Astonishing X-Men #1 : Gifted


En 2004, Marvel lançait une nouvelle (nouvelle) mouture pour sa série phare sur les mutants, qui avait connu des sommets de popularité au moment où Jim Lee était venu illustrer les intrigues tortueuses de Chris Claremont. Ce dernier en terminait avec X-Treme X-Men et avait perdu de son aura, ronronnant sur des histoires emberlificotées qui plaisaient de moins en moins. Ce qui a sans doute poussé les pontes de la Maison des Idées à embaucher des artistes pleins d'avenir afin de donner aux X-Men le coup de boost nécessaire.

Engager Joss Whedon peut sembler paradoxal de prime abord, mais à bien y réfléchir, le créateur de la série à succès Buffy contre les vampires constituait un choix logique, quoique audacieux : le New-Yorkais savait plaire au public par ses dialogues piquants et autoréférencés, il avait été récompensé pour son travail sur le script de Toy Story et il s'était déjà frotté à l'univers mutant en œuvrant en 2000 sur le scénario du film de Bryan Singer ainsi que sur une adaptation de la série en animation. Il n'y avait pas le côté iconoclaste rebelle de certains de ses contemporains, mais bien au contraire un amour respectueux pour les héros de sa jeunesse et les figures majeures de la culture populaire. Il avait le profil pour élaborer une sorte d'antithèse à la période Morrison en mettant en avant le retour à une certaine tradition.

Et cela s'avère patent dès les premières pages, avec des références criantes au passé à partir de citations, voire de rappels de glorieux épisodes essentiellement axés sur la période Byrne-Claremont : en suivant une Kitty Pryde de retour au bercail (après un long intermède avec Excalibur notamment), Whedon semble s'atteler à faire resurgir les moments glorieux comme les heures les plus tragiques, sans omettre quelques savoureuses anecdotes qui constitueraient le sel (et la base) de ses histoires à venir. On constate chez lui la volonté intransigeante de faire progresser l'intrigue par le biais de ses personnages, lesquels sont développés sans lourdeur excessive au long de petits intermèdes souvent teintés d'humour, parfois de nostalgie ou d'une certaine amertume, entre deux épisodes plus explosifs dignes des grandes conflagrations auxquelles la série s'est prêtée. Sa maîtrise du médium télévisuel rejaillit sur son écriture, fluide et dynamique, qui ne s'embarrasse jamais d'introductions ou d'explications rhétoriques : le propos n'est jamais verbeux et il sait céder la place à l'image lorsqu'elle peut se passer de commentaires.

Sur ce plan, l'alchimie avec Cassaday s'avère concluante : tant dans sa succession de vignettes focalisées sur un visage ou par la mise en avant des personnages (au détriment d'arrière-plans réduits à leur plus simple expression, avec des décors minimalistes - sans toutefois tomber dans l'excès de l'époque Rob Liefeld), le dessinateur lauréat d'un Eisner Award pour Planetary allait conquérir le public et les critiques et en décrocher deux autres successifs pour Astonishing X-Men. Même si l'on peut trouver son travail sur Je suis Légion plus méticuleux, il faut reconnaître que sa mise en images du script de Whedon est une véritable réussite, bien aidée par la colorisation de Laura Martin, qui privilégie les cases monochromes conférant une ambiance singulière, quasi-psychédélique, à ces planches.


Dans ce premier arc, qu'on peut retrouver en version brochée en VO comme en VF, et qui constitue la moitié du tome 1 de la version Deluxe, le lecteur suit le retour en grâce de Kitty Pryde, dans une ambiance tendue : en effet, elle n'a pas oublié qu'à l'époque où elle avait rencontré les X-Men (contactée par le professeur Xavier, elle avait pu échapper au piège tendu par le Club des Damnés - cf. l'inoubliable run de John Byrne sur la saga du Dark Phoenix), leur ennemie de l'époque n'était rien moins que l'actuelle co-leader de l'équipe, Emma Frost. Cette dernière, filant le parfait amour avec un Cyclope déterminé à redorer le blason des mutants (cf. les New X-Men), jure ses grands dieux que son objectif est d'aider au respect des valeurs inculquées par le professeur, qui s'est retiré des affaires courantes à Genosha. Leur rivalité crève les cases et Whedon ne se prive pas pour leur prêter bon nombre de phrases assassines dans n'importe quel contexte. 


