Écho #47 : Dupuis à genoux devant les censeurs



Hier, Dupuis a pris la décision de retirer de la vente l'album Spirou et la Gorgone Bleue, de Yann et Dany.

Pour quel motif ? Eh bien, encore une fois, un éditeur tremble devant quelques excités fanatiques sur twitter. En effet, plus d'un an après la sortie de cet album, certains demeurés ont jugé que les Noirs et les femmes étaient "mal représentés" dans cette BD. L'album, et donc son dessinateur, seraient racistes et sexistes. Rien que ça.

Évidemment, cela pose d'immenses problèmes. 

1. Tout d'abord, dans son communiqué, Dupuis indique réagir suite aux "prises de parole qui se multiplient". Or, quelques wokistes sur le net, ce n'est en rien représentatif du lectorat, encore moins de la population. Pourquoi faudrait-il tenir compte de l'avis d'extrémistes qui condamnent sans rien connaître de cette BD et de son auteur ? Et rappelons que même quelques milliers de commentaires (et on en est loin !) seraient de toute façon négligeables d'un point de vue statistique. Il y a quelque temps, les mêmes avaient pleurniché à propos de Friends. Mais il ne s'agit pas d'une "génération", juste des plus cons de la bande. Ou des plus cyniques, pressés de démontrer à moindre frais à quel point ils sont de "bonnes personnes".
Est-ce aux activistes dorénavant de décider de ce qui sera lisible ou non ? Rappelons-nous les autodafés au Canada, où des écoles organisaient la destruction de milliers de livres jugés "inbon" (comprendre "sexistes" ou "racistes"). 

2. Comment une maison d'édition, qui a validé le travail d'un auteur et d'un dessinateur, peut-elle ensuite, plus d'un an après la publication, laisser croire que ce travail serait raciste et sexiste ? Et donc, entacher la réputation du dessinateur, sans qu'il puisse évidemment se défendre. Un auteur n'est-il pas en droit d'attendre un minimum de soutien de la part de sa propre maison d'édition ?
La manière de réagir de Dupuis, violente, lâche et définitive, en dit long sur le courage intellectuel de ses dirigeants.

3. Ce qui est mis en cause dans cet album, c'est le style graphique du dessinateur. Certains n'aimeraient pas la manière dont les Noirs sont dessinés. Mais, rappelons qu'il s'agit d'un style non réaliste, très caricatural et propre à bien des BD franco-belges. C'est exactement le même genre de polémique qui a été soulevée, il y a quelques années, sur la représentation de la vigie du bateau pirate dans Astérix (cf. cet article). Représenter un Noir avec des grosses lèvres ou un Asiatique avec des yeux bridés n'est en rien "raciste". Ça n'induit pas une forme de hiérarchisation des races. 
Au pire, on peut trouver que c'est mal dessiné, mais les auteurs ont le droit, évidemment, d'être mauvais, de se tromper, de ne pas aller dans le sens du vent, d'être simplistes, caricaturaux ou de faire simplement ce qu'ils veulent ! C'est le principe : si ce n'est pas illégal, alors c'est permis.


Extrait d'un incroyable brûlot "raciste et sexiste".


4. Comment se fait-il qu'un album pédopornographique comme Petit Paul (qui, lui, tombait sous le coup de la loi) ait été commercialisé dans l'indifférence générale (et avec le soutien des gauchiasses, évidemment, il faut dire qu'il n'y a pas si longtemps, leurs représentants - politiciens, journalistes, philosophes, artistes... - n'hésitaient pas à signer une pétition publique, parue dans la presse, pour réclamer la légalisation de la pédophilie... ceci explique cela) alors que ce Spirou est interdit pour un style graphique jugé "inapproprié" ?

5. L'accusation de sexisme (parce que le dessinateur ose représenter des femmes... en bikini !), on l'a déjà vu (cf. cet article), est systématique [1] dès qu'un auteur représente une femme (qu'elle soit féminine ou qu'elle possède des caractéristiques habituellement attribuées aux hommes). Et si un auteur met de côté les personnages féminins, c'est également jugé sexiste. Avec la grille de lecture de la moraline gauchiste actuelle, un auteur ne peut pas ne pas être sexiste. Ce qui est évidemment ridicule.
Le nombre d'œuvres accusées de sexisme est d'ailleurs proprement ahurissant : Astérix, les Schtroumpfs, Martine, Crocodile Dundee, Il était une fois l'Homme, Blanche Neige, SOS Fantômes, Wargames, Retour vers le Futur, Indiana Jones, Petit Ours Brun, Le Club des Cinq, Sissi... cette accumulation délirante serait drôle si elle n'était pas révélatrice de la menace qui pèse sur les auteurs actuels et les œuvres anciennes. Or, à part ne pas écouter ces revendications scélérates et résister, il n'y a rien à faire. On ne peut gagner dans un débat face à l'absurde (cf. cet article). Car pour les wokistes, l'homme blanc est raciste (ou sexiste, ou homophobe) de base. Et s'il nie ce fait, pour eux, ça prouve simplement qu'il l'est encore plus. 

6. Bien entendu, cela ne fait pas disparaître la BD qui est devenue une véritable aubaine pour les spéculateurs. Elle se vendait à 60 euros ce matin, cette après-midi, elle est proposée sur Le Bon Coin entre 100 et 300 euros. Les auteurs n'en profiteront pas (on leur retire une source de revenu sans raison ni jugement légal) mais les opportunistes se régalent. 
Cela démontre aussi l'ineptie du comportement de Dupuis qui vient juste de rendre culte et collector une BD qui était passée complètement sous les radars.


Pour résumer, voilà donc un acte de la part de Dupuis qui fragilise les auteurs, qui renforce le pouvoir d'une meute virtuelle avide de sang, qui valide des diffamations et un jugement à l'emporte-pièce, qui soutient la censure dans ce qu'elle peut avoir de plus abjecte et qui salit la réputation d'un artiste totalement innocent de ce dont on l'accuse. Pas mal pour une seule décision. 




[1] Prenons un exemple déjà traité ici : le Club des Cinq de Blyton. Le cas est intéressant car, non seulement l’œuvre est écrite par une femme (si le sexe d’un individu gêne le raisonnement des wokistes, il n’est subitement plus pris en compte), dans les années 30 (les faits ne sont jamais contextualisés, ce qui est pourtant à la base d’une analyse sérieuse, qu’elle soit historique, littéraire ou même judiciaire), mais vous allez voir que, quelle que soit la manière dont l'écrivain construit son personnage, il est perçu comme sexiste.
Ainsi, la journaliste qui à l’époque s'exprimait sur Slate (un nid à débiles) condamnait le personnage d’Annie, parce que la jeune fille est féminine, timide, douce, gentille, etc. Trop caricaturale, selon elle (une femme ne peut donc pas être... féminine ?). Par contre, Claudine, qui a un caractère affirmé, est courageuse, sûre d’elle, là, ça ne va pas non plus. C’est sexiste parce que c’est… trop caricatural. 
Quand un comportement est perçu comme sexiste et que son exact inverse est perçu comme sexiste également, ce ne sont pas les auteurs qui sont tous systématiquement des affreux défenseurs du patriarcat, c’est la grille de lecture qui est fausse.