Écho #38 : Dragon Ball Full Color
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Les deux premiers tomes de l'édition "full color" de Dragon Ball sont disponibles chez Glénat.

Pas mal de choses à dire sur cette énième version qui ne sera probablement pas la dernière. Jusqu'à présent, nous avions eu l'édition simple petit format (dans le sens de lecture français, à l'époque où les éditeurs de manga faisaient encore correctement leur boulot), l'édition double, l'édition en coffret avec une nouvelle traduction et un sens de lecture japonais (vraiment brillant comme idée alors que le texte est en français, cf. cet article), l'édition Anime Comics en couleurs reprenant uniquement la partie DBZ à partir d'images du dessin animé, la Perfect Édition contenant quelques pages en couleurs, l'édition Grand Format Collector (en noir et blanc), sans compter les éditions kiosque. 
Cette fois, c'est donc une édition entièrement colorisée (à partir des dessins originaux) qui est proposée.

Niveau format, l'éditon full color est identique à la perfect édition. Ce qui permettra dans quelques années de vous proposer une édition grand format en couleurs. Bah, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ?
La colorisation est plutôt de bonne facture. Un poil flashy, mais globalement c'est un travail tout à fait convenable, rien à voir avec les saloperies proposées parfois par certains éditeurs (ce genre de merdes par exemple). 

Quelques petits défauts tout de même à signaler pour cette édition qui porte bien mal son nom. En effet, si on enlève la jaquette qui fait office de cache-misère, l'on se rend compte que les couvertures sont... en niveaux de gris. Pour une édition "full color", c'est un peu ennuyeux. 
Pour en revenir à la jaquette, l'on peut également déplorer un énorme carré blanc contenant le code-barre sur la quatrième de couverture. Est-ce une erreur ? Si c'est volontaire, on ne comprend pas bien le but.

Les tomes contiennent quelques bonus (6 pages pour le premier tome, 2 pages pour le deuxième) dans lesquels Akira Toriyama répond à diverses questions sur l'univers de DB, concernant l'origine des personnages, certaines techniques de combat ou encore les véhicules. 

Reste à aborder le prix, 15 euros, c'est quand même très cher pour un produit qui n'est pas parfait et qui a déjà été surexploité. Par contre, nul doute que cette édition couleur, apportant beaucoup en lisibilité, devrait tout de même intéresser les fans de Goku. 

Une énorme zone blanche, peu esthétique, au dos de la jaquette.

Le terme "full color" ne s'applique visiblement pas aux couvertures.





Spécial Cthulhu #1 : Pack d'Initiation
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Premier article d'une série consacrée au Mythe de Cthulhu et à Lovecraft

Nous allons essentiellement aborder le jeu de rôle qui découle de cet univers, à savoir L'Appel de Cthulhu, à travers différents manuels et suppléments, mais nous évoquerons aussi divers livres, un jeu de plateau et même quelques figurines. 
Et pour aujourd'hui, nous commençons tout naturellement par Cthulhu - Initiation au jeu d'aventures, de la gamme Chroniques Oubliées de Black Book Editions. 

Il s'agit d'une boîte très complète permettant de s'initier au jeu de rôles et à l'univers fantastique et inquiétant créé par Lovecraft. Niveau matériel, c'est très complet et largement suffisant pour mener à bien quelques parties. Voyons le détail du contenu.

On commence par quatre livrets, grand format, en couleurs, sur papier glacé. 
Le premier contient les règles du jeu. On vous explique naturellement, pour les novices, ce qu'est le jeu de rôles. Il y a même un extrait de partie sous forme de BD (plutôt une bonne idée). On passe ensuite à une longue explication sur la création de personnages, suivie par les règles de base (les différentes actions, quand faire un test, les blessures, la folie...). Tout cela est illustré par de nombreux petits exemples (sous forme de texte cette fois). Viennent ensuite une partie équipement (avec notamment de nombreuses armes à feu mais aussi les tenues ou les objets courants), une partie logement et restauration, ainsi qu'un volet consacré aux véhicules et aux poursuites. L'éditeur détaille ensuite les profils et voies, qui permettent de déterminer l'orientation de votre personnage (action, aventure, réflexion) et ses capacités (déterminées donc par les voies choisies, parmi notamment l'archéologie, les armes à feu, le corps à corps, le discours, la furtivité, les langues, la psychologie, la survie, etc.).
Ce volet se termine sur quelques conseils pour les MJ et un petit topo historique sur les années 20.

