Si la mode actuelle est plutôt aux adaptations de comics en série TV, l'inverse est également courant et permet surtout de continuer un récit avec un budget bien moindre. Voyons tout de suite quelques exemples, qu'ils soient des succès ou de gros ratages.
-- L'Homme qui valait Trois Milliards --
Peut-être êtes-vous trop jeune pour que le nom de
Steve Austin vous dise quelque chose. Dans le cas contraire, vous connaissez forcément
The Six Million Dollar Man, cette série culte des années 70.
Commençons par éclaircir un point. Il n'aura pas échappé aux plus matheux d'entre vous que pour passer de six millions de dollars à trois milliards de francs, il faudrait un taux de change monstrueux. L'on pourrait donc se dire que le type qui a traduit le titre n'était pas un as de la conversion. En fait, à l'époque, les nouveaux francs étaient relativement récents et le prix du bonhomme a donc été exprimé en anciens francs, plus impressionnants et plus parlants pour bon nombre de spectateurs.
Alors, c'est pas de la bonne anecdote historique ça ?
Revenons à la série.
The Six Million Dollar Man est tiré de
Cyborg, un roman de
Martin Caidin. En quittant l'univers du papier pour arriver sur les écrans, le personnage s'est quelque peu aseptisé : exit les doutes existentiels et la violence, place à un héros bien sympathique et propret. Tout commence lorsque le colonel Austin, pilote dans l'armée de l'air, se crashe à bord de son appareil. Heureusement, les avancées technologiques des
seventies vont permettre de le réparer comme une vulgaire bagnole, en lui flanquant deux jambes, un bras et un œil bioniques. En contrepartie - parce que bon, faut pas déconner, ça coûte un max tout ça - Steve Austin devra bosser pour l'OSI, une agence gouvernementale.
La série TV s'arrêtera au bout de cinq saisons (99 épisodes tout de même). Mais, joie et bonheur pour les nostalgiques, la sixième saison a vu le jour, en 2013, chez
Dynamite.
Ce n'est pas la première fois que
L'Homme qui valait Trois Milliards investit la BD. Il y a quelques années, l'on avait eu droit à
The Bionic Man, une version écrite par
Kevin Smith (à la base pour un film qui n'a pas vu le jour). Ce Bionic Man reprenait l'essentiel du concept en le modernisant, ce qui n'était donc pas raccord avec la série TV.
Cette nouvelle
on-going, écrite par
Jim Kuhoric et dessinée par
Juan Antonio Ramirez, constitue donc la suite officielle et s'offre de magnifiques covers, par
Alex Ross, pour faire bonne mesure.
Deux intrigues principales sont développées dans les premiers épisodes. D'une part, une mystérieuse matière, récupérée sur un satellite qui orbitait du côté de Vénus, s'avère être une terrible menace et contamine la jeune scientifique qui tentait de l'analyser. D'autre part, certaines personnes à l'OSI militent pour remplacer Austin par un agent entièrement automatisé. Un androïde en somme, qui n'aurait pas d'états d'âme et pourrait se "ranger" plus facilement entre deux missions. Le prototype (tiré d'une gamme de jouets d'époque) a pour nom
Maskatron et se met à déconner dans les grandes largeurs dès sa première mission.
Évidemment, le contexte est respecté. Nous sommes en pleine guerre froide et les russes font office de grands méchants de service. Les auteurs ont placé de nombreuses allusions (directes ou plus subtiles) à la série et son univers. Outre le fameux Maskatron, l'on retrouve également
Barney Miller (un autre type aux implants bioniques),
Jaime Sommers (alias Super Jaimie en français) rentre en scène dès le troisième épisode, et une référence est même faite à la neotraxin-3, un produit dont il est question
pendant la saison 4, dans l'épisode
The Return of Bigfoot (en VF,
Le retour du Scalpeur).
On a même droit aux célèbres "bruitages", lorsque Steve utilise ses capacités spéciales. Vous les avez encore en tête ? Je vais vous les faire de toute façon, parce que sur UMAC, on ne recule devant rien. Alors, la vision spéciale, ça faisait "bananananana, bananananana" (en tout cas, en anglais et dans les comics, ça donne ça). Et pour l'utilisation des membres bioniques, lors d'épreuves de force ou de super-sauts, ça donne "tenenenene".
Et c'est pas la peine de gueuler, "banana, tenene, c'est pas pareil du tout, c'était pas comme ça !", oui ben, c'est pas évident à retranscrire ! Et le scénariste l'entendait comme ça, et vu que c'est lui qui décide, on s'adapte.
Alors, plus sérieusement, qu'est-ce que ça donne tout ça ?
