Aux Origines du label Marvel Max : Fury



Retour au début des années 2000 avec Fury : Lève-toi et marche, une mini-série qui inaugura à l'époque le label Max.

Nick Fury s'ennuie. Il n'est plus sur le terrain. Les temps ont changé et le voilà bombardé "directeur exécutif du planning opérationnel initial et intermédiaire". Pas vraiment la place d'un vieux bourlingueur.
Lorsque Nick rencontre Rudi Gagarine dans un bar, les deux hommes évoquent leurs anciennes guerres secrètes. États-Unis contre Union Soviétique, SHIELD contre Hydra. Le bon vieux temps des manipulations, des opérations commando et des assassinats. Pour se remettre en selle et faire passer ses élans nostalgiques, l'ancien ennemi de Fury va l'entraîner dans un conflit qui risque de dégénérer rapidement. Une petite île du pacifique est bientôt l'objet de tensions internationales. Une république communiste est mise en place, Cuba et la Chine la soutiennent, les États-Unis menacent d'intervenir.
Fury va avoir sa guerre.
Des gens vont mourir mais ça n'a pas d'importance. Pas vraiment. Car Fury sait qu'au final, quels que soient les gagnants, le monde sera toujours aussi merdique.

C'est à l'aube du XXIème siècle que Marvel lance la ligne Max, censée regrouper des récits musclés et hors continuité. L'on va donc y trouver du matériel adulte, parfois très dur (cf. justement le Punisher de Garth Ennis), des auteurs qui peuvent laisser libre cours à leurs penchants les plus extrêmes, et une prise de liberté avec l'univers classique de la Maison des Idées. Toutefois, à part de rares exceptions (comme le décevant War is Hell), les comics publiés sous le label Max gardent un lien très net avec le marvelverse, notamment par l'intermédiaire des personnages.
À l'époque, pour le coup d'envoi de cette nouvelle gamme, c'est à l'excellent Garth Ennis (Preacher, The Boys, La Pro...) que l'éditeur américain fait appel. Accompagné de Darick Robertson au dessin, l'auteur va mettre en scène Nick Fury (cf. encadré ci-dessous), un baroudeur jouant parfois un rôle central dans certaines sagas mais qui reste finalement peu connu du grand public.


Des choix loin d'être innocents puisque, si Fury est connu pour sa rudesse et son côté rentre-dedans, Ennis est lui un spécialiste des récits violents et transgressifs. L'idéal donc pour se démarquer d'entrée de jeu des gammes plus "gentillettes" et orientées tout public.
Les habitués reconnaîtront ici quelques tics de Garth Ennis au niveau des personnages : le loser un peu décalé et poissard qui gonfle tout le monde (ici le neveu adoptif de Fury, qui peut faire penser au Soap de la série Punisher (cf. la scène #31 de notre Bêtisier Marvel)) ou encore le quasi monstre de foire, à la fois drôle et pathétique (Fuckface, qui évoque le Tête-de-Fion de Preacher). L'on retrouve également l'ultra-violence ou les allusions sexuelles plus ou moins appuyées chères au scénariste mais, surtout, l'on peut déjà sentir l'acidité du propos derrière l'exubérance des scènes.

Car Ennis est tout sauf un chantre du politiquement correct auquel certains auteurs cèdent si facilement en se donnant des airs de rebelles éclairés. Cela ne veut pas dire qu'Ennis est sans reproche. Il utilise aussi ici quelques facilités (ou des raccourcis disons) idéologiques, mais il n'aboutit pas forcément à des conclusions angéliques et monolithiques pour autant. La frontière entre ses "méchants" et ses "gentils" est mince, ses héros sont cassés, aigris, ils ont les mains sales et la conscience qui taraude. Ennis n'hésite pas à dire à ses lecteurs qu'un héros, c'est tout sauf Tintin. Un héros, c'est un type qui baise, qui picole, qui a de la merde sous les ongles et qui serre les dents lorsqu'on lui demande de sourire devant les caméras. Sans doute parce qu'il a trop morflé pour avoir le rictus facile.
Et cette volonté de briser l'imagerie classique du bon samaritain, d'aller au-delà des apparences, est tout à fait respectable. Mieux, c'est un souffle d'air frais qui rend les planches plus légères et l'histoire plus profonde.