Le deuxième livret est un bestiaire du mythe, présentant créatures et ennemis.
Là encore, c'est très bien pensé. Pour chaque monstre important, l'on a droit à une description générique, une explication sur ses capacités spéciales, ses caractéristiques, une belle et grande illustration, et enfin, un synopsis donnant une idée de scénario à développer.
Outre les créatures purement lovecraftiennes, le livret présente aussi les caractéristiques de différents animaux et figurants (flic, gros bras, soldat, tueur à gages, inspecteur...). 

Le troisième livret contient une campagne complète, intitulée Septembre Rouge. La première partie de cette campagne se déroule à New York, lors d'un attentat ayant vraiment eu lieu en septembre 1920. Régulièrement, des conseils sont donnés au MJ pour éventuellement débloquer une situation. Tout est donc fait pour faciliter les premiers pas. La deuxième partie va se dérouler sur un paquebot, la troisième dans un village et la quatrième dans un complexe souterrain. Un parcours bien varié donc. Bien sûr, tout cela est accompagné par divers plans fort utiles.

Enfin, le quatrième livret est un scénario unique, linéaire dans son premier acte et plus ouvert par la suite. Là aussi, fiches de créatures et plans sont présents, ainsi d'ailleurs que quelques musiques d'ambiance conseillées. 




Si on s'arrêtait là, ce serait déjà bien complet, mais on est loin d'avoir fait le tour de cette box. 
En plus des livrets, l'on va donc trouver :
- des fiches de personnages (superbes, cf. photos) vierges mais aussi des personnages prétirés
- les cartes détaillant les différentes "voies" 
- un set complet de dés (1D4, 1D6, 1D8, 1D10, 1D12, 1D20)
- un magnifique écran pour le MJ, avec une belle illustration et des résumés lisibles et aérés
- une carte de village et une grande carte détaillant l'intérieur d'une bâtisse
- plus d'une cinquantaine de personnages et monstres cartonnés, à placer sur supports plastique
- deux sachets refermables pour ranger tout cela une fois les personnages détachés de leur planche

Niveau matériel, difficile de faire plus exhaustif, d'autant que tout est réellement soigné. Peut-être peut-on regretter que les personnages et monstres ne soient pas représentés par de réelles figurines, mais j'imagine que le prix se serait alors envolé (la boîte était proposée à l'origine pour environ 50 euros, elle semble avoir quelque peu augmenté ces derniers temps mais est toujours disponible en neuf).

Voilà en tout cas un contenu parfait pour initier votre famille et vos amis au jeu de rôles et aux terrifiantes créatures du mythe de Cthulhu. Tout le matériel nécessaire est présent et les nombreux conseils permettent une approche sereine et graduelle. 
Bref, très vivement conseillé. 








+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un matériel de qualité.
  • Contenu très complet.
  • Des conseils pratiques et un aspect didactique bienvenus.
  • Des illustrations magnifiques.
  • Une foule de synopsis en plus de la campagne et du scénario one-shot.


  • Clairement un sans-faute.
Don Quichotte de la Manche en BD
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Les jumeaux Brizzi sont loin d'être des inconnus sur la scène culturelle, mais leur réputation s'est surtout construite dans le domaine de l'animation : plusieurs de leurs courts-métrages couverts de lauriers (dont un César) leur ont valu d'être embauchés par Disney (sur de nombreuses séquences du Bossu de Notre-Dame et un morceau de Fantasia 2000). Toutefois, depuis quelque temps, ils se sont tournés vers un autre champ d'investigation en adaptant graphiquement des ouvrages de (grande) littérature : Céline, Balzac, Boris Vian et Edgar Poe ont ainsi été traduits sous forme d'albums de BD avant que le duo enchaîne pour les éditions Daniel Maghen sur rien moins que la Divine Comédie de Dante. C'est pour ce même éditeur qu'ils ont sorti, fin 2023, leur propre vision de l'œuvre phare de la culture ibérique, Don Quichotte de la Manche. Avant de s'attaquer à Shakespeare ?

