Ed Gein, autopsie d'un tueur en série

... ou "Quand être la progéniture d'une femme vomissant sa haine des prostituées
n'empêche pas de devenir un des plus célèbres fils de pute du XXe siècle".


Que l'on se mette d'accord d'emblée : vous ne trouverez ici aucune compassion, aucune complaisance, aucune fascination pour la pitoyable raclure de fond de bidet dont cette imposante bande dessinée fait ici la biographie. Si vous cherchez à partager votre passion pour les tueurs en série azimutés avec d'autres détraqués morbides, grand bien vous fasse. Toutefois, ce n'est pas ici la vie d'Ed Gein qui va être commentée mais bien la bande dessinée magistrale qui la relate.
Pour ne laisser aucun doute à ce sujet, les principaux protagonistes se verront systématiquement affublés d'adjectifs dépréciatifs fleuris. Si vous êtes capable d'encaisser l'idée que cet immonde trou du cul ait pu déterrer des cadavres pour les écorcher, vous devriez supporter que je le qualifie d'anus purulent sans trop vous offusquer. Merci pour votre compréhension.

Notre bonne grosse enflure d'Ed "Le Boucher du Wisconsin" Gein est un de ces détraqués à qui l'on doit la plupart des mentions "inspiré de faits réels" dont se parent les films horrifiques.
Qu'il s'agisse d'histoires aussi différentes et éloignées de celle de notre givré que celle du Norman Bates de Psychose, de Leatherface dans Massacre à la tronçonneuse ou de Buffalo Bill dans Le Silence des agneaux, toutes disent avoir pour muse des fadas de tout poil. Et si le nom d'un de ces cauchemars darwiniens revient souvent parmi les sources d'inspiration avouées, c'est bien celui d'Edward Theodore Gein !
C'est que ce bouseux, digne représentant de ce que l'Amérique compte de plus ignoble, a de quoi marquer les esprits et l'imaginaire collectif... Alors que la patrie de l'Oncle Sam tremble à l'évocation de l'ennemi naturel qu'est l'U.R.S.S., il va falloir se rendre à l'évidence : l'ennemi peut tout aussi bien être intérieur et prendre, même, l'apparence du benêt de service que l'on estime pourtant plus inoffensif qu'une éclaboussure de crottin sur un soulier vernis.

Cette exécrable sous-merde d'Ed Gein a grandi dans une de ces sympathiques familles semblant cocher toutes les cases possibles pour voir l'émergence d'une collection de déséquilibres mentaux chez leur progéniture.
Commençons par le père, trop souvent décrit comme victime de sa propre épouse mais notoirement alcoolique et violent. Il battait régulièrement sa femme et assumait détester ses deux fils. Charmant personnage de loque humaine frustrée se défoulant sur les siens. Jugement moral, dites-vous ? Parfaitement. Pour que naisse une sombre merde, il faut l'intervention de deux fesses pas nettes.  
Venons à la seconde fesse : la mère. Cette bonne femme avait le bon goût d'ajouter à la famille la touche de religiosité haineuse qui manquait à l'ensemble déjà bien engageant : luthérienne fanatique, cette détraquée lécheuse de crucifix était convaincue que toutes les femmes étaient des créatures trop immorales pour être dignes de ses fils. Violente et méprisante, elle détestait son époux et enfermait ses fils dans ses inepties religieuses, faisant tout pour les éloigner de toute éducation un rien rationnelle.

Comme une funeste blague, le paternel débarrassera notre monde de sa présence le 1er avril 1940, dans l'indifférence générale.
En 1944, Henry (le grand-frère d'Ed) décèdera dans un incendie aux causes encore inconnues. Aucune enquête à ce sujet n'a été concluante mais un fratricide est fort probable.
Toutefois, c'est en 1945 qu'Edward va nous griller le seul fusible en état de marche qui entretenait vaguement un lien entre lui et le reste de l'Humanité : sa mère va elle aussi aller nourrir les vers. Pour un gars capable de se masturber en contemplant le schéma du système reproducteur féminin dans un guide de médecine domestique et ayant érigé sa môman au rang de véritable déesse vivante, seule cible de toutes ses haines et de tous ses fantasmes, c'en est trop.