Nick Fury : badass par nature, héros par devoir 

Soldat d'élite, ancien agent de la CIA, ex-directeur du S.H.I.E.L.D. et spécialiste des coups fourrés, Nicholas Joseph Fury est de ces personnages cultes qui font partie intégrante de la mythologie Marvel. S'il est respecté (souvent) et craint (toujours) par la plupart de ceux qui croisent sa route, c'est que le gusse a bourlingué, c'est le moins que l'on puisse dire. Entre sa participation aux grands conflits mondiaux (s'il a l'air de ne pas vieillir, c'est à cause d'une potion qu'il a ingurgitée et qui, effectivement, ralentit son vieillissement : pratique pour garder la forme et résoudre certains problèmes scénaristiques), sa lutte contre le terrorisme et son habitude de côtoyer et gérer des surhumains bardés de pouvoirs, le type impressionne. Calme, sûr de lui, il a l'apparente froideur de ces gens qui survivent à tout.

Ses méthodes ? Celles qui sont efficaces. La fin justifie souvent, chez lui, la plupart des moyens. Le président ne souhaite pas prendre en compte son avis ? Peu importe, il recrute une équipe et mène une guerre secrète jusqu'en Latvérie. Il doit récupérer un virus en Russie ? Pas de problème, il y envoie le Punisher. La loi, il la respectera lorsqu'il aura le temps, lorsque les problèmes seront réglés, lorsqu'il fera beau. Un jour, peut-être.
Malgré tout, il ne fait peur qu'aux véritables salopards, pas vraiment au lecteur qui lui garde une certaine sympathie malgré son statut de barbouze aux solutions expéditives. Et en effet, il est difficile de le prendre en grippe ce bougre-là, tant il incarne ce type de héros "larger than life" qui peut s'affranchir des petits règlements intérieurs puisqu'il se bat pour le Bien, un Bien à l'ancienne qui ne s'embarrasse pas de détails ou de teintes de gris. Pour incarner le grand Nick, on imagine facilement un Clint Eastwood vers la cinquantaine, cabossé mais cognant dur.

Pendant la guerre civile qui divisa la communauté super-héroïque (cf. Civil War), c'est lui qui, invisible mais efficace, va fournir un abri à son vieil ami Steve Rogers et aux rebelles. Car, bien sûr, en espion prévoyant, il a toujours un coup d'avance, un repaire sous la main et quelques ficelles à tirer. Et entre l'organisation d'un putsch et la destruction d'un nid de terroristes, il a encore de l'énergie à revendre. Une preuve ? Le lit king size dans lequel reposent, à côté de lui, pas moins de trois demoiselles, apparemment endormies et satisfaites (cf. "Mère Russie", le tome 4 du Punisher dans la collection Max). L'on retrouve d'ailleurs pratiquement la même scène dans le récit dont il est question dans cet article (cf. illustration ci-contre). Eh oui, quand on est un homme, un vrai, les gonzesses, on se les tape par brochettes de trois !

Évidemment, ces clichés, volontairement excessifs et assumés comme tels, renforcent encore plus le côté "énorme" du personnage. Si Fury n'a pas le fan club d'un Spidey ou d'un Wolverine, il faut reconnaître qu'il est l'un des rouages importants du marvelverse. Présent dans les coulisses d'un pouvoir qu'il ne respecte pas vraiment, il agit dans l'ombre pour, à sa façon, arranger les choses. Il a son propre code de l'honneur, sa propre vision de ce qui est juste ou non et un certain sens de l'amitié et de la droiture. Il est entier. Rassurant par son côté tranché. Inventif, présent lorsqu'il le faut, c'est lui que l'on appelle lorsque l'on est dans une situation désespérée et que les moyens habituels de se sortir du pétrin ne fonctionnent plus. Le genre de mec que l'on est prompt à condamner dans l'absolu mais que l'on aimerait connaître dans la réalité, sans trop oser se l'avouer. Et si vous le croisez dans le hall d'un aéroport, que vous lui faites remarquer qu'il n'a pas le droit de fumer ici et qu'il vous répond un sobre '"va chier", excusez-le... lorsque l'on est occupé à sauver le monde, l'on n'a pas toujours le temps d'en suivre les règles. 