Néanmoins, si Kitty avoue haut et fort qu'elle ne peut pas passer outre les horreurs passées, elle est prête à collaborer avec ses anciens partenaires pour reconstruire un avenir à leur espèce, plus que jamais menacée. Il y a les étudiants de l'Institut d'abord, qui doivent apprendre à maîtriser leurs pouvoirs dans un monde qui ne parvient pas à les accepter. Et il y a le statut de l'équipe, pour lequel Scott Summers a de grandes ambitions : puisqu'ils ont, plus souvent qu'à leur tour, sauvé le monde sans obtenir la reconnaissance qui leur est due (et dont jouissent les autres équipes de super-héros, Avengers en tête), il est temps d'endosser ce rôle de sauveur et de revenir aux basiques. D'où le retour aux costumes d'antan, uniformes chamarrés et flamboyants porteurs d'un nouvel espoir. 


Et les voilà confrontés à un alien ultra-puissant qui les balaie comme des fétus de paille dès leur première intervention. Ça la fout mal, mais pas le temps de ravaler leur fierté que déjà une autre menace, plus sourde, se profile : un médecin affirme avoir mis au point un traitement permettant de guérir... de la mutanité (mutantisme ?), c'est à dire de permettre à des mutants, et a fortiori des individus souffrant d'une mutation trop voyante ou handicapante, de redevenir humains. En instituant ouvertement que le gène X constitue une maladie, et qui plus est une maladie dont on peut guérir, le Docteur Rao lance une véritable bombe qui met en péril l'équilibre fragile instauré par Xavier. Les X-Men se retrouvent donc à lutter contre un coriace adversaire qui leur en veut pour des raisons inconnues tout en se déchirant dans un débat éthique qui chamboule leurs convictions les plus profondes. Et pendant ce temps, des milliers de mutants affluent au centre de recherche afin de se faire retirer ce qui les rendait différents... Les cinéphiles auront bien entendu reconnu le point central du scénario de X-Men 3 : l'Affrontement final, film mal foutu et trop ambitieux, rejeté par les fans mais qui s'était essayé à entremêler cette intrigue et celle du Dark Phoenix cité plus haut.


Les six épisodes de l'arc Gifted nous offrent donc un récit enlevé, intense, percutant qui ne s'embarrasse guère de longues présentations ou d'explications verbeuses : les dialogues sont brefs et piquants, régulièrement ponctués de petites touches ironiques qui font souvent référence au passé chaotique de nos héros, les séquences d'action sont tout aussi brèves mais explosives avec un souci constant de trouver le cadrage idéal qui donnerait plus d'impact aux coups tout en renforçant le travail d'iconisation de l'équipe. Whesdon ne se prive pas d'insérer les ébauches de sous-intrigues habituelles (nouveaux personnages, nouvelle organisation, sous-entendus et menaces dans l'ombre) qui permettront de développer la série. Et l'habituel retour d'un ancien personnage-qu'on-croyait-disparu est traité ici avec élégance et humilité, engendrant l'une des plus belles couvertures de la série. L'on pourra éventuellement regretter que Wolverine soit un poil limité par moments, se laissant surprendre trop facilement (mais il saura se rattraper sur la fin).

Classique dans sa conception mais moderne dans sa réalisation : une réussite.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le retour des X-Men de la grande époque, les costumes chamarrés et les valeurs humanistes.
  • Un auteur qui respecte ses aînés et ses personnages.
  • Une intrigue percutante, des sous-intrigues qui menacent dans l'ombre : c'est digne de Claremont.
  • Des dialogues piquants et vivants, une écriture et un découpage dynamiques.
  • Un Cassaday en grande forme dans ses cadrages, magnifiquement mis en couleurs.
  • Des couvertures iconiques.


  • (Presque) rien.