C'est aujourd'hui le lancement en France de l'évènement Marvel Secret Wars. Ce ne sont pas moins de onze revues kiosque qui couvrent ce nouvel event, totalement disproportionné.
Tout de suite, le point sur la situation et les premières analyses et impressions.
Nous allons nous concentrer essentiellement sur quatre titres : Secret Wars, Secret Wars - Battleworld, Secret Wars - Ultimate End et enfin Secret Wars - Spider-Man. Mais avant tout, un petit rappel de la situation n'est peut-être pas inutile.
Tout commence il y a bien longtemps dans la série Avengers (cf. ce premier tome librairie) qui permet à Jonathan Hickman, le maître d'œuvre de Secret Wars, de développer les premiers éléments qui aboutiront à la saga qui nous intéresse actuellement. L'on découvre notamment qu'un grave danger menace l'existence même du Multivers [1] : différents univers entrent en collision les uns avec les autres.
Les Illuminati et même la Cabale tentent de trouver une solution mais rien n'y fait. Peu à peu, les nombreux univers parallèles sont détruits.
La série phare, publiée dans la revue Secret Wars, commence alors que seulement deux univers subsistent : l'univers Marvel classique (616) et l'univers Ultimate (1610).
Après leur destruction, seuls quelques survivants parviennent sur un monde étrange appelé Battleworld. Ce dernier (qui constitue maintenant la seule réalité) a été créé par Fatalis qui y règne en dieu, appuyé par son armée de Thor...
On le voit, même si l'on retrouve quelques points communs (la présence de Beyonders), ce Secret Wars moderne est bien différent sur le fond de son prédécesseur. Battleworld abrite en fait de nombreux territoires à la réalité très différente (moderne, cartoony, heroic-fantasy ou encore apocalyptique). Ces territoires (cf. la carte en fin d'article) sont dirigés par des barons, nommés par Fatalis.
L'idée de base, comme souvent, est non seulement intéressante mais franchement ambitieuse. Si le crossover historique des années 80 cherchait surtout à rassembler et faire se rencontrer le plus grand nombre de personnages possible, cette fois, ce sont carrément des univers différents (connus ou confidentiels, anciens ou récents) qui cohabitent. L'on retrouve ainsi une quarantaine de territoires, dont Fatalistadt, Spider-Island, Manhattan (accueillant les restes des univers classique et Ultimate), New Quack City, Weirdworld, l'Angleterre du roi James, Greenland ou encore le domaine d'Apocalypse.
Tout cela est vaste, très vaste, trop peut-être...
Car de toutes les remises à zéro de la numérotation des comics, celle-ci est sans doute celle qui constitue le pire "point d'entrée" possible pour de nouveaux lecteurs tellement les protagonistes sont nombreux, la trame complexe et les références multiples.
Et, pour tout arranger, la série principale est écrite par Hickman, pas vraiment un auteur réputé pour la clarté de son propos (cf. Red Wing ou Avengers justement). Et si l'on tente un regard d'ensemble, cela n'arrange en rien cette impression de foutoir immense et d'éléments disparates.
La revue Secret Wars, après un prologue censé récapituler la situation mais qui se révèle aussi confus que le reste, accueille donc les deux premiers épisodes de la saga qui sera publiée jusqu'en mai. L'on découvre Fatalis sur son trône, son conseiller, les premiers barons mais aussi le Bouclier, sorte de mur séparant les contrées civilisées des zones dangereuses, peuplées par des zombies ou les armées d'Ultron.
Les dessins d'Esad Ribic sont souvent magnifiques et apportent majesté et mystère aux lieux découverts.
De jolies planches mais un récit décousu, à la Hickman.
Passons à Secret Wars - Battleworld qui accueille des séries annexes franchement... "exotiques" on va dire.
L'on commence par une courte introduction, dans New Quack City, avec un duo Blade/Howard the Duck complètement délirant. Plutôt sympa et récréatif mais carrément déroutant pour le nouveau venu qui ne connait pas le fameux canard.
L'on poursuit avec Weirdworld, dans une ambiance et un style graphique radicalement différents. Arkon (sorte de Conan à la sauce Marvel) tente de retrouver son royaume et combat d'étranges créatures.
La suite est tout aussi surprenante avec un récit signé Garth Ennis, qui reprend le personnage de Karl Kaufmann (que l'on avait pu voir notamment dans l'un des rares ratages de l'auteur : War is Hell), mais aussi du kung-fu et même une version toute particulière des Runaways, embrigadés dans les jeunesses Fatalis.
Rien de bien indispensable toutefois dans ces tie-ins (n'hésitez pas à consulter notre lexique si certains termes un peu techniques vous paraissent abscons).
C'est Secret Wars - Ultimate End qui va se révéler être la revue la plus intéressante de notre sélection.
D'abord parce que le duo Brian M. Bendis / Mark Bagley y fait son grand retour (cf. cet article par exemple), probablement pour signer la fin d'un univers Ultimate qui avait brillamment commencé et a perdu peu à peu son lectorat à cause d'un immense gâchis et de quelques décisions éditoriales aberrantes [2]. Bendis retrouve le ton, moderne et parsemé de pointes d'humour, des premières années d'Ultimate Spider-Man et Bagley met brillamment en scène une foultitude de personnages.
