Sur les traces de Robert Kirkman
Bien que ce soit The Walking Dead qui en fasse un scénariste mondialement célèbre, Robert Kirkman a écrit essentiellement des comics bien plus second degré que son œuvre phare. Avec d'ailleurs du bon et du moins bon, comme nous allons le voir dans cette sélection ci-dessous.
Concernant TWD, nous vous conseillons de lire cet article qui dresse un bilan de l'évolution désastreuse d'une série qui fut pourtant exceptionnelle.
The Astounding Wolf-Man
Nous débutons avec un titre mélangeant loups-garous, vampires et super-héros. Un cocktail plutôt détonnant !
Gary Hampton, richissime chef d'entreprise, n'a pas réellement des goûts de luxe puisqu'il passe ses vacances dans un modeste camping du Montana. C'est malheureusement là, en plein milieu des bois, qu'il se fait attaquer par une bête sauvage. Ses blessures sont telles que son pronostic vital est engagé. Pourtant, après quelques semaines, il est complètement remis, au grand étonnement des médecins qui penchaient pour une très longue convalescence.
Mais surtout, Gary a changé. La nuit, il se transforme maintenant en animal féroce. Il est devenu un... loup-garou. Sous le nom de Wolf-Man, Gary va alors tenter de mettre ses nouveaux dons au service de la communauté. Il va surtout bénéficier de l'aide de Zechariah, un vampire qui semble en savoir long sur les créatures de la nuit et leurs étranges pouvoirs.
Ce que Gary a oublié un peu vite, c'est qu'il doit maintenant faire face à une malédiction qui mettra en péril son statut professionnel, son couple et même la vie de ses proches.
Publiée chez Image, The Astounding Wolf-Man est une série qui peut sembler visuellement très enfantine. Les dessins sont l'œuvre de Jason Howard, qui se charge également de l'encrage et de la colorisation. Style très cartoony, parfois un peu simpliste, avec de larges aplats de couleurs flashy. Le résultat est loin d'être désagréable mais peut éventuellement rebuter le public adulte.
Mais intéressons-nous plutôt à l'intrigue. Nous sommes dans du super-héroïque assez classique, avec bons sentiments, injustices flagrantes et base secrète à la Batman. Les personnages étant relativement lisses et peu développés, il est difficile de réellement accrocher lors des premiers épisodes.
Pourtant, la série est loin d'être aussi naïve et inintéressante que l'on pourrait le croire.
Tout d'abord, plutôt que de mettre l'accent sur de vagues super-vilains à combattre, Kirkman va rapidement faire tourner son histoire autour du rôle très ambigu du mentor de Wolf-Man. Le lecteur va ainsi découvrir peu à peu les secrets de chacun mais aussi l'organisation ou encore les différents besoins ou tares des loups-garous.
Kirkman va également asséner régulièrement quelques puissants cliffhangers dont il est coutumier. La trame gentillette bascule assez rapidement vers le drame voire la pure boucherie (heureusement fortement aseptisée par le style graphique employé).
Le premier TPB regroupe les sept premiers épisodes et se termine sur une véritable scène choc. Le deuxième recueil, un peu moins épais, s'avère également intéressant. Non seulement parce que l'auteur entraîne ses personnages dans une voie radicalement nouvelle, mais aussi parce que Kirkman s'amuse à parsemer son récit de clins d'œil à ses autres sagas. Une rencontre a notamment lieu entre Wolf-Man et Invincible, et la fille de Gary engage Damien Darkblood. Rappelons que ce détective, sorte d'hommage très direct au Rorschach de Watchmen, avait déjà mené une enquête dans la série Invincible.
Chaque recueil est disponible pour une douzaine d'euros, port compris. Le niveau d'anglais requis est particulièrement bas, les dialogues ne nécessitant pas de connaissances très pointues pour être parfaitement appréhendés. Enfin, chaque volume dispose d'une importante galerie de croquis, qui plus est commentés, en bonus (20 pages tout de même pour le premier, douze pour le deuxième).
