Greg Rucka, sans tapage ni esbroufe, fait depuis longtemps partie des auteurs les plus appréciés du monde des comic-books. Ses travaux, souvent présentés sur UMAC (ancienne et nouvelle formule), ont régulièrement suscité sinon des éloges, du moins une reconnaissance certaine de la part de la Rédaction : Gotham Central, Queen & Country ou encore Batwoman ont foncièrement plu à ceux qui les ont lus. Rucka séduit par son approche détaillée des personnages, privilégiant souvent leurs interactions aux affrontements physiques (même s'il laisse chaque fois s'installer une atmosphère oppressante et des élans de violence redoutables) et soignant surtout le déroulement des enquêtes et la progression des intrigues. Si on rajoute WhiteOut, on remarquera qu'il est particulièrement à l'aise lorsque le personnage principal est une femme, multipliant les problèmes inhérents au beau sexe lorsqu'il est confronté aux exigences d'un monde d'hommes et rehaussant davantage le courage et la détermination de l'héroïne.
Avec Lazarus, Rucka s'aventure avec des éléments similaires dans un univers différent, dystopique mais élaboré sur des bases peu banales. On n'est pas loin du post-apocalyptique dans cette Terre dominée par des clans, des "Familles" instaurant un système féodal très poussé sur une population reléguée au rang de serfs ou carrément de "déchets". Peu de détails viendront enrichir le background : Rucka, sans doute poussé par des impératifs de publication, a choisi dans ce premier tome rassemblant les quatre épisodes initiaux de mettre en place d'abord l'intrigue en laissant le décor de côté, qui ne se révèle que par petites touches. Cela peut frustrer, surtout les amateurs d'anticipation pessimiste, mais ça a le mérite de focaliser l'attention du lecteur sur les protagonistes. Très vite, on découvre la famille Carlyle, régnant sur ce qui semble être une bonne partie de l'Ouest des Etats-Unis, dont une cité de Los Angeles qui se relève difficilement d'un tremblement de terre : un patriarche et ses cinq enfants à la tête d'un territoire gigantesque, partagé entre des zones d'exploitation (notamment par la récolte de produits issus de semences développées en laboratoire) et des résidences ultra-luxueuses et ultra-protégées, dans un état de guerre froide permanente avec les autres familles, dont les Morray, leurs voisins méridionaux qui connaissent des difficultés pour alimenter leurs esclaves. Si quatre des enfants Carlyle gèrent tant bien que mal les fiefs qui leur sont attribués et les responsabilités inhérentes (en quelques cases, on apprend à reconnaître l'aîné raisonnable de l'oisif colérique, la bimbo calculatrice de la fille pondérée), le cinquième sort du lot : il s'agit du Lazare de la famille. Elle s'appelle Forever et constitue à la fois le chef de la sécurité des Carlyle et leur principale arme de dissuasion : humaine améliorée par des implants et des drogues, conçue par génie génétique, elle est capable de ressouder des os cassés, stopper des hémorragies, ignorer la douleur et les tissus lésés pour survivre à une fusillade ou même à l'explosion de son véhicule. Pas immortelle, certes, mais redoutable grâce à des réflexes amplifiés et un entraînement suivi dès le plus jeune âge. Or, si le père Carlyle tient à les traiter tous comme ses enfants, ses rejetons naturels ont nettement plus de mal à tisser des liens fraternels avec cette machine à tuer, constamment monitorée par James, un scientifique qui travaille pour eux.
C'est là qu'intervient l'un des deux points de départ du scénario : Forever commence à manifester des états d'âme. Certes, elle obéit sans hésiter aux ordres du père de famille, mais James comprend qu'elle désire plus que la simple fonction de gardien du temple ; ces sentiments naissants risquent d'entraîner un déséquilibre émotionnel néfaste à son efficacité au combat. D'autant que, et c'est là qu'intervient le second point, la rivalité avec les Morray atteint un palier supplémentaire dans l'escalade vers le conflit puisque l'un des centres de stockage des semences a été attaqué - et que les défenses du complexe ont été mystérieusement contournées. Carlyle estime donc fort logiquement qu'un traître est à l'oeuvre au sein de sa famille et met en place un protocole qui lui permettra non seulement de le démasquer, mais aussi d'éviter une guerre ouverte. Forever, son Lazare, sera l'instrument de sa volonté. Elle fera tout pour la famille, tant qu'elle estimera être aimée en retour.
S'appuyant sur les dessins de Michael Lark mettant en valeur les expressions des personnages, illustrés sans exagération, et magnifiant des séquences de combat souvent muettes et parfaitement découpées, Rucka instaure un réalisme de bon aloi dans son univers (on n'est pas loin des Captain America de Brubaker voire de Daredevil sur lequel il a travaillé). Cela a le don de créer une forme de paradoxe dans la perception de son histoire qu'il cherche à tout prix à imposer avec le moins d'artifices possible (on verra très peu d'infographie d'ailleurs, alors qu'on sait pourtant que la technologie de ce futur est en avance sur la nôtre). Son déroulement est d'une fluidité remarquable avec des individus au caractère très marqué, presqu'archétypaux, qui permettent à l'héroïne de se détacher au sein d'une narration scandée par des repères familiers rarement pollués par les dialogues. En revanche, on peut être frustré par la finalité de l'ouvrage, clairement créé dans l'objectif d'introduire la série, avec des épisodes conçus comme un gros préambule (à la manière des premiers films de chaque série Marvel au cinéma qui n'ont d'autre but que de présenter les personnages avant chaque Avengers). Toute fois on peut affirmer que Glénat, pour son retour sur la scène des comic-books, a fait un bon choix et propose aux acheteurs un album de qualité, avec une couverture rigide à la texture très agréable et des pages glacées donnant un cachet supérieur aux autres publications du même acabit. Dommage du coup qu'il n'y ait pas le moindre supplément outre une présentation des auteurs.
A suivre donc, pour voir où Rucka veut nous mener.
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