Intégrale Justice League



Retour sur une saga DC Comics incontournable : la Justice League par Geoff Johns.

Si vous cherchez un point d'entrée dans le vaste univers DC (et ce bien qu'il n'existe pas d'épisode idéal pour bien "débuter" la lecture de comics tant cela dépend de vos propres inclinations), voilà une série qui peut parfaitement faire l'affaire et possède de grandes qualités tout en s'avérant accessible.
À la manœuvre, l'on retrouve Geoff Johns, un architecte important du monde DC moderne, qui a notamment signé le scénario de nombreuses sagas Green Lantern mais aussi, entre autres, de Batman Terre-Un ou encore des versions New 52 de divers personnages (sur lesquels nous reviendrons plus loin).
Bref, le gars est expérimenté et se révèle plutôt efficace quand il n'est pas carrément brillant. Le candidat parfait donc pour prendre les choses en main lorsque, en 2011, l'éditeur décide de donner un coup de frais à ses principales licences.  

Ces épisodes ont été regroupés par Urban Comics en 2019 et 2020 dans quatre Intégrales (des tomes allant de 420 à 620 pages) regroupant la série Justice League mais aussi des arcs d'Aquaman, Forever Evil ou encore Justice League of America). Le tout est bien évidemment centré sur les personnages phares de DC : Batman, Superman, Wonder Woman, Green Lantern, Flash mais aussi Cyborg et Aquaman
En gros, le style Johns parvient à faire du classique sur le fond et à moderniser la forme. Pas seulement l'aspect graphique, que l'on doit à des dessinateurs comme Jim Lee, David Finch ou Ivan Reis, mais surtout la narration, les dialogues et les thématiques bien connues.



Tout démarre, dans les premiers épisodes, par la rencontre des héros. Ces derniers viennent de débarquer il y a peu dans un monde qui les craint et apprend encore à les découvrir. En parallèle, les reboots des différentes séries ont permis d'installer les personnages avec brio. Batman : The Dark Knight, sous la plume de Finch et Jenkins, est un modèle d'efficacité, tandis que la nouvelle version d'Aquaman, par Johns lui-même, joue avec la "mauvaise réputation éditoriale" du héros pour insuffler un brin d'humour dans ce nouveau départ. Même s'ils ne sont pas directement liés à la Justice League, l'on peut aussi noter les très bonnes versions New 52 de Catwoman ou Shazam, et surtout l'excellent et horrifique Swamp Thing. Bref, tout est parfaitement coordonné et suffisamment bien écrit, la plupart du temps, pour contenter les vieux briscards et attirer l'attention d'un nouveau lectorat. 

Mais revenons à la Justice League. Johns joue avec intelligence sur les différences de caractère entre les héros, alternant petites vannes bien senties et grosses castagnes spectaculaires. La menace principale de ce premier tome ne surprendra pas les fans puisqu'il s'agit de Darkseid, un poids lourd d'entrée de jeu donc, histoire d'avoir du solide pouvant faire face à l'alliance des sept têtes d'affiche. Par la suite, une fois le décor planté et les rôles des différents protagonistes clairement définis, c'est une certaine Pandora qui viendra déclencher une lutte titanesque entre les différentes ligues. Puis, c'est le Syndicat du Crime qui menacera de prendre le contrôle de la Terre entière, sans parler de l'introduction d'un Lex Luthor particulièrement ambigu. 

Si l'on se contente de survoler tout cela, l'on pourrait être tenté de penser qu'il s'agit d'un énième reboot et de récits somme toute classiques. Et ce n'est pas tout à fait faux, les ingrédients utilisés sont en effet d'un classicisme appuyé. Mais c'est bien le chef, au final, qui va permettre de constituer un plat digne de ce nom. Dans l'écriture, comme en cuisine, il ne suffit pas d'avoir sous la main des produits ayant déjà fait leurs preuves, il faut maîtriser le rythme (la cuisson), les dialogues (l'assaisonnement), les effets (les ustensiles), etc. Et Geoff Johns fait partie de cette race d'écrivains, de nobles artisans, qui savent tirer le meilleur des personnages dont ils gèrent un temps le destin. 
D'autant que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, devoir s'occuper d'une grosse licence et de personnages très connus est en fait un cadeau bien souvent empoisonné...