Le produit en lui-même est alléchant avec ses 200 pages contenues dans dans un album épais, au papier glacé imprimé chez Delabie (en Belgique), et de grand format : presque 40 cm de haut ! Sans atteindre les dimensions vertigineuses de l'oversized Arme X, il est un poil plus imposant que Fluorescent Black (chez Milady) ou la Vengeance du comte Skarbek (chez Dargaud) mais reste plus petit que l'Appel de Cthulhu chez Bragelonne. Il n'empêche que si vous n'avez pas les étagères adaptées, il devra être glissé à l'horizontale (et cela risque de poser un problème chez les maniaques du rangement).

Une petite présentation (deux pages après le titre) par les auteurs du chef-d'œuvre de Cervantès et une mini-biographie en fin de volume, c'est tout ce qu'il y aura en bonus dans l'édition normale, vendue à 29 € ; c'est un peu léger, convenons-en. Toutefois, l'essentiel est ailleurs et avant tout dans les planches qui s'avèrent immédiatement splendides : la finesse du crayonné en nuances de gris (la plupart du temps en noir et blanc sans colorisation) confère aux personnages une truculence et un charme immédiats. 
Régulièrement, les frères aèrent encore davantage la présentation par des illustrations en pleine page détaillées davantage : le récit est sobre, les cases respirent et on s'aperçoit qu'on avance dans l'histoire plus vite qu'on ne l'aurait cru. En effet, les dialogues apparaissent plutôt légers et les phylactères n'emplissent pas les pages, laissant la priorité au dessin. Celui-ci s'épanouit encore lors des visions du héros, et les vues subjectives se parent alors de couleurs pastel rehaussant les détails des costumes et insérant plus d'ampleur dans les décors, en s'appuyant en outre sur un basculement du point de vue (les contre-plongées sont magnifiques).


Voici donc une adaptation parfaite pour ceux qui ne veulent pas s'embarrasser du texte original tout en désirant se cultiver et en savoir davantage sur le roman tutélaire de la nation espagnole, mettant en scène Don Quijone, un vieillard vivant isolé, entouré des livres qui ont bercé toute son existence, et qui décide sur un coup de tête de se muer en chevalier errant et de partir affronter les dangers hantant son pays afin d'y trouver autant de gloire et de reconnaissance que les chevaliers s'illustrant dans les chansons de geste qu'il connaît par cœur. 

C'est l'histoire d'un idéaliste qui refuse de voir la vie telle qu'elle est, hors de son temps mais engoncé dans des principes d'honneur et de loyauté trop grands pour lui, qui n'ont plus vraiment cours dans le royaume en ce début de XVIIe siècle. Sans atteindre la mythomanie de Münchhausen, le vieillard illuminé voit bien entendu des géants à la place des moulins à vent ou des dragons au lieu de bouts de bois et s'arroge le droit de s'interposer chaque fois qu'il croit être témoin d'une injustice, mû par un esprit profondément chevaleresque. Évidemment, il va se heurter régulièrement à la cruelle réalité, risquant plusieurs fois d'y laisser la vie. Seuls le curé du village, soucieux de la santé physique et mentale de cet hurluberlu, puis Sancho, modeste paysan un peu benêt auquel Quijone a promis la richesse et le pouvoir, lui permettent de se sortir, parfois de justesse, de bien des mauvais pas. Mais le bougre, qui exige qu'on l'appelle Don "Quichotte" (parce que tout simplement c'est plus classe) et ne dédaigne pas les surnoms dont on ne tarde pas à l'affubler ("le Chevalier Errant", "le Chevalier à la Triste Figure"), a le don de se fourrer dans les situations les plus inextricables qui soient. Sans parler de sa fixation sur celle qu'il nomme Dulcinée, et qu'il espère retrouver une fois sa quête accomplie (la Dulcinée en question n'en ayant strictement rien à battre).

