Sur les Traces de Mark Millar
Que ce soit par son travail chez Marvel ou ses séries indépendantes, Mark Millar a laissé un impact durable sur le monde des comics. Si tout n'est pas parfait dans sa production, nombreux sont ses titres qui méritent d'être découverts. Nous vous proposons un tour d'horizon de l'univers de l'auteur avec la sélection ci-dessous.
En plus des séries abordées dans cet article, nous vous conseillons la lecture de Trouble, un apport important de Millar à la mythologie arachnéenne. Signalons également que l'auteur a réalisé la série principale de l'évènement Civil War. Enfin, son Old Man Logan, dans lequel il met en scène un Wolverine vieillissant, dans un monde futuriste crépusculaire, est vivement conseillé également.
Wanted
Le Wanted de Millar a été adapté (de manière très... "libre") au cinéma, mais ce récit est bien avant tout un comic, publié chez Delcourt en 2008.
Wesley Gibson est votre pire cauchemar. Ce que vous ne voulez pas être mais êtes un peu fatalement. Il mène une vie banale, noyée dans la lâcheté et le renoncement. Il est harcelé au boulot par une supérieure qui le méprise, sa copine le trompe avec son meilleur ami et une bonne partie de Manhattan, une bande de chicanos se fout régulièrement de lui à la sortie du bus... et Wesley ne fait rien. Il encaisse. En silence. Parce qu'à côté de Wesley, un eunuque aurait plus de couilles.
Et puis vient le jour de l'héritage. Car ce que la masse grouillante ignore, c'est que le monde est dirigé depuis 1986 par des super-vilains. Cinq familles se sont partagées le monde en secret après la chute des super-héros. C'est maintenant la Fraternité qui règne en maître sur toute la planète. Et le père de Wesley en faisait partie. Il était le Killer, l'un des plus grands. Mais pour reprendre le flambeau, il va falloir apprendre. Apprendre à riposter, à faire mal, à enculer tout et tout le monde.
Parce que seul le crime paie.
Mark Millar signe ici une œuvre décomplexée et résolument outrancière. Dans Wanted, le héros est simplement le personnage le moins pourri du lot et ce ne sont pas les "gentils" qui gagnent à la fin. Tout ici est censé franchir les barrières du politiquement correct, des dialogues aux crimes gratuits en passant par les noms et l'aspect de certains personnages ("Tas de merde", une créature constituée des excréments de tueurs en série et de célèbres dictateurs, ou encore "Gros con", une copie trisomique du premier super-héros).
Est-ce que Millar va trop loin dans sa volonté de choquer ? Non, pas forcément, l'ensemble étant suffisamment habile et original pour nous plonger dans un second degré complice. De nombreuses références aux comics en général ou à certains personnages connus en particulier feront d'ailleurs sourire les habitués de Marvel et DC Comics. Attention, il ne s'agit pas d'une parodie pour autant, plutôt d'une sorte de Watchmen revisité sous acide et présentant la version des "enculés" pour reprendre un terme cher à l'auteur. Le tout modernisé par l'élégant graphisme de J.G. Jones.
Reste le message final, encensé d'ailleurs par Vaughan dans un petit mot qui suit la postface de Millar. Et là, ça coince un peu. Autant Millar est un excellent conteur, maîtrisant parfaitement son histoire et des personnages qu'il sait vite rendre attachants, autant ses idées simplistes - qu'il se croit toujours un devoir d'imposer - sur la société ou la politique tombent à plat.
Pourquoi diable vouloir ajouter un semblant de morale à cet excellent récit ? Un peu comme si le divertissement ne suffisait pas en soi ou comme si les lecteurs étaient trop stupides pour tirer leurs propres conclusions. Millar nous livre dans les deux dernières planches une sorte de prêt-à-penser ridicule qui se veut malin (et courageux selon Vaughan) mais qui reste trop vague et trop à la mode pour mériter un tel jugement.
