Strange Fruit, de Mark Waid & J.G. Jones
Publié le
14.8.17
Par
Vance
Toujours intéressant de retrouver Mark Waid et ses variations sur le même thème, auquel il s'attache presque avec acharnement, et d'autant plus intéressant que le traitement du surhomme et de sa place dans la société a vu fleurir nombre d'œuvres plus ou moins réussies, mais généralement pertinentes.
Avec Strange Fruit, édité en avril 2017 dans l'Hexagone, on n'a pas affaire à un succédané de Kingdom Come, ou même d'Irrécupérable : on est plutôt dans la veine du Sauveur, paru un mois plus tôt en France (également chez Delcourt), Waid cherchant à évoquer les réactions engendrées par l'irruption d'un être surpuissant dans une communauté frappée par une tragédie. Cette fois, cependant, comme l'auteur l'explique dans sa postface, le script s'intègre dans un épisode historique, la grande crue du Mississippi en 1927, qui a causé des dégâts considérables, entraîné des centaines de morts et des milliers de sans-abri, pour la majorité afro-américains, des déracinés qui avaient auparavant été exploités jusqu'à la corde dans les plantations et avaient tant bien que mal tenté d'endiguer la montée implacable des eaux du fleuve alors que leurs propriétaires blancs s'employaient à sauver leurs biens et leurs miches.
L'action se déroule à Chatterlee, charmante bourgade sudiste de l'état du Mississippi, avec ses immenses propriétés coloniales, ses politiciens véreux et ses administrés nègres [précisons que le terme est usé à propos, sachant que le lectorat français est moins sensible à sa violence intrinsèque que ne l'est celui d'outre-Atlantique, ainsi que le souligne fort intelligemment Elvis Mitchell, le critique de cinéma auteur de la remarquable préface]. Ceux qui ont vu la Couleur pourpre, ou même O' Brother, retrouveront cette palette particulière de sentiments antagonistes, avec les gentils Noirs ployant sous le joug des méchants Blancs, interpellant parfois les pouvoirs publics, se serrant les coudes mais n'allant jamais jusqu'à la rébellion ouverte. Certes, au milieu de ces admirateurs du Klan surnagent quelques figures plus positives, comme la veuve Lantry, plutôt bienveillante, mais on sent bien que tous, du shérif au sénateur, ont en eux cette haine farouche envers l'individu de couleur née de la peur et de l’incompréhension. Leur attitude face à ce curieux ingénieur venu de Washington (un Nègre en costume de ville, lunettes d'intello et au regard aigu) est assez délectable à interpréter et s'ils obtempèrent en maugréant aux indications du bonhomme - l'urgence de la situation ne laisse pas beaucoup de latitude, les digues ont cédé en plusieurs points en amont, les pluies torrentielles ne cessent pas et la ville risque d'être purement et simplement engloutie - ils n'en changent pas pour autant leurs intentions envers les anciens esclaves.
C'est alors que, littéralement tombé du ciel, survient un colosse, d'une force considérable, d'une taille à l'avenant. Sa peau résiste aux balles. Sa peau, qui est noire. Évidemment, les jeunes voient en lui un Messie, qui viendra les extirper de la fange dans laquelle ils pourrissent - quitte à botter le cul de tous les propriétaires blancs. Mais l'Être ne parle pas et, s'il sauve un Noir qui fuyait devant des Blancs déterminés à le lyncher, il ne semble l'avoir fait que par réaction humaniste. Plutôt que de tout détruire, il choisit d'accepter d'être emprisonné, tout en ingurgitant les données contenues dans les livres traitant du seul langage universel : les mathématiques. Un langage que comprend fort bien l'ingénieur qui voit en lui le seul élément capable de sauver la région du désastre imminent : les nouvelles digues ne seront pas achevées à temps et les tensions inter-communautaires ne facilitent pas l'organisation des travaux d'urgence. Mais comment le lui faire comprendre alors que certains rednecks cherchent déjà à le supprimer, lui qui représente tout ce qu'ils exècrent ?
Les illustrations de J.G. Jones, le talentueux graphiste britannique au style photo-réaliste, donnent le ton et confèrent au sujet une ambiance rétro du plus bel effet, avec ces couleurs délavées et ces teintes sépia, ses cases immenses découpant le récit en grandes tranches à savourer paisiblement. Le comic se lit du coup très vite, les dialogues sont rares (d'autant que le surhomme ne dit pas un mot) et le rythme est soutenu. Les quelques séquences de pure action (ne rêvez pas, on n'est pas dans les Avengers, les combats sont très rares et pas du tout chorégraphiés) peinent cependant à convaincre par le caractère trop statique de leurs crayonnés et des changements de points de vue incongrus.
Tout va donc très vite, et on finit par se rendre compte que l'histoire s'avère bien moins surprenante qu'on l'espérait, comme si on avait déjà assisté aux tenants et aboutissants mille fois.
