M.F.K.2 #1 : Leaving D.M.C.


Prenez un condensé de la pop culture des quarante dernières années d'où qu'elle vienne,
injectez-lui des personnages de losers charismatiques façon films de Tarantino,
boostez le tout avec des dessins entre réalisme et graffiti
et vous serez encore loin de la folie de Mutafukaz.


L'adaptation du début de Mutafukaz en film d'animation fut une réussite. L'univers initial de la BD se vit enrichi de Puta Madre et Loba Loca pour le bonheur des fans. Mutafukaz 1886 en offrait une version far west en guise de baroud d'honneur chez Ankama... Il fallait bien que le bon Run (dont on vous a déjà pas mal parlé dans les chroniques de DoggyBags et autres LowReader) nous balance enfin M.F.K. 2... 
Après tout, personne ne s'attendait à ce que Lino et Vinz coulent une vie tranquille après les événements du premier cycle... si ?
Le premier tome du cycle 2 de cette joyeuse folie meurtrière est sorti en janvier et marque avec fracas l'arrivée du Label 619 aux éditions Rue de Sèvres.

Sept ans après la fin de Mutafukaz (que vous pouvez retrouver dans un recueil intégral hautement qualitatif aux éditions Ankama), Angelino, Vinz et Willy remettent une fois de plus les pieds dans une bassine de merde bien malgré eux. Enfin, bien malgré Lino et Vinz, surtout. Parce que Willy, lui, en se comportant en gourou boosté à la conspiration alien et aux délires de fin du monde, a un peu cherché les embrouilles, quand même. 

Au début de cette histoire, Dark Meat City n'est plus le champ de bataille urbain qu'elle fut et est en pleine phase de gentrification, façon Southpark dans sa 19e saison. Moins de criminalité, davantage de latte ; moins de guérilleros, davantage de macchiatos.  
Lino et Vinz ne sont plus des adolescents attardés et comptent bien rentrer dans le rang : le petit boulot, l'appartement en copropriété, la vie paisible en somme. Mais ça ne saurait durer, si ?

Bah non. Run a d'autres projets pour ses héros et il adore leur en faire baver ! C'est par une jouissive fusillade à l'arme de guerre dans le restaurant de sushis où travaille Lino que la situation bascule. Un groupe d'activistes propagateurs de fake news a en effet lancé des rumeurs sur les réseaux selon lesquelles les propriétaires asiatiques de ce restaurant retiendraient des enfants kidnappés dans leur cave (Pizza Gate, you said ?). Une bande de givrés à la QAnon s'est du coup mis en tête de libérer par la force ces gosses inexistants... mal leur en prendra : ils tomberont sur le livreur de sushis le plus hard-boiled de l'histoire du poisson cru.
Après avoir assisté à la mort de la fille dont il était amoureux et avoir dessoudé à lui seul tout un commando paramilitaire à gros bras, Lino est contraint de fuir Dark Meat City. 

Il embarque un Vinz peu enthousiaste dans sa course et tous deux partent, faute de mieux, à la recherche de Willy en traçant sur les routes écrasées de soleil du grand ouest américain, à bord d'un camping-car que ne renierait pas Walter White de Breaking Bad.
C'est donc au cours d'un road trip déjanté que l'on va découvrir les paysages de ces U.S.A. qui semblent obséder l'auteur. Un voyage qui va aussi être prétexte à une description caustique et satirique de l'Amérique contemporaine.
Tout y passe : de la Maison Blanche corrompue au désert du Nevada peuplé de nudistes complotistes, des personnalités médiatiques clivantes caricaturées aux théories conspirationnistes les plus flinguées, des réseaux sociaux et leur déviances aux expériences scientifiques douteuses (dont une explique enfin plus ou moins l'apparence étrange de Vinz) en passant même par les théories platistes les plus absurdes, de la désinformation la plus dégueulasse à la radicalisation moderne des jeunesses twitteriennes, M.F.K.2 fait feu de tous bois et ouvre le feu sur les cons aux abois. 
Ouvertement politique sans être partisan, cet album fustige la bêtise crasse et la paranoïa de notre époque à chaque page, entre deux punchlines bien senties et deux scènes de baston plus sympas à lire que dans bien d'autres titres se prétendant pourtant références en la matière.

Et au milieu de tout ce fatras de conneries propres à notre temps, portés par les événements, inexorablement poussés en avant par une narration haletante, Lino et Vinz réécrivent leur amitié dans des moments touchants et justes, parlent de questions métaphysiques et entretiennent une relation d'une crédibilité étonnante dans un monde aussi absurde. Bravo, Maestro !

Pour ce tome 1 du second cycle, Run (Guillaume Renard, qu'il soit enfin nommé) adopte un trait plus régulier, abandonnant le zapping entre les styles qu'il avouait voir lui-même comme un cache-misère. Le dessin est bien plus maîtrisé, plus souple encore, plus percutant aussi. La mise en couleurs très moderne et punchy sert à merveille le propos et sublime les scènes de combat inévitables de la franchise. Les corps y sont dessinés sans aucune complaisance, la violence y est débridée et tout suinte le projet qui pose ses énormes couilles de luchador sur la table en mettant tout le monde au défit d'oser venir les en déloger.
Vous l'aurez compris : c'est une claque graphique comme scénaristique et l'on ne peut que vous recommander chaudement ce M.F.K.2 tome 1 : Leaving D.M.C. qui nous a enthousiasmés. Puis bon ; il y a même une apparition de l'Ermite Moderne (le youtubeur spécialisé en geekeries, dans son peignoir légendaire), dedans... alors foncez, quoi ! Sans rire : sa petite apparition est on ne peut plus légitime. M.F.K.2 puise ses multiples inspirations dans les films US, l'animation jap', les mangas, les comics, les jeux vidéo... tout ce qui fait le fond de commerce du bonhomme, en fait.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Enfin la suite de Mutafukaz.
  • Le propos se fait plus politique mais pas partisan.
  • L'ensemble reste bien trash.
  • Les personnages évoluent.
  • La qualité graphique a fait un bond en avant notable.
  • Passez votre chemin si vous êtes gavé de moraline ou très sensible à la moindre provocation... indignés-nés s'abstenir. 

Gone : un monde sans adultes



Un monde sans adultes, d'étranges pouvoirs et une guerre qui se profile à l'horizon, tout cela est au menu de Gone.