Il a alors 39 ans et c'est la toute première fois qu'il se retrouve seul, livré à lui-même. Comme on pouvait s'y attendre de la part d'un idolâtre azimuté, il refuse catégoriquement d'accepter la mort de sa mère et se met en tête de la faire revivre. Mais le corps de l'immonde bonne femme est inaccessible, enterré sous une chape de béton. Frustré, notre corniaud se met alors à déterrer des cadavres de femmes aussi obèses que sa daronne et à découper leur peau pour constituer ses premiers "habits humains", ne se refusant à la nécrophilie, selon ses propres dires, qu'en raison de l'odeur désagréable des charognes qu'il exhume.
L'histoire prend des atours médiatiques en 1954, lorsque Mary Hogan disparaît dans des circonstances étranges. L’enquête des policiers locaux ne mène à rien mais, trois ans plus tard, Bernice Worden disparaît dans les mêmes conditions. Vu qu'il a l'intelligence d'un bulot mort, Edward a laissé partout des indices de sa culpabilité et devient très vite le suspect principal. Tout mène donc les enquêteurs jusqu'à la miteuse ferme Gein. Et là, mes amis, c'est la brocante du bon goût : abat-jour, rideaux, draps et gants en peau humaine, cadavres dépecés, organes humains exhibés dans des bocaux. Bernice Worden est retrouvée, pendue par les pieds, décapitée et éventrée comme un cerf. Le corps de Mary Hogan ne sera pas retrouvé mais sa tête est bel et bien présente, dans un sac en papier. 

C'est lors de sa mise en examen que les pratiques de notre détraqué de service font les grands titres, au rythme grandissant de la liste de ses victimes.

Psychotique évident, "Dickhead Ed" ne culpabilisera jamais, préférant même parfois rejeter la faute de ses actes sur l'hypothèse selon laquelle il ne serait que l'instrument de la volonté divine : "Parfois je me demande comment Dieu a pu me prendre ma mère et laisser ces horribles femmes vivre. Puis je me dis que c’est peut-être Dieu qui m’a fait les tuer. Parce qu’elles étaient mauvaises et que tel était leur sort.". Fanatique accablé d'une déficience intellectuelle due à son enfance privée de stimulations intellectuelles, il ne raisonnera que selon son système de croyances très personnel et délirant.
Lors de ses dépositions, il narrera les faits comme vus de l'extérieur, comme si c'étaient des obligations vitales et non des perversions assumées.


Le scénario de cet album édité par Delcourt a été rédigé par Harold Schechter. Écrivain américain spécialisé dans les faits divers authentiques, il loue sa plume au New York Times ; il est en outre professeur émérite de l'Université de New York. Son approche de ces événements est purement journalistique, en ce sens qu'elle relate les faits sans les commenter, en dehors des intercalaires entre les chapitres se laissant souvent aller à une ironie étrange jouant avec l'humour noir. Sur 210 pages, il nous livre simplement mais efficacement la biographie très documentée de ce sombre arriéré que la culture populaire a utilisé comme inspiration pour quelques-uns de ses tueurs de fiction les plus populaires.

Le dessin, lui, a été confié à Eric Powell. Déjà auteur des Seigneurs de la misère et de The Goon, il offre à l'album un dessin réaliste et a le bon goût de nier à son personnage central le droit à toute forme de charisme. La plupart du temps, l'on voit en lui une sorte de pathétique idiot du village qui s'est laissé emporter dans un délire criminel parce que porté par des pulsions qui le dépassent.
Dans un noir et blanc lumineux, il offre des personnages très caractérisés sur fond de décors crayonnés. Sans être magnifiques, les planches de cet album sont toutes parfaitement réalisées et servent l'aspect documentaire du récit.
L'ambition de cet album n'est en rien de nous narrer une trépidante enquête sur un tueur machiavélique se jouant de la police mais, au contraire, de nous tracer la chronique ordinaire d'une famille dysfonctionnelle au possible, engendrant un individu vil et rongé par les superstitions ineptes d'une croyance familiale corrompue.
En ce sens, il fait parfaitement le travail et pourrait tout aussi bien s'intituler "Les Origines du mal"...

L'objet se clôt sur un carnet de croquis et de recherches de son dessinateur ainsi que deux entretiens avec des psychologues ayant travaillé sur le cas d'Ed Gein, achevant de faire de lui un ouvrage intéressant et documenté.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un scénario d'une neutralité quasi clinique. Un ouvrage documentaire bien documenté.
  • Un dessin clair et efficace.
  • Une approche psychologique convaincante.
  • En dehors d'Ed Gein lui-même, de ses agissements, de sa famille... rien à reprocher à cet album, si ce n'est qu'il est tristement réaliste.