Niveau graphisme, l'on est dans du classique, semi-réaliste, avec de vraies "tronches" et une représentation non-aseptisée de la violence. Quelques scènes plutôt osées (comme un type qui se fait étrangler avec ses propres intestins, ce qui est somme toute assez rare) justifient tout à fait l'avertissement présent sur la couverture.
Reste à aborder la traduction... et là, putain, c'est pas triste ! Pour l'identité de la traductrice, je vous le donne en mille... eh oui, c'est la championne du monde, la déesse de la "translation" : Geneviève Coulomb. Alors si vous ne la connaissez pas, comment vous dire... imaginez une Eve Angeli sous acide en train de lire Nietzsche dans le texte et vous aurez une idée du niveau d'incompréhension totale et de nullité crasse que peut atteindre Coulomb (cf. le long encadré de cet article pour plus de détails).

Ici, elle continue de maltraiter des auteurs qui ne lui ont rien fait. Niveau erreurs, il y a un peu de tout, je vais donner quand même quelques exemples. Un truc récurrent chez elle, c'est les expressions "presque" bonnes. C'est à dire que l'on comprend ce qu'elle a voulu dire mais il manque tout de même toujours un petit quelque chose pour que la phrase soit correcte, genre "les troupes ont d'ordre de se borner à observer", ou encore "nous n'enverrons pas les marines avant plus ample informé". Et même quand c'est plus ou moins juste sur le plan de la langue, on retrouve les magnifiques tournures dont elle a le secret (ceux qui ont survécu au récit illustré Elektra & Wolverine savent ce qu'est la souffrance presque physique qu'engendrent les écrits coulombiens pour le lecteur). Mais parfois, ça devient drôle. Comme quand elle doit traduire une heure exprimée par des militaires. Or, visiblement, elle ne sait pas du tout comment faire. Et, comme à chaque fois qu'elle est devant un truc qu'elle ne comprend pas - autant dire souvent - au lieu de chercher à savoir, elle tente le coup en improvisant. Ce qui donne "décollage à 1300 heures". Au bout d'un moment, elle se rend compte que c'est un peu foireux, alors elle change carrément de méthode en cours de route (mais sans corriger ce qu'elle a fait avant !). Elle passe donc des chiffres aux lettres, et là on a un "zéro-huit-cents heures" qui ne veut toujours rien dire (la traduction correcte serait "huit zéro zéro" dans le jargon militaire).
Bref, si vous le pouvez, optez pour la VO. Sinon, pour une vingtaine d'euros en occasion, vous aurez droit à cette parodie d'adaptation, sortie en 2009 chez Panini.
Notons qu'Ennis retrouvera bientôt Nick Fury dans une mini-série dédiée à l'un de ses personnages fétiches (cf. cette news). Inutile de dire que l'on attend ça avec impatience.

Une mini-série bourrée d'action, d'humour et de cynisme, et presque historique puisque marquant le début d'un label important pour Marvel. Avec Ennis aux commandes, ce qui est un plus indéniable.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La qualité d'écriture d'un Ennis qui se paie le luxe d'être à la fois bourrin sur la forme et subtil sur le fond.
  • L'ambiance graphique.
  • Le côté non manichéen.
  • L'humour décalé. 

  • La VF, franchement à chier.

Time Lost - Tome 1 : Opération Rainbow 2

Nous sommes tous prisonniers d'une expérience de voyage temporel.
Tous ceux qui tentent ce "saut" se retrouvent coincés ici, à cette période et dans cette région.
Comme si tous les fils du temps étaient enchevêtrés dans un grand sac de nœuds.
Et ce nœud temporel, c'est "ici".

Captain Bettie - USS Reprisal - Opération Rainbow 2


Time Lost est la nouvelle série des éditions Soleil (sortie prévue la dernière semaine d'août 2019) née de la collaboration entre Jean-Luc Sala (QuestorCross Fire...) au scénario et Afif Khaled (Les chroniques de Centrum) au dessin.
Le duo nous a déjà offert le tome 8 de Kookaburra Universe (Le dernier vol de l'enclume) et le tome 2 de Les Divisions de Fer.
Avec ce Time Lost, ils prouvent que l'alchimie fonctionne toujours et, étant cette fois à l'initiative de la série (dont j'espère qu'ils ne céderont pas les manettes à d'autres tant ça marche bien ainsi), ils nous offrent un univers bien à eux qui est juste assez sérieux pour que les idées idiotes soient drôles et juste assez drôles pour que les aspects sérieux ne soient pas indigestes.

Vous voyez, le blondinet un peu lourdingue, là ? C'est Josh et ce sera notre principal comic relief. On se moque gentiment du petit macho : efficace !

Troisième Reich, dinosaures, méchas et pom-pom girls !

