La Saga du Clone
S'il est un évènement qui a fait couler de l'encre concernant Spider-Man, c'est bien la Saga du Clone.
C'est dans ce très long récit que nous vous proposons de (re)plonger ici.
Les Origines
La première "saga du clone", qui déclenchera des années plus tard celle qui va largement la supplanter par sa longueur et son impact sur le lectorat, a lieu en 1975 dans la série historique du Tisseur, Amazing Spider-Man.
Écrite par Gerry Conway, dessinée par Ross Andru, l'histoire reste alors une classique machination du Professeur Warren, alias le Chacal, qui parvient tout d'abord à créer un clone de Gwen Stacy, dont il était secrètement amoureux, puis de Peter, qu'il rend responsable du destin tragique de sa bien-aimée. Après un combat contre la Tarentule et quelques péripéties, le Chacal est vaincu et le clone de Spider-Man trouve (apparemment) la mort. Peter, qui craint que la police ne se pose trop de questions lorsque l'on découvrira ce corps en tout point identique au sien décide de s'en débarrasser en le jetant dans la cheminée d'un centre d'incinération. Mais en réalité, Peter est loin, très loin d'en avoir fini avec son clone.
L'Histoire
Alors que le Tisseur est infecté par un virus, que sa tante May est (encore) à l'article de la mort et que rien ne va plus avec Mary Jane, un autre Peter Parker débarque dans la vie de Spider-Man. Si ce premier clone, se faisant appeler Ben Reilly, semble amical et résolu à ne pas attirer d'ennuis aux Parker, d'autres surgissent bientôt, tous issus des manipulations génétiques d'un Chacal plus pervers que jamais !
Bientôt, les cartes vont être si brouillées qu'il sera bien difficile pour "les" Peter Parker de définir qui est l'original. Notre vieux Monte-en-l'air vole de drame en drame : il est accusé de meurtre, doit faire face à la mort de sa tante, et, en prime, est confronté à d'étranges êtres, tel Judas Traveller qui semble le considérer comme un sujet d'expérimentation.
Décidément, c'est un sale temps pour les araignées !
Dans la seconde moitié de la saga, Peter Parker, découvre qu'il est en réalité le clone et non le Tisseur originel. Acceptant son statut, résigné, il part à Portland avec Mary Jane, laissant la place au "vrai" Spider-Man : Ben Reilly. C'est alors toute une vie que ce dernier doit reconstruire. Trouver un boulot, un appart, se faire ses propres amis, voilà qui n'a rien d'évident, d'autant que sa ressemblance avec Parker l'oblige à éviter les lieux qu'il fréquentait.
Alors que les choses commencent à s'arranger, c'est un nouveau cauchemar qui débute. Quelqu'un, dans l'ombre, va s'ingénier à détruire la vie de Reilly. Tous les moyens seront bons pour l'atteindre et faire écrouler son univers. Même MJ et son futur bébé sont maintenant en danger. Mais face à l'adversité, ni Ben ni Peter n'ont jamais baissé les bras. Les Spider-Men ne se laisseront pas anéantir sans combattre. Jusqu'à la mort s'il le faut...
Les Omnibus et leurs Auteurs
Panini réédite cette saga en Omnibus en 2008. Ne rêvons pas, même si ces ouvrages sont volumineux, il en faudra deux pour venir à bout du récit. Et encore, il s'agit ici d'une sélection destinée à couvrir la trame principale, certains épisodes secondaires sont donc absents. Le crossover se suit dans les quatre séries arachnéennes de l'époque : Amazing Spider-Man, Spectacular Spider-Man, Web of Spider-Man, Peter Parker : Spider-Man.
Les auteurs sont nombreux, au scénario l'on retrouve, entre autres, Howard Mackie, Terry Kavanagh, J.M. DeMatteis, Dan Jurgens, Todd DeZago ou encore Tom De Falco. Les dessins, eux, sont l'œuvre de Sal Buscema, John Romita Jr, Tom Grummett, Steven Butler, Luke Ross, Steve Skroce, Mike Wieringo ou encore Mark Bagley.
Points forts et défauts
Tout d'abord, il faut remettre cette histoire dans son contexte (c'est-à-dire le milieu des années 90). Les graphismes, notamment la colorisation, ont pris un sérieux coup de vieux en comparaison des standards actuels. Malgré tout, ils ne sont pas vilains pour autant et on éprouve même un certain plaisir à découvrir les traits imparfaits d'un Bagley qui se cherche encore.
La narration, surtout pour les premiers épisodes, est caractéristique de l'époque, avec de nombreux pavés de texte, souvent redondants, décrivant, de manière très emphatique, les affres du héros. On ne peut s'empêcher de songer parfois à Spawn et à son côté verbeux. Cependant, il ne faut pas croire que cette Saga du Clone s'avère ennuyeuse, elle parvient même à passionner le lecteur après une longue mise en place. Certains arcs s'offrent même le luxe d'être émouvants et pas uniquement pleurnicheurs. La mort (provisoire) de May Parker est notamment très touchante et les dernières paroles de Peter constituent un joli moment de poésie doublé d'une référence à Peter Pan ("Pars. Vole. Deuxième étoile à droite... puis tout droit, jusqu'au matin."). Signalons que, même s'ils sont rares, il y a quelques moments humoristiques également (cf. scène 44 de notre Bêtisier Marvel).