La conclusion laisse un goût amer mais l'ensemble n'a rien d'impérissable, malgré la gravité du thème abordé.
Avec Strange Fruit, édité en avril 2017 dans l'Hexagone, on n'a pas affaire à un succédané de Kingdom Come, ou même d'Irrécupérable : on est plutôt dans la veine du Sauveur, paru un mois plus tôt en France (également chez Delcourt), Waid cherchant à évoquer les réactions engendrées par l'irruption d'un être surpuissant dans une communauté frappée par une tragédie. Cette fois, cependant, comme l'auteur l'explique dans sa postface, le script s'intègre dans un épisode historique, la grande crue du Mississippi en 1927, qui a causé des dégâts considérables, entraîné des centaines de morts et des milliers de sans-abri, pour la majorité afro-américains, des déracinés qui avaient auparavant été exploités jusqu'à la corde dans les plantations et avaient tant bien que mal tenté d'endiguer la montée implacable des eaux du fleuve alors que leurs propriétaires blancs s'employaient à sauver leurs biens et leurs miches.
L'action se déroule à Chatterlee, charmante bourgade sudiste de l'état du Mississippi, avec ses immenses propriétés coloniales, ses politiciens véreux et ses administrés nègres [précisons que le terme est usé à propos, sachant que le lectorat français est moins sensible à sa violence intrinsèque que ne l'est celui d'outre-Atlantique, ainsi que le souligne fort intelligemment Elvis Mitchell, le critique de cinéma auteur de la remarquable préface]. Ceux qui ont vu la Couleur pourpre, ou même O' Brother, retrouveront cette palette particulière de sentiments antagonistes, avec les gentils Noirs ployant sous le joug des méchants Blancs, interpellant parfois les pouvoirs publics, se serrant les coudes mais n'allant jamais jusqu'à la rébellion ouverte. Certes, au milieu de ces admirateurs du Klan surnagent quelques figures plus positives, comme la veuve Lantry, plutôt bienveillante, mais on sent bien que tous, du shérif au sénateur, ont en eux cette haine farouche envers l'individu de couleur née de la peur et de l’incompréhension. Leur attitude face à ce curieux ingénieur venu de Washington (un Nègre en costume de ville, lunettes d'intello et au regard aigu) est assez délectable à interpréter et s'ils obtempèrent en maugréant aux indications du bonhomme - l'urgence de la situation ne laisse pas beaucoup de latitude, les digues ont cédé en plusieurs points en amont, les pluies torrentielles ne cessent pas et la ville risque d'être purement et simplement engloutie - ils n'en changent pas pour autant leurs intentions envers les anciens esclaves.
C'est alors que, littéralement tombé du ciel, survient un colosse, d'une force considérable, d'une taille à l'avenant. Sa peau résiste aux balles. Sa peau, qui est noire. Évidemment, les jeunes voient en lui un Messie, qui viendra les extirper de la fange dans laquelle ils pourrissent - quitte à botter le cul de tous les propriétaires blancs. Mais l'Être ne parle pas et, s'il sauve un Noir qui fuyait devant des Blancs déterminés à le lyncher, il ne semble l'avoir fait que par réaction humaniste. Plutôt que de tout détruire, il choisit d'accepter d'être emprisonné, tout en ingurgitant les données contenues dans les livres traitant du seul langage universel : les mathématiques. Un langage que comprend fort bien l'ingénieur qui voit en lui le seul élément capable de sauver la région du désastre imminent : les nouvelles digues ne seront pas achevées à temps et les tensions inter-communautaires ne facilitent pas l'organisation des travaux d'urgence. Mais comment le lui faire comprendre alors que certains rednecks cherchent déjà à le supprimer, lui qui représente tout ce qu'ils exècrent ?
Les illustrations de J.G. Jones, le talentueux graphiste britannique au style photo-réaliste, donnent le ton et confèrent au sujet une ambiance rétro du plus bel effet, avec ces couleurs délavées et ces teintes sépia, ses cases immenses découpant le récit en grandes tranches à savourer paisiblement. Le comic se lit du coup très vite, les dialogues sont rares (d'autant que le surhomme ne dit pas un mot) et le rythme est soutenu. Les quelques séquences de pure action (ne rêvez pas, on n'est pas dans les Avengers, les combats sont très rares et pas du tout chorégraphiés) peinent cependant à convaincre par le caractère trop statique de leurs crayonnés et des changements de points de vue incongrus.
Tout va donc très vite, et on finit par se rendre compte que l'histoire s'avère bien moins surprenante qu'on l'espérait, comme si on avait déjà assisté aux tenants et aboutissants mille fois.
La conclusion laisse un goût amer mais l'ensemble n'a rien d'impérissable, malgré la gravité du thème abordé.
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