À l'époque de Marvel Now!, l'un des nombreux relaunchs éditoriaux auxquels recourent les pontes de la Maison des Idées, un projet a fini par voir le jour : une série parallèle, hors continuité (pour davantage de liberté), permettant à différents artistes de renom de se faire la main sur le héros le plus charismatique de leur galaxie de personnages. Ainsi, en août 2013, fut lancée la saga Savage Wolverine, avec Frank Cho en invité vedette.
Frank Cho, mais oui, c'est l'auteur de Liberty Meadows (cf. cet article) qui, en passant chez Marvel, a été prié de tempérer son humour tout en accentuant sa propension à dessiner des femmes accortes aux formes généreuses, au style assez proche d'un Terry Dodson par exemple. Après s'être frotté à Spider-Man puis avoir réécrit les origines de Shanna-the-She-Devil (dans une mini-série de 2005 aussi sensuelle que sanglante), l'artiste américano-coréen s'est vu offrir les clefs des Avengers (Nolt y fait référence dans cet article) et de Hulk, excusez du peu !
Le voilà avec une véritable bombe entre les mains et une liberté toute relative pour créer une histoire certes cohérente avec le personnage mais dispensée de tout lien avec les séries en cours. Alors, sur les cinq premiers épisodes de Kill Island (une fois l'arc complété, il passera la main à d'autres artistes tels Madureira, Isanove ou Jimenez), Cho fait son show (oui, je sais, elle était facile). C'est vrai que, malgré la présence du personnage principal, il a un environnement idéal pour laisser libre cours à ses penchants graphiques (après Shanna, Cho s'est fait une spécialité des filles en bikini dans la jungle, entourées de créatures féroces - cf. Apes & Babes ou Jungle Girl). D'ailleurs, le prélude est centré sur Shanna qui accompagne une expédition de reconnaissance du S.H.I.E.L.D. effectuant des relevés sur certains endroits peu connus de la Terre Sauvage : un champ magnétique surpuissant dézingue soudain les circuits de leur appareil qui va se crasher au plus profond de la jungle hostile...
Quelque temps plus tard, voilà-t-y pas que notre mutant griffu se matérialise en Terre Sauvage ? Pourquoi ? Comment ? On ne le saura jamais tout à fait mais on s'en moque un peu car Wolverine en Terre Sauvage, c'est double ration de plaisir régressif (on en avait eu un magnifique aperçu dans les X-Men #114 & #115 de Chris Claremont & John Byrne - cf. cet article) : le danger est omniprésent car outre les indigènes souvent hostiles, parfaitement adaptés à leur milieu et peu enclins à partager leur territoire, il y a des dinosaures à chaque coin d'arbre, voire au-dessus de chaque frondaison, voire encore dans le lit de chaque rivière. Vous voyez Jurassic Park 3 ? C'est ça, en pire. Pas de quoi terroriser notre Logan qui en a vu d'autres, il est vrai - néanmoins on est surpris de le retrouver parfois en mauvaise posture. Cho semble avoir volontairement tempéré ses ardeurs et surtout ses capacités surhumaines (il est régulièrement surpris, par exemple) afin de mieux pouvoir l'associer à Shanna, qu'il finit évidemment par retrouver. Ces deux-là se connaissent bien, (Wolvie a pas mal de kilomètres au compteur et il y a peu d'endroits ou d'individus du monde Marvel qu'il n'ait pas côtoyés ou affrontés) s'apprécient et se respectent. Cependant, le lecteur habitué des aventures du "Meilleur dans sa partie" n'ignore rien non plus d'un autre des points forts de Logan : sa faculté de séduire. Il a eu bon nombre de partenaires féminines, souvent des femmes fortes, débrouillardes et au caractère bien trempé. Pourtant, on sait aussi que plusieurs d'entre elles ont succombé au charme sauvage (et un peu incompréhensible pour nous, pauvres mortels au physique ordinaire) du Canadien : non seulement des "civiles" comme Mariko Yashida, mais aussi bon nombre de super-héroïnes comme Tornade, Malicia, Dazzler ou Domino, sans compter les moins fréquentables Mystique et Vipère - avec laquelle il a été marié. Ce qui confère aux dialogues entre nos deux compères un côté tendancieux teinté de malice et de sous-entendus, bien alimenté par l'humour sous-jacent propre à l'artiste. Avant, pendant ou après les nombreux combats émaillant leur périple (qui consiste en tenter de s'évader en détruisant une mystérieuse machine enfouie sous la montagne mystique dominant l'endroit), Shanna et Logan s'encouragent, s'admonestent, se chamaillent ou se congratulent comme de vieux potes, l'urgence du moment et la priorité de la mission prenant le pas sur toute velléité romantique. La morale est donc sauve et permet de rehausser l'honneur de chacun - et on ne peut qu'admirer le self-control très pro de Wolverine qui papote avec une femme splendide faisant sa toilette à demi-nue comme si elle était un frère d'armes.
Quoi qu'il en soit, avec plus ou moins de coordination (Shanna ayant parfois tendance à n'en faire qu'à sa tête mais trouvant souvent les solutions adéquates), la fine équipe finit par échafauder un plan pour rendre inopérant le dispositif millénaire révéré par les indigènes et s'apprête alors à passer à l'action, lorsqu'un nouveau venu entre dans la partie, lui aussi quasiment tombé du ciel. Evidemment, cela va bien mettre la pagaille dans la mission de nos deux lascars et les événements de se précipiter : la terrible menace souterraine s'avère être une divinité maléfique prisonnière de la montagne sacrée (divinité qu'il faut donc maintenir sous cage) ; un quatrième joueur, surpuissant, entêté et ayant un lourd passif avec Wolverine entre également dans la partie et... l'un de nos deux héros va mourir, tombant au combat avec les honneurs. Rassurez-vous : on n'en sera pas encore à la fin et Cho nous réserve d'autres surprises.
Un récit plutôt enlevé, entrecoupé de savoureux moments de détente et de dialogues pernicieux, brutal quand il le faut (entre les griffes de Logan, la science des armes blanches de Shanna, les crocs des ptéros, raptors et autres dinos, la rage des guerriers locaux et... quelques gorilles géants, ça défouraille sévère, le sang coule à flots, on tranche, perce ou écrase à tire-larigot). Il ne faudra pas trop chercher de sens à tout cela, même si un épilogue laisse entendre que des suites pourraient donner lieu à un péril aussi grand que la Vague d'Annihilation : Cho a préparé un scénario prétexte à des scènes dans lesquelles il pouvait exprimer sans restriction ses penchants et son humour. Si Shanna tire la couverture à elle, magnifiée (voire glorifiée) sans vergogne, le lecteur marvellien pourra regretter quelque peu le traitement réservé à son mutant préféré : pour une mini-série se nommant "Savage Wolverine", on peut à juste titre estimer qu'il en garde un peu trop sous la pédale. En effet, on l'a déjà vu nettement plus bestial et sauvage dans l'arc Ennemi d'état (cf. cet article), Old Man Logan (cf. cet article) ou surtout dans la mini-série The Best there is de Huston & Ryp. Cela reste toutefois fun et décomplexé, avec parfois quelques réflexions ironiques subtilement méta : Cho se permet quelques piques sur les personnages ou les situations, notamment par l'entremise de son troisième larron qui n'a pas sa langue dans sa poche et se comporte, suivant les événements dont il est témoin, soit en Candide, soit en Messie. Vaste programme.
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