On pourra ainsi regretter de ne pas vraiment profiter du verbe de Cervantès, de l'ironie cinglante de son style et de son don d'observation, néanmoins l'album se parcourt avec un plaisir qui grandit à chaque page, grâce notamment à ces superbes dessins légèrement caricaturaux qui rappellent par moments Daumier ou surtout Gustave Doré bien qu'avec la rondeur caractéristique d'un Uderzo. Les expressions sont systématiquement accentuées, l'accent étant porté sur les visages et les silhouettes, même si parfois l'on reste ébahi par la beauté de certains décors. L'on y s'invective, parle avec de grands gestes, on rit et on crie souvent et on finit par suivre avec attendrissement les pseudo-aventures de ce geek des Temps Modernes, l'encourageant lorsqu'il pourfend des monstres nés de son imagination et poursuit jusqu'à la Lune un méchant sorcier. Certes, il est clairement inadapté mais ne cause de tort à personne (ou presque) et traite tout le monde avec ce respect nostalgique issu des grandes sagas où les héros s'expriment en vers. Et, malgré les péripéties grandiloquentes et les mésaventures qu'il accumule innocemment, si on s'amuse beaucoup, l'on regrette vite de voir que tout le monde, en dehors des rares qui partent à sa recherche et de l'inusable Sancho, se moque allègrement de ses illusions et de sa naïveté.


L'histoire s'achève sur une touche douce-amère, plutôt bien retranscrite, et l'on referme l'ouvrage avec cette citation centrée sur la quatrième de couverture : 
Son tort, voyez-vous, fut d'avoir trop aimé les livres.
Comme si l'on pouvait avoir tort de trop les aimer ! 
Mais certains, malheureusement, vous feront comprendre que c'est le cas. Et l'on s'apercevra trop tard que le monde est un peu plus triste sans les Don Quichotte qui le parcourent avec hardiesse et fierté.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Graphiquement superbe.
  • Un volume grand format qui ornera les plus belles bibliothèques.
  • Des illustrations pleine page attrayantes.
  • L'usage parcimonieux de la couleur est pertinent.
  • Beaucoup de tendresse dans la description du héros. 
  • Une bonne introduction à l'oeuvre de Cervantès.


  • Une adaptation très libre qui altère volontairement le personnage central et le point de vue du lecteur.
  • La puissance du texte original ne transparaît pas vraiment.
  • Un contenu éditorial un peu chiche pour un album de ce prix.
  • Quelques coquilles et fautes d'accord.
Les 7 Boules de Cristal ou l'Épouvante façon Hergé
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Commencé durant la Deuxième Guerre mondiale dans le quotidien Le Soir, puis terminé fin 1946 dans le Journal de Tintin avant d'être publié en album en 1948, le récit intitulé Les 7 Boules de Cristal constitue une exception notable chez Hergé, puisque l'auteur va ici flirter avec le surnaturel et l'angoisse.

S'il y eut bien par la suite un aspect mystérieux et paranormal dans Vol 714 pour Sydney, aucun album signé Hergé n'égalera l'aspect agréablement terrifiant (pour des enfants) des 7 Boules de Cristal. D'ailleurs sa suite directe, Le Temple du Soleil, retrouvera une ambiance axée bien plus classiquement sur l'aventure.
Encore récemment, la réponse à une question posée par un ami fit l'unanimité dans notre petit groupe : c'est bien cet album qui, enfant, nous avait fait le plus frissonner. Et il n'y a rien là d'étonnant tant Hergé installe patiemment, dans cette histoire, un cadre plus qu'inquiétant.
Nous allons voir ça en détail.



Tout commence dès les premières cases, alors que Tintin lit un article de journal consacré à l'expédition Sanders-Hardmuth, revenue d'un voyage au Pérou et en Bolivie avec la dépouille momifiée d'un roi inca appelé Rascar Capac. L'un des voyageurs prophétise alors que tout cela finira mal, il fait référence à Tout-Ankh-Amon et à la malédiction ayant frappé les égyptologues qui avaient profané son tombeau. Déjà, l'on évoque donc des morts mystérieuses et une force surnaturelle qui poursuivrait les scientifiques ayant dérangé ce qui était censé reposer pour l'éternité.
Plutôt une bonne entrée en matière !



Après un petit interlude, Tintin et le Capitaine Haddock se rendent à un spectacle où, entre autres, se produisent un fakir et une voyante. Lors d'une scène assez impressionnante, l'extralucide va révéler à une dame du public, madame Clairmont, que son mari, revenu récemment d'un pays lointain, souffre d'un mal mystérieux et que la malédiction du dieu Soleil est sur lui. La voyante sera tellement bouleversée par sa vision qu'elle finira par s'évanouir alors qu'un membre du personnel de la salle de spectacle vient prévenir que ladite madame Clairmont doit rentrer chez elle en urgence, son mari venant de tomber malade...



