|
MJ : Tu vois un Orc qui…
Nolt : Je le crève à coups de hache !!
Schtroumpfette : X-Card !! Je sors la X-Card !!
MJ : Trop tard. Il y a des morceaux de cervelle partout. Et tu as du sang sur le nez. Essuie-toi, même dans mon esprit, je te promets, c’est crade.
|
Il y a quelque temps,
L’Ecclésiaste, nouvellement arrivé dans le
staff UMAC, a posté un article
consacré à la
X-Card et au politiquement correct dans les
Jeux de Rôles. Après avoir
vu quelques réactions épidermiques, je tenais également à revenir sur le sujet,
et à l’aborder peut-être d’une autre façon.
Je ne vais pas revenir en
détail sur les explications de base données sur la fameuse X-Card. Il s’agit,
pour faire court, d’une sorte de panneau « stop » qui interdit, sans
raison, à un joueur de continuer son RP.
Par contre, je vais expliquer
un peu plus longuement le RP, ou roleplay, qui reste central dans le Jeu de
Rôles.
Souvent, l’on caricature les
systèmes de jeu en deux grosses catégories : ceux qui privilégient la
simulation (donc, les règles, les jets de dés, la manière de simuler les
actions en général) et ceux qui privilégient le roleplay, c’est-à-dire le fait
d’incarner un personnage, d’interpréter un rôle.
|
X-Card ! Ton costume est oppressif. |
Les deux approches sont très
différentes, mais l’une n’est pas supérieure à l’autre. Simplement, les joueurs ne viennent pas chercher la même chose. Pour qui n’est pas familier des JdR,
disons que c’est un peu la même différence qui existe entre un jeu vidéo très
ardu, qui va demander de refaire des dizaines de fois la même chose pour passer
un niveau (certains joueurs étant alors attirés par le défi que représente
cette difficulté technique), et un jeu qui va être plus « facile » au
niveau de la progression en offrant un intérêt différent, qui ne se situe pas
dans la manipulation virtuose de la manette par exemple.
Personnellement, je considère
que l’intérêt d’un jeu de rôles réside dans… le rôle. Je milite par exemple
pour qu’un MJ expérimenté puisse « assouplir » les règles quand
l’ambiance l’exige. Mais, on rentre déjà là dans quelque chose d’un peu trop
pointu, aussi vais-je m’en tenir au seul RP.
Ce qui fait le charme du JdR,
c’est le fait d’incarner un personnage. Cela rejoint un peu le côté
expérimental et ludique de la profession d’acteur. Non pas dans la qualité de
l’interprétation (un acteur professionnel sera forcément meilleur qu’un joueur…
c’est son métier) mais dans la volonté de faire des choses très différentes, de
sortir de son quotidien, de jouer des salauds, des héros, bref, d’expérimenter
quelque chose de très différent de ce que l’on est.
Alors, pour des enfants ou des
gens qui découvrent ce genre de jeu, je peux comprendre qu’ils puissent
souhaiter être forcément des « gentils ». Quand on incarne un
personnage, les premières fois au moins, l’on a souvent envie d’être fort,
courageux, intelligent, bref, parfait. C’est le syndrome
« Superman ». On a envie d’être « plus ». Plus tout.
Et ça se comprend.
Seulement, après quelques
parties, si l’on garde cette approche, et si en plus tout le monde a la même,
ça va vite être inintéressant.
Les plus joueurs et taquins
découvrent vite qu’il existe des tas de manières de s’amuser grâce au roleplay.
Par exemple en jouant un parfait salaud. Ou une jolie blonde en apparence idiote mais au contraire futée et manipulatrice. Ou
un serial-killer. Ou, à l’inverse, un monstre « gentil ».
C’est la qualité première du
JdR : vous permettre d’interpréter des rôles différents, de jouer avec des
clichés, d’expérimenter. Et il faut bien garder à l’esprit qu’il ne s’agit que
de ça : des rôles.
Or, aussi incroyable que cela
puisse paraître, il existe des gens qui ne font pas la différence entre les
personnages interprétés par les joueurs et les joueurs eux-mêmes. Un peu comme
si on reprochait à un acteur d’être un salaud parce qu’il incarne un salaud
dans un film ou une série (et malheureusement, ça arrive souvent aussi).
Il y a très longtemps, j’ai
vécu une expérience similaire. J’incarnais alors un personnage, il est vrai
très désagréable, dans un jeu où je ne connaissais pas tout le monde (erreur
que je ne commets plus). Au bout d’un moment, je me rends compte que l’un des
joueurs me fait la gueule. Il est très froid, me répond à peine hors RP. Je lui
demande ce qui ne va pas, et le mec me sort « mais, t’as vu comment tu
m’as parlé tout à l’heure ? »…
Le gars ne faisait pas la
différence entre nos personnages et nous.