Une nouvelle inédite dans "Star Wars - La Haute République"

 

Les fans de l'ère Star Wars - La Haute République le savent probablement : en plus de la myriade de romans, comics, mangas et livres audio, il y a une poignée de nouvelles qui s'intercalent entre les récits. Toutes ont été publiées en deux parties aux États-Unis dans les magazines Star Wars Insider. Celle dont nous allons parler aujourd'hui, Partir ensemble (Go together en VO) de Charles Soule, est d'ailleurs la première pierre littéraire de cette immense fresque qu'est La Haute République. Elle a même été disponible quelques jours avant le premier roman, La Lumière des Jedi, également écrit par Soule. À ce jour (juillet 2022), quatre autres nouvelles existent (en plus de Partir ensemble donc), signées par deux auteurs habituels de cette période de Star Wars : First Duty et Past Mistakes de Cavan Scott, Hidden Danger et Shadow Remai de Justina Ireland.

Quid des publications en France ? Si certains fans avaient traduit et rendu disponibles sur Internet quelques textes, il a fallu attendre mai 2022 pour découvrir une version « officielle », traduite par Lucile Galliot (déjà à l'œuvre sur d'autres titres), dans Star Wars - La Revue, un nouveau mook (à mi-chemin entre le magazine de qualité et le livre) consacré à la saga étoilée créée par George Lucas. Le premier numéro est particulièrement soigné, riche en articles avec une élégante mise en page mais très onéreux, 24,95 € (voir encadré). Cependant, revenons sur ce qui nous intéresse avant tout, la nouvelle de Charles Soule : Partir ensemble.

Joss et Pikka Adren sont en couple. Tous deux sont des ingénieurs spécialistes en gestion de projet et finalisation de chantier. Ils ont travaillé à l'élaboration du Flambeau et comme une petite anomalie technique inquiète le duo, ils retournent s'assurer qu'il n'y a rien de grave… En croisant quelques Jedi et la Chancelière Soh, Joss et Pikka sont amenés à témoigner de leur savoir-faire lors de la bataille spatiale de Kur, de quoi leur rappeler quelques mauvais souvenirs…

Le récit est évidemment court et permet de renouer avec le début de la saga La Haute République. C'est pratiquement son seul intérêt tant Partir ensemble a un côté frustrant : on nous présente un couple attachant et une fois « emportés » avec eux, c'est déjà la fin… Mauvais timing de publication ? Oui et non.

Aux États-Unis, comme dit plus haut, la nouvelle avait été proposée dans deux numéros de Star Wars Insider (cf. couvertures tout en bas) juste avant le roman La Lumière des Jedi dans lequel Joss et Pikka font une apparition (on avait oublié – et clairement ce texte aurait du apparaître en bonus dedans en prologue ou annexe) ; MAIS… ils reviennent dans La Chute de l'étoile, de Claudia Gray, sorti en France fin juin 2022, soit quelques semaines après cette nouvelle. De quoi les présenter à peu près au bon moment, in fine.

 

Charles Soule manie comme toujours habilement sa narration pour happer le lecteur, à grand renfort de dialogues et échanges verbaux assez longs – chose plutôt rare dans les romans. On verra à la lecture de La Chute d'une étoile si les Adren ont un rôle plus conséquent.

Pas grand chose d'autre à dire, l'exercice critique autour d'une seule nouvelle, connectée à une vaste fresque littéraire, n'est pas l'idéal. Une fois de plus, c'est un énième complément sympathique mais qui n'apporte pas énormément à ce stade ; d'autant plus qu'il faut débourser près de 25 € pour le lire si le reste de la revue ne nous intéresse pas (mais quel fan de Star Wars ne les débourserait pas ?)…