Dans la petite ville californienne de Perdido, les enfants sont tranquillement à l'école lorsque, tout à coup, les adultes disparaissent. Parents, professeurs, flics et médecins, tous se sont volatilisés.
Il ne reste dans la ville que les moins de quinze ans, livrés à eux-mêmes.
La situation a déjà de quoi dérouter, mais lorsque Sam, Quinn et Astrid découvrent qu'ils sont coupés du monde par une sorte d'immense mur sans fin, la panique n'est pas loin. Sam se demande même s'il n'est pas responsable de la situation, car depuis quelque temps, il a commencé à changer, à pouvoir faire des choses théoriquement impossibles.
Bientôt, les enfants s'organisent sous la direction des plus grands. Les bébés ont besoin de soins, les maisons doivent être visitées, sécurisées. Une sorte de gouvernement ne va pas tarder à se mettre en place. Celui-ci est malheureusement essentiellement composé de brutes qui n'étaient déjà pas facilement gérables lorsque les adultes étaient là, alors maintenant qu'ils sont partis...
Et puis, qu'arrivera-t-il après ? Une fois l'anniversaire fatidique arrivé ? Peut-on survivre au-delà de sa quinzième année ?

Gone est une série qui compte six romans. L'auteur en est Michael Grant. La saga est publiée par Pocket Jeunesse et est donc a priori destinée aux adolescents (disons que c'est du "young adult", si tant est que ce terme ait véritablement un sens). En réalité, l'intrigue est suffisamment prenante et le style suffisamment mature pour que l'on puisse plonger avec plaisir dans le récit à n'importe quel âge.
Signalons en plus la bonne qualité de la traduction de Julie Lafon. Le style est fluide, agréable, et la jeune femme se permet même de respecter la concordance des temps en employant l'imparfait du subjonctif (une pratique qui a tendance à disparaître, surtout dans les œuvres estampillées "jeunesse"). L'on est donc loin de l'adaptation nullissime de Dôme (cf. l'encadré de cet article). Ouf !

Mais voyons un peu de quoi il retourne. Pour caricaturer, l'on pourrait dire que Gone est une sorte de mélange entre Heroes, le Dôme de Stephen King, cité plus haut, et Sa Majesté des Mouches. On a vu pire comme références (imaginez si je vous avais annoncé qu'il s'agissait d'une fusion entre le dernier Christine Angot, Plus Belle la Vie et Germinal... ça donne tout de suite moins envie) !
D'une certaine manière, Gone se rapproche un peu du genre post-apocalyptique, puisque l'on se trouve clairement ici dans la survie, suite à un évènement traumatisant de grande envergure. Outre la disparition des adultes et le fait d'être coupé du monde par une sorte de dôme, les personnages doivent faire face à d'étranges mutations qui frappent la faune mais aussi au manque de nourriture qui finira forcément par arriver. Sans parler de la dictature des "brutes" et du temps qui passe, les rapprochant de leur si effrayante quinzième année.

Le premier roman commence d'une manière très directe, pas franchement très réaliste, mais tout se met bien en place et la tension monte rapidement. Les personnages sont d'autant plus attachants que l'auteur - et la traductrice - ont renoncé à les faire s'exprimer comme des demeurés (un procédé simpliste malheureusement trop courant lorsqu'il s'agit de faire parler de jeunes personnages).
Si les "méchants" sont parfaitement détestables (des gros cons comme on les aime), les héros ne versent pas dans la mièvrerie. Ils ont leurs failles, leurs limites et n'en sont que plus sympathiques. Et, point important, malgré le lectorat ciblé, l'auteur ne s'interdit pas des scènes un peu musclées. Les premières morts arrivent d'ailleurs rapidement et ne laissent pas indifférent.
Bon, les covers font un peu "nunucheries" à la Twilight ("Ouais, je suis trop mystérieux, j'ai des mèches de cheveux qui m'arrivent dans l'œil et je fais la gueule sur les photos, trop classe !"), mais il ne faut pas s'y fier, c'est juste un emballage pourri. Une idée de commercial, quoi.  

Mais alors... une bonne histoire, bien traduite, avec ce qu'il faut de suspense et d'émotion... est-ce que l'on n'aurait pas là de bons petits romans de derrière les fagots ? Ben, je crois bien que si.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Ça se lit très bien... en fait, on n'arrive plus à lâcher ces bouquins quand on a mis le nez dedans.
  • Les personnages évoluent et sont très loin d'être monolithiques.
  • L'aspect fantastique est parfaitement contrebalancé par des relations très "humaines" et réalistes, ou du moins vraisemblables.
  • Une bonne trad...


  • ... qui est toutefois parsemée de coquilles dans les tomes 2, 3 ou 4.

Batman : Flashpoint Beyond


Vous aviez aimé Thomas Wayne en Batman de Flashpoint ? 
DC comics l'a bien compris et vous offre la possibilité de le retrouver, plus sombre et expéditif que jamais. 


On ne va pas vous rappeler pendant 115 ans ce qu'est le Flashpoint : Barry Allen (Flash) a voulu sauver sa mère des griffes de son assassin en remontant dans le temps et, ce faisant, a créé un nouveau continuum temporel dans lequel sa mère est en vie, certes, mais où nombre de nos héros ont vu leur passé modifié.
Un de ceux pour qui le changement fut le plus drastique fut Batman : plus de Bruce Wayne orphelin s'entraînant depuis le plus jeune âge pour venger l'assassinat de ses parents en combattant le crime, mais bien un Thomas Wayne d'âge mûr fou de colère endossant la cape pour faire payer aux criminels la mort de son fils abattu en pleine rue... et une Martha Wayne devenue une Joker au féminin aussi démente que l'original.

Lors de sa dernière apparition, ce Batman dur à cuire aux méthodes radicales mourut face à Darkseid dans l'Univers Prime et clôtura ainsi l'existence de l'Univers Flashpoint dont il était l'ultime vestige.

Mais pourquoi se passer d'un personnage aussi jouissif qu'un Batman capable de loger des munitions de tous calibres dans le crâne de tout qui se met en travers de sa route vers l'accomplissement de sa vision très personnelle de la justice ?

Après tout, le public semble avoir envie d'une version de Batou capable d'employer tous les moyens pour parvenir à ses fins et, comme ce type de récit n'est pas accessible à Bruce si l'on souhaite garder un minimum de cohérence psychologique dans le traitement du personnage... autant créer une situation (fut-elle hautement improbable et capillotractée) où Papa Thomas pourra encore être exploité !

L'on retrouve donc un Thomas de retour dans sa Gotham, conscient de tout ce qui s'est déroulé auparavant et du fait que son existence comme celle de son univers sont des anomalies. Déjà quand il pensait vivre dans le plus cruel, certes, mais le plus légitime des mondes, Wayne Senior prenait rarement la peine de faire dans la finesse... alors imaginez les méthodes qu'il va employer pour comprendre les raisons de son retour à l'existence dans un monde qu'il considère comme illégitime et où, selon ses propres dires, "rien ne compte". Oui, ça va défourailler façon Punisher et l'on comprendra aisément pourquoi la tenue de cette itération de la chauve-souris ne porte sur elle que du noir et du rouge : le sang laisse moins de traces. 