Wow.
Et de nos jours, c’est pareil,
c’est même sans doute pire d’après les retours de rôlistes que je peux avoir.
Prenons un autre exemple,
récent cette fois, qui m’a été rapporté. Dans une partie, un joueur s’amusait à
incarner un personnage raciste, qui balançait des réflexions incessantes à un
autre perso. Résultat : le joueur incarnant le perso visé sort la X-Card,
et le MJ confirme en la sortant aussi.
|
Oh mon dieu ! Un personnage imaginaire... |
Fin du RP pour le joueur qui
interprétait le perso.
Bon, OK.
Mais, dans cette partie, il
est possible de… tuer des gens par exemple ?
Si oui, je me demande bien par
quel miracle. Insulter quelqu’un est quand même moins grave que de le buter,
donc si les joueurs sortent la X-Card pour des insultes fictives, logiquement,
ils la sortent pour un meurtre fictif. Ou alors, il va falloir expliquer cette
logique tendancieuse.
On se rend bien compte que
cette X-Card est absurde, surtout qu’elle n’a besoin d’aucune justification
pour être brandie. Certains MJ se justifient en disant qu’ils « acceptent
la présence de la X-Card, mais qu’elle n’a jamais été utilisée », comme si
ça les dédouanait. En gros « du moment qu’on n’utilise pas l'outil que j’ai mis en place, ce n'est pas grave ».
Ben, si, ça l'est. Pour au moins deux raisons
distinctes.
1. Mettre en place un
dispositif permettant, sans raison, de stopper le roleplay d’un joueur, c’est
mettre fin au concept même de Jeu de Rôles. Si tout le monde joue des gentils
insipides, il n’y a plus d’intrigue ou d’intérêt.
2. Accepter à une table un tel
dispositif, c’est admettre que le roleplay en soi est dangereux et peut faire
souffrir les joueurs [1]. C’est aussi abolir les frontières évidentes qui
existent entre le joueur et son personnage.
Cela me rappelle, fin 80/début
90, certains moralistes (et responsables politiques) qui, sans les connaître,
hurlaient contre les JdR (mais aussi le Metal, les dessins animés japonais, les
comics et – déjà – les jeux vidéo). Sauf que là, ça vient de ceux qui
pratiquent et sont censés savoir qu’un personnage, c’est juste un… personnage.
Et qu’il est nécessaire d’avoir des personnages sombres, négatifs, borderline,
pour avoir quelque chose à raconter.
Difficile d’ailleurs de voir
d’où pourrait venir un possible danger. En général, on joue avec des gens que
l’on connaît et apprécie. Et quand ce n’est pas le cas, encore une fois, les
interactions entre personnages ne donnent aucune indication sur le joueur.
Bien entendu, il est possible
qu’un joueur pénible, voire franchement un connard, se glisse dans un groupe.
C’est alors le simple bon sens commun qui permettra de ne pas le réinviter à une
prochaine partie.
Si un abruti se vexe pour des
propos RP, ou si au contraire un joueur a le même comportement déplacé que son
perso, tout le monde en tirera les conséquences. Il n’y a nul besoin d’inventer
des conneries [2] qui vont anéantir le principe de RP.
J’avoue que, perso, je ne joue
plus trop et je n’avais pas conscience de l’évolution du « milieu »
avant l’
article de L’Ecclésiaste. Qui, en réalité, m’a parlé de la X-Card, et
que j’ai encouragé à rédiger un article tellement je trouvais ça exagéré, mais
je pensais vraiment que c’était totalement minoritaire chez les rôlistes.
Apparemment, c’est bien plus
profond et vaste que ce que j’imaginais.
Du coup, je suis partagé entre
deux attitudes.
D’un côté, je m’en cogne,
parce que je continuerai si j’en ai l’occasion de jouer avec des gens cool, qui
savent interpréter un perso, ne se vexent pas pour un mot de travers en RP et
ne sont pas fragiles au point de chialer pour un truc qui n’existe pas.
D’un autre côté, c’est
flippant car c’est une pierre de plus qui s’ajoute à l’immense mur virtuel qui
restreint les libertés des romanciers, des scénaristes, des acteurs, des
rôlistes, des gamers et de tous ceux qui pensent encore que le jeu et la
fiction ne doivent pas être considérés (et encore moins condamnés) comme la
réalité (ce qui n’exclut nullement certaines limites légales, bien entendu).