Star Wars - La Revue est donc en vente depuis mai 2022 au prix (exorbitant) de 24,95 €. Si le livre est extrêmement soigné et globalement intéressant (même un fan de Star Wars de longue date continue d'y apprendre des choses), rien ne justifie un coût si élevé. Par rapport aux publications similaires et prix du papier, un mook de ce genre devrait être vendu entre 14,99€ et 19,99€ grand maximum… Si on veut uniquement lire la nouvelle de Charles Soule, ça fait très cher payé évidemment. Star Wars - La Revue n'a pas encore fait part de sa périodicité officielle mais devrait tourner entre un et deux numéros par an. Y aura-t-il d'autres nouvelles dedans ? Difficile à dire dans l'immédiat, mais vu qu'il existe cinq courts récits concernant cette première phase de La Haute République, autant les rassembler dans un petit roman poche [1] ou alors attendre la fin des trois phases afin de compiler l'intégralité des nouvelles (à raison de cinq par phase, on en aurait donc quinze – si cette fréquence est maintenue, ce qu'on ignore à ce jour).
Du reste, la revue propose quelques interviews et entretiens assez passionnants, soit récents (l'acteur Ian McDarmid qui interprète Palpatine, l'auteur Timothy Zahn, le vice-président de Lucasfilm Doug Chiang…), soit d'archives (le showrunner Dave Filoni pour The Clone Wars, le réalisateur de L'Empire contre-attaque Irvin Kershner…). Richement illustré, le magazine s'attarde sur Star Wars « au Japon », l'occasion de revenir sur la série anthologique Visions, sur Grogu et le Mandalorien, la musique de John Williams, Greedo, Jar Jar Binks et beaucoup d'autres sujets, traités avec des angles assez novateurs. Star Wars - La Revue est donc un excellent mook au contenu fourni et intéressant mais, nous nous répétons, trop onéreux au regard de ce qu'il apporte « seulement » pour La Haute République. Une nouvelle qui, par ailleurs, est clairement dispensable malgré son attachement aux protagonistes et son côté prenant.

Précisons donc que Virgul se réfère à la critique de la nouvelle en elle-même et non à la revue. On rappelle que tous nos articles sur Star Wars - La Haute République sont compilés dans cet index.

Les couvertures du magazine Star Wars Insider #199 et #200,
publiés aux États-Unis en décembre 2020 et février 2021, comprenant la nouvelle Partir ensemble.
 
[1] L'information est toute fraîche ! Ce lundi 11 juillet, il a été dévoilé que les cinq nouvelles ont été compilées (en VO) dans le livre Star Wars - La Haute République - Starlight Stories. Celui-ci sortira le 23 septembre.

Aucune raison pour l'éditeur français Pocket de faire l'impasse dessus mais dans l'immédiat, une version française n'a pas été confirmée. Néanmoins, si vous êtes à l'aise avec la langue anglaise, vous savez quoi faire.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Deux « nouveaux » personnages attachants.
  • L'opportunité de croiser quelques têtes connues de La Haute République.
  • Un très beau magazine riche en articles intéressants et en belles illustrations souvent inédites.


  • Sans grand intérêt, in fine.
  • Une publication française trop tardive (plus d'un an après le premier roman).
  • Le prix pour lire uniquement la nouvelle si le reste intéresse moins (24,95 €).

These Savage Shores



Ram V, originaire de Mumbai, a su s'imposer ces dernières années comme auteur incontournable de romans graphiques, que ce soit en solo ou lors de fructueuses collaborations. Vivant à Londres, il a réussi à maîtriser les principes du medium pour l'accommoder à sa culture et ses envies, créant des histoires riches et denses puisant dans des registres variés : GriZZly vous annonçait ainsi sa participation au projet DC Infinite (avec une mini-série sur Swamp Thing) même s'il était loin d'être convaincu par sa prestation sur Future State : Justice League 1Néanmoins, les critiques élogieuses autour de son album Toutes les morts de Laïla Starr  mériteront sans doute que nous y jetions un coup d'œil acéré. Auparavant, voyons de plus près These Savage Shores, une production ambitieuse dans laquelle l'artiste tente de mêler deux mondes très différents mais pourtant proches.

Pour cette publication, HiComics a mis les petits plats dans les grands : tout en conservant le format des bandes dessinées nord-américaines, l'éditeur propose un album cartonné doté d'une couverture superbe, rehaussée de volutes dorées qui lui confèrent une noblesse agréable. On sent immédiatement qu'on sort du tout-venant des histoires de super-héros : la page de garde continue sur cette voie avec une citation en exergue sur un fond sombre rehaussé d'arabesques, un code graphique qui sera repris pour chaque chapitre. Même la typographie utilisée pour la page de titre est à l'avenant, et on s'enthousiasmera des pages intérieures aux marges étroites, permettant aux illustrations de respirer davantage. Très vite on admirera le soin apporté par le lettreur E-Dantès pour coller aux variations du support original. 