L'on découvre également l'un des défauts principaux de l'auteur : merder très régulièrement lors de ses conclusions.
Ceci dit, ce comic, malgré son final raté, reste tout de même clairement bon et constitue une fascinante plongée dans le côté obscur du pouvoir.
Achetez ce truc, lisez-le et prenez du plaisir sans vous laisser berner par les deux dernières pages. Elles ne sont là que pour essayer de rendre culte une saga qui le méritait déjà sans elles.
Kick-Ass
Kick-Ass était censé conter les déboires d'un jeune fan de comics, bien décidé à imiter ses idoles de papier. Et si la série a démarré de manière magistrale, elle a connu une évolution fort curieuse.
Dave Lizewski, un gamin comme les autres, obnubilé par une question : pourquoi, alors qu'il existe tant de lecteurs de comics mettant en scène des super-héros, personne n'a-t-il jamais essayé de suivre leur exemple ?
Lentement, l'idée fait son chemin puis se transforme en obsession. Dave se confectionne un costume, se cherche un pseudo puis effectue ses premières patrouilles. L'excitation est là, même la journée, le simple fait de porter sa tenue de héros sous ses vêtements civils transforme le jeune garçon.
Bientôt, il va être confronté à une véritable altercation avec des voyous. Le résultat est épouvantable. Dave en ressort grièvement blessé, couvert de sang et bon pour plusieurs opérations et des mois de rééducation. Il est passé très près de la mort mais cela ne l'arrêtera pas. Le virus du super-héros sera plus fort que la peur et la douleur.
Après s'être fait un nom, la popularité va encore plus doper le justicier costumé maintenant connu sous le nom de Kick-Ass. Et lorsque les premiers meurtres arriveront, il faudra en assumer les conséquences...
Les dessins sont ici de John Romita Jr qui signe des planches superbes, dans le style brut et dynamique qu'on lui connaît. Un résultat fort satisfaisant, surtout lorsque l'on compare aux gribouillages épouvantables que le dessinateur a pu livrer pour les Avengers de Bendis en 2011.
Le récit, lui, est particulièrement bien mené et explore des thèmes riches et intéressants, comme l'influence de la fiction sur la réalité ou les dangers d'une représentation édulcorée de la violence en art. Les auteurs font preuve d'une très grande maîtrise, que ce soit pour la scène d'introduction, le premier combat ou simplement la présentation du personnage principal. Tout ici est fluide et bien en place.
Bien qu'un héros sans pouvoir ne soit guère nouveau, l'originalité vient ici du fait qu'il est dépouillé de tout. Ni pouvoirs, ni équipe, ni cause, pas de mystère ou d'aventures exotiques, juste la longue litanie d'un quotidien que nous connaissons tous. Même les ennemis sont vulgaires, petits et pourtant violents.
Si Stan Lee en son temps avait, en génial précurseur, insufflé de la "vraie vie" dans l'univers de ses personnages, Spidey en tête, il n'en avait pas pour autant abandonné les recettes habituelles censées plaire au jeune lectorat. Ces mêmes artifices sont, dans Kick-Ass, absents ou grandement malmenés.
Ce qui correspondait bien au pitch annoncé au départ : que se passerait-il si un gamin normal, dans la vie réelle, se prenait pour un super-héros ?
Malheureusement, et nous sommes là confrontés au second gros défaut de Millar (qui, en plus d'être parfois maladroit lors de la conclusion de ses récits, peine parfois à maintenir le cap prévu), la série va ensuite changer totalement d'orientation. Fini le côté réaliste qui faisait tout le charme et la dramatisation des aventures de Dave Lizewski, le scénariste va peu à peu transformer la série en comic super-héroïque basique, sans plus aucun souci de vraisemblance (avec, pour ne citer qu'un exemple, l'intervention d'une fillette faisant penser à un Punisher façon ninja).