Une série sympathique qui, sans être du niveau des meilleurs travaux de Kirkman, recèle de bonnes surprises et se muscle au fil des épisodes.
Invincible
L'on reste chez Image et dans le super-héroïque avec Invincible.
Mark Grayson est, sur bien des points, un adolescent comme tant d'autres. Il lit des comics, dragouille un peu les filles du bahut, doit faire face à son lot d'abrutis mais, ce qui le différencie des autres gamins de son âge, c'est qu'il est le fils d'Omni-Man, l'homme le plus puissant de la planète.
Doté lui aussi de pouvoirs, Mark va apprendre à les utiliser aux côtés d'un père qu'il vénère. Il faut alors trouver un costume, un pseudo et commencer à patrouiller, bref, la routine pour un héros. Malheureusement, nous savons, nous, qu'un héros sans drames personnels n'en est pas vraiment un. Bientôt, Invincible va apprendre que son père est un criminel à la tête d'une terrible machination. Et il va devoir l'affronter...
L'on pourrait penser que Robert Kirkman livre ici une histoire (trop) classique, très proche du déroulement de celle d'un Peter Parker par exemple, mais les nombreux clins d'œil dont elle est parsemée, et le ton oscillant entre parodie et drame, en font une saga particulièrement savoureuse. Les Gardiens du Globe font indéniablement penser à la Justice League de DC (avec des protagonistes très proches de Batman, Flash ou encore Wonder Woman). Lors de l'enquête sur l'assassinat de certains héros, l'on pourra également reconnaître un personnage (Darkwood, évoqué plus haut) ayant un fort cousinage avec le Rorschach de Watchmen.
Sur un plan plus émotionnel, la confrontation père/fils est des plus réussies (et des plus sanglantes !). Non seulement parce que frapper son père doit être un acte difficilement supportable (tout comme frapper son fils d'ailleurs) mais aussi parce que Omni-Man va également envoyer, en plus de quelques directs bien dosés, une ou deux phrases dures à digérer (du style "ta mère n'est qu'un animal de compagnie"). Il y en a qui ont viré psychopathes pour moins que ça.
Tout est-il cependant parfait dans cette série ? Probablement pas.
Tout d'abord, les dessins de Cory Walker, puis Ryan Ottley, sont relativement simplistes et leur côté caricatural est encore renforcé par une colorisation très vive. Les décors sont souvent réduits au minimum ou carrément remplacés par un fond de couleur. Pour autant, le graphisme n'en est pas rebutant. Il accompagne plutôt bien les moments déjantés et, bizarrement, parvient, par contraste, à rendre plus violentes encore les scènes plus sombres (assez rares tout de même). Après, il faut aimer le genre dépouillé.
Autre petit bémol, Kirkman se fait énormément plaisir ici (en rendant hommage ou en parodiant diverses sagas connues) mais le fait parfois au détriment d'une histoire qui perd en réalisme. Il s'adresse, du coup, plus aux lecteurs de comics ayant quelques connaissances dans le domaine qu'au plus grand nombre, ce qui, pour ceux qui "rateraient" les allusions de l'auteur, peut rendre la série beaucoup moins fun.
La série est adaptée en France par Delcourt. Pour l'anecdote, ajoutons qu'Invincible a déjà rencontré Spider-Man dans les Marvel Team-Up scénarisés par Kirkman. La scène #14 de notre Bêtisier Marvel donne un aperçu de cette confrontation comique.
Du super-héroïque référentiel et léger, entrecoupé de moments plus violents.
Brit
Le tandem de Walking Dead se retrouve sur un titre à l'atmosphère bien différente.
Lorsque le gouvernement doit gérer des frappadingues à super-pouvoirs, des aliens un peu trop envahissants ou n'importe quelle menace un peu spéciale, c'est à Brit qu'il fait appel.
L'homme a de l'expérience, n'a pas peur de se salir les mains et, surtout, il est indestructible.