Geof Johns
retrouve donc le personnage tragique du père de Bruce et en profite pour traiter, comme il a l'habitude de le faire, de la filiation. Avec Jeremy Adams et Tim Sheridan à ses côtés pour l'écriture, il va nous soumettre ce qui pourrait être le départ d'un tout nouvel arc narratif très distinct de l'ère Infinite que nous connaissons pour le moment.

Maintenu réel par un pari audacieux de Bruce dans l'Univers Prime, l'Univers Flashpoint fait ici un peu penser à ces "univers de poche" que présentent nombre d'œuvres de fiction.
Si cela peut plaire aux fans ayant apprécié cette réalité parallèle lors de sa découverte en 2011, après tout, pourquoi pas ?
Mais encore faut-il que cela soit bien fait.

Qu'en est-il donc de la qualité de ce one shot, plutôt dédié aux connaisseurs, et ouvrant potentiellement la porte vers une exploitation à venir de tout un autre monde ?


Scénaristiquement, on est d'emblée balancés dans cet univers où Atlantes et Amazones se font la guerre pour dominer l'Europe (ah bah, super !), où Flash n'existe pas, où Superman a été emprisonné par les Américains dès son arrivée sur Terre... Rien n'a changé depuis 2011 et c'est tant mieux : ce qui va nous intéresser, ce seront les décisions de Thomas Wayne, dans ce monde qu'il considère factice ; la façon dont il finira ou non par accorder de l'importance à ces existence qui n'auraient jamais dû être.
Tiraillé entre le besoin de comprendre pourquoi tout cela perdure, l'envie que cela cesse et l'évidente et entêtante volonté de survivre et de sauver ceux qu'il juge dignes de rester en vie, il va mener son enquête (se maudissant au passage d'être en cela bien moins compétent que son fils de l'Univers Prime) à coups d'attaques létales. Avec Thomas, on n'a pas le plus grand détective du monde... plutôt un enquêteur prêt à tout.
L'on retrouvera durant son périple quelques-uns des plus fameux adversaires de Thomas, quelques alliés revêches, le dernier membre en vie de sa famille et... quelques incursions scénaristiques dans l'Univers Prime où l'on comprend que Bruce se bat contre les règles des Maîtres du Temps pour garder son père en vie. 
Visuellement, le tome s'ouvre sur des planches signées Eduardo Risso qui ne sont pas ce que l'album a de plus innovant à offrir, loin de là. D'un classicisme aussi passionnant qu'un match de ping-pong dans la neige (ouais, c'est ça : on ne voit pas la balle, tu as compris la vanne !), elle ne doivent pas pour autant vous décourager : le meilleur reste à venir.
Une fois passé le prologue, Xermanico et Mikel Janin reprennent le flambeau pour un traitement autrement plus actuel et détaillé. Dès lors, tant la mise en page que les couleurs se mettent au diapason du dessin et l'on retrouve l'esprit des comics de chez DC de 2023, avec la particularité d'un trait très mature et sec, assez judicieux au regard de la personnalité du personnage central.

Quelques très belles pleines pages, quelques doubles pages bien exploitées, un découpage parfois significatif... le tout nappé de couleurs vives très contrebalancées par des ombres assez présentes.

Au final, nous voici avec un comic qui plaira de toute évidence à tous ceux que Thomas Wayne avait convaincu en Batman radical... mais aussi aux curieux qui étaient passés à côté et qui maîtrisent un peu le Batverse. Pour les autres, Urban fait toujours un travail d'édition de qualité avec un résumé des événements précédents très clair en début de volume et (mon péché mignon) les illustrations de couverture des publications américaines en pleines pages en guise d'annexes.

Un petit ovni dans l'époque Infinite, donc... mais un ovni bienvenu.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le retour de Thomas Wayne, le Batman hard boiled de l'Univers Flashpoint.
  • Une explication plus ou moins plausible à son retour.
  • Une approche de la psychologie du personnage qui ne laisse pas trop de doutes au sujet de ses valeurs et motivations.
  • Un dessin en adéquation avec son discours.

  • Un prologue dessiné dans un style trop suranné.
  • Une réapparition que l'on pourrait quand même juger un brin mercantile... non ? Allez, un peu... à peine !
  • Un récit dont l'enquête semble trop souvent faite de coïncidences heureuses.

Ange Leca


Lorsque la Seine sort de son lit, elle fait se lever avec elle des secrets enfouis.


Nous sommes en janvier 1910. Paris est submergée par les eaux. Rues, boutiques, habitations, métro, tout est noyé sous une Seine ventripotente charriant son lot de détritus et... de cadavres.
Un buste de femme impitoyablement démembré et dont les seins furent découpés est remonté à la surface et la police n'a aucun moyen de l'identifier.
C'est le journaliste Ange Leca, corse d'origine, qui va prendre la décision d'enquêter sur cette étrange affaire.
Opiomane abstinent, il semble momentanément reporter son addiction sur la personne d'Emma, épouse du propriétaire de son journal. 
L'enquête va peu à peu nous dévoiler le Paris de l'époque, certaines vérités sur ces démembrements réellement assez courants au début du vingtième siècle et de troublants rapprochements entre cette affaire et l'entourage de Leca. 
Le personnage central de cette histoire pourrait être Paris elle-même ou cette inondation, comme aimeraient sans doute le dire nombre de chroniqueurs ayant envie d'émettre des flatulences à des hauteurs stratosphériques. Mais il n'en est rien. Leca est le personnage central. Lui et son chien Clémenceau vont voir défiler un nombre important d'adjuvants et d'opposants à leur quête dans une enquête où les convictions personnelles feront parfois pour lui, très subjectivement, office de preuves.
Voici un album à la lecture simple et au trait agréable qui semble vouloir avant tout se faire porteur d'une ambiance : celle de la Belle Époque. Une Belle Époque colorée dont seules des peintures sont encore les témoins puisque les photos d'alors étaient encore en noir et blanc. C'est le premier charme de l'album.


C'est Victor Lepointe qui se charge de dessiner Ange Leca, selon le scénario de Tom Graffin et Jérôme Ropert. C'est selon nous bel et bien le dessin qui fait l'intérêt de cet album. Bien qu'intrigant, le scénario nous offre une enquête dont la résolution tient parfois un peu trop au hasard des circonstances et, si elle est d'un cruel réalisme, la fin décontenancera plus d'un lecteur avide de justice et de conclusions en happy end. On retiendra également à son crédit le fait de mettre en lumière certains crimes odieux bien connus, quelques pionniers de la police scientifique et le destin tragique de certaines courtisanes de l'époque (un cahier de documentation traitant entre autres choses de ces thèmes termine d'ailleurs l'ouvrage, signe d'un intérêt particulier et documenté des auteurs pour leur sujet).