Eh bien, bizarrement, alors que l'on pouvait s'attendre à un truc un peu cheap et vieillot, ça fonctionne pas mal du tout. Les dessins ne sont pas extraordinaires (à mon sens bien moins bons que ceux de
Bionic Man), Lee Majors et Lyndsay Wagner ne sont pas toujours très ressemblant, et la colorisation n'arrange rien et est un poil criarde, mais on se laisse prendre au jeu et c'est avec un vrai plaisir de gamin que l'on tourne les pages.
De l'action, quelques vannes, du rythme, des références bien placées, tout cela contribue à faire de cette série un agréable voyage dans le temps et la pop culture. Du pur divertissement, fun, simple et efficace.
-- Jericho --
Voilà une série plus récente mais qui malheureusement "bénéficie" d'une suite bien moins aboutie.
Après les plus grands attentats terroristes de l'Histoire, rayant de la carte, à l'aide de bombes nucléaires, 23 des plus grandes villes des États-Unis, la petite ville de Jericho, dans le Kansas, et ses habitants sont livrés à eux-mêmes.
Sans électricité, sans approvisionnement en nourriture, sans police, sans gouvernement... la survie commence.
Dans l'urgence, il faudra prendre des décisions parfois difficiles. Le danger, lui, viendra non d'une puissance étrangère hostile mais d'anciens paisibles voisins, aujourd'hui transformés en prédateurs.
Voilà en gros le pitch qui peut résumer le début de
Jericho, une série TV plutôt bien fichue mais qui ne reçut malheureusement pas un très bon accueil outre-Atlantique. Il fut donc décidé d'en stopper la production alors que la première saison (22 épisodes) s'achevait sur un énorme cliffhanger. Finalement, sous la pression des fans, une seconde et ultime saison (de 7 épisodes seulement) verra le jour afin de donner une conclusion décente aux principales intrigues en cours.
La fin restait cependant suffisamment ouverte pour permettre une suite, cette fois sur papier. Un album, regroupant les six chapitres d'un premier arc, intitulé
Civil War, est paru en 2011. À l'écriture, l'on trouve
Dan Shotz et
Robert Levine, deux scénaristes qui avaient déjà œuvré sur les premières saisons télévisées, ainsi que
Jason M. Burns. Les dessins sont assurés par
Matt Merhoff et
Alejandro F. Giraldo.
Graphiquement, pas de quoi s'enthousiasmer, car même si les personnages sont facilement reconnaissables, les décors restent souvent simplistes, les scènes d'action sont quelque peu figées et les postures parfois maladroites. Niveau récit, après un bref rappel des faits (uniquement les grandes lignes, ce sera nettement insuffisant si vous n'avez pas suivi le début), l'on reprend les choses là où l'on en était resté, c'est à dire à la veille d'une guerre civile.
Toutefois, contrairement au titre de l'arc, il est plus question de préparatifs et de complots en tout genre que de la guerre proprement dite. L'on en apprend notamment beaucoup plus sur
John Smith, le type à l'origine des attentats, et sur ses motivations.
L'explication concernant toute l'opération reste tout de même un peu faiblarde. Bien entendu le tandem Jake/Hawkins est toujours de corvée, ils réussissent là encore l'impossible, même l'extraction, en territoire ennemi et à eux seuls, d'une cible détenue dans une prison de haute sécurité...
Le plus grand changement concerne le glissement progressif (déjà perceptible dans la saison 2) d'un pur récit survivaliste vers une logique d'affrontement à plus grande échelle et la politique fiction. L'ambiance en est radicalement changée. Jericho n'est plus coupée du monde et les opérations militaires et l'espionnage remplacent la tension permanente qu'avait instaurée l'effondrement de la normalité.
L'on a bien encore des nouvelles de
New Bern et de son chef,
Constantino, mais la menace n'est évidemment plus de la même envergure.
C'est sans doute cette radicale évolution (précipitée il est vrai par le peu de succès de la série et la nécessité de boucler l'histoire au plus vite) qui nuit le plus à cette suite. En devenant un récit de guerre, les enjeux ne sont évidemment plus les mêmes, la gestion de la ville devient totalement secondaire (alors qu'une simple querelle de voisins pouvait auparavant dégénérer de la pire manière) et la profondeur psychologique de certains personnages passe à la trappe. Exit aussi les thèmes qui étaient fondamentaux et au cœur de
Jericho : "comment survivre sans les moyens de support classiques ?" devient "comment faire tomber un gouvernement véreux ?", ce qui n'est tout de même pas du tout la même chose.
L'excellente idée de départ, au potentiel pourtant riche, n'a pas tenue la longueur et le titre s'est transformé en sous-V (la série TV, la deuxième en plus). C'est dire le grand écart.
Un début de troisième saison décevant, qui attirera surtout les fans les plus curieux.
-- Sons of Anarchy --
Sorti en France fin 2014, le premier tome de la version comics de
Sons of Anarchy n'est pas en réalité une suite (la série TV ayant une réelle et... définitive fin) mais un récit parallèle.
