Nous avons déjà abordé l'œuvre la plus connue d'
Hergé dans ce
grand dossier, nous avions également consacré un long
article illustré aux différences entre les éditions "classiques" (noir & blanc, première colorisation et album moderne) des
aventures de Tintin, cette fois, nous allons un peu plus loin en vous présentant les très nombreuses éditions spéciales et déclinaisons de cette série mythique.
Même s'il sera difficile d'être totalement exhaustif (il existe encore d'autres éditions !), ce tour d'horizon devrait vous permettre de vous faire une idée assez précise de la vaste galaxie éditoriale de l'univers de Tintin.
1. LES ALBUMS MODERNES
Bon, là, c'est la base. Autrement dit, les albums classiques, avec dessins et colorisation modernes. Pendant longtemps, Casterman considérait qu'il existait 22 albums (du Congo aux Picaros), puis Tintin au pays des Soviets a été ajouté (ce qui peut se comprendre) en tant que premier album (non validé par Hergé, évidemment, puisque c'est le seul qu'il n'a pas retravaillé). Plus discutable, Tintin et l'Alph-Art fait dorénavant office de "24e album", alors qu'il ne s'agit que de quelques crayonnés et des notes d'intention. Nul doute que le véritable album, si Hergé avait pu le terminer, aurait connu de nombreuses modifications avant sa parution (notamment sur le rôle du Capitaine Haddock, assez central dans cette histoire).
2. LES FAC-SIMILÉS EN NOIR & BLANC
Lors de leur première publication, les premiers albums de Tintin étaient encore en noir & blanc. Cette gamme propose donc de redécouvrir ces versions. Voilà qui nous permet d'aborder la question de la spéculation et des cotations. Si certains albums anciens prenaient de la valeur, c'est justement parce qu'il était impossible d'en trouver des copies récentes. La sortie de ces fac-similés aurait donc dû, logiquement, mettre fin à la flambée des prix. Étrangement, ça n'a jamais été le cas. On trouve encore de nos jours des éditions des années 40, en piteux état, vendues à plus de 1000 euros. On se demande bien pourquoi... en tant que collectionneur, ce qui importe, c'est d'avoir l'objet dans un état identique à celui des premières versions. Qu'il y ait un "1946" ou un "2023" en bas d'une page importe au final assez peu. Mieux vaut quelque chose de récent et propre qu'une saloperie dégueulasse d'époque.
3. LES FAC-SIMILÉS EN COULEURS
Même principe que pour les fac-similés précédents, sauf qu'ils sont ici en couleurs (et reprennent la première colorisation). Ces albums sont plus chers que les albums modernes mais il est vrai qu'ils sont particulièrement beaux et ont un charme certain.
4. LES ALBUMS AVEC ANCIENS DESSINS ET COLORISATION MODERNE
Voilà une curiosité : des albums reprenant les versions anciennes (non retouchées) des dessins mais une colorisation moderne et constituée d'aplats fort élégants. Si c'est assez logique concernant Tintin au pays des Soviets, cela semble déjà plus étonnant pour Les Cigares du Pharaon, par exemple, qui dispose de sa version colorisé avec les dessins retouchés. Ce sont donc un peu des expérimentations donnant naissance à des albums hybrides, mais pas inintéressants.
5. LES MINI-ALBUMS
Probablement la déclinaison la moins intéressante puisqu'il s'agit des albums modernes mais en format (très) réduit. Le prix reste assez élevé pour ce que c'est et le confort et le plaisir de lecture sont bien moindres. À éviter donc, sauf pour les complétistes acharnés.
6. LES INTÉGRALES
Des coffrets régulièrement réédités (dans différentes couleurs, cf. cet
exemple) et contenant les 24 albums. Si cette intégrale est intéressante financièrement, elle souffre cependant de deux gros défauts : d'une part, la taille des albums est légèrement réduite (rien de comparable toutefois avec les mini-albums évoqués ci-dessus) et, surtout, les couvertures sont absentes. Pour ce dernier point, c'est assez inexplicable. D'une part, l'illustration de couverture fait partie intégrante de l'œuvre, d'autre part, ça reste tout de même l'idéal pour introduire chaque récit. Notons également qu'aucun bonus n'est présent (ce ne sont pourtant pas les illustrations d'Hergé, pour le Journal de Tintin par exemple, qui manquent) et que la version des Soviets présente ici est celle en noir & blanc.
7. LE "TOUT-EN-UN"
Tout est dans le nom. Les 24 albums sont regroupés ici en un seul livre. Inutile de préciser que l'ouvrage s'avère particulièrement lourd et encombrant. Au point qu'il sera difficile de le consulter si l'on n'est pas sur une table (oubliez les séances de lecture au lit ou dans votre fauteuil préféré). Plus un objet de collection qu'un livre pratique donc.
8. LES ÉDITIONS FRANCE LOISIRS
France Loisirs, à la fin des années 80, a publié l'intégralité des 22 albums originels en albums doubles. Ils sont identiques aux versions modernes, ne contiennent pas de bonus et présentent tout de même les couvertures (recto et verso), sans un verso présentant les différents titres. Ces albums peuvent encore se trouver d'occasion à bas prix et en très bon état (si l'on est un peu patient).