Mais au dessin, donc, nous trouvons l'artiste derrière La guerre des loups et Après l'orage (bandes dessinées à caractère historique également, se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale). Le parcours de ce passionné le prédestinait peu à la BD puisque sa formation est essentiellement basée sur l'architecture et l'infographie. Toutefois, c'est bien dans ces secteurs qu'il va acquérir la maîtrise de la tablette graphique dont il use aujourd'hui en tâchant de conférer à ses planches l'aspect de la couleur directe. Même si tout son travail est numérique, il copie intentionnellement le mieux possible les effets des aquarelles, des glacis, des acryliques et autres gouaches... Selon ses dires, son style consiste en "une ligne claire, mais hésitante ou spontanée, et une mise en couleur signifiante et travaillée". Le moins que l'on puisse dire est qu'il a une idée assez juste de sa pratique : c'est tout à fait ça !

Cette histoire complète éditée chez Bamboo dans son excellente collection Grand Angle nous narre donc en 72 pages (et pour environ une quinzaine d'euros plutôt bien dépensés) un moment de la vie de cet exilé (et ex-îlé) corse dont on appréciera ou non le caractère romantique au sens littéraire du terme : sujet à des passions qui le soumettent, fasciné par la mort (ici dans les faits divers), éperdument engagé dans un amour impossible...
Le personnage peut plaire comme il peut horripiler mais il est bien écrit et ses failles sont autant d'interstices dans lesquels le scénario fait parfois s'écouler cette omniprésente eau de la Seine pour y faire craqueler un peu plus sa personnalité et mettre à jour ses faiblesses, comme autant de cadavres démembrés ramenés à la lumière du jour par une crue subite.
Cet album peut sans nul doute contenter une bonne partie de son lectorat, malgré ou grâce à sa fin frustrante. En ce qui nous concerne, il nous a intéressés et l'on a apprécié de pouvoir lire une bande dessinée consacrée à cette parenthèse historique assez étrangement peu exploitée.

Ah oui, n'oublions pas : le dessinateur avoue avoir été ravi de pouvoir dessiner de jolies femmes pour la première fois. Étant donné la façon dont il les restitue, nous n'en sommes pas mécontents non plus.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un dessin agréable et une mise en couleurs désaturée d'un très bel effet.
  • Un scénario parfois un peu facile mais pas indigent.
  • Un personnage un peu inhabituel qui a du caractère.
  • Une reconstitution intéressante de la Belle Époque.

  • Un héros néanmoins un peu agaçant.
  • Une enquête parfois relancée un rien artificiellement.

Le Frankenstein de Dean Koontz en comics




Retour sur Frankenstein : Prodigal Son
L'univers de Koontz est-il aisément déclinable en BD ? La réponse, tout de suite.

New Orleans. Une série de meurtres horribles secoue la ville. Des cadavres sont retrouvés amputés de certains membres ou organes. Des pieds, des oreilles, un foie, des reins... l'assassin semble se livrer à un macabre jeu de puzzle humain.
Les inspecteurs Carson O'Connor et Michael Maddison sont sur la piste du serial killer maintenant surnommé le "chirurgien" dans les médias. Ils vont croiser la route d'un étrange type au corps bardé de cicatrices. Il dit s'appeler Deucalion. Il est le résultat d'une lointaine expérience. Le produit maudit d'une arrogante utopie qui a tourné au drame. D'autres sont comme lui en ville. Des êtres sans âme, créés par la science, sans l'accord de Dieu. Des monstres supposés parfaits qui attendent en souffrant l'heure de la délivrance.
L'un d'entre eux a décidé de se mettre en quête de ce qui lui manque le plus : une humanité qu'il cherche au plus profond des corps.

Commençons par dire un mot sur Dean Koontz. Pour ceux qui n'en auraient jamais entendu parler, il s'agit en fait d'une sorte de Stephen King en moins connu (chez nous en tout cas). Les deux écrivains partagent le même goût pour le surnaturel, le suspense et les personnages attachants. Pour en savoir plus sur le style particulier (et non dénué de défauts) de l'auteur, nous vous conseillons cet article. Et si vous souhaitez découvrir certains de ses romans, nous vous encourageons à vous précipiter sur Spectres (Phantoms), Le Rideau des Ténèbres (Darkfall), La Nuit des Cafards (Whispers) ou l'émouvant Chasse à Mort (Watchers).
Bref, il y a de quoi vous occuper et à bas prix vu que tout cela est disponible en poche.



Mais revenons à ce qui nous intéresse ici, le mythe de Frankenstein revisité par Koontz (et publié à l'époque en français chez Milady).
L'adaptation est signée Chuck Dixon (Freddy, les Griffes de la Nuit) pour ce qui est du scénario. N'ayant pas lu les romans originaux, je ne peux juger de la fidélité de la transposition. L'histoire est en tout cas ici parfois un peu confuse. Les scènes s'enchaînent sans grande logique et les personnages ne sont souvent que très peu développés. Du coup, l'on perd l'aspect viscéral de l'écriture de Koontz et cette proximité pourtant essentielle entre le lecteur et les protagonistes.
L'aspect artificiel et froid de l'ensemble empêche frissons et empathie, deux éléments pourtant indispensables dans ce genre d'histoires. Quant au côté "froid" justement, ce ne sont pas les dessins qui vont arranger ça...

D'un point de vue graphique, le style est très particulier. Les illustrations ont été confiées à Brett Booth, qui visiblement est un fan du regretté Michael Turner. Spécial, m'enfin, il faut reconnaître que ce n'est pas non plus hideux. Par contre, le côté lisse rajoute encore à l'involontaire effet glacial et impersonnel, d'autant que l'impression de déjà-vu n'aide pas beaucoup l'héroïne dans sa quête désespérée de charisme. Et ne parlons même pas de son collègue à la personnalité inexistante. La colorisation, très flashy (on n'a pas pris les pires exemples pour illustrer cet article), renforce encore l'aspect irréel et n'aide pas à l'immersion ni à l'ambiance glauque recherchée.

Tout cela donne un résultat franchement moyen. Le Koontz sur la cover est alléchant mais l'on est loin de retrouver la patte de l'auteur derrière ce comic fade et sans âme.
On peut néanmoins se consoler avec le prix, modique, et des bonus comprenant une galerie de crayonnés et un petit épisode supplémentaire de onze planches. Reste à savoir si des pages en plus sont un réel bonus lorsqu'elles sont aussi pauvres.

Du Koontz expurgé de ce qui fait l'essentiel de son intérêt. Un comic qui n'a de fantastique que le genre.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Du gore "soft", aseptisé par le style graphique (je ne suis même pas sûr que ce soit un point positif).
  • Un classique revisité par Koontz.