Cette dérive se retrouvera, d'une manière plus accentuée encore, dans le deuxième opus. Du réalisme revendiqué, il ne reste plus rien, ou en tout cas pas grand-chose. Entre le gamin commandant une horde de malfaiteurs, dont une ex-garde du corps de Poutine (?!), et les improbables justiciers rejoignant Kick-Ass, difficile de voir autre chose qu'un simple pastiche des séries mainstream les plus connues, Avengers ou Justice League of America en tête
De plus, si l'on devait être pointilleux, l'on pourrait faire un petit reproche au niveau du questionnement de départ, puisqu'il existe en fait de vrais "super-héros" aux États-Unis, et ce depuis bien longtemps. Certains patrouillent sur les routes les plus fréquentées et portent secours aux victimes des accidents, d'autres gênent parfois le travail des dealers, beaucoup sont relativement bien vus par les polices locales. Mais bon, Millar n'a peut-être pas suffisamment de temps pour se documenter ?
Bref, une bonne série qui démarre de manière énorme et retombe peu à peu dans la banalité.
Vraiment dommage, car en gardant l'objectif de départ, ce Kick-Ass aurait pu devenir mythique au lieu d'être simplement amusant.
1985
Avec 1985, Millar s'offre une nouvelle tentative de situer son action dans le "monde réel".
Nous sommes en 1985. Toby Goodman est un fan de comics. Comme son père avant lui, il lit les aventures des héros Marvel depuis son plus jeune âge. Mais un jour, alors qu'il se promène près de la vieille maison des Wyncham, il aperçoit une silhouette familière à l'une des fenêtres. Crâne Rouge ! Un type déguisé certainement, ou une hallucination. Mais peu de temps après, c'est Hulk qu'il rencontre en forêt. Et peu à peu, le monde est envahi par les pires criminels du marvelverse : Modok, Bullseye, l'Homme Taupe, Electro, Ultron, le Blob, même Galactus...
Mais dans notre univers, il n'existe aucun super-héros pour les arrêter, et les vilains peuvent semer la mort et la destruction sans aucune retenue. Le sort de millions de gens est maintenant entre les mains de deux fans de comics. Un petit garçon et un type un peu paumé détenteur d'un mystérieux secret.
Les six épisodes de la mini-série 1985 ont été publié en France en 2009. Les dessins, aux décors très travaillés, sont de Tommy Lee Edwards (Bullet Points).
Le postulat de départ peut sembler étrange, après tout les héros Marvel évoluent déjà dans un monde plutôt réaliste, mais il s'agit en fait ici de les faire surgir dans un cadre plus normal où n'existent ni mutants ni justiciers costumés. C'est l'occasion d'apprendre quelques détails sur des personnages bien connus, comme l'odeur épouvantable de Hulk "en vrai". Un peu dommage que ce genre de détails ne soient pas plus présents dans l'histoire.
Plus qu'une classique saga de super-héros, c'est presque une histoire d'horreur qui est ici mise en scène. Les monstres et autres psychopathes de la Terre 616 apparaissent sous un jour assez effrayant et font des ravages parmi la population civile. Malgré tout, là encore tout n'est pas forcément exploité à fond. Certains personnages, comme le Wendigo ou Fin Fang Foom ne font que des apparitions éclairs (même si dans le dernier cas, la double page représentant le dragon est plutôt réussie et fait son petit effet). D'autres, comme Morbius ou Mr Hyde ne sont que simplement cités, ce qui nous laisse un peu sur notre faim.
Graphiquement, Edwards parvient à différencier le monde réel de l'univers 616 en représentant le premier d'une manière plus sombre, moins "comics". En plus de la galerie de personnages, l'artiste dépeint de nombreuses scènes habituellement réservées aux comics de zombies et autres survivals : rues désertes parsemées de cadavres, foule en panique, intervention de l'armée...