La base du scénario de cette BD est un "What if ?" comme on les aime... enfin, comme je les aime et c'est déjà pas mal.
Pour vous prouver la chose, voici le pitch proposé par Soleil pour illustrer la sortie de ce premier tome : "Et si à de nombreuses reprises depuis les travaux d'Einstein, des essais de voyages avaient déjà été tentés, sans retour possible, piégeant dans une zone hors du temps ces infortunés cobayes ? C'est là, où se poursuit une guerre mondiale, que trois jeunes gens vont devoir survivre aux côtés de troupes d'élite de Patton, de dinosaures, Nazis, robots géants et autres pom-pom girls !".
Alors ? Ce n'est pas un peu intrigant, ça ? Allez, ne soyez pas malhonnêtes : avouez que ça vous démange d'en savoir plus. 
Mais regardez-moi cette couverture à droite et osez me dire que vous n'êtes pas au moins un peu intrigué !  
Alors vous vous attendez à quoi, bande de petits bédévores geeks, hein ? À une sorte de nanar version papier, hein oui ? Ah, je vous vois venir ! Vous pensez à Iron Sky (que ceux qui ignorent ce que c'est regardent ce film... à leurs risques et périls) !
Mais non, ce n'est pas un Iron Sky à phylactères. C'est mieux. Parce que c'est moins absurde. Et, du coup, c'est bien plus exploitable sur la longueur (on veut une série, non ?).

Voyage dans le temps

Souvent, les voyages dans le temps, ça vous farcit une histoire de mille paradoxes plus ou moins assumés, plus ou moins conscients, plus ou moins acceptables.
Ici, dès le départ, Sala décide de nous livrer une histoire qui tend un bon gros majeur de catcheur (je fais des dédicaces à Stone Cold Steve Austin si je veux !) à toutes les théories des nerds de tous poils sur les sauts temporels. Oubliez les univers multiples, les paradoxes, les failles, les trous de ver et autres bidules qui ne tiennent pas la route ou qui demandent six cerveaux pour être compris... L'auteur nous annonce d'emblée que le temps est une sorte de chaton :  c'est tentant de jouer avec, de le tripatouiller et de le retourner dans tous les sens mais si tu veux faire mumuse avec lui, il te griffe jusqu'au sang.
On a donc divers voyageurs temporels (volontaires ou non) de diverses époques qui se retrouvent tous dans une sorte de décharge temporelle dans laquelle tout est fait pour leur faire payer leur arrogance. Ici, visiblement, les griffes du chaton sont des dinosaures ! Oui, l'espace-temps où se retrouvent les voyageurs et (idée amusante) une partie de leur environnement semble bien être une région relativement restreinte située au temps où un certain T-Rex jouait les gros durs.
Comme une partie du décor se déplace avec eux, ils ont des bâtiments et objets qui leur sont contemporains et ils se débrouillent pour les adapter peu ou prou à leur nouvel habitat (d'où les méchas).
Autre trouvaille : il semble que dans ce creuset hors du temps, il n'y ait pas vraiment de temps : ils ne vieillissent pas... mais ils peuvent crever comme des insectes si un dino passe par là et a un petit creux !
Vous l'aurez compris, c'est très décomplexé et forcément, moi qui aime rigoler et qui apprécie quand la SF ose se départir de ses frilosités, je n'ai pu qu'adhérer !

J'aime les jeux de figurines, comme ça commence à se savoir.
Alors quand je vois ça, moi, j'ai un sourire somatique en pensant : "Dust : Tactics" !

Un casting varié

Ce genre de récit n'aurait qu'un intérêt très relatif si tous les protagonistes venaient de la même époque et nous avons donc ici, pour une raison parfaitement logique, des protagonistes appartenant à l'armée nazie et d'autres officiant pour Patton mais aussi quelques-uns de nos contemporains se permettant de flatter notre geekitude en lâchant de multiples références à notre époque et à la culture mainstream en lien avec la préhistoire et la seconde guerre mondiale.
Prenez des militaires US de l'opération Paperclip, teigneux et avides de dessouder du nazi, un ancien quartier-maître de la Navy bossant de nos jours dans le musée national de l'aviation navale de Pensacola, deux cheerleaders et un joueur de soccer (oui, un footeux, quoi !) de la génération snowflakes et vous imaginez déjà que l'auteur va pouvoir, dans les tomes suivants, s'amuser en décrivant leurs relations interpersonnelles.