Un emballage de toute beauté, donc. Mais le contenu vaut-il le contenant ? On peut vous assurer que certaines critiques, souvent dithyrambiques, ne sont pas totalement exagérées : l'histoire, dotée d'un point de vue original, vaut le coup d'œil. Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle : les Lumières commencent à illuminer le monde occidental, mais les révolutions qui couvent n'ont pas encore renversé les pouvoirs en place. Un empire étend ses ramifications sur tous les continents : le Royaume-Uni concrétise ainsi le rêve d'Alexandre le Grand et des Habsbourg, celui de ne jamais voir le soleil se coucher sur son territoire. Et la toute-puissante Compagnie des Indes impose sa loi partout, cherchant à renforcer ses intérêts économiques tout en trouvant les alliances de circonstances dans les régions du monde les plus reculées, les plus instables. On n'est pas très loin de l'atmosphère politique qui se dégage de la saga de Pirates des Caraïbes, à bien y penser. Calicut et les Côtes de Malabar aux Indes ont une importance vitale, car ils permettent l'acheminement des marchandises via la Route de la Soie millénaire : il faut donc régulièrement transiger avec les potentats locaux, heureusement souvent en guerre les uns contre les autres. Or, certains de ces princes ont pour alliés des forces issues de légendes ancestrales : divinités endormies ou démons dociles, ils pourraient faire pencher la balance dans un monde où la "civilisation" occidentale se heurte de plein fouet aux traditions. 


Foi contre croyances, technologie contre artisanat, science contre sapience : les colons blancs s'installent et se répandent, brisant les volontés des indigènes au nom du tout-puissant commerce. Le profit l'emporte souvent sur la morale et le statu quo, quoique fragile, semble avoir de beaux jours devant lui. À moins qu'un événement vienne briser la stabilité de façade et réveiller les consciences - ainsi que les forces qui sommeillent dans ces contrées peuplées de mythes étranges... Et cet événement accidentel pourrait bien résulter de l'arrivée d'Alain Pierrefont, le protégé du mystérieux Comte Grano : l'individu, recherché à Londres pour une série de meurtres abominables, a été exilé secrètement à Calicut pour échapper à ses poursuivants. Ces derniers ne lâcheront pas l'affaire, car Alain n'est autre qu'un vampire...

L'album met ainsi en opposition deux visions du monde : celle des colons contre celle des colonisés, à une époque où les velléités d'indépendance commencent à se faire entendre. Mais aussi deux puissances ataviques, surhumaines bien qu'opérant dans l'ombre, l'une par nécessité, l'autre par choix : les vampires vont ainsi se frotter à une entité encore plus ancienne, remontant aux origines. Et si le récit finira par faire s'opposer ces êtres surnaturels, il prendra le temps de développer avec patience et élégance une histoire à rebondissements, mêlant politique et stratégie économique, et mettant en scène des monarques se trahissant mutuellement ainsi que des chasseurs de vampires devenant des proies. Quand les intérêts de certains antagonistes convergent (et l'argent a cette faculté irrésistible de convaincre les plus déterminés), les conflits naissent et meurent - et la Compagnie des Indes continue son petit bonhomme de chemin. 

Réveil des consciences ou pas, elle semble inarrêtable et Bishan, ce demi-dieu tombé amoureux d'une mortelle, devra à un moment ou un autre faire le choix crucial d'intervenir à nouveau dans le monde des hommes. À cet instant se dressera alors sur sa route, de l'autre côté de la Terre, le Comte et son peuple de la nuit...


La narration empesée, bien que ralentissant le rythme, colle parfaitement à ce qui se rapproche beaucoup d'un conte philosophique, non dénué d'une certaine poésie fin de siècle, pleine de nostalgie romantique. Les dessins de Kumar sont à l'avenant, avec un encrage somptueux et un style graphique assez proche d'un Andy Kubert dans la sveltesse des silhouettes et l'approximation des traits du visage. Les séquences de combat sont brèves, violentes, parfois frustrantes sur le plan de la lisibilité mais là aussi tout à fait en symbiose avec les êtres qui sont dépeints. 

Une œuvre intrigante et sensible, pleine de charme et de violence, à découvrir.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un bel objet, à la couverture somptueusement ornée pour un prix modique.
  • Un style riche et agréable, aux phrases empesées mais trouvant un bel équilibre avec le dessin, lui cédant même plusieurs pages lorsque les mots doivent s'effacer.
  • Deux mythes fantastiques qui se rencontrent et s'interpénètrent avec fracas.
  • Un découpage plutôt classique mais aux décors superbes et à l'encrage parfaitement adéquat.
  • Une page d'Histoire des civilisations méconnue, sur laquelle l'auteur jette un œil neuf et acéré.


  • Malgré l'élégance des silhouettes et la densité des arrière-plans, les visages semblent parfois approximatifs.

Le Manoir de Chartwell


Le Manoir de Chartwell, c'est un pensionnat du New Jersey.
L'homme qui en était responsable a abusé de ses jeunes pensionnaires durant des années.
Ce roman graphique est le témoignage sans concession de l'un d'entre eux : Glenn Head.


