Chroniques des Classiques : la Patrouille du Temps
Publié le
10.3.20
Par
Vance
Au sein des Univers Multiples dans lesquels évoluent gracieusement les rédacteurs de ce site (U.M.A.C. n'étant pas, comment certains le pensent, l'Union des Mécréants Anonymes & Conspirateurs), la notion de paradoxe temporel fait partie de nos priorités, au point que nous sommes ici particulièrement friands de tout ce qui concerne les voyages dans le temps ainsi que tout récit cherchant à briser la linéarité chronologique et les liens de causalité habituels.
Ainsi, lorsque le grand Kirk Douglas passa l'arme à gauche, Nolt et moi n'avons-nous pas immédiatement pensé au méconnu Nimitz, retour vers l'enfer lorsque d'autres chantaient les louanges de Spartacus ? C'est qu'on est grands amateurs de ce genre d'histoires, au point de vous proposer quelques pépites qui valent le coup chaque fois que l'occasion se présente (cf. cette sélection de films et sa suite ou encore cet article sur l'excellent Predestination).
Voyons voir de plus près ce recueil dont la première histoire est parue en 1955 : nous y suivons la formation et les premières missions de l'un de ces Gardiens du Temps, Manse Everard, un Américain recruté dans le but de rectifier les erreurs dans le flux temporel, voire les crimes contre le cours du temps. Avec son style alerte, sa grande culture (à l'instar de Zelazny, Anderson semble être très à l'aise avec les mythologies et connaît sur le bout des doigts les rouages de l'Histoire de l'humanité) et une vision rigoureuse du futur, l'auteur nous entraîne en différents points de notre continuum afin de tenter de rétablir ce qui a été, volontairement ou non, défait, menaçant ainsi jusqu'à son existence même.
Par sa configuration et les missions qu'elle se donne, cette Patrouille ressemble en de nombreux points à l'organisation décrite par Isaac Asimov dans La Fin de l'éternité, roman très réussi sur les paradoxes temporels. À la différence que Poul Anderson intègre nombre de péripéties dans ses récits très mouvementés, privilégiant l'action aux dialogues, dans lesquels le Patrouilleur Everard aura souvent fort à faire - et pourra rarement compter sur sa hiérarchie, voire sur ces Daneeliens qui, loin dans notre avenir, rectifièrent les balbutiements des premiers voyages temporels et instaurèrent les règles à l'origine de la Patrouille. Tout en nous expliquant l'élasticité de la trame temporelle (qui fait que, en gros, la modification d'un événement mineur n'aura que peu de répercussions, lesquelles seront elles-mêmes avalées par un flux se cicatrisant de lui-même), l'auteur, par le biais de ses personnages, stipule tout de même que certains événements majeurs, sorte de points nodaux dans le développement des civilisations, doivent être protégés car un changement dans ceux-ci entraînerait des bouleversements aux proportions inimaginables. C'est d'ailleurs ce qui semble être le cas dans la quatrième nouvelle (Delenda Est), où Everard, parti en vacances, se retrouve dans un monde différent de celui qu'il connaissait, avec une Amérique du XXème siècle figée à l'ère de la vapeur et adorant des divinités babyloniennes tandis que l'Europe est sous le joug d'un empire celte. Il comprend que quelque chose a modifié le continuum à un endroit précis de la trame temporelle, et il lui faut mener une enquête minutieuse et délicate sur l'Histoire de cette civilisation qui n'a pas évolué comme celle dont il est issu. C'est d'ailleurs le modus operandi des Patrouilleurs, qui tels des chrono-détectives, effectuent une enquête à rebours en partant des conséquences pour remonter aux causes premières afin de trouver l'événement-clef qui a tout fait basculer.
Cette manière de procéder est particulièrement bien mise en lumière dans la première nouvelle, qui fait figure d'introduction à l'univers et pourrait par conséquent servir de mode d'emploi à un jeu de rôles fondé sur la franchise : suite à sa formation à l'Académie
des patrouilleurs (sise en plein oligocène, époque vierge de toute trace humaine et donc très peu susceptible d'engendrer de fâcheuses répercussions sur les civilisations à venir), Everard mène une première enquête moins
routinière qu'elle n'en avait l'air, qui l'amènera avec un collègue anglais dans le
Londres de 1894 afin de remonter à la source d'une découverte mystérieuse de
lingots radioactifs dans un tumulus antique - l'occasion de se frotter à la
perspicacité d'un "enquêteur privé" doté d'un puissant esprit de
déduction mais dont le nom ne sera malicieusement jamais cité - aux lecteurs de deviner sans trop de difficulté l'identité de ce super-détective britannique. Une histoire virevoltante et ludique où l'on s'apercevra qu'il n'y a pas vraiment de place pour la sensiblerie et les sentiments dans les rangs de la Patrouille, dont les agents, même les moins expérimentés, sont régulièrement appelés à faire des choix drastiques afin de sauvegarder ce qui peut l'être.
L'histoire suivante (Brave to be a king) donne d'ailleurs le ton général des nouvelles :
Everard se retrouve avec un cas de conscience, un de ses amis étant impliqué
dans un événement majeur dans l'Antiquité, à l'époque des Guerres médiques - et
il a disparu, le fripon ! C'est sa dulcinée qui le supplie d'aller le retrouver en cette époque,
contrevenant ainsi à plusieurs des articles du règlement des Patrouilleurs.
Pour son ami et les beaux yeux de la jeune femme (pour laquelle il voue un amour sans réciproque), Everard
devra trouver ce qui est arrivé et tenter de réparer ce qui peut l'être avant
l'intervention des autres Patrouilleurs, risquant ainsi son poste, si ce n'est sa vie. On va de surprise en surprise dans un univers présenté par le menu, foisonnant de descriptions minutieuses prouvant la puissante culture de l'écrivain.
Le troisième récit (The Only Game in Town), assez ambitieux mais moins intense, met
Everard et un autre collègue aux prises avec des envoyés du grand Khan en... Amérique : une troupe de Mongols est sur le point d'annexer un continent entier au plus grand empire
terrestre. Sauf que, malgré leur puissance technologique et leur expérience,
les Patrouilleurs seront rapidement défaits par des Orientaux roublards ignorant
la peur, et il leur faudra faire preuve de beaucoup de patience et d'autant de perspicacité pour se sortir
de ce mauvais pas et préserver notre Histoire.
Quatre textes plaisants, bien construits, dotés d'un
suspense de bon aloi et nantis d'une flopée de références culturelles et
historiques qui procurent une lecture agréable et revigorante et offrent quelques petits vertiges malicieux dans les perspectives de paradoxes temporels.
À noter que les traducteurs qui ont officié sur ces textes ne sont pas toujours les mêmes, sans doute du fait des éditions originelles en magazine (la traduction de Michel Deutsch - deuxième nouvelle sur les quatre - apparaissant étrangement niaise) et que l'édition Marabout n'est pas exempte de coquilles disgracieuses malgré une présentation plaisante sur un papier au toucher agréable (on n'en fait plus des éditions de poche comme ça, ma bonne dame !).
À noter que les traducteurs qui ont officié sur ces textes ne sont pas toujours les mêmes, sans doute du fait des éditions originelles en magazine (la traduction de Michel Deutsch - deuxième nouvelle sur les quatre - apparaissant étrangement niaise) et que l'édition Marabout n'est pas exempte de coquilles disgracieuses malgré une présentation plaisante sur un papier au toucher agréable (on n'en fait plus des éditions de poche comme ça, ma bonne dame !).
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