Shipwreck, de Warren Ellis
Publié le
4.2.19
Par
Vance
Les premières planches donnent le ton : des paysages désolés, aucun dialogue, un personnage perdu, sans doute rescapé du naufrage annoncé dans le titre et qui n'a comme seul repère que ces centaines d'oiseaux noirs qui occultent le ciel comme pour lui donner une direction à suivre, aussi funeste soit-elle.
Le style visuel propre à Phil Hester peut évidemment rebuter les anciens lecteurs de comic books appréciant davantage la ligne claire et les encrages doux : ces silhouettes fantomatiques, ces traits anguleux, ces couleurs criardes malmènent l'œil tout autant que l'absence de narration trouble la pensée. L'homme, le rescapé, tel un Prométhée post-moderne, traçant péniblement sa route dans ces terres perdues, perclus de douleur, ne nous est ni familier ni sympathique. Sa première rencontre dans un vieux diner tout droit sorti d'un film post-apocalyptique nous donnera, si l'on désire aller plus loin, autant d'indications que de mystères à moudre : c'est un officier de police qui l'attend, et qui le connaît, et qui sait en outre qui il poursuit.
Car, tel le Pistolero de La Tour sombre, le Dr Charpentier poursuit un homme, celui qu'il accuse d'avoir saboté la mission à laquelle il participait, une mission spatiale ultra-secrète destinée à fournir le moyen à l'Humanité de se sauver de l'extinction de masse qui l'attend au bout du chemin, sur une Terre condamnée. Du naufrage de cette mission sur cet endroit qu'il ne reconnaît pas, il est le seul et miraculeux rescapé, en dehors du saboteur qui aurait quelques longueurs d'avance.
Ce n'est que patiemment, progressivement, dans une lenteur et un flou méticuleusement calculés, que Warren Ellis nous délivre les clefs de compréhension de l'intrigue, par des biais parfois volontairement obscurs. Car Charpentier, sorte d'anti-Mad Max en ces lieux de désolation ruminant les ruines d'un monde mort-né, où la population se réduit à quelques individus aux habitudes étranges et aux propos abscons mais qui lui vouent immanquablement un intérêt malsain, choqué par le crash de son vaisseau et la mort de ses coéquipiers, semble refuser de comprendre où et quand il se trouve, se fiant à un instinct nauséabond qui le pousse à interpréter les signes néfastes comme autant de repères sur une route morbide. À ses côtés, le lecteur hagard se perd en élucubrations, évoque ses souvenirs de science-fiction, les entremêle et les dénoue au gré des révélations au compte-gouttes : Faille dans le continuum ? Bond dans le futur ? Réalités alternatives ?
La lente et désespérante quête du rescapé/naufragé en terre inconnue maintient le suspense vers une confrontation qui se doit d'avoir lieu. Tout, alors, s'éclaircira, au point qu'on en reviendra aux premières planches histoire de réinterpréter les signes qu'on avait mal lus de prime abord : le déplacement singulier du personnage principal, les stigmates de son crash, les délires de cette femme en train de découper son compagnon...
Un one-shot surréel, naviguant sur une réalité tangente, puisant ses artifices dans bon nombre de références du genre tout en continuant de questionner la nature même de l'homme et de son destin. Servi par la hargne et l'ardeur d'un artiste ardu qui transfigure ses cases en jouant sur la symétrie et les concordances, un album à tenter.
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