Le début du second tome - un tiers environ - se révèle assez peu palpitant, la faute en revenant sans doute à un vilain peu charismatique (la version féminine d'Octopus) et à une intrigue tournant autour d'une réalité virtuelle dont la représentation apparaît, de nos jours, relativement kitsch. Heureusement, le récit, après un temps de décantation, finit par trouver son rythme. Parker "s'exile", Reilly arrive sur le devant de la scène, d'abord en Scarlet Spider puis en nouveau Spider-Man. Une machination assez complexe se met alors en place, et d'anciens et emblématiques vilains, comme Mysterio ou le Super Bouffon, refont surface.
Notons que, si au niveau du Net les auteurs semblaient un peu perdus dans une sorte de conception bizarre à la Tron, certains épisodes paraissent aujourd'hui en avance sur leur temps, notamment Crimes contre la nature qui met en avant des thèmes écologiques à une époque où ils n'étaient pas encore forcément très à la mode. L'espèce de créature présente dans cet épisode a d'ailleurs comme un vague cousinage, au niveau de l'aspect et de la thématique, avec Man-Thing.
Le final est à la fois dramatique et apocalyptique, avec le retour d'un ennemi bien détestable et la mort de plusieurs personnages. Le recul de Marvel (sur les changements éditoriaux prévus) n'est finalement pas si mal et la saga, bien que fort longue et connaissant des creux, se révèle terriblement cruelle. L'on peut retenir quelques scènes, à la fois calmes et belles, comme ce moment où Ben et Peter se retrouvent dans un grenier pour trier leurs souvenirs communs. L'original et le clone sont proches - plus que des frères comme ils le disent eux-mêmes - et cette accalmie avant la tempête, joliment teintée de nostalgie, n'en est que plus touchante.
Ajoutons, pour l'anecdote, que le Ben Reilly de l'époque, lorsqu'il se retrouve seul à New York, est retourné aux fondamentaux du personnage de Spider-Man : célibat, système D pour bricoler de la toile et trouver du pognon, petits boulots et flirts contrariés par son activité, etc.
La Polémique
Pour ceux qui l'ignoreraient encore, les têtes pensantes de Marvel avaient, à l'époque, décidé de remplacer le Parker original (en fait un clone) par le nouveau venu. Cela permettait de faire table rase de près de 20 ans de continuité et d'insuffler au Tisseur une profondeur inégalée (et, accessoirement, de régler le "problème" de son mariage avec MJ). Malheureusement, les lecteurs accueillirent la nouvelle d'une manière plutôt houleuse. Cela peut se comprendre, on leur expliquait, en gros, que depuis 1975 (et l'arc écrit par Conway) ils suivaient les aventures d'un imposteur et que l'on repartait quasiment de zéro.
Or, si dans l'univers 616, seulement cinq années s'étaient écoulées, c'est tout bonnement près de vingt ans de production que l'on demandait aux fans de passer à la trappe. Le tollé (et l'impact sur les ventes) est si immense que la Maison des Idées fait machine arrière. C'est probablement une deuxième erreur (ou la seule), car si l'idée de départ est discutable, il est inconcevable que le lectorat puissent en venir à décider de l'orientation artistique d'une série. Dans une politique éditoriale, c'est tout bonnement ce qu'il y a de plus désastreux : la vue à très court terme.
Comprenons-nous bien, que les lecteurs puissent critiquer la forme d'une série ou mettre en cause des auteurs si la qualité n'est pas au rendez-vous, c'est tout à fait normal (et la sanction se ressent d'ailleurs dans les ventes), par contre, que la masse décide du fond de la trame d'une série, c'est épouvantable, car l'on peut alors dire adieu aux prises de risque, à l'originalité et au domaine réservé de l'auteur, responsable qu'il est du processus créatif dont il maîtrise, seul (ou avec les rédacteurs en chef dans ce cas précis), tenants et aboutissants.
Bah ! C'est du passé et le Tisseur est toujours là et bien là, c'est le principal (et puis, il connaitra bien pire éditorialement avec One More Day...).
Historique ?
Ces ouvrages sont-ils indispensables ? Eh bien, en restant objectif, l'on peut raisonnablement penser que oui.