Seulement, voilà, Brit a beau être efficace, il prend de l'âge. Et ses employeurs aimeraient bien le remplacer par quelques "modèles" plus jeunes, en tentant de dupliquer ses pouvoirs par exemple, quitte à devoir le disséquer pour y arriver.
Bien que le fait d'être découpé en petits morceaux par ses supérieurs hiérarchiques constitue un emmerdement relativement bien classé sur l'échelle des tracas divers et soucis quotidiens, ce ne sera pas le seul !
Brit devra en effet gérer une ex-femme revancharde, les parents de sa petite amie, un gros monstre poilu qui fout le bordel en Alaska et même... un français.
Son emploi du temps étant déjà bien chargé, évitez de vous mettre en travers de sa route.
Cette série est dessinée par Cliff Rathburn et Tony Moore, artiste qui avait déjà travaillé avec Kirkman sur les premiers TWD avant que Charlie Adlard ne prenne la relève.
Graphiquement, là encore, les auteurs ont opté pour un style cartoony aux couleurs vives, pas désagréable du tout et qui permet de faire passer en douceur le côté gore de certaines scènes. Au niveau de l'intrigue, c'est bien simple, c'est du Invincible (d'ailleurs cela se déroule dans le même univers) mais, au lieu d'avoir un adolescent comme personnage principal, l'on a un vieux briscard. Tout le reste est plus ou moins pareil : présence d'aliens et monstres improbables, d'encapés et d'une agence gouvernementale qui gère tout ça.
Brit pourrait donc presque être un Mark Grayson vieillissant.
L'on se trouve ici devant du Kirkman "classique" (dans le sens où TWD est clairement une exception dans sa carrière et que la plupart de ses autres œuvres ont plus de points communs et s'avèrent très différentes au niveau de l'ambiance), développant une histoire qui se laisse lire mais qui ne brille pas par son originalité. Que l'on ne se méprenne pas, le mélange de second degré (avec quelques très bonnes vannes) et d'évènements plus dramatiques fait son petit effet. Simplement, l'on a un peu l'impression que l'on a déjà lu ce genre d'histoire des dizaines de fois (et que l'on n'est pas près de s'arrêter d'en lire !).
Même le spleen du héros (avec le fameux refrain "c'est de ma faute si tout le monde crève autour de moi") commence à friser la parodie tant il a été ressassé.
Imaginez ce que cela donnerait dans la vie de tous les jours...
— Oh non, putain, j'ai cassé un œuf ! Regarde, il est tout étalé par terre !
— Voyons chéri, ce n'est pas grave.
— Si, c'est de ma faute, j'ai ouvert la porte du frigo trop brusquement... oh, mon Dieu, cela ne cessera donc jamais, pourquoi est-ce que tout ce que je fais retombe sur mes proches ?
— Mais arrête, c'était un œuf, pas un proche ! Tu ne connaissais pas la poule, si ?
— Bah non mais... tu vas devoir nettoyer. Je m'en veux de t'imposer ça.
Voilà, on évite de passer la serpillère soi-même, au moins les pleurnicheries servent à quelque chose. Fin de l'interlude.
Quant aux autres protagonistes, à part une ou deux exceptions (Donald et peut-être le père de Jessica), leur personnalité et psychologie sont à peine esquissées, ce qui n'aide pas vraiment à l'immersion ou l'empathie.
Reste un Brit non dénué de charisme et qui pourrait faire merveille si l'aspect comique de la série (déjà présent dans certaines scènes) était plus développé.
Un gros dur, quelques répliques cool, des méchants d'opérette et une pointe d'émotion.
Cela pourrait suffire si le sentiment de déjà-vu n'était pas omniprésent.
Battle Pope
Voilà probablement la série la plus acide et déjantée de Kirkman.
Le jour du jugement est enfin arrivé et le verdict de Dieu est implacable : l'humanité est recalée ! Sans religion, le monde est voué à sa perte, d'autant que les hordes infernales ont débarqué et que les démons côtoient maintenant les humains...
Lucifer, autrefois banni du paradis pour rébellion, est bien décidé à prendre sa revanche en volant le halo de saint Michel.