Le lendemain, après une visite des Dupont/Dupond qui, bien sûr, sont sur l'affaire, Tintin apprend que les membres de l'expédition sont, les uns après les autres, plongés dans un état léthargique et que l'on retrouve, à côté de leur corps inanimé, des morceaux de verre. Sur les conseils de Tintin, les policiers décident de prévenir les rescapés n'ayant pas encore été touchés par cette "malédiction". L'on découvre alors le bureau (salon ?) de Marc Charlet, décoré d'objets bizarres et de reliques exotiques. 
Là encore, le décor participe à la construction d'une atmosphère étrange et inquiétante. C'était déjà le cas auparavant d'ailleurs, avec les couloirs du théâtre, plutôt sombres, ou encore une scène extérieure à la nuit tombée, sous une pluie battante.



Après de nouvelles victimes, plongées elles aussi dans un mystérieux sommeil, Hergé passe à la vitesse supérieure avec monsieur Hornet, conservateur du musée d'histoire naturelle, dont le bureau est gardé par les Dupont/Dupond. Malheureusement, l'attention de ces derniers est détournée par la réception d'un colis (que les deux hommes ouvriront en tremblant). Les fenêtres de monsieur Hornet sont ainsi laissées sans surveillance l'espace d'un instant, ce qui permet à Tintin d'être pratiquement témoin en direct de l'attaque contre le pauvre homme. Il ne découvre pourtant qu'une fenêtre cassée et le conservateur endormi. 



Nous arrivons ici à l'apogée du récit et de l'angoisse, avec le séjour de toute la petite bande (Tintin, Haddock et Tournesol) dans la demeure du professeur Bergamotte. Ce dernier habite une grande - et quelque peu sinistre - maison, entourée d'un vaste parc. Même si on ne la voit que sur une case bien trop petite (aurait-il fallu revoir la mise en page afin de lui donner plus d'importance, comme pour le château dans L'Île Noire ? cf. ce comparatif illustré), celle-ci n'a pas été choisie au hasard. L'on apprendra dans divers suppléments (présents dans l'édition Atlas de l'album ou dans le cahier supplémentaire accompagnant l'édition, avec couverture souple, destinée aux stations Total, cf. cet article) que l'auteur s'est basé sur un modèle bien réel (cf. illustration en fin d'article). 



La soirée et la nuit passées dans cette maison bourgeoise vont s'avérer particulièrement riches en émotions fortes. De la découverte de la momie (que le professeur conserve chez lui), aux pneus du véhicule du capitaine qui explosent (parce qu'il fait particulièrement lourd), en passant par la foudre qui pénètre dans la maison par la cheminée puis la disparition pure et simple de la momie, la petite équipe n'a pas vraiment le temps de profiter du séjour. Et c'est loin d'être terminé ! Après un début de nuit agité, Tintin, Haddock et Tournesol se rendent compte qu'ils ont fait tous les trois... le même cauchemar. 
Bergamotte finira lui aussi par être retrouvé frappé par la malédiction, alors qu'une silhouette s'enfuit dans la nuit. 
Le lendemain matin, alors que Tintin et Haddock se rendent compte de la disparition de Tournesol, ils feront une dernière funeste découverte : la trace d'une main ensanglantée sur le tronc d'un arbre.

En une quinzaine de planches qui constitue le cœur de cette aventure, Hergé a donc condensé un grand nombre d'éléments "horrifiques" (toute proportion gardée) : une maison sinistre, de nuit, par temps d'orage, des bruits inquiétants, la lecture des inscriptions menaçantes retrouvées gravées sur le tombeau de Rascar Capac, une momie, plusieurs disparitions, l'intervention d'une silhouette menaçante, une trace sanglante, un cauchemar terrifiant et partagé par tous... tout contribue à rendre la menace à la fois insaisissable et terrible. 
La suite de l'album sera plus dans un ton "polar", bien qu'il reste encore une scène impressionnante : celle des scientifiques, tous rassemblés dans la même clinique, et qui se réveillent en hurlant chaque jour au même moment.