L'on passe ensuite aux Inhumains. L'action se déroule dans le Greenland ainsi qu'à New Attilan et présente des résistants confrontés aux Thor.
L'on découvre également le Squadron Sinister, avec à sa tête un Hyperion conquérant qui annexe de nombreux territoires. Marc Guggenheim, au scénario, développe ici une intrigue très bien ficelée, à base de complots politiques et d'action violente.
Enfin, Captain Marvel & the Carol Corps, une série très féminine par ses auteurs autant que par ses protagonistes, nous plonge dans la réalité d'un monde totalitaire et dangereux, où la science est vue comme une hérésie et la désobéissance un crime.
Sur les quatre séries de ce mag, quatre bonnes histoires, claires et agréables à suivre, voire passionnantes.
LA revue à ne pas rater.
Enfin, la revue consacrée au Tisseur accueille un Peter Parker toujours marié et ayant un enfant (bizarrement Annie et non Mayday). L'on y rencontre notamment un Venom impressionnant, dessiné par Adam Kubert, mais aussi un Parker étonnant, plus froid et réaliste, écrit par Dan Slott.
L'on fait ensuite un détour par l'univers 2099 et Spider Island avec des récits qui ne s'avèrent guère passionnants pour le moment.
De nombreux personnages vus (ou revus) dans Spider-Verse font également une apparition. L'on peut citer Spider-Gwen, le Venom version Flash Thompson ou encore le Spider-Man du Captain Britain Corps (cf. notre dossier sur les costumes de Spidey).
Rien de bien transcendant dans l'ensemble.
Et donc, au final, ce Secret Wars, il se présente comment ?
Eh bien, en étant très très optimiste, on peut dire que c'est mitigé. Il y a de bonnes idées, le concept des territoires/réalités est sympa, certaines séries sont franchement bien fichues et permettent de redécouvrir des personnages au potentiel réel.
Mais, tout cela est aussi une énorme usine à gaz, très difficile à suivre, menée en plus par un Hickman clairement surcoté et pas du tout adapté pour ce genre de grosse machinerie étant donné qu'il parvient déjà à rendre confus des récits bien moins complexes que celui-ci.
Surtout, malgré les déclarations toujours tonitruantes de Panini, l'on sait bien que, aussi grand soit l'évènement, il n'aboutira à rien. Grasse, dans son édito, à beau proclamer (encore une fois !) qu'il s'agit "du plus important évènement de l'ère moderne Marvel, voire de l'histoire de la maison d'édition", il est évident qu'il n'en est rien.
Depuis House of M et Civil War, les deux premiers mais aussi sans doute les deux meilleurs events de cette fameuse ère moderne, les évènements [3] se sont enchaînés à un rythme frénétique, mais à part une débauche de superlatifs, ils n'ont rien donné sur le long terme, Marvel revenant inlassablement à un statu quo aussi décevant que périlleux (cf. cette chronique). Tant que les éditeurs de comics mainstream n'auront pas réglé ce problème de surplace narratif, les planches pourront être belles, les histoires captivantes, il n'en restera rien ou presque. Car sans un minimum de prise de risque, sans un minimum d'évolution (tout à fait possible, même en conservant la "marque" et sa notoriété [4]), la magie s'évapore peu à peu des récits, que l'on sait d'avance sans impact réel.
Secret Wars n'échappera pas à la règle, peut-être parce que justement, malgré ce que l'on a l'habitude de dire, l'ère moderne Marvel n'est pas encore arrivée.
Une carte simpliste (voire ridicule), sans relief, cités ou routes, bref, sans âme, à l'image de SW. |
[1] Cf. ce dossier pour en apprendre plus sur les différents univers composant le Multivers Marvel.
[2] Avec l'univers 1610, Marvel tenait pourtant son Spider-Man jeune revenu aux "fondamentaux" si chers à Quesada (cf. notre dossier One More Day). Mais au lieu d'en profiter pour permettre l'existence parallèle de deux Parker populaires et très différents, la Maison des Idées a réussi à infantiliser le Parker historique du 616 et saccager la série du Parker adolescent (avec des inepties comme Ultimatum par exemple).
[3] Cet article permet de faire la différence entre ce que nous appelons les events modernes et les crossovers traditionnels.
[4] Un éditeur a aussi des préoccupations économiques, ce qui est tout à fait normal à partir du moment où l'on ne laisse pas l'artistique de côté. Il est impossible par exemple de laisser mourir Spider-Man ou Batman, qui sont devenus de véritables icones de la pop culture, mais Peter Parker ou Bruce Wayne pourraient disparaître sans que cela nuise à ces "marques". Il y aurait alors un passage de relai (tous les 15, 20, 25 ans ? à voir...) qui permettrait de redonner aux récits la dimension dramatique et le suspense dont ils ont été peu à peu dépouillés tout en conservant l'image iconique et bien reconnaissable du super-héros. Et pour les identités civiles les plus marquantes, rien n'empêcherait une série (de plus) consacrée à d'anciennes incarnations du personnage. Mais au lieu de cela, non seulement tous les héros et personnages secondaires sont immortels, mais même des faire-valoir, comme la tante May, sont perpétuellement ressuscités (alors qu'elle avait pourtant eu une belle fin, cf. cet Omnibus).
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