Kendra, une actrice de films pornographiques, a été témoin d'une scène qu'elle n'aurait pas dû voir. La voici en danger et poursuivie par de dangereux criminels.
Elle décide alors de se rendre à
Charming pour demander la protection de
SAMCRO (Sons of Anarchy Motorcycle Club - Redwood Original), le gang de motards local dont son père était membre.
Tig, qui est encore hanté par la mort de sa fille, va tout tenter pour venir en aide à la jeune femme.
Pour situer l'histoire, précisons que cet arc, publié par
Boom! aux États-Unis, se déroule après le meurtre de la fille de Tig, alors que Jax est devenu président du club.
Première constatation, l'ambiance de la série est assez fidèle. Le scénariste,
Christopher Golden, s'attache à respecter le caractère des personnages et alterne scènes d'action et petites trahisons.
Du point de vue graphique, c'est là aussi très correct. Le dessinateur,
Damian Couceiro, s'en sort plutôt pas mal, tant au niveau des personnages, qui sont tous reconnaissables, qu'au niveau des décors, simples mais bien fichus.
Un petit bémol cependant concernant la représentation du sang (la série étant violente, il y en a quelques litres
tout de même) : on dirait plus de la peinture qu'autre chose. L'effet tient sans doute autant à la colorisation qu'à la manière, trop nette, de délimiter les coulures.
La plus grosse réserve tient cependant à la série elle-même. Pour profiter pleinement de ce comic, il faut l'avoir vue et bien connaître les protagonistes. Entre les magouilles de Clay, le passé chargé de Tig, les allusions à certains personnages disparus ou les relations tendues entre Gemma et Tara, il sera difficile de comprendre vraiment ce qui se joue si l'on n'a pas l'histoire principale en tête.
Ce premier arc, complet, de six épisodes est accompagné par un grand nombre de covers alternatives ainsi que quelques pages montrant l'évolution d'une planche, du storyboard à la version finale colorisée, en passant par le crayonnage et l'encrage.
Élégante hardcover, traduction soignée, le tout pour un peu moins de vingt euros.
Un premier album sympathique qui, sans atteindre des sommets, parvient à restituer l'essentiel du ton de la série TV.
-- True Blood --
Les vampires du vieux Sud conservent-ils leur mordant lorsqu'ils sont dessinés ? C'est ce que l'on va voir avec ce comic, sorti en 2011.
Un petit mot tout d'abord pour ceux qui ne connaîtraient pas la série TV ou les romans de
Charlaine Harris. L'histoire se déroule dans une petite ville de Louisiane, appelée
Bon Temps, où humains et vampires cohabitent. Les dentus, dont l'existence est connue de tous, peuvent s'intégrer grâce à une boisson - le Tru Blood - à base de sang synthétique qui leur permet de se nourrir sans pour autant vider la factrice ou le garagiste du coin.
Bien entendu, certains vampires ont du mal à se contenter de faux sang en bouteille, mais d'autres, comme
Bill Compton, se sont pris de sympathie pour les humains. Ce dernier file surtout le parfait amour avec
Sookie, une serveuse sexy, télépathe et nunuche (plus que Buffy, sisi c'est possible) qui bosse dans un bar appartenant à un métamorphe, également amoureux de la petite blonde de service.
J'ignore ce que donnent les romans, mais l'adaptation TV se laissait regarder et possède un petit côté sulfureux dû à l'omniprésence de scènes assez chaudes.
L'adaptation BD dont il est question ici est basée sur une idée des créateurs de la série, le producteur
Alan Ball et les scénaristes
Elisabeth Finch et
Kate Barnow. Attention, eux, ils ramènent juste l'idée. Le scénario du comic est écrit par
Mariah Huehner et
David Tischman. Quant aux dessins, ils sont l'œuvre de
David Messina, assisté de
Claudia Balboni.
Le résultat de cette association donne donc ce premier arc,
All Together Now, qui ne possède pas de titre en VF et n'est pas non plus numéroté alors que, pourtant, IDW Publishing a prévu de sortir plusieurs tomes. L'intrigue se déroule au Merlotte's - le fameux bar évoqué plus haut - et met en scène tous les personnages principaux, que ce soit Sookie, Bill, Jason, Sam, Tara ou Lafayette. Ils sont bloqués sur les lieux par un vieux démon
amérindien qui se nourrit de honte. Toute l'équipe est du coup invitée à confier ses plus douloureux secrets afin de satisfaire l'appétit de leur étrange invité.
Il s'agit ici de petites anecdotes, à l'intérêt inégal. Rien de bien extraordinaire, même si cela permet de fouiller un peu le passé des protagonistes (que l'on parvient à identifier sans peine) et de conserver une ambiance un peu coquine (bien moins tout de même que dans la série).