Heureusement, les forces du bien ont encore un champion : Oswald Léopold II, souverain pontife musclé et rock n'roll. Ce pape-là fume, picole, se tape des tonnes de gonzesses, mais c'est le seul héros qui peut encore prétendre mettre au pas les armées de Lucifer.
Bientôt, le pape va être rejoint par Jésus en personne et même le Père Noël. Et la cohabitation n'est pas toujours facile...
Le titre était précédé d'une réputation plutôt bonne, il a été adapté en français en 2010 par les éditions Stara. Kirkman y officie de nouveau en compagnie de son vieux compère, Tony Moore.
Abordons tout de suite le sujet qui fâche : la réalisation technique des éditions Stara. Pour une fois, ce n'est pas la traduction qui est en cause mais la qualité d'impression. Cette série a en fait été publiée une première fois aux États-Unis en noir & blanc, puis une version colorisée est parue chez Image. On aurait pu penser que l'on allait bénéficier de cette dernière mouture, et d'une certaine façon c'est le cas, mais l'éditeur a opté pour un choix des plus étranges en nous livrant une version noir & blanc... à partir des planches colorisées ! Évidemment, ce n'est pas du tout prévu pour et, tout aussi évidemment, le rendu est exécrable. L'ensemble est si sombre que certaines cases sont à la limite de la lisibilité.
Le seul moment où l'on peut se reposer les yeux, c'est lors d'une courte scène parodique dans laquelle le pape fait un cauchemar "en manga" (et donc en vrai noir & blanc) après avoir bouffé des sushi. Étant donné le prix tout de même très élevé de l'ouvrage en neuf à l'époque (près de 30 euros), cette dégradation du matériel original est franchement regrettable.
Heureusement, ce Battle Pape présente également de nombreux points positifs. Son épaisseur tout d'abord. Avec plus de 360 pages, l'on a largement de quoi passer un bon moment. Contrairement à ce que l'on pourrait croire (ou craindre), il ne s'agit pas d'une charge contre l'Église mais bien d'une comédie, certes délirante mais presque bon enfant sur le fond. Et surtout, c'est souvent réellement drôle.
Bien sûr, certains passages peuvent être parfois un peu plus faibles, mais l'ensemble tient largement la route. Le tandem Pape/Jésus est d'ailleurs particulièrement bien trouvé. Si le premier est obsédé sexuel et à moitié alcoolo, le second est d'une naïveté incroyable (certains pourront même aller jusqu'à dire qu'il est con comme un balai), ce qui engendre les scènes ou répliques les plus réussies. Le coup du "je vais avoir un petit frère" ou la découverte du café sont par exemple franchement savoureux.
Certains gags sont très visuels (l'expressivité des visages de Moore est excellente) et les meilleurs moments résident finalement dans la cohabitation improvisée entre Oswald et Jésus, surtout lorsqu'il faut faire la vaisselle ou ranger les fringues.
Les démons et autres saloperies ne sont pas en reste, les frères Zombies notamment, qui, s'ils sont stupides comme la plupart de leurs congénères, sont doués de la parole.
À qui est destiné ce comic ? Certainement pas aux enfants. Même si l'on est très loin du trash d'un Ennis, ça cause gras, ça nique dans tous les sens (et avec n'importe qui, beurk), bref, mieux vaut éviter de glisser ça entre deux Astérix pour l'anniversaire de votre petit neveu de huit ans.
Et si vous avez un ami curé, vous savez maintenant quoi lui offrir pour Noël.
Une série sans prétention, à la fois drôle et originale, qui souffre d'un traitement technique déconcertant mais demeure néanmoins un investissement conseillé, même si vous avez raté les dernières JMJ.
Super Patriote
Jusqu'ici, l'on restait dans des titres plutôt agréables, même si certains avaient de réels défauts. Là, on passe à de la vraie bonne bouse.