On le voit bien, cet album est destiné à faire peur ou, au moins, à installer une ambiance inquiétante et flirtant constamment avec le surnaturel, que ce soit Rascar Capac, dont on ne sait s'il est revenu à la vie pour se venger, ou cette mystérieuse malédiction que rien ne semble pouvoir stopper. Mais si, plus tard, ces aspects trouveront une explication rationnelle, il n'en est pas de même pour tous les événements de la nuit. Certains resteront aussi étranges qu'effrayants. Ainsi, pourquoi la foudre frappe-t-elle précisément la momie ? Comment expliquer la disparition de cette dernière ? Et surtout, comment se fait-il que Tintin, le capitaine Haddock et le professeur Tournesol fassent tous le même cauchemar ? 

L'on connaît bien évidemment l'efficacité du savoir-faire narratif d'Hergé (cf. l'analyse de trois albums particulièrement brillants ou ce dossier). L'on se rend compte également à quel point cet auteur légendaire pouvait passer d'un registre à un autre, avec une facilité déconcertante (car l'épouvante des 7 Boules de Cristal a quand même peu à voir avec l'émotion brute d'un Tintin au Tibet, l'humour taquin des Bijoux de la Castafiore ou même la conclusion douce-amère de Vol 714 pour Sydney). 



Même de nos jours, avec un regard adulte, cet album continue d'être efficace. Pas aussi effrayant que lorsque nous étions enfants, bien sûr. C'est dans l'enfance qu'il prenait toute sa saveur. Vous savez quoi ? Je m'en souviens encore. Je me rappelle des frissons sous la couette et des pages tournées fébrilement. Cela reste un souvenir merveilleux. Le souvenir d'une bonne histoire mais aussi d'un temps où des imbéciles ne cherchaient pas à protéger à tout prix les enfants de l'imaginaire. Les bonnes fictions, et encore plus celles destinées aux enfants, doivent procurer des émotions. C'est la seule manière d'aimer la lecture : lorsqu'elle génère des choses qui vous retournent le bide et l'esprit. Personne n'a jamais été traumatisé par une histoire. On peut s'en rappeler, elle peut être frappante et enivrante, mais elle ne laisse pas de traumatismes. Ces frissons-là sont ressentis avec impatience et le sourire aux lèvres. Parce que même un enfant sait bien qu'ils sont inoffensifs. Pour autant, ils sont aussi indispensables. Ce sont eux qui permettent d'expérimenter sans risque, de se libérer de certaines tensions et de se forger un esprit solide et correctement construit. 

Je me risque à comparer la fausse peur générée par un livre aux "mots compliqués" que certains éditeurs veulent bannir des ouvrages destinés à la jeunesse. Si vous ne lisez que des textes écrits avec des mots que vous connaissez déjà, comment diable pouvez-vous apprendre lorsque vous êtes un gamin ? Les auteurs doivent toujours viser "une marche trop haut", pour obliger le juvénile lecteur à se hisser à leur hauteur. Ce sera naturel et facile si l'auteur est bon et sait enchanter son lectorat. 
Quant à la peur, elle fait partie de la vie. Un enfant ne devrait ressentir que sa version fictive, mais un adulte, c'est évident, connaîtra la vraie, celle qui n'est pas agréable et que l'on ne peut faire cesser en fermant les yeux ou en arrêtant de tourner des pages. Et pour se préparer à cela, à faire face aux dangers et aux mystères qu'impliquent le fait d'exister, un enfant à tout intérêt à expérimenter un ersatz permettant de découvrir en douceur ce qui tord le ventre et accélère les battements du cœur. 

Les livres, les bons du moins, éduquent, construisent, solidifient le cœur et enhardissent l'esprit. Heureusement, tout n'est pas encore sous le contrôle des "experts littéraires" prêts à tout interdire au nom d'un "progrès" qui n'a jamais autant ressemblé à la pire des Inquisitions.
Le seul danger n'est pas le contenu des livres mais leur absence. Ou leur remplacement par des ouvrages ternes et aseptisés, destinés à ne générer aucune émotion, et donc à n'être point des livres.


À gauche, photographie reproduite dans la version Archives Atlas de l'album.
À droite, photographie présente dans la version "souple", destinée à l'époque aux stations Total, de l'album.