En effet, chez Marvel par exemple, il arrive fréquemment que les meilleures histoires soient publiées dans des titres secondaires (Runaways, Vision...), probablement parce que ce ne sont pas là des séries "stratégiques" et que le cahier des charges à respecter est alors bien plus souple. Devoir s'occuper de la réunion de personnages aussi connus et importants que Batman, Supes ou la jolie Amazone en chef n'a donc rien d'évident. D'autant qu'ici, le but est de faire du neuf avec du vieux. Double défi donc. Pour le relever, il ne faut pas juste un bon auteur, il faut un putain de magicien qui maîtrise parfaitement son art et comprend les ressorts super-héroïques dans les moindres détails. Et les gens de cette trempe ne sont pas si nombreux qu'on le croit (cf. par exemple le très surcoté Hickman, et notamment ses personnages fades et ses intrigues mal fichues sur Avengers). 

Bien souvent, l'on peut entendre des béotiens employer les termes "simple" ou "sans prétention" dans leurs critiques évoquant des œuvres pourtant parfaitement abouties. Mais "classique" ne veut pas dire "simple". Et donner l'illusion de la facilité, c'est le propre des gens qui savent bosser et ont de l'expérience. Ce n'est pas parce que ça a l'air facile pour le profane que c'est à la portée de tous. C'est même souvent exactement le contraire. 
Vous avez vu la différence qui existe par exemple entre votre Tonton qui fait rire tout le monde quand il raconte une histoire drôle et vous qui, avec la même vanne, faites un four monumental ? C'est parce que ce n'est pas l'idée qui compte (en tout cas, très peu), c'est sa mise en œuvre (cf. ce dossier). 
Et Johns est passé maître dans l'art de la mise en scène. Tout ici est juste (au sens d'une partition, après, vous êtes libre d'aimer ou pas la mélodie), précis, parfaitement en place. À tel point que cette intégrale figure probablement dans les comics "classiques" [1] à conseiller absolument, surtout d'ailleurs aux nouveaux lecteurs. En plus, même si l'on retrouve quelques coquilles (c'est normal, rien à voir avec le niveau de Panini, cf. cet article), on a ici des poids lourds à la traduction (un certain Edmond Tourriol [2] notamment) et le sérieux d'Urban, qui n'est plus à démontrer.

Des personnages ultra-iconiques dans une belle et longue saga, jolie et agréable à lire. 
En tout, plus de 2000 pages pour 120 euros. 



[1] "Classique" signifie, ici, que l'auteur met en avant de l'action, du spectaculaire et l'imagerie super-héroïque classique (les héros se battent entre eux quand ils se rencontrent avant de se rendre compte qu'ils sont dans le même camps, etc.). Pour un récit Justice League plus poignant et sortant un peu des sentiers battus, nous conseillons l'excellent Identity Crisis de Brad Meltzer, un pur chef-d'œuvre. 
[2] Une explication s'impose pour couper court aux médisances des demeurés qui ne connaissent rien mais ont un avis sur tout. Ed est l'un des patrons du studio Makma, dont je suis salarié. Mais, je n'ai pas attendu de bosser pour lui pour lui trouver des qualités. Je l'ai notamment interviewé il y a plus de 10 ans, sur la première version d'UMAC, alors que je n'étais même pas encore correcteur freelance. C'est parce que c'est quelqu'un que je respectais déjà que je lui ai demandé un jour s'il avait du taf à me confier, pas l'inverse. La chronologie, c'est important dans la vie. C'est même tout ce qui fait la différence entre être un mange-merde et être droit dans ses bottes. J'ajoute que même si je respecte son travail, et que je considère l'individu comme un ami, je ne suis pas toujours d'accord avec certains de ses choix en ce qui concerne les adaptations. Ce qui est normal. Mais il s'agit là de préférences personnelles, et de choix conscients de sa part, pas de lacunes. Et pour ceux qui auraient l'idée de revenir sur l'affaire de "la Gouverneuse" dans Walking Dead, pour tenter de prouver je ne sais quoi, je les renvoie à cet article. Les bons écrivains et les bons traducteurs souffrent parfois de l'intervention de certains relecteurs (dont le travail est plus complexe qu'on pourrait le penser). Alors que les pignoufs (et ils ne manquent pas) en auraient bien besoin... 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une saga percutante et bien orchestrée.
  • Graphiquement joli et spectaculaire.
  • Des personnages iconiques, parfaitement employés et caractérisés.
  • Qualité de l'édition française, que ce soit au niveau du rédactionnel ou de la traduction.


  • L'on pourrait reprocher un petit manque d'ambition à Johns, mais ce serait à la limite de la mauvaise foi, tant le but est ici tout autre et consiste justement à ne pas dénaturer un mythe mais simplement le moderniser.