  • Une colorisation manquant de nuances et de subtilité.
  • Des personnages sans véritable épaisseur.
  • Un aspect global assez fade. 

Rewind : Joey




Il y a deux façons d'aborder Joey, la chanson de Concrete Blonde.
Ne vous inquiétez pas, on va voir les deux.

En 1990, l'album Bloodletting (Saignée) de Concrete Blonde fait un carton partout sur la planète. Enfin, partout où les gens sont civilisés et occupés à se bourrer le bide de donuts et les oreilles de pop rock. Partout ? Non, il existe quelques contrées qui ne sont pas versées dans le rock alternatif et sombre de la formation de Johnette Napolitano. Mais quand même, c'est dur de ne pas connaître au moins Joey, le gros hit du groupe.

La première fois qu'on l'entend, impossible de ne pas être marqué par la voix de la frontwoman. Elle passe d'un truc hyper bas, où elle en est presque à susurrer, à une envolée plus musclée mais totalement maîtrisée et lyrique. C'est propre, mélodiquement parfait, ça tape droit dans le bide.
Les paroles ? 
Oh, rien d'extraordinaire, c'est une gonzesse qui écrit, donc c'est forcément nunuche. Elle a un chagrin d'amour, son mec lui manque, elle pleurniche pour qu'il revienne.
Ça, c'est la première façon d'aborder Joey. Et la plus superficielle.

Mais Johnette Napolitano, ce n'est pas la première radasse venue, qui montre son cul sur TikTok ou devient journaleuse à Libé. Elle est née en 1957, en Californie, dans une famille italo-américaine. Enfant, elle pouvait reproduire des mélodies au piano, comme ça, l'air de rien. Douée la gamine. Elle va faire partie de plusieurs groupes, elle va fonder Concrete Blonde, et elle va interpréter et écrire Joey, qui deviendra un tube mondial.
Ce titre est issu d'un album inspirée des écrits d'Anne Rice (beurk) mais que Nap's (je l'appelle comme ça, j'adore Johnette, mais ce prénom, c'est pas possible, donc à partir de maintenant, c'est Nap's) parvient à magnifier et s'approprier. 

Et, dans cet album, qui compte par exemple un excellent et envoûtant Darkening of the Light (si vous ne connaissez pas ce titre, accordez ce plaisir à vos oreilles, au moins une fois), il y a aussi… Joey. Une "love song" de plus, a priori sans âme. Sauf que…
Dans cette chanson, Nap's fait référence à son ex-petit ami. Un gazier du nom de Marc Moreland, guitariste de Wall of Voodoo. Et accessoirement alcoolique. 
Du coup, quand on relit les paroles de Joey, tout prend du sens et se pare de tragédie : 

I just stand by and let you
Fight your secret war
Elle évoque ici une guerre intérieure, secrète,  qui est en fait une guerre contre la bouteille.


But if it's love you're looking for
Then I can give a little more
And if you're somewhere drunk and
Passed out on the floor
Là, Nap's crie qu'elle peut lui donner encore plus d'amour, elle a compris qu'il était malade et que, même à terre, même ivre, elle voulait, elle pouvait l'aimer.

Oh Joey, I'm not angry anymore
C'est la phrase clé de la chanson. Le premier refrain se termine par "if you're hurting so am I" (si tu es blessé, je le suis aussi) et les derniers par "je ne suis plus en colère".
Là, on comprend qu'il ne s'agit pas d'une chanson d'amour comme les autres, que c'est bien plus que ça. Nap's avoue, crie même, à Joey/Marc qu'elle est là, qu'il peut compter sur elle, où qu'il soit, qu'elle ne veut pas fermer la porte, qu'elle peut donner un peu plus… parce qu'elle n'est plus en colère. Et donc, par une litote évidente, parce qu'elle l'aime. 

Marc Moreland a été rattrapé par ses démons en 2002.
Johnette Napolitano a, aujourd'hui, 65 ans.
Enfin, elle a 65 ans pour ses proches et les inconnus qui la croisent.
Les fans de Concrete Blonde et les amoureux de Nap's savent qu'elle aura à jamais la trentaine. Elle se trémousse dans une robe à fleurs, digne, vêtue d'un manteau noir, coiffée d'un chapeau de la même couleur. Et elle nous plante ses lyrics dans le cœur, de sa voix unique et magique. En essayant de sauver la vie de son ex… et, cerise sur la chanson, si l'on ne connaît pas l'histoire, impossible de se rendre compte qu'il s'agit d'une tragédie. Surtout avec le dernier "angry anymore", léger et serein, doux et rassurant. Ce faisant, en tant qu'auteur et interprète, Nap's s'inscrit au Panthéon des grands auteurs, en tout cas dans la lignée des auteurs respectables, qui savent exprimer beaucoup tout en ayant la décence de masquer et magnifier la réalité. 

Reste un truc à éclaircir... j'ai déjà vu Nap's chanter cette chanson, en live, avec le sourire aux lèvres. Au début, je me suis dit "merde", elle débloque, mais en fait... non. Une œuvre reste rarement statique. Et, quand Nap's interprète aujourd'hui ce titre, elle doit aussi faire avec les fans, l'engouement, l'incompréhension, la nostalgie, etc. Alors, oui, elle sourit, et ça me dérange, parce que je sais ce que les paroles cachent, mais en même temps, c'est son histoire, son parcours, sa manière de faire. 
Tout comme elle était la seule, à une époque, à comprendre le poids de certains mots, elle est la seule à juger de leur interprétation. Et quand bien même elle se tromperait, il reste tout de même ces notes, ce moment hors du temps, ce trouble, qui inscrit cette chanson dans notre mémoire, si ce n'est dans l'inconscient collectif. 



Femmes dans la fiction : propagande et réalité

— Tiens, je me demandais, Druuna, c'est bon ou pas pour l'image de la femme, à ton avis ?
— Ben, je sais que, perso, cette BD a toujours contribué à attiser mon intérêt envers la gent féminine en tout cas.



Bon, OK c’est juste la page Panini, tenue par un demeuré, mais quand même, ce ne sont pas les seuls à sortir ce genre de… « pubs » ? Conneries ? Du coup, il ne me semble pas inutile de revenir sur le sujet.

Tout d’abord, comme c’est précisé dans le post, Marvel met en scène depuis très longtemps des héroïnes. Ça n’a rien d’extraordinaire. C’est normal en fait. Ce qui est anormal, c’est de se sentir obligé de le faire.

Quant à cette « journée internationale des droits de la femme », elle serait certainement très utile là où elle n’est pas célébrée, c’est-à-dire dans un paquet de pays arriérés, mais en Occident, l’égalité en droit entre hommes et femmes, c’est pareil, ça fait longtemps que c’est un fait. Faire croire le contraire, c’est une escroquerie intellectuelle.

