Je suis Pilgrim
Publié le
24.4.18
Par
Vance
Je suis Pilgrim mérite bien les louanges qui
l'ont accompagné depuis sa sortie et devrait donner lieu à une adaptation
cinématographique assez incroyable, surtout si James Gray est aux manettes.
Évidemment, tout n'est pas parfait : le style manque de tenue et se repose sur
l'efficacité avant tout, ainsi que la pertinence des remarques, l'acuité des
détails et la variété inouïe des décors. C'est un peu comme si on avait
Homeland traité à la manière d'un Jason Bourne - mais sans les pugilats - et avec
l'âpreté et la frénésie d'un 24h chrono. Ces références ne sont pas anodines car l'auteur, Terry Hayes, est avant tout connu pour ses scénarios de film (Mad Max 2, Payback et surtout From Hell) et ceci est son premier roman. Un travail de longue haleine a certainement été nécessaire pour réunir dans ces 600 pages autant d'éléments narratifs.
Une réussite, donc, et ce malgré un découpage très proche
des thrillers modernes (des mini-chapitres de deux-trois pages se terminant
inlassablement par une révélation ou un happening), de nombreux allers et retours dans le temps (tant dans le passé du narrateur que dans celui de l'homme qu'il poursuit) et de trop nombreuses
coquilles parsemant l'édition française de J.C. Lattès qui auraient pu faire sortir le lecteur moyen de la trame du récit. Heureusement, on ne peut décemment
pas quitter la lecture de ce pavé d'une densité hallucinante, rédigé à la
première personne, reprenant le rythme et le découpage d'un bon épisode de
série TV, multipliant les indices, les lieux et les noms sans jamais nous perdre grâce à
une construction méticuleuse.
Comme dirait Salieri dans Amadeus, au début c'est simple, presque comique : une équipe de la police de New York vient enquêter sur un crime dans un hôtel de seconde zone ; le commissaire, un certain Bradley, fait appel à l'une de ses relations, ancien agent secret reconverti dans la littérature d'investigation, car la victime n'est pas identifiable - et le tueur l'est encore moins. Lorsque l'ex-espion (le "Pilgrim" du titre, le narrateur du livre) comprend que le meurtre a été perpétré en utilisant les méthodes décrites dans son livre, il sait qu'il a mis le doigt dans un engrenage infernal, sur la piste d'un tueur dangereux car méthodique et intelligent. Mais ce problème-là devra attendre car un autre individu entre en scène : le Sarrasin, nom de code donné à un Musulman radical ayant décidé de frapper "l'ennemi éloigné" (les États-Unis) en plein cœur grâce aux recherches médicales qu'il a entreprises. Un péril planétaire est sur le point d'éclater, et Pilgrim est la dernière arme dont les services secrets puissent user pour l'en empêcher. Mais comment retrouver la trace d'un fanatique patient et rusé qui s'était naguère illustré dans les rangs des moudjahidin et dont personne ne connaît le nom ou le visage ?
Le suspense est total : malgré des ficelles archi-connues
(Hayes aime souvent jouer avec l'anticipation, annonçant les réussites et les
échecs plusieurs chapitres avant, semant des détails qui ne deviendront
révélateurs que 300 pages plus tard), impossible de résister aux sirènes de cette enquête protéiforme où le passé douteux de l'un se mêle au passé énigmatique de l'autre, où les ressources et la technologie se heurtent à l'acharnement, la foi et la détermination à accomplir la tâche qui leur est due. Par le biais de son personnage très moderne (car très solitaire, rêvant de la quiétude illusoire d'une vie de famille qu'il n'aura jamais), l'écrivain et scénariste britannique nous gratifie d'une tendance épidermique à jeter un regard acerbe
sur les populations et régimes du monde entier, se mettant
parfaitement dans la peau d'un super-espion américain revenu de tout : les
états islamiques en prennent pour leur grade, le narrateur ne cessant de mettre
en lumière les contradictions internes de leurs sociétés systématiquement
corrompues, mais l'aveuglement et le laxisme de l'Union Européenne ne sont pas
mieux lotis, non plus que l'impensable fiasco des services secrets américains
au moment du 11 Septembre.