Alors, tentons de prendre les choses dans l'ordre. Super Patriote est un héros issu des publications Image Comics. Il côtoie notamment Savage Dragon et a la particularité d'être blindé de prothèses bioniques (sans la discrétion d'un Steve Austin).
Plutôt maladroit avec les femmes, il fait régulièrement équipe avec ses enfants, dont son fils, un peu nouille et fan de ses exploits.
Ajoutons à cela que Super Patriote se bat évidemment contre des nazis (ah, ces salauds de nazis, ils ne crèveront donc jamais ?) et même contre un Hitler dont le cerveau a été conservé et transféré sur un... gorille, puis un... robot-gorille.
Hum.
Cette fois, c'est Cory Walker qui se charge de la partie graphique.
Voyons déjà le positif : le soin apporté à l'édition française. Comme souvent, Delcourt ne se contente pas de balancer le truc à la va-vite et permet aux lecteurs d'aborder le récit dans les meilleures conditions grâce à un long (et intéressant) texte expliquant le parcours éditorial du personnage mais aussi avec un topo complet sur les protagonistes principaux. En guise de bonus, un carnet de croquis (12 planches), commentés par les auteurs, a été ajouté.
Le traitement est donc sérieux. Kirkman, lui, l'est beaucoup moins sur ce coup-là.
Si l'on ne peut reprocher aux éditeurs de coller un petit "par l'auteur de Walking Dead" sur la couverture (c'est de bonne guerre), le choix de publier un Super Patriote demeure franchement risqué, voire incompréhensible.
Tout comme dans Brit, évoqué plus haut, l'on a bien droit à quelques vannes, mais le reste s'avère d'une platitude et d'un manque d'inspiration assez étonnants. Et tout comme Brit, Super Patriote a le c... omic entre deux chaises, à mi-chemin entre la dérision assumée d'un Battle Pope et le classicisme inspiré d'un Invincible (qui avait ses moments d'émotion et ses coups de théâtre).
Difficile de trouver le moindre intérêt à ce héros mou qui n'a de super que le nom mais qui constitue, malgré tout, presque une caricature du genre tant il est ridicule et vide, sans pourtant jamais parvenir à être réellement drôle.
C'est donc très mauvais. Tellement mauvais que l'on se demande si Kirkman ne le sait pas lui-même. Et s'il est vraiment fait pour un genre certes incontournable aux États-Unis mais qui ne semble guère lui réussir.
Une présentation soignée mais qui n'améliore en rien le contenu.
Totalement dispensable.
Marvel Zombies
Kirkman n'a pas travaillé uniquement chez Image, outre ses Marvel Team-Up évoqués plus haut, il a également zombifié, d'une manière assez jouissive, les personnages principaux de la Maison des Idées.
Sur l'une des nombreuses terres parallèles du Marvelverse, les héros ont été victimes d'un mystérieux virus les transformant en zombies ! Alors qu'ils ont déjà dévoré la plus grande partie de la population, les morts-vivants traquent les rares survivants qui tentent encore d'échapper à leur faim insatiable...
Le point de départ de cette histoire a vu le jour dans Le Passage, un arc d'Ultimate Fantastic Four, dans lequel le Reed Richards version Ultimate rencontrait son double "zombifié". L'idée a par la suite donné naissance à la série Marvel Zombies dont Kirkman, spécialiste des trucs pas frais qui bouffent tout ce qui bouge, s'est occupé un temps aux côté de Sean Phillips (dessins).
Autant le dire, Kirkman a eu carte blanche et ça se voit. C'est gore, très gore même, et cela vire parfois au comique trash. Spider-Man se lamente d'avoir bouffé Mary Jane et sa vieille tante May (c'est marrant ça, autant MJ, on serait partant pour y goûter, autant la tantine nous inspire peu), les zombies se battent entre eux pour savoir qui aura le meilleur morceau d'un Magneto qui est dépecé en quelques secondes, bref, ça gicle dans tous les sens.