D'une part, l'on y découvre tout de même la naissance de Scarlet Spider, un type profondément attachant, d'autant qu'on ne l'a pas ressuscité cent fois, lui. On suit également avec intérêt le destin tragique de Kaine. D'autre part, si l'on veut vraiment comprendre la psychologie du Spider-Man actuel (et les innombrables - et presque indécelables pour le profane - clins d'œil à cette époque dans les arcs récents), il faut en passer par là et imaginer le profond traumatisme qu'ont été les clones pour Peter (et pour l'équipe éditoriale !). Au point qu'à un moment, Peter ne savait plus s'il était lui-même (imaginez un clone qui a vos souvenirs et pense être vous, si vous étiez le clone, vous aussi penseriez être l'original... comment alors faire la différence ?).
Enfin, bien que plus anecdotiques, certaines scènes méritent le détour, comme celle ou un très célèbre ennemi du Tisseur lui sauve la vie et lui fait même du... bouche à bouche ! Collector !
Suites et Conclusion
Les Omnibus ne sont pas donnés (65 €) mais valent le détour, et vu l'épaisseur, le lecteur n'est pas volé. La Saga du clone constitue au final un joli moment de nostalgie pour les anciens et une porte d'entrée appréciable pour les nouveaux venus dans l'univers arachnéen.
Plusieurs versions de cette saga mythique verront le jour par la suite, parfois même très tôt. Un What If...? (le numéro 86) a bien évidemment abordé le sujet (avant même la fin de la saga originelle). La Maison des Idées ne manquant pas d'humour, elle va également publier un one-shot, très second degré, intitulé Spider-man : 101 Ways to End the Clone Saga, dès la fin de l'interminable crossover.
En 2007/2008, Brian Michael Bendis (cf. ce dossier) donnera de la saga une interprétation bien différente, avec un Chacal avantageusement remplacé par Octopus, ce dernier voyant d'un mauvais œil la main-mise de Nick Fury sur la communauté super-héroïque. Autre différence cruciale : l'un des clones se révèlera être la Spider Woman de l'univers Ultimate.
En 2010, ce sont Tom DeFalco et Howard Mackie, avec Todd Nauck aux dessins, qui vont écrire une mini-série (publiée dans le Spider-Man hors série #32) proposant une relecture, très condensée, de la saga du clone.
Pour changer, la tante May de notre brave Tisseur est à l'article de la mort et se retrouve à l'hôpital. Rien de bien surprenant donc, sauf que cette fois, Peter trouve à son chevet... un type qui lui ressemble trait pour trait ! Il ne va pas tarder à découvrir qu'il s'agit d'un clone qu'il croyait mort depuis longtemps. Ce dernier, sous le nom de Ben Reilly, a vécu sa vie loin de Parker et de sa famille, résolu à n'être qu'une pâle copie de Peter. Pourtant, un ancien ennemi de Spider-Man va rentrer en jeu et brouiller les pistes, insinuant que le clone ne serait peut-être pas celui que l'on croit. Pour Peter, c'est peut-être le moment de raccrocher ses lance-toiles et de passer le relai. D'autant que Mary Jane attend un heureux évènement. Ben obtient ainsi ce qu'il n'espérait pas. Une famille, une vie bien à lui et le rôle de... Spider-Man. C'est désormais lui qui va patrouiller dans les rues de Manhattan et s'occuper des Octopus et autres cinglés du même genre.
L'on retrouve Kaine, le Chacal, le moment où Scarlet Spider devient le nouveau Spider-Man, bref, à part des changements finalement mineurs et des évènements bien plus compressés, pas de quoi vraiment s'enthousiasmer. Au pire, cela permettra aux nouveaux lecteurs de découvrir les premiers pas de Ben Reilly sans avoir à se ruiner pour un Omnibus.
Par contre, attention, en ce qui concerne l'adaptation, c'est du Panini, donc le festival commence dès la deuxième de couverture du Spider-Man hors série. À côté de l'édito sont présents des dessins des personnages principaux afin de les présenter. Sauf que les mecs parviennent à se planter et à confondre le Chacal avec le... Bouffon Vert (c'est pas comme si le Bouffon était un personnage connu hein, normal qu'on puisse le confondre avec n'importe quel connard en vert).
La présentation de la saga originale, dans l'édito, est également assez stupéfiante. Elle y est décrite comme "apportant un vent de fraîcheur qui a subjugué les lecteurs", étant "dépassée par sa popularité" et "hissant Spider-Man encore plus haut". C'est faire peu de cas du développement très anarchique de l'histoire (qui n'en finissait pas), tout comme de la réaction, brutale, des lecteurs qui n'acceptèrent pas l'astuce du clone pour débarrasser Parker de sa - déjà - trop encombrante épouse.
Cette présentation quelque peu tendancieuse serait-elle due au fait que Panini nous incite ensuite à nous procurer les fameux Omnibus ? Sans doute, mais voilà encore la preuve de leur incompétence et de leurs méthodes de marchands de tapis. La Saga du Clone est suffisamment importante, voire historique, pour susciter la curiosité des lecteurs sans pour autant en faire un chef-d'œuvre ou un succès éditorial qu'elle n'a jamais été.
Vous voilà avertis, amis lecteurs ! À vous de faire votre choix.