Pour un premier tome, l'on pouvait s'attendre à mieux. Il faut dire que les choix effectués (un seul lieu du début à la fin, des anecdotes racontées, des personnages nombreux) n'aident pas particulièrement à bâtir une intrigue solide et efficace. Les lecteurs qui ne connaissent pas déjà la série auront là encore certainement du mal à trouver de l'intérêt à cet opus qui se révèle néanmoins correct.
L'arc qui suit,
Tainted Love, semble toutefois plus prometteur avec une intrigue basée sur du Tru Blood contaminé qui réveille l'instinct de prédateur des vampires et les transforme en fous furieux. À voir...
L'ouvrage contient les covers, des photos tirées de la série TV, une intro de Ball (hihi), la biographie de toute l'équipe artistique et le script détaillé des quatre premières planches. Niveau traduction, ça commence super mal puisque, dès la première page, l'on a droit à une énormité : "la tempête de ce soir frise avec la colère divine". Arf. Évidemment, l'on dit soit "flirte avec" soit "frise" tout court. Un truc pareil d'entrée de jeu, ça donne franchement envie de refermer le bouquin, heureusement, c'est la seule ânerie de l'ouvrage.
Vampires romantiques, sauce redneck, pour jeunes filles émoustillées.
-- Buffy contre les Vampires --
Eh oui, forcément, on ne pouvait pas échapper à Miss Nunuche en personne, la célèbre et irritante Bouffy... heu Buffy.
Fin 2008, la tueuse de vampires est de retour en France (hourra !) pour une
saison 8 inédite et exclusivement éditée en comics. Et si l'on ajoute que c'est
Brian K. Vaughan en personne qui s'occupe du scénario du tome 2, il devient urgent de voir cela d'un peu plus près.
Dans le monde de Buffy, il n'y a pas que les démons qui sèment le trouble et accessoirement la mort. Certaines tueuses, parfois, suivent la mauvaise voie, comme cette jeune anglaise au sang bleu (et aux méthodes expéditives) qui souhaite régner sur les élues. Pour contrer ses plans, Giles va faire appel à
Faith, chargée, malgré son style très rentre-dedans, d'infiltrer la haute société britannique.
Pour Faith, les tentations de rejoindre le camp adverse peuvent se révéler grandes, d'autant qu'elle semble avoir plus d'un point commun avec cette tueuse de tueuses qui a pour but de mettre un terme au destin de Buffy.
Même si je ne suis pas un grand fan de la série TV éponyme, ce tome 2, intitulé
Pas d'avenir pour toi, a néanmoins éveillé ma curiosité, essentiellement à cause du "Brian K. Vaughan" présent sur la couverture.
Le scénariste est en effet le brillant auteur d'œuvres telles que
Runaways,
Y the last man ou encore
The Hood. Plutôt du bon donc même s'il se plante parfois, comme sur le désastreux
Dr Strange, qui nous a valu de frôler le coma par ennui profond. On avance donc à pas prudents. Première étape, l'aspect extérieur. Joli livre ma foi, avec une couverture en dur et une cover aguichante de
Jo Chen. Deuxième étape, on ouvre et on jette un coup d'œil. Tiens, petite déception, malgré le fait que ce volume soit le deuxième de cette fameuse saison 8, il n'y a même pas un petit résumé pour nous expliquer les grandes lignes des épisodes précédents. Fusion Comics doit probablement penser que tout le monde possède le premier. Tant pis, on saute le pas et on passe à la troisième étape ; la lecture.
Faith tient le rôle principal de quatre des cinq épisodes regroupés ici. On ne va pas s'en plaindre étant donné qu'elle est tout de même plus intéressante, comme personnage, qu'une Buffy à la personnalité fadasse (oui ben, je ne peux vraiment pas la blairer, désolé). Malgré ce choix éclairé, le récit ne pousse pourtant pas très loin dans les zones d'ombre de Faith. Son infiltration est rapide, sa mission tout autant et l'on ne frissonne pour elle à aucun moment. Les dessins de
Georges Jeanty sont eux-mêmes assez lisses et, s'ils permettent d'identifier plutôt aisément des personnages ressemblant aux acteurs de la série, ils ne parviennent guère à instaurer plus qu'une ambiance quelconque. On n'en dira pas autant des covers (de Chen, pas les variants de Jeanty), beaucoup plus belles et au charme indéniable.
Joss Whedon himself est de retour sur le dernier épisode dans lequel il est question d'intrigues plus anciennes.
Au final, voilà un livre alléchant (scénariste plutôt doué, matériel inédit, covers magnifiques) dont le contenu se révèle assez insignifiant, sauf peut-être pour les inconditionnels de la blonda... de la jeune et magnifique Buffy, d'autant que le prix reste raisonnable.
Pas le travail le plus inspiré de Vaughan en tout cas.