Parfois cependant, certaines scènes sont plus sérieuses et dérangeantes, comme lorsque Black Panther, maintenu sous sédatif par Hank Pym, est dévoré lentement par ce dernier, celui-ci lui coupant un membre de temps en temps, quand la faim devient insupportable. L'on a rarement vu les héros Marvel sous un tel angle. Ici, plus de menace à combattre ou de justification morale à trouver, le seul but est de manger, salement si possible.
L'humour de Kirkman est particulièrement efficace (cf. la scène #22 de notre Bêtisier Marvel), l'on sent tout le plaisir qu'il a à malmener des tas de personnages cultes. Signalons également les covers, d'Arthur Suydam, qui reprennent toutes, en version zombie, une couverture "historique" plus ou moins connue.
Original et en plus, hors continuité, autrement dit accessible à tous. Et parfait pour commencer un régime.
Haunt
Un titre cette fois au ton bien plus sérieux que les récits habituels de Kirkman. Le résultat de son association avec McFarlane est-il à la hauteur de nos espérances ?
Tout ou presque oppose les frères Kilgore. L'un est prêtre, l'autre agent secret. L'un est brun, l'autre blond. Et surtout, l'un est vivant, l'autre mort.
Daniel est encore sous le choc de la disparition de son frère lorsqu'il se rend compte qu'il peut le voir et même lui parler. Plus troublant encore, dans les situations de danger, lorsque Kurt, sous sa forme spectrale, s'associe à Daniel, ils donnent alors naissance à une étrange créature aux pouvoirs étonnants.
Les situations de danger, justement, cela ne va pas manquer, car une organisation est à la recherche du carnet de notes d'un scientifique abattu par Kurt. Pour mettre la main dessus, elle n'hésite pas à s'en prendre à ses proches. Daniel et son ectoplasme de frangin vont donc devoir faire équipe pour sauver notamment la femme qu'ils ont tous deux aimée.
La cohabitation ne sera pas facile, à cause du passif existant entre les deux hommes mais aussi parce que leur fusion risque d'avoir des effets, notamment physiques, imprévus et peu agréables...
Rappelons que le concept original est de Todd McFarlane (ce dernier s'occupant également de l'encrage et de certaines covers), le scénario est de Robert Kirkman, le découpage et les crayonnés de Greg Capullo, et enfin la finalisation des dessins de Ryan Ottley. Rien d'étonnant finalement à ce que Haunt soit l'œuvre la moins personnelle de Kirkman, en tout cas celle qui est la moins impactée par son style.
L'idée de départ possède de nombreux points communs avec Spawn : le type qui revient de l'au-delà, le costume symbiotique, l'épouse en danger ou même la profession du défunt par exemple. Même graphiquement, Haunt fait tout de même pas mal penser à son cousin infernal. Ceci dit, son look n'en est pas moins réussi pour autant.
Le "fonctionnement" du (ou des) personnage(s) s'écarte par contre un peu plus des sentiers battus. Daniel peut voir son frère, lui parler également, mais lorsque ce dernier le touche ou pénètre entièrement en lui (dit comme ça, ça a l'air dégueulasse non ?) une matière ectoplasmique s'échappe du nez et de la bouche de Daniel pour recouvrir entièrement son corps. Oui, en quelque sorte, il "vomit" son costume, qui est en fait son frère. Imaginez un peu le truc dans la réalité :
— Mais enfin Régis, c'est une écharpe qui te sort par le nez !?
— Oui mais ne t'inquiète pas, c'est Franck, mon frère mort dans des circonstances épouvantables. Il me sert de manteau aussi maintenant.
Il y a quand même peu de chances pour qu'on vous réinvite à dîner après un coup pareil.
Bref, une fois la transformation effectuée, les deux frères restent conscients et cohabitent donc à l'intérieur du même corps. Ils peuvent même se parler d'ailleurs. Tout cela a l'air absurde mais ça fonctionne en fait relativement bien.