Ne vous laissez pas duper par la couverture aux faux airs de Poudlard. Il n'est ici nullement question d'histoires niaises de sorciers en herbe entassés dans une école où ils semblent ne rien branler de la journée... il est ici question d'une véritable école où l'on branle bien trop et où trouver de l'herbe n'a rien de bien sorcier.

Glenn Head a 13 ans lorsque, en 1971, ses parents l'inscrivent au pensionnat de Chartwell. Sous ses apparences d'institution d'inspiration britannique, la demeure cache en réalité le terrain des jeux illicites du maître des lieux : un expatrié anglais du nom de Terence Michael.
 
Bien vite, Glenn va comprendre ce que va lui coûter d'avoir redoublé sa cinquième année... Terrence Michael s'y fait appeler Monsieur et souffle le chaud et le froid dès le jour des admissions. Son amour pour ses pensionnaires n'aurait d'égal que sa fermeté. Et la suite des événements prouvera même que son amour pour eux sera tout aussi illégal que sa fermeté.
Les attouchements et embrassades de Monsieur deviendront vite monnaie courante ; façon pour Monsieur de se faire pardonner après les brimades, humiliations publiques et sévices corporels à caractère sexuel qu'il impose aux enfants.

Glenn, comme la plupart de ses compagnons, subira d'abord sans comprendre puis, une fois convaincu de ce qui se passe, sans oser en témoigner à l'extérieur. Longtemps, ses parents ignoreront ou refuseront de comprendre ce qui se passait entre les murs faussement rassurants du Manoir.

Glenn deviendra illustrateur, usant de provocation et faisant de son trait à la Howard Cruse le messager d'un univers plus proche de celui de Robert Crumb. Il lâchera souvent ses démons dans ses cases, faute de pouvoir les maintenir en cage.


Ce roman graphique retrace autant le martyr de Glenn enfant que la façon dont il a tenté de se construire par la suite, malgré de telles fondations. Il nous relate une vie dissolue faite d'alcool, de drogues, de sexe et de fuite en avant qui ne cessera que lorsqu'il se décidera enfin, peu à peu, à exorciser tout ça en jetant sur le papier l'album que l'on a entre les mains.

Le Manoir de Chartwell
 est une autobiographie toute en introspection dans laquelle l'auteur n'épargne rien ni personne. Des faux-semblants de la société américaine à l'aveuglement de ses parents, de son amour des comics underground à celui qu'il nourrit pour la défonce, de ses errements les plus pathétiques à ses combats les plus nobles, Head se livre à nous sans fard : il chronique l'autodestruction consécutive à une enfance souillée comme peu d'auteurs le firent avant lui.
Avec un dessin naïf mais riche en détails cédant parfois volontiers au psychédélique, un encrage fluide et une monochromie d'une lisibilité sans faille, Head jette dans la fange de l'Amérique puritaine un pavé couvert de graffitis obscènes qui y laissera longtemps la trace béante de son impact.
C'est fort de son expérience chez Weirdo et Fantagraphics que l'illustrateur parviendra à devenir un des habitués des pages du New York Times, de Playboy, Pulse Magazine, Entertainment Weekly ou Nickelodeon Magazine. Et c'est armé de cette visibilité qu'il rendra publiques les 236 planches de cet album publié en France par les éditions Delcourt.
Porteur d'autant d'espoir que de haine et de dégoût, Le Manoir de Chartwell a cette qualité des œuvres intrinsèquement utiles : il ne saurait laisser indifférent !
Si le style underground au service d'un message fort vous intrigue, si vous êtes friand d'autobiographies fleurant bon le rock et le stupre, si vous êtes intéressé par les conséquences sur l'esprit humain d'actes pédophiles ou, tout simplement, si vous êtes en quête d'une lecture crue et vraie... foncez !

Loin des héros volants en collants moulants, ce gros livre noir en provenance des USA n'en est pas moins hautement recommandable. C'est un pamphlet, un témoignage, une autobiographie et le projet d'une vie... mais c'est surtout un excellent comic book.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un témoignage sans concession d'une victime d'abus sexuels lors de l'adolescence.
  • Le travail introspectif d'une vie entière.
  • Un trait inévitablement évocateur de l'underground le plus recommandable.
  • Une certaine complaisance avec les scènes de défonce pourtant paradoxalement dénoncées ensuite.
  • Une couverture à mille lieues de représenter le contenu de l'album. 

