La Première Leçon du sorcier
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Jusqu’à ce que Richard Cypher sauve cette belle inconnue des griffes de ses poursuivants, il vivait paisiblement dans la forêt. Elle ne consent à lui dire que son nom : Kahlan. Mais lui sait déjà, au premier regard, qu’il ne pourra plus la quitter. Car désormais, le danger rôde en Hartland. Des créatures monstrueuses suivent les pas de l’étrangère. Seul Zedd, son ami le vieil ermite, peut lui venir en aide… en bouleversant son destin. Richard devra porter l’Épée de Vérité et s’opposer aux forces de Darken Rahl, le mage dictateur. 
Ainsi commence une extraordinaire quête à travers les ténèbres. Au nom de l’amour. À n’importe quel prix…

Voilà comment l'éditeur Bragelonne présentait le premier tome de la saga l'Épée de vérité qu'il a commencé à publier en France en 2003. Une saga d'heroic-fantasy s'il était besoin de le souligner, tant le résumé de quatrième de couverture aligne les poncifs : un jeune homme qui s'avère être l'Élu, une arme mythique, un mentor qui est en même temps sorcier, des monstres redoutables, un ennemi implacable désireux de conquérir l'univers et une histoire d'amour aussi passionnée qu'impossible. L'ouverture du livre achève de convaincre : une carte du monde, un peu simplette mais lisible, confirme les soupçons. On est en présence d'une aventure entremêlant les sorts d'un héros valeureux, sa bien-aimée et son guide expérimenté. Bravoure & romance, légendes et mystères, magie blanche et sorcellerie, paysages hauts en couleurs et créatures grotesques, tout ce qui désormais pullule dans les séries pour jeunes adultes envahissant de leurs couvertures chamarrées les rayons de nos librairies et qui nourrissait auparavant les rêves hallucinés des lecteurs des années 40 à 70. C'est même d'un classicisme ahurissant : on y rencontre des dragons qui parlent et une épée enchantée qui ne peut être donnée qu'à celui qui maîtrisera sa magie... Presque un catalogue, sans parler des noms de personnages qu'on croirait issus d'un scénario amateur de Donjons & Dragons.

Examinons ce premier tome d'un peu plus près.
Il s'agit du premier roman publié par Terry Goodkind, une fois qu'il s'est installé dans le Maine (peut-être a-t-il bénéficié de l'influence littéraire de son résident le plus connu, Stephen King ?) en 1994 et qui a rencontré immédiatement le succès, succès qui s'est poursuivi pour atteindre le chiffre faramineux de vingt millions d'exemplaires vendus de la série intégrale ! Évidemment, il a été traduit au plus vite et les éditions J'ai Lu le proposaient déjà au lectorat hexagonal dès 1998.





Au début, c'est pourtant déroutant : l'écriture est certes aérée, avec des paragraphes très courts et incisifs, dans une structure plus proche de celle d'un polar. On y remarque beaucoup de dialogues et, au départ, relativement peu d'action au sein d'un schéma presque exclusivement linéaire. Tout est fait pour rendre la lecture facile, et ne pas parasiter le plaisir simple d'entrer en communion avec les aventuriers, lesquels nous sont ainsi décrits de manière dynamique. C'est un peu le même principe que celui appliqué par Gemmell (l'auteur de Légende) : de la fantasy, certes, mais facile d'accès. Toutefois, là où Gemmell dispose d'un vocabulaire un peu limité - qu'il compense par un sens aigu de l'épopée - Terry Goodkind propose quand même des tournures plus riches et variées, dans un style loin d'être pompeux mais relativement élégant. 




Et ça fonctionne. La carte du début fait minable, mais elle se montre suffisante pour l'instant et est nettement plus utile que celle de Légende. Le lecteur se trouve incontestablement en terrain connu, face à une sorte de synthèse de tous les courants de fantasy précédents : moins disert que Tolkien (Le Seigneur des Anneaux), moins sombre que Michael Moorcock (Elric le Nécromancien, Hawkmoon, Corum...), moins violent que Robert Howard (Conan le barbare), moins volubile que Robert Jordan (La Roue du temps) mais les ingrédients sont suffisants pour créer un spectacle de qualité, riche en péripéties. Et dans tout ça, les sentiments sont profondément mis en avant. Les liens entre les héros sont forts, très forts et tout est fait pour qu'on vibre avec eux. Ce qui permettra, dans les volumes à venir, de les mettre dans des situations beaucoup plus délicates qui nous feront trembler pour eux (souffrance et tortures seront au rendez-vous). Peut-être s'agacera-t-on de la relative passivité de Richard, un peu trop archétypal dans la conception de l'Élu, mais Kahlan est en revanche bien loin des princesses lascives d'autrefois : une femme mystérieuse, dissimulant de lourds secrets et bien décidée à prendre sa vie en mains. L'ensemble des chapitres de ce premier tome baigne en outre dans une sorte de jubilation qui fait beaucoup penser au début de la Saga des Hommes-Dieux de Philip José Farmer (surtout Cosmos privé).

Bien sûr, des dizaines de secrets sont révélés au compte-goutte, certains évidents, d'autres pas tant que cela : quel est donc le pouvoir de l'Inquisitrice ? Pourquoi ne peut-elle pas se lier avec Richard - qu'elle aime pourtant, c'est évident ? D'où le grand méchant Sorcier tire-t-il sa puissance ? Comment sait-il quel artefact ouvrir alors que le Grimoire unique est en possession de Richard ? Quel est le plan du Sorcier ?

Toutes ces questions trouveront leurs réponses et en engendreront d'autres en leur temps, dans une quête agréable comme un bon feuilleton, rythmée et parfois passionnante. Pas étonnant qu'elle ait donné lieu à une série TV qui n'a malheureusement pas eu le financement dont peuvent jouir d'autres adaptations comme La Roue du Temps (sur Amazon Prime), The Witcher (sur Netflix) ou surtout Game of Thrones (HBO).




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le premier tome d'une saga best-seller.
  • Des personnages un peu archétypaux mais dépeints avec tendresse.
  • Tous les ingrédients d'une bonne série de fantasy.


  • Un style un peu léger.
  • Rien de nouveau.