Et puis, honnêtement,
même si l’on interdisait tout dans les jeux… vous pensez vraiment que cela
améliorerait la réalité ? Non, ce n’est pas le but de toute façon. Au
contraire, la fiction est une manière d’expérimenter, de se lâcher, de faire
des folies sans risques, d’atteindre une forme de catharsis et d’abréaction.
|
Ach, bonjour ! Vous me reconnaissez ?
Je viens m'occuper de l'imaginaire cette fois ! |
Ce qui ne vous plaît pas dans
un récit, dans un personnage imaginaire, c’est probablement ce qui vous fait
souffrir dans la réalité. Mais ne vous trompez pas de combat. Ceux qui font
semblant, qu’ils soient auteurs, rôlistes ou MJ, ne vous menacent pas.
Et contrôler l’imaginaire
d’autrui n’aura aucun impact sur ce que vous subissez dans la rue, au boulot ou
à l’école.
Autre exemple, assez
ahurissant celui-là [3], d’utilisation de la X-Card : un jeune père de famille
aurait (j’emploie le conditionnel parce que c’est une anecdote que l’on m’a encore rapportée) utilisé cette carte pour stopper le
scénario d’un MJ, scénario dans lequel des enfants étaient impliqués.
Je veux bien admettre que ce
jeune homme soit plus sensible au sort des enfants depuis qu’il est devenu
papa, mais… du coup, il « sauve » des enfants imaginaires (ou plutôt,
il ne veut plus en entendre parler) ? Heu… ça ne serait pas mieux de
s’investir dans une association qui aide de vrais gamins ?
Les enfants, dans la vie
réelle, qui subissent le harcèlement scolaire par exemple, n’ont pas de joker à
jouer, eux. Ils s’en prennent plein la gueule, parfois jusqu’au suicide. Et
c’est justement en montrant la violence – psychologique ou physique – dans les
fictions (romans, films, BD et même les JdR…) que l’on peut libérer parfois la
parole et sensibiliser à la question ceux qui ignorent tout du problème [4]. Ce
n’est pas le but premier dans un JdR, j’en conviens, mais interdire un
« harcèlement » virtuel par exemple, ce n’est pas une bonne chose, ne
serait-ce que parce que ça permet de trouver des pistes pour le contrer et y
faire face (les jeux de rôles, axés sur une problématique particulière, sont
d’ailleurs utilisés dans des stages destinés aux agents administratifs par
exemple, afin de gérer la violence réelle qu’ils subissent parfois). En quoi
interdire toute allusion à un gosse dans un univers imaginaire est-il
souhaitable ou utile ? Non seulement ça n’a aucun sens, mais c’est même
dangereux, comme si certains cherchaient à se masquer la vue pour éviter
d’avoir à agir. On zappe ce qui nous gène, jusque dans la fiction, pour éviter
d’avoir à y penser dans la réalité.
J’aimerais en plus savoir
comment se comportent les adeptes de la X-Card lors de soirées entre amis. Là,
a priori, pas de carte à brandir dès que les propos de quelqu’un ne leur
conviennent pas. Pourtant, quand on en vient à vouloir régenter l’imaginaire,
je suppose que l’on ne doit guère supporter de choses dans le réel. Alors quoi ?
Ils envoient une liste des sujets qu’il ne faut pas aborder à leurs
potes ? Ah ben ça doit créer une ambiance sympa !
— Tiens.
— C’est quoi ?
— Tu viens bien à
l’anniversaire de Charles-Kevin ?
— Heu… ouais.
— Ben c’est la liste.
— De quoi, des invités ?
— Non, des sujets bannis.
— Des sujets bannis ?
— C’est une safe party. On
demande aux gens de ne pas évoquer certaines thématiques afin de respecter la
sensibilité de chacun.
— Hmm… alors, fais voir ça…
« merci de ne pas évoquer l’alcool, les enfants, la drogue, la violence en
général, les jeux de hasard, Patrick Bruel, la chasse, l’huile de palme, les bonnets en laine, la couleur bleu, le propolis, le tuning, les koalas, Plus
Belle la Vie, les télécommandes... », attends, c'est quoi ces conneries ? Pourquoi les télécommandes par exemple ?
— Charles-Kevin a eu une
mauvaise expérience avec une télécommande. Il était avec sa copine, tu sais…
— Ah oui, Jeanne-Agenda ou un
truc comme ça ?
— Marie-Mercredi.
— Ouais, tain, je m’y fais pas
à ce prénom de merde. Et alors quoi ?
— Ils ont fait un jeu sexuel
et… ils ont eu des ennuis. Ils ont fini aux urgences.