La Mythologie Viking, de Neil Gaiman



Voilà un ouvrage qui au départ semble plutôt prometteur : La Mythologie Viking, contée par Neil Gaiman (Free Country, Good Omens, 1602...). 

L'auteur ayant de nombreux romans à son actif, l'on pouvait penser qu'il allait se livrer ici à une modernisation des mythes, dans un style personnel. Or, non, rien de tout ça, bien que le texte soit effectivement "modernisé" (dans le sens où il s'agit de prose accessible et non d'une version plus rustique de l'Edda), l'ensemble reste très aride. Gaiman reste fidèle aux différents récits classiques et se contente de rassembler des fragments de mythes, sans pour autant y introduire une quelconque réelle dramatisation. Les personnages demeurent donc très froids et embryonnaires, et le lyrisme est quant à lui inexistant. Même le spectaculaire et épique ragnarok final est décrit de manière très fade et factuelle, Gaiman se refusant à insuffler le moindre effet littéraire dans ses descriptions. 

L'approche n'est pas condamnable pour autant, il s'agit d'une exposition assez rigoureuse et complète de la mythologie nordique (avec un petit lexique, pas forcément très complet), mais elle est à réserver aux lecteurs qui souhaiteraient découvrir ces contes pour la première fois. Si vous vous attendiez à une saga construite et dense, avec Wotan et Freyja au casting, vous risquez fort d'être déçu. 
Dommage, une véritable modernisation, quitte à prendre certaines libertés et à enrichir le mythe de manière audacieuse, aurait pu être intéressante.

À réserver aux novices sur le sujet.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La mythologie nordique, dans une version très accessible.


  • Un exposé aride et sans ambition.

Un ringard, un brave con et un indécrottable imbécile




Bon, c'est l'été, il fait trop chaud, on a la flemme, et du coup on vous fait un Top 10 comme de vulgaires youtubeurs. Sauf que ce n'est pas vraiment un top, juste une sélection. Et une sélection de quoi, je vous prie ? De critiques BD issues du cultissime et bien-aimé Hebdogiciel. Si vous êtes trop jeunes pour savoir ce que c'est, on est désolés que vous soyez nés dans une époque de merde. 
Allez, imaginez, vous êtes dans les années 80, on peut encore imiter des accents ou écrire correctement "un auteur" en parlant d'une femme sans provoquer de descente d'organes chez les "progressistes", on a peur des Russes (ah ben merde, ça n'a pas changé ça finalement), le premier Top Gun est à l'affiche au ciné, vous vous éclatez sur Who dares wins II sur Amstrad, et vous revenez du bureau de presse avec votre dernier Hebdogiciel tout frais sous le bras ! Et vous savez que vous allez passer un bon moment. Parce que les gars d'Hebdogiciel, quand ils flairent l'arnaque ou n'aiment pas quelque chose, ils dessoudent à l'artillerie lourde, ils éparpillent façon puzzle, ils mélangent superlatifs et insultes dans un déferlement de grogne cataclysmique et surjoué ! 
Évidemment, dans ce qui suit, on n'a pris que des articles négatifs. Parce que ce sont les plus drôles. Et on n'est pas forcément d'accord avec tout, bien entendu, mais l'important ce n'est pas de savoir si Milou (l'auteur des critiques qui suivent) avait raison, juste de se replonger dans l'ambiance et d'imaginer la réaction des gros cons sur les réseaux sociaux si ces chroniques étaient publiées aujourd'hui...
Les scans sont issus du site Abandonware-magazines.org, les dessins sont de l'ami Carali (celui-là même qui nous avait autorisé à reprendre ses petits bonhommes sur UMAC avant qu'on ne les remplace par un certain Virgul). 
Hop, un petit coup de baguette magique, et nous voilà quelques décennies plus tôt. Amusez-vous bien !
























Star Wars : critique du premier manga de "La Haute République" !

Série complète en deux tomes, Un équilibre fragile ajoute une énième pierre à l'édifice « cross-média » de Star Wars - La Haute République. Après les romans et les comics, c'est cette fois en manga que l'on explore cette période singulière de la saga. Sens de lecture français, noir et blanc habituel, 140 pages… que vaut ce premier volume paru chez l'éditeur nobi nobi ! ? Critique. 
 