Oh comme je sens que ce barbu va me plaire ! C'est le fameux ancien quartier-maître et le gars a de la punchline en réserve et pas mal de caractère ! 

Dans les tomes suivants ?

Eh oui ! Parce que ce tome 1, pour agréable qu'il soit, est juste la mise en jambes. C'est déjà intéressant, drôle, délirant et inventif mais c'est une introduction. L'auteur vient de vous expliquer les règles du jeu mais il n'a pas encore abattu beaucoup de ses cartes. Nombre de personnages évoqués ne sont pas encore apparus à l'image depuis leur saut dans le temps et le saut de tous n'a pas encore été raconté. Il y a de la matière : l'histoire de chacun avant le voyage temporel, ce qu'il fait depuis son arrivée en plein Jurassic Park géant...
D'ailleurs, le seul voyage déjà raconté est celui qui fut accidentel. Ce qui et intelligent : ça en dévoile très peu, du coup !

Noah Appelbaum (oui, ils s'appelle "pommier", oui) est un scientifique juif forcé par les Nazis à développer
la "répulsine" à voyager dans le temps.  Il me tarde de voir son histoire se dévoiler davantage.

Et techniquement, qu'est-ce qu'il y a sous le capot ?

Scénaristiquement, c'est rythmé et amusant. Pas de longueurs, pas d'explications inutiles mais, paradoxalement, juste assez de place pour nous présenter par le dialogue les personnages et introduire de-ci de-là l'humour nécessaire à un scénario aussi barré.

D'un point de vue purement graphique, ne vous attendez pas à une mise en page révolutionnant les codes du langage de la BD... si vous cherchez çà, lisez plutôt l'excellent Dans la tête de Sherlock Holmes dont je vous ai déjà parlé et auquel je ne peux m'empêcher de refaire allusion si l'on évoque le langage bédéistique de haut niveau.
Non, ici avec Khaled, attendez-vous à une mise en page classique mais à un dessin précis, efficace et tirant sans doute un peu vers les comics (la colorisation punchy y est aussi pour quelque chose) avec toutefois quelques codes européens bienvenus.
On remarquera le parti pris du dessinateur de nous offrir de très nombreuses cases très larges, voire panoramiques, souvent habitées par des personnages en plan américain (on voit le personnage de la tête aux cuisses, comme dans les westerns où il fallait montrer les holsters) ou en plan rapproché (on voit la tête et le buste). Ça offre un découpage très agréable et d'une grande lisibilité même si, une seule case habitant parfois toute la largeur de la planche en en explosant même parfois les marges, ça réduit le nombre de cases et fait évidemment de cette BD un ouvrage qui se lira assez rapidement. Mais c'est pas mal ainsi... c'est vraiment de la lecture-divertissement et ça convient bien au genre "SF foutraque" (oui, j'invente des genres ridicules si je veux... je m'émancipe, moi, dans cette chronique, non ?).


Non, sans doute pas, non. Mais le lecteur oui, il y a de fortes chances.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le scénario est totalement décomplexé.
  • Le pied de nez au voyage temporel.
  • Le dessin est très agréable et bien maîtrisé.
  • La mise en couleurs et le découpage dynamisent bien la BD.
  • Nazis, dinosaures, pom-pom girls... allez, quoi !

  • Ça se lit très vite... mais ça se lit avec gourmandise !
  • Ça va forcément faire lever les yeux au ciel des lecteurs exigeant du sérieux à tout prix. 
  • Vous vous sentirez un peu coupable : "Pourquoi j'aime ça, moi ?". Mais on n'a que le bien que l'on se fait, non ?

Garth Ennis retrouve le Punisher !



C'est officiel, Garth Ennis (brillant scénariste de Preacher, The Boys ou La Pro) retrouvera le personnage du Punisher dans deux mini-séries à paraître chez Marvel.

Rappelons qu'Ennis est l'auteur d'un long run sur la version Max du Punisher (cf. cet article), dans lequel il a signé quelques-uns des récits les plus mémorables de Frank Castle, dans un style très âpre et violent, convenant parfaitement au personnage et à la faune interlope qu'il côtoie.

La première de ces mini-séries, intitulée Punisher : Soviet, est prévue pour la fin de l'année et sera dessinée par Jacen Burrows (Neonomicon, Providence). La seconde, Punisher : Get Fury, dessinée par Goran Parlov (qui a déjà collaboré avec l'auteur sur la série Punisher) devrait sortir l'année prochaine. Pas besoin d'être un brillant devin pour déduire que Nick Fury sera impliqué dans cette histoire.