Écho #37 : Alien(s) et Goldorak
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Petit arrivage Alien et Goldorak !

D’abord, le tome 3 de Dynamic Heroes (cf. cet article). C’est toujours aussi naze. Scénario indigent, colorisation à chier, le tout pour 30 balles, c’est quand même un peu raide. Manque juste le petit sachet de graviers à se foutre dans le derche. Donc, faut vraiment être complétiste et aimer Goldorak…

Plus intéressant : du Alien/Aliens.
Notamment un Marvel Epic Collection (cf. cet article) qui reprend les premières mini-séries de 88/89/90.
Attention, ça fait en grande partie doublon avec le bel album Dark Horse sorti il y a quelques années (album bleu, collector, très joli d’ailleurs, voir photo ci-contre). La version Epic est néanmoins plus complète (une mini-série en plus, ainsi que du matériel issu de Dark Horse Presents).

Bien plus récents, les Alien de Johnson/Larroca et ceux de Shalvey/Broccardo.
Très sympa visuellement, ambiance bien macabre et têtes parfois connues. 
Évidemment, le tout en version originale, vu qu’en France, c’est Panini qui s’occupe de l’adaptation. Donc bon, il n’y a pas à réfléchir longtemps…

Et un Alien vs. Predator pour finir. Confrontation toujours sympa mais dessins par Olivetti, il faut aimer le style.


Les deux premières photos ci-dessous sont issues de l'album Epic.
Les autres illustrations Alien sont issues des cinq premiers comics figurant sur l'image d'ouverture de l'article.











SangDragon
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Le plus sanguinaire des dragons se réveille... mais qui le manipule en secret ? C'est ce que vous découvrirez dans SangDragon !

Cet album signé Bédu (un auteur ayant collaboré notamment au journal Tintin puis à Spirou) s'avère impressionnant dès la prise en main : grand format (24 x 32 cm), belle couverture, pagination conséquente (94 planches) et un élégant papier mat servant de beaux aplats signés Cerise
Nous sommes ici dans de l'heroic fantasy assez classique mais très bien fichue et contenant tout de même quelques surprises. Surtout, l'on évite le format 46 planches quelque peu étriqué, ce qui permet de développer l'intrigue correctement et d'offrir au lecteur de belles et larges cases. 
Voyons déjà le pitch.

Alors que le roi Arthmel, souverain des hautes terres d'Ergwad, vient de trépasser, son fil, le prince Oghor, s'empresse de prendre le pouvoir. Pour cela, il va notamment écarter sa sœur, Hélia, pour qui il nourrit une certaine rancœur. Alors que cette dernière, soupçonnée d'avoir empoisonné le défunt roi, est envoyée au cachot, le réveil d'un puissant dragon va totalement bouleverser le destin de la jeune femme. Et peut-être bien celui du royaume tout entier !




Ce qui saute aux yeux dès les premières planches, c'est le soin apporté aux dessins. Personnages, décors et dragons sont, dans un style oscillant entre semi-réalisme et univers onirique et cartoony, à la fois jolis et impressionnants. Certaines pleines pages, notamment, installent une ambiance épique et fantastique qui donne à l'œil l'envie de s'attarder longuement sur les chemins de cette contrée fascinante.
Mais l'écriture est soignée également et ne manque pas d'inspiration. Si les protagonistes semblent avoir un rôle bien défini dès le départ, certains vont s'avérer plus complexes et moins manichéens qu'on n'aurait pu le penser. L'on a même droit à une scène poignante et à quelques non-dits fort intéressants, l'auteur parvenant à faire passer sens et sentiments dans de simples regards.

Même si ce tome contient une histoire complète et propose son lot de combats et de péripéties, il semble appeler une suite tant le monde décrit est prometteur. Les personnages sont, eux aussi, loin d'avoir tout dévoilé de leur personnalité.
Efficace et inspiré, voilà un one-shot qui mériterait de se transformer en série !

Disponible chez Dupuis (18,95 euros).





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Visuellement très beau.
  • Spectaculaire.
  • Une écriture classique mais qui n'est pas sans certaines subtilités.
  • De l'émotion, parfois inattendue.


  • Certains personnages auraient mérité un développement plus important. Peut-être lors d'une suite ?