Tuniques Bleues : La Transition
Publié le
5.2.24
Par
Nolt
À ce jour, les aventures du sergent Chesterfield et du caporal Blutch sont déclinées en 67 albums. Après leur création en 1968 par Louis Salvérius et Raoul Cauvin, les personnages vont être pris en main par Willy Lambil, toujours accompagné de Cauvin au scénario. Le duo va engranger les albums jusqu'en 2019, Cauvin annonçant alors qu'il souhaite arrêter d'écrire Les Tuniques Bleues. Le tome 64 sera donc le dernier du tandem Lambil/Cauvin. À partir du tome 66, c'est Kris (alias Christophe Goret) qui prendra le relai au scénario. Mais c'est le tome 65, intitulé L'Envoyé Spécial, qui va faire office de parenthèse et de transition un peu spéciale.
Tout d'abord, étonnamment, le tome 65 sera publié avant le 64. Il permet donc aux auteurs originels de peaufiner leur dernière collaboration tout en laissant du temps à Dupuis pour trouver un nouveau scénariste attitré. Dans le milieu des comics, on appelle ça un "fill-in". C'est à la base une sorte d'épisode "bouche-trou" qui permet aux auteurs de rattraper leur retard. Ça n'augure souvent rien de bon, et pourtant, ce tome 65 va se révéler d'une qualité exceptionnelle.
Cet album va être dessiné par Jose Luis Munuera, il sera également scénarisé par ce dernier et Beka (Beka étant un pseudonyme regroupant un couple de scénaristes, à savoir Bertrand Escaich et Caroline Roque).
Et la première chose que l'on ressent en voyant "Beka" sur la couverture, c'est une petite appréhension. Les deux bougres sont en effet spécialisés dans des BD quelque peu... je ne trouve pas d'adjectif qui ne soit pas insultant, mais bon, ils cherchent aussi. Quelques exemples de leurs nombreuses œuvres : Les Fonctionnaires, Les Foot Maniacs, Les Rugbymen ou encore Les aventures de Teddy Riner. Autant dire que ce ne sont pas des séries qui brillent par leur aura ou leur ambition (tain, je n'ai jamais été aussi gentil de ma vie, je n'ai même pas dit que c'était de la merde !). Mais, trêve de mauvaiselanguerie (ou de lucidité, selon le point de vue), soit Munuera a eu beaucoup d'influence, soit les Beka sont capables de franchement hausser le niveau, car au final, cet album se tient très bien.
De quoi est-il question ? Eh bien, Chesterfield et Blutch vont être chargés d'escorter un reporter venu d'Angleterre. Il s'agit de William Howard Russell, un journaliste ayant réellement existé et qui a en quelque sorte inauguré la fonction de reporter de guerre, sur le terrain. Mais le type étant plutôt impartial et peu versé dans la propagande, ses articles n'arrangent pas du tout les généraux nordistes et sudistes, ceux-ci souhaitant avant tout préserver leur image en Europe. Ils décident donc, d'un commun accord, d'effrayer ce brave Russell et de lui conseiller fermement de rentrer chez lui...
Le récit, même s'il n'échappe pas à quelques clichés, s'avère intéressant et bien articulé. Il mélange action, humour acide et s'offre même le luxe d'offrir au lecteur un brin d'émotion, le tout sur fond de magouilles et avec un véritable enjeu (voire même deux enjeux parallèles). Le défaut principal de cette histoire reste finalement sa brièveté. Le format 44 planches se montre, encore une fois ici, bien trop "ramassé" et dépassé (à plus forte raison si l'on veut s'offrir des grandes cases voire même des pleines pages magnifiques, et clairement utiles, mais gourmandes en espace). Certaines scènes auraient largement mérité d'être développées, sans parler de la course-poursuite ou même de la partie "Daisy". En si peu de pages, difficile d'installer des sous-intrigues dignes de ce nom et de consacrer suffisamment de temps à la caractérisation de chaque personnage. La conclusion, rapide et un peu terne, est également décevante. À quand un retour aux 62 planches, voire même à plus, selon les besoins de chaque histoire ?
Reste à aborder la partie dessin, qui est un pur régal. Munuera nous offre un festival de décors travaillés et de visages expressifs. Les personnages, principaux et secondaires (Bryan et Tripps font une apparition), sont à la fois parfaitement reconnaissables et pourtant traités avec le style bien particulier du dessinateur, un mélange entre semi-réalisme et tronches "cartoony", suivant les besoins et circonstances. Le découpage et les choix de plan sont eux aussi maîtrisés et servent parfaitement les moments de tension. Le tout est sublimé par une colorisation impeccable signée Sedyas. La lumière est notamment fort bien employée, que ce soit pour les scènes d'intérieur, le crépuscule ou les combats. C'est beau et parfaitement adapté aux nécessités de chaque ambiance. C'est même tellement réussi que les deux planches (du tome 64), signées Lambil et publiées en avant-première à la fin de l'album, font triste mine en comparaison (il faut dire que le papier glacé n'aide pas cette colorisation plus criarde et plus adaptée au papier mat).
Signalons également une interview (6 pages) de l'équipe créative, accompagnée de crayonnés, en début d'album. Les auteurs, après les compliments d'usage sur leurs prédécesseurs, reviennent sur leurs sources d'inspiration et l'idée de départ. Un petit bonus assez sympathique.
Un excellent album, visuellement très soigné, qui marque de belle manière le début d'une nouvelle époque pour la série mais dont le scénario aurait mérité un plus long développement.
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