Si l'on rajoute la fameuse bâtisse, au look de maison hantée, à l'origine des évènements et l'ambiance pesante jouant sur les ombres, la forêt oppressante, les scènes de nuit, l'on a bien un style qui flirte avec l'épouvante. De l'horreur "light", pour être précis, au parfum super-héroïque (très loin cependant d'un Marvel Zombies qui donnait carrément dans le gore).
Le tout est plutôt globalement réussi et contient de nombreuses références, l'on peut toutefois regretter une fin (encore une fois) un peu abrupte et téléphonée. Notons que deux protagonistes de "notre" monde se retrouvent, à la fin, propulsés dans l'univers Marvel, ce qui aura des conséquences sur les titres Fantastic Four et Wolverine, Millar ayant décidé d'exploiter ces personnages dans les séries régulières qu'il scénarise.
Un titre plutôt sympathique, mais pas sans défauts, qui montre les super-vilains sous un jour différent.
Nemesis
Voilà probablement ce que Millar peut produire de pire lorsqu'il se laisse aller à la facilité.
Un criminel richissime s'amuse à buter des flics de la pire manière qui soit. Sa nouvelle cible, Blake Morrow, pressenti pour être le futur boss de la sécurité intérieure des États-Unis, va devoir tout mettre en œuvre pour tenter de l'arrêter.
Le résumé est fort court mais il faut dire que le scénario tient en quelques lignes. L'auteur est ici secondé par Steve McNiven qui se charge de la partie visuelle. Ce n'est pas le meilleur travail de l'artiste mais les dessins restent tout de même plutôt sympathiques dans l'ensemble.
Voyons maintenant ces quatre épisodes dans le détail.
Millar s'était fendu à l'époque d'une promo tapageuse, d'un goût discutable, qui affirmait qu'en comparaison de Nemesis, Kick-Ass était de la... merde. Il avait également intrigué nombre de lecteurs avec un teaser qui posait une question simple mais intéressante : que se serait-il passé si Batman était devenu le Joker ?
L'on sait malheureusement que Millar ne se tient pas forcément toujours au pitch de départ qu'il annonce, ce qui est de nouveau le cas ici.
Non seulement le récit ne brille pas par son originalité, mais il est s'avère vide de sens, creux et repose sur une violence gratuite assez malsaine. Car effectivement, c'est assez sanglant et quelque peu pervers. Ce n'est bien entendu pas un problème en soi, certains auteurs, comme Garth Ennis, nous ont déjà habitué à un niveau de transgression très élevé. Seulement, pour que cela fonctionne, il faut que cette transgression soit au service de quelque chose. Ennis, dans Preacher, The Boys ou La Pro, pour ne citer que ces exemples, sait être drôle ou émouvant et, surtout, son propos est très souvent bien plus intelligent que la forme brutale ne pourrait le laisser penser. Bref, il y a du fond.
Ici, Millar se contente de surfer sur la provocation et les effets d'annonce. De manière étonnante, Panini évoque, dans la petite introduction qui accompagne l'ouvrage VF, un humour noir qui est au contraire totalement absent. Et si ce côté (trop) sérieux est sans doute pour beaucoup dans l'impression générale, ce n'est qu'une partie du problème.
Là où le choix de Millar apparaît comme incompréhensible, c'est dans le peu de développement qu'il accorde à ses deux personnages principaux. À son niveau d'expérience (et étant donné ses travaux passés), il ne peut s'agir que d'une volonté délibérée et non d'une maladresse de débutant, ce qui est encore plus déroutant.
L'on se retrouve en effet devant un méchant très méchant et un gentil assez fadasse. Difficile de faire plus minimaliste. Et sans un background un peu travaillé, sans un minimum de personnalité, les personnages deviennent transparents et, par contraste, font encore plus ressortir une ultra-violence qui tourne au voyeurisme de bas étage et à l'absurde. Une absurdité encore appuyée par la plupart des rares rebondissements, qui manquent totalement de crédibilité, et par une navrante vacuité.