— Mais… parce que ce connard
de Charles-Kevin fourre une télécommande dans le cul de sa Marie-Novembre et
qu’il n’est pas capable de la ressortir, je dois considérer que la télécommande
n’existe plus ?
— Non…
— Ah, tu me rassures…
— Non, je voulais dire…
c’était dans son cul à lui…
|
Police de la fiction ! Quelqu'un nous
a signalé un RP !! |
Ne trouvant pas de transition valable
pour passer du cul de Charles-Kevin au reste de mon propos, je vais faire sans.
La X-Card est un faux bouclier qui donne l’illusion d’un univers
« propre » et « sécurisé ».
Mais sécuriser ou réglementer
à l’excès un univers fictif n’a aucun sens. Par exemple, dans le petit dialogue plus haut, en réalité, personne ne se met de télécommande dans l'anus (par contre, Marie-Mercredi existe bien, et c'est un prénom de merde). Utiliser des gommes et des barbelés pour transformer le JdR en dictature fadasse ne va améliorer en rien la
vie de ceux qui souffrent dans la réalité.
Soyez plus intelligents que
ça.
Bannissez la X-Card, ce
gadget malsain qui vous donne bonne conscience facilement.
Si quelqu’un souffre à votre
table de jeu (oui, ça se voit, au moins sur le long terme), alors discutez avec
ce joueur, apprenez à le connaître, proposez-lui votre aide, votre écoute au
moins. Et rangez ces cartes à la con qui détruisent le jeu et facilitent les
nuits de ceux qui voient le monde en noir et blanc et arrêtent leur diagnostic
aux seules apparences.
Et si vraiment vous ne
supportez rien, au point qu’une situation imaginaire vous inflige une souffrance
épouvantable… alors, parlez-en à un proche, ou consultez un médecin. Parce que
ce n’est pas le jeu qui vous pose problème, c’est bien autre chose, de plus
profond et viscéral. Je suis très sérieux, si vous souffrez à cause de simples
mots, dans un cadre ludique en plus, alors vous avez besoin d’aide. Et ce n’est
pas en interdisant aux autres d’aborder les sujets qui vous font souffrir que
vous irez mieux. Or, le but, c’est cela non ? Aller mieux. Ou au moins se
comporter en adulte qui affronte non seulement la fiction mais aussi le réel.
Les conneries vendues comme des remèdes miracle n’ont jamais aidé personne. Et
détourner les yeux d’une souffrance éventuelle ne la guérit pas. Surtout dans
l’imaginaire. Ça en retarde juste les effets.
Réels, eux.
|
— Viens Robin, on va s’amuser…
— Non ! Nooon !!
X-Card ! Je sors la X-Card !!
|
[1] Cela rejoint ceux qui
pensent que les jeux vidéo sont à ranger aux côtés de l’alcool, du tabac ou de
la drogue, comme on a pu le voir dans certains spots de prévention, totalement
scandaleux. C’est évidemment stupide, un jeu n’est en rien un psychotrope. Si
quelqu’un arrête de bosser, de se nourrir ou d’avoir une vie sociale à cause
d’un jeu, c’est le comportement de l’individu qui est en cause, pas le jeu en
lui-même. Mais il est certain qu’il est plus facile de dire à des parents que
leur fils est victime d’un produit dangereux plutôt que de leur avouer que leur
rejeton est con comme un balai.
[2] Enfin, rien d’inventé ici
puisque cette mode débile vient tout droit, évidemment, des États-Unis. Comme
celle des experts littéraires d’ailleurs (cf. cet
article). On attend avec impatience sa transposition dans les cours de théâtre...
[3] De toute façon, tous les exemples fournis par les défenseurs de la X-Card sont systématiquement idiots. L'inventeur de ce truc donne lui-même l'exemple d'un rôliste qui tentait d'arrêter de fumer et qui a utilisé la carte parce qu'il était choqué par un personnage imaginaire en train de fumer une clope imaginaire... imaginez l'état de délabrement mental qu'il faut atteindre pour en arriver là ! Et encore une fois, que va faire ce type dans la vie réelle quand il croisera des fumeurs ? Cette personne a visiblement besoin d'aide, mais l'encourager dans sa névrose ne lui rendra certainement pas service.
[4] Je conseille notamment, sur le sujet du harcèlement, l'excellent film Después de Lucia, extrêmement dur, réaliste et glaçant, mais ô combien nécessaire. Et c'est parce qu'il existe une souffrance réelle liée au harcèlement scolaire que ce serait honteux, idiot et contre-productif de limiter sa représentation (qui ne blesse personne) dans la fiction.