Et des pays, il y en a dans Je suis Pilgrim, à croire que ça a été écrit pour un James Bond ou un Mission : Impossible : si la Turquie et l'Afghanistan y ont une place de choix, on ira au gré de l'histoire de chacun des protagonistes tant à Berlin qu'à Karlsruhe, tant en Alsace qu'à Paris, tant dans la bande de Gaza qu'au Bahreïn ou en Syrie, sans parler de Moscou, Londres, New York et Washington. Pourtant, point de morgue souveraine ou de complexe de supériorité chez cet ancien des hautes sphères de l'espionnage, on admet assez aisément qu'il s'agit du point de vue vaguement blasé d'un homme ayant observé le monde sous son aspect le plus sombre, des prisons secrètes de la CIA où la torture est de mise aux débordements financiers des oligarques des pays de l'Est (annonçant l'Affaire Daphné à Malte), Pilgrim, l'homme aux mille identités, est revenu de tout, mais ne sait pas comment planifier son avenir ou gérer les rares traces émotionnelles de son passé. Seuls le rock'n roll et la douceur de vivre parisienne trouvent grâce à ses yeux endoloris par tant de cruautés et de bassesses, la vilenie dont sont capables la plupart des hommes qu'il a croisés.
Et des pays, il y en a dans Je suis Pilgrim, à croire que ça a été écrit pour un James Bond ou un Mission : Impossible : si la Turquie et l'Afghanistan y ont une place de choix, on ira au gré de l'histoire de chacun des protagonistes tant à Berlin qu'à Karlsruhe, tant en Alsace qu'à Paris, tant dans la bande de Gaza qu'au Bahreïn ou en Syrie, sans parler de Moscou, Londres, New York et Washington. Pourtant, point de morgue souveraine ou de complexe de supériorité chez cet ancien des hautes sphères de l'espionnage, on admet assez aisément qu'il s'agit du point de vue vaguement blasé d'un homme ayant observé le monde sous son aspect le plus sombre, des prisons secrètes de la CIA où la torture est de mise aux débordements financiers des oligarques des pays de l'Est (annonçant l'Affaire Daphné à Malte), Pilgrim, l'homme aux mille identités, est revenu de tout, mais ne sait pas comment planifier son avenir ou gérer les rares traces émotionnelles de son passé. Seuls le rock'n roll et la douceur de vivre parisienne trouvent grâce à ses yeux endoloris par tant de cruautés et de bassesses, la vilenie dont sont capables la plupart des hommes qu'il a croisés.
Outre cette dissection amère de notre monde contemporain rongé par les attentats, on remarquera très vite que l'autre point fort du roman réside dans les personnages. Car dans chaque contrée inhospitalière où l'État
de droit n'est qu'une façade (la Turquie et l'Arabie Saoudite en tête), si
certains potentats et petits chefs se voient décrits comme des caricatures de
vaniteux incapables, d'autres s'illustrent par leur piété, leur sens du devoir,
leur engagement ou leur courage et ce, de quelque côté de la Loi qu'ils se
trouvent : s'il n'est pas difficile de voir des héros chez ce commissaire de police
new-yorkais intègre, ce hacker américain amateur de culture nippone ou ce médecin australien alcoolique, on s'aperçoit que
l'auteur ne cache pas non plus son admiration pour le Sarrasin, ce pieux musulman dévoué
à sa tâche consistant à éradiquer le peuple américain, ou pour ce mystérieux
tueur d'un motel miteux de Manhattan, dont le génie indiscutable viendra plusieurs fois perturber la pointilleuse enquête de Pilgrim. En
prenant ces êtres singuliers comme les deux faces d'une même pièce, Hayes
rejoint des œuvres comme Homeland ou Fauda qui invitent à condamner les actes
mais pas les motivations de ces hommes et femmes que la vie a placés sur une
mauvaise pente.
Redoutablement addictif.
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