Au final, voilà un comic bien mauvais mais qui, en surface, donne l'impression d'être "moderne" et dans l'air du temps. Vite lu, mal digéré, immédiatement oublié, Nemesis est à la BD ce que McDonald est à la gastronomie : un ersatz gras et lourd misant tout sur l'emballage, la rapidité et de fausses promesses.
Quant à savoir ce que Batman serait devenu s'il avait été le Joker, personne n'en a la moindre idée. En tout cas, certainement pas Millar.
Superior
Après un Nemesis complètement raté, Millar se rattrape largement, en 2012, avec Superior.
Simon Pooni est un garçon de douze ans qui a une particularité : il est dans un fauteuil roulant. Atteint de sclérose en plaques, il perd peu à peu ses facultés motrices. Dans les pires moments, il ne peut même plus bouger ses orteils. Chaque mouvement est une douleur.
Ce qui lui manque le plus, ce sont les petits moments, sans importance en apparence. Courir avec ses amis. Ouvrir seul un coffret DVD...
Une nuit, une sorte de petit singe vient à lui et exauce son vœu. Simon ressemble maintenant trait pour trait à Superior, un héros de comics et de cinéma, en perte de vitesse. Il en a également les pouvoirs. Non seulement il peut marcher de nouveau, mais il peut voler, voir à travers les objets, soulever des tonnes d'acier.
Le monde entier est stupéfiait par cette soudaine apparition. Et loin de se douter qu'en réalité, Superior n'est qu'un gosse, ayant certes envie de bien faire mais encore naïf.
Dans une semaine, le singe reviendra. Et les explications qu'il donnera risquent de n'être pas faciles à entendre.
Après un très décevant (et creux) Nemesis, l'on attendait Mark Millar au tournant avec ce nouveau titre publié sous le label Icon de Marvel (une sorte de laboratoire expérimental, tout de même loin d'égaler le Vertigo de DC Comics). Cette fois le scénariste, capable du meilleur comme du pire, est dans une de ses bonnes phases. Accompagné au dessin par Leinil Yu, il livre un récit classique mais fort bien écrit, qui tient autant lieu d'hommage au Superman de l'âge d'or qu'à Christopher Reeve.
La présentation du personnage principal est pour ainsi dire parfaite, car émouvante sans tomber dans le larmoyant. La découverte de ses pouvoirs et de sa nouvelle apparence est rondement menée, avec du spectaculaire et un brin d'humour. Bref, l'on avale le premier tome avec plaisir et rapidité.
Il y a dans le déroulement de ce drame faustien, aux ressorts toutefois très classiques, quelque chose de réconfortant, d’apaisant presque, et qui détonne chez celui qui n’aime rien tant que provoquer, parfois pour le simple plaisir de faire parler.
L'on découvrira par la suite une quête élaborée dans les règles de l’Art, avec un ennemi retors mais d’une banalité éhontée.
Après une excellente entrée en matière, Millar développe une aventure confortable, agréablement menée, sans imagination ni réels coups d'éclat mais avec une maîtrise certaine.
Et puis il y a ces petits moments magiques pendant lesquels ce garçon de douze ans, le même qui sommeille en nous, réalise ses souhaits les plus chers avec une candeur et un aplomb qui se savourent sans retenue.
À tester.
Superman : Red Son
Et si le plus grand héros américain avait en fait atterri en Union Soviétique et était devenu le champion du communisme ? Voilà l'hypothèse de départ de Superman : Red Son.
Les États-Unis sont sous le choc depuis que Staline a dévoilé sa nouvelle arme : un surhomme à la force exceptionnelle, pouvant voler ou encore voir à travers les murs. Le docteur Lex Luthor, dont l'intelligence semble sans égale, a été chargé de trouver une parade contre ce Superman qui menace les intérêts du monde libre.