En gros nous sommes donc face à un récit d'espionnage, assez violent (voire sanglant), mâtiné de fantastique. Les auteurs flinguent, découpent et hachent allégrement, ce qui réserve donc l'œuvre à un public averti. D'autant que certaines scènes sont vraiment poignantes. La plus dérangeante est sans doute ce petit garçon, atrocement mutilé suite à des expériences, que l'on voit jouer, le regard triste, avec une figurine. Et c'est là que l'on se rend compte que les détails sont parfois très importants. Car, sans la présence du jouet, il n'y avait qu'un "monstre" sur lequel l'on pouvait vaguement s'apitoyer en faisant une petite grimace de dégoût, alors qu'ici, en lui rendant son humanité (et son jeune âge) par le biais d'un simple jeu, l'image n'en est que plus percutante et dramatique.
Outre l'hémoglobine et l'action, ces épisodes s'intéressent également aux histoires de cœur (et de cul, les deux allant souvent de pair) des frangins. Le fait est que les personnages féminins sont assez nombreux et que le brave Kurt, avant de passer l'arme à gauche, a eu une vie sentimentale visiblement bien remplie.
La VF est publiée par Delcourt. Hardcover et papier glacé.
Niveau bonus, l'on retrouve un sketchbook de trois pages et une postface de Kirkman. C'est un tout petit peu léger en comparaison de ce que l'on avait déjà pu trouver dans les revues kiosque, non seulement parce qu'il s'agit de matériel déjà publié, mais surtout parce qu'il manque des éléments qui étaient présents dans la preview publiée dans Les Chroniques de Spawn #26. À la limite, pour les nouveaux lecteurs, il aurait peut-être été intéressant d'ajouter le portrait de McFarlane (4 pages) paru, lui, dans Les Chroniques de Spawn #27 (d'autant que le public librairie est en général moins connaisseur que les fidèles du kiosque). Mais bon, au moins il y a un petit quelque chose en plus, ce n'est pas le cas avec tous les éditeurs.
Une série violente, bien réalisée, mais qui reste un peu plate sur la longueur malgré de vrais bons moments.
La version SF de Walking Dead
L'on ne pouvait pas parler de Kirkman sans évoquer sa roublardise et son côté provocateur.
Au départ, lorsque Kirkman présente le pitch de The Walking Dead aux responsables de Image Comics, ceux-ci ne sont guère emballés. Il faut dire que les zombies ne sont, à l'époque, plus du tout à la mode. Du coup, certain d'avoir une bonne histoire et ne voulant pas que le projet tombe à l'eau, Kirkman va en faire une présentation quelque peu "arrangée". Il prétend en effet que les zombies sont en fait le prélude à une invasion extraterrestre, transformant ainsi son récit de survie en quelque chose de bien plus SF.
Bien entendu, il n'a jamais eu l'intention de réellement faire prendre ce virage à sa série. Et une fois le succès arrivé, les pontes d'Image ne l'ont pas emmerdé avec ça.
Cela a cependant abouti, bien plus tard, à un clin d'œil savoureux qui a donné des sueurs froides à quelques fans de TWD.
Dans le numéro #75 de la série US, Kirkman place à la fin une courte histoire parodique, et en couleurs, de sept planches. Sur celles-ci, l'on peut découvrir une version alternative des évènements, inspirée du mensonge du scénariste, quelques années plus tôt. L'on voit ainsi l'invasion extraterrestre, avec des martiens ridicules, et certains personnages font leur retour dans des tenues plutôt super-héroïques qui n'ont rien à voir avec l'atmosphère de la série culte.
Plutôt drôle : malgré les explications de Kirkman dans son édito, certains lecteurs ont tout de même cru qu'il s'agissait réellement de la suite ! Bon, pas les plus futés de la bande, visiblement, parce que même sans explications, ce court épisode, très différent sur le fond et la forme, sentait clairement la parodie.
En France, Delcourt a choisi de ne pas ajouter ce supplément dans les tomes librairie de TWD. Celui-ci a été par contre publié dans Les Chroniques de Spawn #35.
Nous dévoilons, ci-contre et ci-dessous, deux extraits pour ceux qui auraient raté cette savoureuse blague.