Notons que ce n'est pas la seule collection France Loisirs, 20 ans après celle-ci, l'éditeur a publié une nouvelle version (rouge, cf. cette
photo), toujours en doubles albums, mais avec une jaquette (assez inutile) et des associations basées sur les personnages, et non l'ordre chronologique. Par exemple, dans cette version,
Le Lotus Bleu est associé à
Tintin au Tibet, à cause de la présence de Tchang.
9. TINTIN AU CINÉMA
En général, l'on retrouve dans ces albums de vagues montages photographique avec textes descriptifs (c'est le cas des anciens films, Toison d'Or et Oranges Bleues, mais aussi du long métrage de Spielberg). Notons une exception notable : Tintin et le Lac aux Requins, un dessin animé présentant une histoire originale et adapté en véritable BD.
10. LES VERSIONS SPÉCIALES
Les versions spéciales sont nombreuses et sortent à différentes occasions. On peut noter par exemple un double album, vendu en supplément du journal Le Monde, reprenant l'épopée lunaire, ou encore une version "journal de Tintin" des Bijoux de la Castafiore. Ces albums sont accompagnés de suppléments à l'intérêt variable mais qui apportent tout de même un plus.
11. HERGÉ : LE FEUILLETON INTÉGRAL
Voilà une collection certes très complète et esthétique mais hors de prix. À 80 euros l'album, difficile de prétendre qu'il s'agit d'une bonne affaire. Les bonus sont nombreux mais il est à noter que les versions des différents récits sont ici les strips publiés dans les journaux, donc un matériel intéressant d'un point de vue historique, mais certainement pas la version la plus agréable et aboutie des aventures de Tintin.
12. LES ÉDITIONS AVEC COUVERTURE SOUPLE
Une collection en "softcover", distribuée en 1999 par les stations Total en échange d'un plein et de 16 francs. Voilà qui met un terme définitif au mythe du "les couvertures souples, ça s'abîme facilement". Ces albums ont près d'un quart de siècle, ils ont été vendus dans des stations-essence, ils sont passés de main en main et ont fini dans une brocante, où je les ai découverts. Et ils sont comme neufs. Ce qui est parfaitement normal, un livre, à partir du moment où vous le rangez une fois lu (dans une bibliothèque dans l'idéal) et que vous ne vous en servez pas comme plateau-repas, il ne s'autodétruit pas. Notons, pour en revenir à ces albums, qu'ils disposent d'un petit cahier de présentation du récit.
13. LES ALBUMS AU FORMAT À L'ITALIENNE
Tout n'est pas disponible dans cette collection reprenant les strips originaux agrémentés de commentaires et bonus. L'on peut cependant trouver les diptyques 7 Boules de Cristal/Temple du Soleil et Secret de la Licorne/Trésor de Rackham le Rouge.
14. LES ALBUMS POP-UP
Il s'agit d'albums "pop-up", c'est-à-dire des ouvrages à la base destinés plutôt aux enfants et qui présentent des scènes "3D" lors de l'ouverture des pages, personnages et décors se déployant alors. Certains mécanismes de papier permettent également d'actionner divers éléments. Il existe de très nombreux albums de ce genre, certains très accessibles, d'autres hors de prix. Notons qu'il s'agit à chaque fois d'un bref résumé de l'histoire, avec uniquement les scènes clés illustrées.
15. LES ARCHIVES TINTIN (Atlas)
Attention, là on a du très très très lourd. Cette version, distribuée par Atlas en 2010, propose un contenu énorme et un écrin soigné. Chaque volume est consacré à un album, avec une remise en contexte (grâce notamment à des actualités de l'époque), du matériel inédit et des analyses très souvent pertinentes, loin des clichés habituels. Le rôle de chaque personnage est par exemple abordé et détaillé. Les différentes versions (et couvertures) de chaque album sont également présentées. L'on trouve aussi des crayonnés, des pubs, des documents techniques et autres illustrations. Très bien foutu et abordable (30 euros l'album à l'époque, ça peut paraître cher, mais on est sur du 120 pages environ, avec présentation pour le moins soignée).
16. L'ÉDITION ROMBALDI
Le passage obligé pour tous les classiques de la BD franco-belge. Cette version est centrée sur l'œuvre entière d'Hergé, et comprend donc aussi les albums consacrés à
Jo, Zette et Jocko,
Quick et Flupke et même certaines œuvres annexes (comme les enquêtes des Dupont-d). Des bonus sont présents, mais bien moins nombreux et intéressants que dans la version Atlas abordée ci-dessus.
17. LES VERSIONS ÉTRANGÈRES
Il faut également aborder ces versions spéciales que sont les adaptations dans d'autres langues. Environ 128 apparemment à l'heure actuelle (dont le breton par exemple). Notons que les versions anglaise et allemande, présentées ici, sont bien moins luxueuses que les VF et arborent une couverture souple très bas de gamme. Curiosité : alors que la version allemande compile bien la totalité des 24 albums en quatrième de couverture, la version anglaise a simplement viré Tintin au Congo. Absurde...