Les années passent et le super-héros à la faucille et au marteau est toujours là. Bien que ce ne soit pas du goût de tout le monde, il succède même à Staline et érige peu à peu une nouvelle société. Les opposants au régime sont reprogrammés avec un peu de neurochirurgie tandis que la plupart des pays du globe finissent par se ranger dans le camp du Pacte de Varsovie.
Qui peut maintenant vaincre un tel pouvoir absolu ? Ce Batman qui hante les bas-fonds de Moscou ? Luthor et ses nouvelles armes ? La rancœur d'un fils ? Beaucoup en tout cas refusent aujourd'hui le paradis rouge de Superman et se battent pour le droit de vivre dans un monde certes imparfait mais libre...
Le concept est, à la base, plutôt alléchant. Les personnages traditionnels de DC, ainsi que certains évènements historiques, sont ici revisités par l'auteur. Batman devient un dissident suite au meurtre de ses parents par la police, le corps des Green Lantern est constitué grâce à un anneau retrouvé dans un vaisseau se crashant à Roswell, Luthor devient président des États-Unis, bref, un tableau sympathique qui permet d'adresser des clins d'œil aux habitués de l'univers DC tout en restant accessible aux novices.
Pourtant, tout n'est pas parfait. Alors que Tom DeSanto encense Millar dans sa préface, en le comparant même à Orwell et en louant sa vision "Big Brother" de Superman, c'est surtout en fait cette approche qui est mal ou peu développée. L'horreur totalitaire soviétique est très largement aseptisée, le combat des résistants très mal représenté (même Batman perd toute profondeur une fois adulte) et l'on passe très vite sur les mesures de rééducation prises par Superman. Là où Millar pouvait s'offrir le luxe d'une véritable réflexion sur le pouvoir et la liberté, celle-ci n'est que très succinctement ébauchée. Loin d'une démonstration magistrale à la 1984, le scénariste se contente d'un récit finalement peu ambitieux. Mais bon, contrairement à ce que DeSanto affirme, il y a loin de Millar à Orwell.
Millar réussit tout de même à ne pas saloper la fin en concluant par une boucle narrative déjà vue mais toujours élégante. Au final, le traitement global paraît tout de même bien léger en regard du potentiel qu'offrait une telle idée. Même certaines parties, pourtant intéressantes (comme le redressement des États-Unis par Luthor ou la guerre civile), sont trop vite expédiées pour réellement pouvoir susciter l'angoisse ou la stupéfaction que de tels évènements génèreraient dans la réalité.
Signalons les dessins, fort réussis, de Dave Johnson et Kilian Plunkett.
Une histoire qui se laisse lire mais qui s'avère assez décevante en comparaison des possibilités immenses qu'elle offrait.
The Ultimates
Millar a été, avec Brian Michael Bendis, l'un des architectes de la ligne Ultimate lors de son lancement. Découvrons ici l'excellente version qu'il donna des Avengers de ce monde parallèle.
Rappelons qu'au début des années 2000, Marvel a l'idée de lancer sa gamme Ultimate, développant des séries débarrassées de la continuité classique et se déroulant dans un univers parallèle (le 1610). Le concept ne tient en réalité que sur le moyen terme (car, à force, il génère lui-même sa propre continuité), mais il a le mérite de voir débarquer des séries de grande qualité, notamment la première saison de The Ultimates.
L'on retrouve un Tony Stark charismatique et dragueur, menant grand train, un Thor dont on ne sait s'il est réellement un dieu ou le gourou d'une secte altermondialiste, un Captain America à la fois émouvant et servant d'élément de contraste par rapport à l'évolution de la société américaine et de ses valeurs, un Bruce Banner pathétique et, enfin, un Giant-Man et une Guêpe qui ont des relations plus que tendues (cf. scène #20 de notre Anthologie des Combats Marvel).
Le tout est magnifié par les planches de Bryan Hitch.