Alors, il y a le fameux argument bateau « ouais mais les femmes sont moins payées à poste égal que les hommes ». Ça aussi, c’est une arnaque. Une preuve ? Ben, il y a des hommes moins payés que d’autres hommes, à poste égal. Oh, ben ça alors, comment ça se fait ? Ce n’est pas basé sur le sexisme alors ?
Ben non. Parce qu’en fait, ton salaire n’est pas uniquement lié à ton poste, mais à ton ancienneté, à l’endroit où tu vis (tu n’es pas payé pareil à Paris et à Épinal), à ton assiduité, au fait de simplement demander des augmentations, etc.

Vous croyez vraiment qu’en 2023, en France, quand une entreprise recrute deux nouveaux collaborateurs, elle accorde une prime au candidat masculin sous prétexte qu’il a une bite ? Allons… un peu de sérieux.

Ce qui me gêne le plus dans cette manière de mettre des livres en avant, c’est que l’on ne s’occupe plus de leur qualité, mais uniquement de ce qu’ils sont censés symboliser. 
Personnellement, quand je lis un roman, je me fous parfaitement que le personnage principal soit un homme, une femme, un extraterrestre, un vampire ou un animal. Ce qui m’importe, c’est la qualité de l’écriture. Je veux être touché, transporté, diverti, étonné, bousculé. 

Une œuvre littéraire, que ce soit un roman ou une BD, ce n’est pas un tract, une affiche ou un support à slogan creux. Si un auteur a un message à faire passer (autre chose qu’une simple évidence), libre à lui de le faire, mais encore faut-il avoir les capacités de le transmettre avec efficacité et élégance.

Dire « mon personnage est une femme », ça ne défend en rien l’image de la femme.
C’est un pis-aller de fainéant ou d’incapable. 
Pire, c’est dangereux.

Les gens comme les personnages ne doivent pas être jugés sur ce qu’ils sont, mais sur ce qu’ils font.
La respectabilité, ça s’acquiert par les actes.
Personne n’est responsable de son sexe, sa couleur de peau ou ses origines, mais tout le monde est responsable de ses agissements. C’est donc cela, et cela uniquement, qu’il convient de  juger.

Et si vous faites partie de ces gens qui pensent que les auteurs ont attendu les féministes pour créer des personnages féminins forts et charismatiques, alors vous êtes sans doute passé à côté de Buffy, Fantômette, Lisbeth Salander, Wonder Woman, Lara Croft, Mafalda, Jo March, Yoko Tsuno, Hermione Granger, Miss Marple, Arya Stark, Candy, Scarlett O’Hara, Bridget Jones, Clarice Starling, Kerry Chang, Claude du Club des Cinq, Harriet « Makepeace » Winfield, Ellen Ripley… et bien d’autres. Tant d’autres qu’au final, ce n’est peut-être pas un hasard si vous ne les avez pas vues. Mais peut-être juste une preuve d’une sélectivité coupable. 

Imposer des contraintes sociétales – fluctuantes et discutables par nature  aux auteurs, c’est se condamner à tyranniser le seul espace où l’on devrait être parfaitement libre. C’est aboutir à une littérature sous diktat. C’est valider les autodafés qui vident les rayons des bibliothèques en Amérique du Nord. C’est accepter l’écriture sous tutelle (cf. les « experts » littéraires improvisés qui distribuent des bons points ou « cancelent » les auteurs). C’est remplacer la souplesse de l’encre par la raideur des barreaux.

Nos livres ne sont pas le terrain de vos combats.
Une histoire, pour être génératrice d’émotion, pour qu’elle ait du sens, pour qu’elle puisse transcender son sujet, doit être impactée, signée, modelée par son auteur. Et son auteur seul.
Et si elle vous choque… tant mieux. Qui a dit que l’on devait vous protéger de l’imaginaire ?

Écho #2 : Dune





Hey les matous ! Et si on se plongeait un peu dans le sable d'Arrakis ?

Dune
, l'exceptionnelle saga écrite par Frank Herbert, comporte six romans. Cinq d'entre eux ont été réédités chez Robert Laffont dans une édition collector comprenant une traduction révisée. Le sixième sera disponible au mois de juin !
En ce qui concerne l'aspect de ces livres... heu... bon déjà, quand un titre de seulement quatre lettres doit être mis sur deux lignes, c'est que tu n'as pas forcément fait les bons choix au niveau du graphiste. On n'a rien contre un style épuré, mais là, cette typo de merde avec des couleurs criardes dégueulasses... putain, ça ferait passer une devanture de bordel mexicain pour le summum de la classe et de la sobriété. Un texte un peu lisible, avec un truc stylisé (la planète Arrakis par exemple, ou un krys fremen, ou n'importe quoi) et des couvertures pastel, ça aurait quand même eu une autre gueule.
Quant aux annexes et autres cartes, ça a été bazardé n'importe comment, sans aucunement se soucier de la lisibilité de l'ensemble.
Bref, c'est moche et pas toujours pratique, mais le contenu est bien.

Évidemment, ces six romans ne forment que la saga originelle, de nombreuses suites (qui se déroulent avant, après ou pendant ces récits) ont été écrites par le fils de l'auteur, Brian Herbert, et Kevin J. Anderson (ils doivent en être à 17 romans et 3 recueils de nouvelles... ouais, il carbure un peu le fiston, mais tu sais, quand tu as le choix entre aller ranger les rayons au walmart ou reprendre l'histoire de SF du pôpa, le temps de réflexion est en général assez court). 
Autrement dit, si vous commencez à vous passionner pour ce si riche univers, vous avez un peu de lecture devant vous !

Miaw !

C'est bien de mettre une carte, mais dans une édition dite "collector", on serait en droit d'attendre qu'elle soit lisible.
Avec une grande page dépliable, par exemple. Et on ne parle même pas de la transparence du papier...


Saint Seiya - Dark Wing





Début d'une nouvelle série dérivée de l'univers des Chevaliers du Zodiaque : Saint Seiya - Dark Wing !

Un spin-off Saint Seiya, c'est toujours un peu du quitte ou double. On a eu par le passé du très bon (Next Dimension - Le Mythe d'Hadès) mais aussi du franchement pas terrible (Episode G - Assassin). C'est donc avec une certaine prudence que l'on accueille ce nouveau titre dont le premier tome est sorti le mois dernier, chez Kurokawa.
Niveau dessin, on est sur quelque chose de très classique. Shinshu Ueda livre un travail correct, avec cependant des visages souvent trop semblables. Certaines scènes d'action sont parfois difficilement lisibles, mais dans l'ensemble, ça reste sympa, avec de jolis décors (quand il y en a, ça reste très épuré) et des armures dans le style kurumadien. Graphiquement donc, pas de faux pas rédhibitoire.

