien sûr, ce qui se passe est prévisible, comme l'a justement souligné Vance. Mais ça n'en demeure pas moins poignant et terrible. Après tout, même si on voit le coup arriver, à partir du moment où on se le prend dans le bide, ça va faire mal. Là, c'est exactement pareil. Il y a des méchants monstrueux, des personnes admirables victimes d'une malédiction, des rites cruels, des élans héroïques, des visions de mondes étranges et, au final, une fin certes heureuse mais teintée d'amertume.
Vraiment, ce dernier tiers emporte tout sur son passage et vaut à lui seul la lecture de l'imposant ouvrage. On frissonne, on espère, on a la gorge serrée et les yeux humides, on sourit aussi, parfois, et on ressort heureux et... honteux. Honteux parce que j'avais oublié, l'espace d'un instant bien trop long, que j'étais entre les mains du plus puissant Mage du Maine. Car même lorsque l'on se dit "bof, ce n'est pas un grand King, c'est bon, mais pas excellent", en fait, ce fantastique bonhomme nous montre à quel point il maîtrise son art et parvient à vous émouvoir et vous enchanter.
Précisons également que si la magie opère, c'est aussi grâce à la traduction, de belle facture, de Jean Esch. On gueule suffisamment quand ça accroche, quand c'est fluide, autant le préciser.
Ce Conte de Fées, finalement, nous offre très largement ce que l'on est venu y chercher : un conte certes, mais un conte sombre, pour adultes désenchantés cherchant à retrouver la trace du merveilleux.
Les références (aux contes de notre enfance ou à Lovecraft) sont nombreuses mais parfaitement digérées et intégrées à une histoire percutante, teintée d'une douce mélancolie.
C'est à la fois joli et triste, humain et grandiose, merveilleux et tragique.
Bref, c'est du King. Et contrairement à ce que je pensais, ce n'est pas un "petit" King. Parce que les petits King, visiblement, ça n'existe pas.
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