Plus qu'une histoire complète, la première saison des Ultimates constitue une sorte d'introduction à l'univers 1610. L'on y fait par exemple connaissance avec Nick Fury et le SHIELD, mais les auteurs s'offrent également quelques guests de luxe, en la personne de Bush himself ou de Shannon Elizabeth (moins connue mais plus sexy).
Surtout, deux combats épiques, bien que très différents, sont brillamment mis en scène : le premier, apocalyptique, oppose Hulk au reste de l'équipe, dans un New York sous la pluie et les explosions, le second entre Janet et Hank Pym, dans une scène de ménage qui dégénère et aborde le thème de la violence conjugale d'une manière originale (jamais un simple insecticide n'avait eu autant de portée dramatique).
Une bonne histoire, accessible et offrant du grand spectacle agrémenté de quelques vannes. Très hollywoodien finalement.
Tout cela a été publié en France dans la revue kiosque Ultimates, puis réédité par Panini en Marvel Deluxe. Signalons que Hachette a également consacré le quatrième volume de sa collection Marvel ("Marvel Comics - La collection de Référence") aux débuts de cette série.
Percutant, esthétique et moderne.
Une élégante version des Vengeurs.
Wolverine : Ennemi d'État
Lorsque Millar prend en main le destin du plus célèbre mutant Marvel, cela donne une saga tout à fait enthousiasmante.
Wolverine vient de se laisser enfermer à l'intérieur du Baxter Building. Sa cible ? Les Fantastic Four. Richards a beau être un ami, Logan doit le tuer. Tout comme le président des États-Unis. La Main, cette organisation datant du fond des âges, lui a lavé le cerveau et l'utilise maintenant comme tueur. Et chacun sait que le mutant est bon, très bon dans ce domaine. Les cadavres s'amoncèlent pendant que le SHIELD tente désespérément de protéger la communauté surhumaine.
Lorsque le cauchemar prendra fin, Wolverine aura du sang sur les mains. Beaucoup de sang, dont celui d'un ami. Viendra alors le temps de la vengeance.
D'un côté, l'alliance formée par la Main, l'Hydra et le culte de l'Aube de la Lumière Blanche, dirigé par le terrible Gorgone.
52 000 salopards.
Et en face, un homme seul. Et ses griffes.
La saga est originellement publiée en France dans la revue kiosque Wolverine (numéros #136 à #147). Panini a réédité Ennemi d'État en 2008, dans un Marvel Deluxe qui contenait également l'arc Agents du S.H.I.E.L.D. et le one-shot Prisonnier Numéro Zéro. Les dessins sont réalisés par John Romita Jr et Kaare Andrews (pour le dernier épisode).
Niveau ambiance, attendez-vous à de l'action pure et dure avec de nombreux combats. L'idée de Millar d'opposer, dans un premier temps, Wolverine aux héros qui sont habituellement ses alliés est plutôt bonne. Elle permet en tout cas de montrer à quel point Logan est craint et respecté par ses pairs. Dans un deuxième temps, les auteurs passent à la vitesse supérieure et utilisent au mieux la magnifique machine à tuer qu'ils ont entre les mains.
La disproportion entre la solitude du héros et le nombre, ahurissant, de ses opposants en dit long sur la volonté de Millar de faire rentrer le mutant dans la légende, un peu comme un Jack Beauregard affrontant la Horde Sauvage, mais en plus spectaculaire encore. Bien sûr, tous ces évènements se déroulent avant Civil War et Nick Fury est encore directeur du SHIELD.
Le Deluxe se termine sur un récit plus introspectif, presque fantastique, ayant pour cadre un camp de la mort. Wolvie reviendra y hanter, tel un fantôme, le nazi responsable du lieu. Plutôt pas mal. Pour l'anecdote, l'idée de garder Logan silencieux vient, comme l'expliquera Millar, d'une suggestion de Will Eisner.
Du Wolverine survitaminé avec un maximum de guests et un vilain charismatique.
Classique, mais parfaitement mis en scène.