Intéressons-nous maintenant au cœur du projet, c'est-à-dire le scénario écrit par Kenji Saito
Ce premier tome ne livre pas encore tous les tenants et aboutissants de l'intrigue, évidemment, mais l'on peut déjà dire que l'on se situe apparemment... dans un univers parallèle. Il ne s'agit donc pas d'une suite à proprement parler, mais plutôt d'une réinterprétation, avec des personnages différents. Mais... on a tout de même des personnages classiques, et même des allusions à la saga originelle. Ouais, ça devient compliqué du coup. Par exemple, dans cette histoire, Aiolos existe bien. C'est un prof, en plus d'être un chevalier, et il connaît plus ou moins le même destin que dans la série mère. Et lors d'un combat, alors qu'il est en très mauvaise posture, des bribes de souvenirs lui reviennent en mémoire. Des souvenirs d'une vie qu'il n'est pas censé avoir vécue.
Donc, nouvel univers, certes, mais aussi d'importantes connexions (ou au moins références) à ce que les lecteurs connaissent déjà.

Tout débute par une longue présentation des nouveaux protagonistes, des élèves d'un lycée privé regroupant des surdoués. Chacun à sa spécialité, qui va de la boxe, au tir à l'arc, en passant par le piano, le karaté, le chant ou la peinture. C'est quand même bien éclectique hein, je ne me souviens pas qu'il y ait eu autant d'options cool lors de mes années lycée. Ceci dit, ça sert à quoi une spécialisation en "tir à l'arc" ? Pourquoi pas pétanque tant qu'on y est ? 
Bref, après ce tour obligé de la galerie de personnages, une catastrophe étrange entraîne la mort de presque tout le monde, ce qui est l'occasion pour le personnage principal de se réveiller à Elysion et de découvrir qu'il est l'un des Spectres d'Hadès, plus précisément Wyverne de l'étoile céleste de la férocité.

Le fait de suivre un personnage sympathique et attachant qui va très vite avoir pour but de tuer Athéna (et pour une excellente raison), est très habile sur le plan narratif. D'autant que le frère de ce dernier est, lui, l'un des chevaliers d'or censés la protéger. Un conflit fratricide, c'est classique mais ça fonctionne toujours bien.
D'ailleurs, le contraste entre l'innocence, le jeune âge des personnages, leur attitude parfois très enfantine et le poids de l'enjeu qui repose sur leurs épaules est également assez intéressant. Pour l'instant, ce n'est pas encore bien développé, mais ça peut donner quelques scènes intenses et tragiques.



C'est donc plutôt un bon début, même s'il est encore trop tôt pour savoir si la série sera ou non une réussite. Il n'y a toutefois pas que des bons points à décerner, certains éléments posent problème. Par exemple, au niveau du texte, les phrases peuvent se terminer par un point d'interrogation ou d'exclamation, ou par des points de suspension, mais quand il devrait y avoir un point, il n'y a... rien. Problème de lettrage ou d'impression, en tout cas, tous les points ont disparu. Autre souci, découlant cette fois d'un choix volontaire, l'une des polices choisies (heureusement pas la principale) a des "s" qui ressemblent à des "1" (cf. ces deux exemples). C'est un détail, ça n'empêche pas de lire, mais quel choix peu inspiré !

En ce qui concerne le récit en lui-même, toujours ce petit problème d'anachronisme qui fait cohabiter l'univers fantastique (et presque médiéval) des chevaliers et des dieux avec un monde moderne classique. L'on peut noter aussi le choix étrange des noms des personnages dans cette VF. Certains, comme Shoichiro, ont des noms imprononçables (et dont il est difficile de se souvenir) alors que d'autres sont affublés de prénoms occidentaux (Charlotte Kazahana par exemple). Question cohérence et logique, on repassera. 
Même chose pour les noms de techniques martiales, qui apparaissent en trois langues (japonais, anglais et français) ! À quoi ça sert ? Mystère... et pourquoi s'arrêter là ? Perso, je n'aurais pas été contre du russe et du celte.
Certaines scènes (heureusement peu nombreuses) sont également très bas de plafond et vulgaires, du style "c'est super gênant d'être attendu quand on finit son caca". Wow. J'ignore si c'est censé être drôle, mais on se demande vraiment ce que de telles réflexions viennent faire là-dedans. Soit il faut s'arranger pour que la situation ou la réplique devienne vraiment irrésistible, soit il vaut mieux éviter d'étaler ce genre de sentences désastreuses. C'est peut-être moi, mais je ne trouve pas que ça sonne très "Saint Seiya".

L'on peut aussi revenir (mais ce n'est pas lié à cette seule série) sur la connerie intersidérale qui consiste à imprimer un texte français dans un livre qui se lit de droite à gauche. Non, ça ne "respecte" pas l'œuvre, ça la dénature. Une œuvre, quand on la respecte, on la travaille en l'adaptant (cf. cet article). Toujours aussi ce noir & blanc tristouille et peu lisible, qui a un sens au Japon sur certains produits (ce n'est pas une volonté artistique, c'est une contrainte économique et surtout logistique vu le rythme ahurissant qui est imposé) mais qui n'en a plus sur des licences très connues, rentables, et qui pourraient du coup être totalement colorisées pour le marché international. 
Mais bon, il ne faut pas se faire d'illusions, les mauvaises habitudes sont trop implantées pour qu'il y ait une chance qu'elles changent, surtout vu l'apathie d'un lectorat qui se contente d'aussi peu (c'est une généralité, il y a donc des exceptions, mais comme toute généralité, elle reste massivement vraie). 

En conclusion, voilà une série dérivée qui ne manque pas d'intérêt et de bonnes idées. Il faudra néanmoins certainement quelques tomes supplémentaires pour se faire une opinion définitive sur ce contenu mélangeant nouveaux héros, réminiscences anciennes mais aussi petits défauts agaçants. 
Suite au mois de mai pour le tome 2 !




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • De nouveaux personnages, sympathiques pour la plupart mais encore peu développés.
  • Le "camp" Hadès, présenté d'une manière non manichéenne.
  • Les frères se retrouvant chacun dans une faction opposée.


  • Des scènes d'action parfois confuses.
  • Un Hadès qui ressemble à une gamine de 12 ans...
  • Le flou et l'incertitude quant aux connaissances des personnages sur les aspects martiaux et divins de leur propre monde.

Rétrospective Garth Ennis




Petite sélection de comics très recommandés et signés Garth Ennis !