18. LES ALBUMS-JEUX
À partir de maintenant, nous quittons les déclinaisons des albums officiels pour des domaines un peu à part mais toujours rattachés, forcément, à Tintin et ses aventures. Les albums-jeux constituent une curiosité sympathique, employant de nombreux extraits des albums et permettant souvent de tester les connaissances du lecteur. Certains tomes contiennent des fiches de personnage ou permettent, par exemple, d'apprendre à dessiner Tintin.
19. LES ALBUMS "PIRATES"
Nous avons longtemps hésité à aborder le sujet, à cause bien entendu du côté illégal de la chose mais aussi du peu d'intérêt présenté par la majorité des pastiches. Mais puisque ça existe, difficile de ne pas en parler. Au milieu de la foultitude d'ouvrages vulgaires ou sans intérêt, quelques albums surnagent. Citons par exemple le Tintin et l'Alph-Art de Rodier. Catastrophique du point de vue du scénario (il restait bien trop à travailler encore pour prendre les notes d'Hergé d'époque pour acquises), les dessins ne sont pas non plus à la hauteur (impossible de confondre avec Hergé). Par contre, même si l'on aurait voulu voir une version par Bob de Moor, cette tentative a le mérite de prolonger un peu l'existence de Tintin et de proposer une version véritablement BD de cette ultime aventure. Notons, au crédit de Rodier, que son Le Lac de la Sorcière (une aventure de Tintin en 7 planches) est bien plus abouti et agréable à lire que l'Alph-Art. Ceci dit, c'est bien entendu plus simple de maîtriser un récit aussi court.
Dans les pirates digne d'intérêt, l'on peut aussi évoquer Tintin contre Batman, d'Hergi, qui a le mérite de proposer un style graphique élaboré et propre à son auteur.
20. LES LIVRES AUTOUR DES ALBUMS
Il existe des tonnes d'ouvrages gravitant autour de Tintin ou de l'œuvre d'Hergé dans son ensemble. Certains sont inintéressants voire scandaleux (l'Hergéographie de Bob Garcia, une merde sans nom), d'autres magnifiques (le Musée Hergé), d'autres encore sont très spécialisés (le Haddock illustré, Tintin et les autos européennes...) ou plus généralistes (L'art d'Hergé). Ajoutons à cela divers dictionnaires, de qualité inégales, et vous comprendrez que le filon, pour le meilleur et pour le pire, s'avère inépuisable.
Voilà déjà de quoi faire alors que nous sommes loin d'avoir présenté tout ce qui existe. Le nombre d'ouvrages et de rééditions permet tout de même de se rendre compte de l'intérêt qui reste encore vivace pour Tintin et son créateur, et ce malgré les choix parfois discutables des ayants droit.
Tintin, Haddock et Moulinsart continuent de fasciner et émerveiller. Je suis moi-même collectionneur, de beaucoup de choses, mais il n'y a que l'univers de Tintin qui m'ait poussé à acheter sept ou huit fois la totalité des albums, dans des versions légèrement différentes, et plus de dix fois pour certains titres. Hergé, au moins autant que le vieux
Bayard et son Michel, ont fait de moi le lecteur que je suis aujourd'hui. Ils m'ont diverti, ils m'ont instruit, ils m'ont aidé quand j'en avais besoin, ils m'ont poussé à écrire mes propres histoires et tenter de comprendre la subtile mécanique de la narration. Hergé m'a appris qu'un récit se travaillait, longuement, et que le moindre détail comptait. Il m'a aussi appris qu'une idée en soi n'était ni bonne ni mauvaise, mais que la forme, la manière dont on la mettait en scène, pouvait insuffler de l'intérêt et des émotions dans tout récit. J'aime Tintin parce qu'il représente quelque chose d'à la fois complexe et simple, détaillé et épuré, ancien et moderne. Le style d'Hergé n'a pas vieilli parce que cet auteur tapait juste. Et peu importe quand elle a été chantée, la justesse d'une note ne se déforme pas avec le temps.
Il est des auteurs que l'on apprécie et des auteurs à qui l'on doit beaucoup, parfois plus qu'on ne l'imagine. Jamais je ne pourrai m'acquitter de la dette que j'ai envers ce bougre d'Hergé. Mais ce n'est pas bien grave, il est des dettes que l'on peut contracter sans pour autant se ruiner. Au contraire, paradoxalement, ces dettes-là enrichissent.
Si vous ne connaissez pas Tintin, je ne vous conseille pas de commencer dans l'ordre chronologique. Débutez donc par l'époque moderne ou le cycle des diptyques (une classification toute personnelle, décrite à la fin de ce
dossier). Peut-être malgré tout ne serez-vous pas envoûté par la magie d'Hergé. C'est ainsi, les bons auteurs, tout comme les breuvages forts, ne conviennent pas à tous les gosiers. Et c'est normal, car au-delà de la technique, de la justesse, de la maîtrise, vient le domaine du goût, de l'inclination personnelle, du "j'aime/j'aime pas". Mais quand vous tombez sur un auteur qui vous parle et qui évite les fausses notes, quel enchantement pour l'esprit !