Les New X-Men de Morrison
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Retour sur le run de Grant Morrison sur New X-Men, qui a profondément bouleversé à l'époque les mutants et l'institut Xavier.

Grant Morrison fait partie des scénaristes qui laissent en général une profonde empreinte sur les séries qu'ils prennent en main. S'éloignant souvent des sentiers battus, capable d'insuffler un souffle épique autant qu'une grande émotion dans ses récits (cf. We3), Morrison va complètement dynamiter l'univers des X-Men au début des années 2000. Pendant une quarantaine d'épisodes (New X-Men #114 à #154 auxquels il faut ajouter l'annual 2001 de la série), l'auteur entraîne les mutants dans un univers glauque et en profite pour installer de nouveaux personnages aux pouvoirs plutôt... discutables.
Mais voyons tout d'abord l'intrigue.

Il y a quelque chose de pourri au sein de l'institut Xavier.
Sage, venue enquêter avec Bishop sur un crime perpétré dans la fameuse école, ne s'y est pas trompée. Drogue, émeutes, adultères télépathiques, assassinat, l'institut n'est plus un havre de paix pour les mutants. Les X-Men ont troqué leurs costumes colorés contre des cuirs modernes, sombres, poussiéreux. Dehors, la haine envers les mutants grandit. Peu à peu, le rêve de cohabitation pacifique de Charles Xavier s'effrite, s'érode pour finalement s'écrouler, vaincu par le souvenir d'un Magneto disparu et les 16 millions de victimes de Génosha.
Même les pouvoirs ne sont plus aussi attractifs que par le passé, d'ailleurs, pour certaines mutations, peut-on encore parler de pouvoirs ? Êtres désincarnés, monstrueux, sans visage et à l'âme torturée, les nouveaux mutants n'ont souvent rien d'enviable. Leur seul point commun ? La souffrance peut-être. Même Emma Frost, cruelle, insensible, manipulatrice, se révèle subitement fragile et amoureuse d'un Scott Summers, moins leader que jamais, qui se retrouve à prendre une cuite au Club des Damnés, tentant d'oublier ses doutes pendant que des laiderons télépathes dansent et aguichent le client à coup de manipulations mentales.
Les professeurs vacillent, les élèves se rebellent tandis que les humains, eux, se préparent pour la guerre génétique qui se profile à l'horizon.


Après une édition en Deluxe, Panini a eu la bonne idée de rééditer ces épisodes en Marvel Select, une édition bien plus abordable financièrement (17,50 € le volume). Les quatre tomes sont toujours disponibles en neuf (E comme Extinction, L'Arme XII, Un Vent de Révolte et Planète X).
L'ensemble est plutôt spectaculaire et graphiquement sublime. Frank QuitelyPhil Jimenez et - surtout - Marc Silvestri, entre autres, nous en mettent plein les yeux. Les personnages sont charismatiques et les décors crépusculaires.
Les premiers arcs se concentrent essentiellement sur l'institut Xavier et les relations, parfois houleuses, entre élèves et professeurs. Morrison met également en place des rapports complexes entre un Scott Summers moralement torturé et une Emma Frost abandonnant parfois sa façade glaciale pour se révéler plus humaine et touchante qu'à l'accoutumée (cf. cette Parenthèse de Virgul consacrée à la télépathe).

Cet aspect est beaucoup moins important dans le final qui privilégie les affrontements et dénoue quelques intrigues développées sur le long terme. Il faudra donc, pour bénéficier réellement de toutes les subtilités, considérer l'ensemble du run et non les différents tomes comme des parties isolées.
Si le dernier arc, Déjà Demain, n'est pas le plus facile à suivre, ni même le mieux construit narrativement, il reste épique et étrangement envoûtant.
Tout cela contient des références à divers évènements ou personnages (Génosha, Sublime...), et il ne sera pas forcément aisé de tout comprendre si l'on n'a pas déjà une bonne connaissance de l'univers mutant. Bien entendu, Panini ne fait pas le moindre travail rédactionnel pour faciliter l'immersion : pas de point sur la situation ni même un vague topo sur les personnages. On entend presque une petite voix cynique grogner : "Démerdez-vous, de toute façon, on ne sait même pas ce que l'on publie, alors donner des explications, y a pas de risque !"


C'est surtout la thématique développée par l'auteur qui se révèle passionnante par son côté dérangeant et osé. Les X-Men sont clairement malmenés et menacés même de l'intérieur. De nombreux nouveaux personnages font leur apparition (Cassandra Nova, Fantomex...), les pouvoirs de certains d'entre eux relèvent d'ailleurs plus du handicap que du don, ce qui installe une atmosphère assez étrange et un brin malsaine. Beak, Xorn, Glob Herman ou encore Ernst ont notamment un aspect monstrueux, bien loin des proprets X-Men originels. Le tout sur fond de drogue, d'émeutes et de complots, ce qui souligne encore plus l'ambiance noire, voire cradingue.
L'action pure n'est pas en reste, avec le retour d'un Magneto halluciné (et accro au kick, une drogue qui booste les pouvoirs) qui va prendre le contrôle de New York, ou encore une petite virée dans un futur apocalyptique sur fond de quête du Phénix.

Si vous ne connaissez pas ce pan de l'histoire des X-Men, sombre et lyrique, il est vivement conseillé de le découvrir, ne serait-ce que pour l'ambiance particulière que Morrison a su instaurer.
Les cuirs ont remplacé les tenues moulantes, les pouvoirs cèdent la place à des mutations pour le moins bizarres, voire dérangeantes, et la plupart des leaders sont en proie au doute et remis en cause par des élèves moins naïfs que par le passé.
En somme, les temps changent, et ce n'est pas plus mal.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le tournant, à la limite du glauque, que Morrison impose aux X-Men.
  • Silvestri, magistral.
  • Le travail sur les personnages.
  • Un Magneto "multifacette" fort bien écrit.
  • La relation Emma Frost/Scott Summers.

  • Quelques scènes un peu confuses parfois.
  • La prise de New York, trop abrupte et qui aurait mérité d'être développée.
  • L'absence de tout effort rédactionnel de Panini pour faciliter l'accessibilité à cet univers complexe, aux personnages nombreux.