Si vous êtes déjà allé farfouiller dans la partie Dossiers du site, vous savez que nous revenons régulièrement sur les œuvres majeures de nombre d'auteurs (cf. ces dossiers consacrés à Bendis, Straczynski, Kirkman ou encore Miller). 
Garth Ennis, auteur à la fois étonnant et plus subtil qu'on pourrait le croire, mériterait bien un "Sur les traces de..." consacré à ses récits. Mais, en fait, nous avons déjà abordé l'essentiel dans de nombreux et très complets articles. Du coup, pour éviter une redite, nous vous proposons non pas un dossier mais une rétrospective regroupant quelques incontournables.

Bonne lecture !



THE BOYS

Peut-être la série la plus célèbre de l'auteur. Une déclinaison très pragmatique et osée du super-héroïsme, avec du sexe, de l'humour et de la violence à la clé !
Mais derrière les provocations, comme souvent avec Ennis, l'on peut aussi percevoir un vrai fond, sans parler de moments touchants.
À ne pas mettre entre toutes les mains, mais vivement conseillé si vous en avez assez de la vision trop proprette des super-slips !


PREACHER

Là encore, on est sur quelque chose de violent mais particulièrement bien pensé également.
Exit les super-héros, l'auteur évoque ici un prêtre très rock n'roll, un vampire plutôt badass, Dieu lui-même et une galerie de personnages assez déjantés (des anges pas si angéliques que ça en passant par des rednecks bien dégénérés).
Atroce par moments, dérangeant, drôle, futé voire sublime, bref, un putain de bon comic !
Article complet : Preacher


THE PUNISHER

Le Punisher fait déjà partie des personnages Marvel plutôt violents, mais sous la plume d'Ennis, il atteint des sommets inégalés !
Ici, on fait dans le gore, le non politiquement correct et l'humour noir. Très noir.
Le monde d'Ennis est sale, il transpire la douleur, la corruption, la haine... mais bien entendu, il ne s'agit pas de s'en délecter mais bien de condamner certaines dérives et, au milieu du cloaque, trouver parfois une flaque de beau, de bon... même si ce n'est que pour un temps.
Article complet : Le Punisher de Garth Ennis


LA PRO

Peut-être l'œuvre la moins connue de l'auteur, mais certainement pas la moins intéressante. Ni la moins sulfureuse.
Ennis aborde ici le complexe sujet de la prostitution avec toute la violence mais aussi la subtilité dont il sait faire preuve. Même si l'on est dans la parodie et l'outrance, des scènes plus touchantes viennent encadrer un propos pas si dénué de sens qu'on pourrait le penser au premier abord.
Et vous avez en prime quelques références qui devraient amuser les amateurs de comics mainstream.



CROSSED

Voilà, dans la longue liste des œuvres ultra-violentes écrites par Ennis, ce qui se fait sans doute de plus gore et transgressif. Le scénariste va ici très loin, s'autorisant à aborder toutes les perversions, ou presque. 
Moins de fond dans cette histoire que d'habitude cependant, même si ce traitement très instinctif et animal de la survie et du post-ap ne manque pas d'intérêt et d'éléments qui interrogent notre conscience (et il n'est pas inintéressant de signaler qu'Alan Moore lui-même s'est cassé les dents sur le sujet, en prenant la suite, quelques années après). 
Un bon gros défouloir, glaçant, mais drôle parfois malgré tout.
Article complet : Crossed


CALIBAN

Nouveau virage radical de l'auteur qui plonge ici dans une SF horrifique aux relents lovecraftiens.
On lorgne ici clairement du côté d'Alien ou Event Horizon, avec des situations certes déjà vues mais un véritable savoir-faire narratif et, notamment, des personnages féminins bien mis en valeur.
Ajoutez à ça des dialogues percutants et une vision assez sombre d'un futur possible, et voilà encore une histoire bigrement conseillée !


FURY

Deuxième titre Marvel de cette collection, ce Fury inaugura à l'époque le label Max de l'éditeur, c'est-à-dire une gamme de comics hors continuité et clairement orientée vers un lectorat adulte.
L'on retrouve ici les gimmicks de l'auteur, que ce soit le loser décalé, le monstre de foire ou les allusions sexuelles quelque peu acides.
De l'action, de l'humour, du cynisme... bref, une mini-série efficace et musclée.


JUST A PILGRIM

Ce qu'il y a de bien avec Ennis, c'est qu'il n'a pas peur de voir grand et d'aller tâter des grands espaces à l'occasion. Ici, l'on est en plein western mâtiné de post-ap, avec toujours les mêmes ingrédients (violence, transgressions et cynisme) mais aussi une grande intelligence dans l'écriture et la thématique abordée, sans parler d'une originalité certaine (en termes de bestioles autant que de comportements).
Un pèlerin bousculé par la vie, brut et sans concession, mais que l'on prend plaisir à suivre.
Article complet : Just a Pilgrim


JIMMY'S BASTARDS

Ici, Ennis s'en prend à une icone de la pop culture et nous livre une vision très... personnelle du mythe de l'agent secret, séducteur et quasiment invincible.
On lorgne bien entendu du côté de James Bond, mais toujours accommodé à la sauce Ennis, à savoir en y insufflant beaucoup de second degré, de vannes osées mais aussi quelques réflexions pertinentes et bien placées, et toujours un brin d'amertume. Et beaucoup d'hémoglobine et de tripes, bien sûr.
Article complet : Jimmy's Bastards 


RED TEAM

Un petit Ennis ici, ça peut arriver même si c'est rare.
L'intrigue se résume à un polar très classique, presque convenu, ce qui surprend de la part de l'auteur.
Outre le manque d'ambition du propos, l'on retiendra surtout des personnages caricaturaux, pas mal d'invraisemblances et une narration presque engoncée dans un conformisme qui ne sied guère à l'auteur. 
Pas forcément nul, mais très fade en comparaison des autres travaux d'Ennis.
Article complet : Red Team


DICKS

Bon, soyons honnête, ce n'est pas ce comic que l'on vous conseille absolument. C'est même sans doute le plus faible de la liste. L'on est ici en face d'un récit cartoonesque et très régressif, à base de gros mots, de vomi, de pets, de caca et de sperme... et ce n'est pas un cocktail très digeste, avouons-le. Après, il s'agit de second degré totalement assumé et certaines blagues font sourire, mais ce n'est certainement pas par ça qu'il faut commencer pour découvrir Ennis, vous n'en auriez qu'une image imparfaite et très limitée.
Ceci dit, il nous semblait important d'évoquer aussi cette facette de l'auteur pour que ce tour d'horizon soit le plus complet possible.



À noter : ce qui précède constitue une sélection, nous sommes très loin d'avoir fait le tour de tous les travaux de l'auteur. Il a écrit notamment de nombreux autres récits indépendants mais aussi du Batman, du Judge Dredd ou encore des mini-séries liées à The Authority (cf. la Parenthèse de Virgul #26).