C’est l’ère de la Haute République, nous explique la quatrième de couverture. L’expansion à travers les étoiles bat son plein. Les fameux Jedi, gardiens de la paix, sont chargés de protéger la République et d’entretenir l’espoir de ceux qui explorent les sombres recoins de la galaxie. Après la Grande Catastrophe, la jeune Jedi Lily Tora-Asi a été missionnée pour aider les réfugiés à s’installer sur Banchii, un monde inhabité dans le système d’Inugg, loin à l’intérieur de la Bordure Extérieure. Banchii est le site du nouveau temple Jedi dirigé par Maître Arkoff, le mentor wookiee de Lily, qui envisage le temple comme un refuge pour les nouveaux habitants et une étape pour les voyageurs. Tandis qu’elle doit gérer les arrivées des nouveaux colons et élucider d’étranges mystères sur cet avant-poste éloigné, Lily est tourmentée par une question : en fait-elle assez pour maintenir la paix dans la galaxie ? Mais lorsqu’un nouveau danger menace la colonie, la jeune Jedi devra relever le plus grand défi qu’elle ait eu à affronter jusqu’alors…
 
Pas besoin de détailler davantage la fiction, on y suit donc encore de nouveaux personnages. Lily et Arkoff notamment, tous deux très charismatiques. Le padawan de Lily, Keerin, et les deux novices Jedi Viv'Nia et Nima complètent la distribution. La seule tête familière de Star Wars présente est Stellan Gios ainsi que les fameux Drengir, au cœur d'un affrontement qui occupe une place importante dans le manga. Un combat peu épique, dramatique ou surprenant par ailleurs, c'est bien dommage…
 
Il y a un côté trop « sage » dans le récit qui perd en intensité ce qu'il gagne en simplicité lorsqu'il aborde des aspects « quotidiens » de la vie, comme planter des cultures, vivre ailleurs que chez soi, tenter d'aider à sa modeste échelle, etc. Dans ces cas, la bande dessinée est plaisante car, en zoomant ainsi sur des banalités, on découvre une parenthèse un peu inédite (bien que relativement courte) dans le canevas complexe qu'est La Haute République et ses dizaines de titres.
 
Le point fort du livre consiste à proposer deux protagonistes particulièrement solides, Arkoff – wookie impérial – et Lily et ses deux sabres laser. On espère grandement qu'ils seront dans d'autres œuvres sinon l'intérêt a posteriori de cette courte série en mangas sera peu élevé.
 
Chronologiquement parlant, Un équilibre fragile se déroule après La lumière des Jedi et en marge des découvertes des Drengils. Autant dire qu'il n'y a pas besoin d'en savoir énormément sur La Haute République pour se plonger dedans. L'histoire est signée Justina Ireland, déjà derrière Une épreuve de courage (ainsi que Hors de l'ombre et Mission catastrophe – pas encore chroniqués) et Shima Shinya, dont on connaît en France le manga indépendant Lost Lad London.


Au dessin, Mizuki Sakakibara (Tiger & Bunny) propose des planches élégantes, aux traits précis, permettant un découpage de l'action lisible et des visages reconnaissables. Cette patte très « propre » confère à Lily un style très noble et majestueux, à l'image des Chevaliers Jedi. Les codes classiques du manga étant respectés avec quelques traits d'humour graphiques, les amateurs de bandes dessinées japonaises seront en terrain connu et probablement conquis. Pour les autres, difficile probablement d'apprécier cette incursion qui est évidemment en noir et blanc et annule, de facto, l'incroyable terrain de jeu chromatique propre à Star Wars. Les combats aux sabres laser sont donc moins percutants, les Drengir peut-être moins impressionnants aussi…

En synthèse, ce premier tome d'Un équilibre fragile est un complément sympathique mais – pour l'instant – plutôt dispensable. Il devrait davantage séduire les fans de Star Wars férus de mangas plutôt que ceux qui favorisent les romans ou les comics. À voir si l'achat (6,95 € par volume) se justifie à terme avec le second et dernier opus, qui sortira le 5 octobre prochain (et qui permettra donc un bilan de la série afin de savoir si elle est ou non à conseiller, dans l'immédiat c'est trop tôt pour arbitrer).
 
On rappelle que tous nos articles sur Star Wars - La Haute République sont compilés dans cet index.
 
 

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un complément sympathique, mettant en avant des choses « simples » qui manquaient parfois aux autres œuvres.
  • Les caractéristiques propres aux mangas fonctionnent bien.
  • Des dessins épurés de bonne facture.
  • Le côté noble et majestueux de Lily.
  • Un prix correct (6,95 €).


  • Un peu court…
  • Pas très épique, dramatique ou surprenant.
  • Quelques pages en couleur auraient été les bienvenues.