Deux titres très attendus donc, car le Punisher, déjà borderline en soi, a toujours été particulièrement bien employé par un Ennis passé maître dans le "trash intelligent".
Miaw !

(Toutes les illustrations de l'article sont issues de Punisher : Soviet. Elles sont de Jacen Burrows, sauf la cover à droite du texte, qui est l’œuvre de Paolo Rivera.)


Sexe : Érotisme tendance Batman



Un comic qui sort des sentiers battus et se veut quelque peu sulfureux : Sexe.

Simon Cooke fut il y a bien longtemps le protecteur de Saturn City, qu'il avait juré d'assainir. Aujourd'hui, suite à une promesse peut-être trop rapidement faite, il est revenu à la vie civile et a raccroché le Masque.
Actionnaires, hommes politiques et magnats de la finance ont remplacé les criminels qu'il affrontait autrefois. Il peut maintenant se concentrer sur ce qu'il a si souvent délaissé par le passé : son entreprise et sa vie privée.
Malheureusement, la première ne le passionne guère, quant à la seconde, elle reste à bâtir. En commençant par une vie sexuelle dont il a encore tout à explorer...

Le titre et le thème peuvent paraître racoleurs mais Sexe s'avère pourtant bien plus profond intéressant qu'une simple BD érotique. L'érotisme est d'ailleurs assez limité finalement, les scènes de sexe étant rares et surtout assez "pudiques" dans leur représentation (tout est relatif, bien sûr). À ce niveau, Piotr Kowalski, à qui l'on doit les planches, n'en rajoute donc pas dans le voyeurisme et reste sobre. La colorisation, par contre, donne dans l'acidulé et joue un rôle important, même au niveau du texte, dans l'ambiance qui se dégage du récit.
Récit que l'on doit à Joe Casey, dont le scénario, patiemment construit, courageusement "lent",  installe progressivement personnages et trames narratives parallèles.

Casey retrouve une partie de la thématique qu'il avait explorée dans Wildcats 3.0, à savoir les multinationales et le monde de la finance. Il ne se limite cependant pas à cela et va se livrer à une ingénieuse variation sur le thème de l'identité en prenant le contre-pied d'un Bruce Wayne. Car il sera difficile de ne pas faire le lien avec Batman : un héros richissime, sans réels super-pouvoirs, ayant eu un sidekick, une adversaire sexy qu'il combattait tout en la dragouillant, et de plus sérieux ennemis, dont certains font curieusement penser aux habitués du Dark Knight, le tout dans une ville corrompue et surdimensionnée. Tout y est, mais en négatif (au sens photographique).
Alors que Batman prend très largement le pas sur Wayne dans les comics de DC, nous retrouvons ici un Cooke dépouillé de son costume, de sa personnalité profonde. Obligé de réapprendre à vivre "normalement", de se reconstruire, Cooke trimballe son mal de vivre dans une ville gigantesque et colorée, aux lumières violentes, à l'activité incessante, aux buildings écrasants.


Le rythme adopté par Casey est aussi rare qu'efficace. Pas d'action frénétique ici, mais une progression douce, pensée et constante, qui permet de découvrir la faune interlope (dont "le Vieux" fait partie, un mafieux que ne renierait pas Garth Ennis), l'ancien partenaire de Cooke ou encore son avocat et seul véritable ami.
On ne rentre pas tout de suite dans l'histoire, il faut un peu s'accrocher, mais ces huit épisodes, sortis en 2014 chez Delcourt, en valent largement la peine. Peu à peu, un véritable suspense apparaît. L'on a droit à une intrigue criminelle intéressante, une intrigue plus "sexuelle", de l'humour venant désamorcer des situations qui pourraient sans cela devenir glauques, et quelques flashbacks apportant des précisions sur le passé du personnage principal.

Les scènes typiquement "super-héroïque" sont inexistantes, sauf justement sous forme de brefs flashs d'une case, brillamment intégrés dans la narration.
Quant au sexe, quitte à décevoir, il s'avère très secondaire.
Alors, "secondaire", j'exagère peut-être un peu. Il y a tout de même quelques scènes chaudes, avec fellations, godes, sodomies, un brin de SM, mais enfin, pas de quoi hurler au scandale ; si les auteurs avaient voulu rendre cela vraiment choquant, ils s'y seraient pris autrement. Mais bon, si vous êtes un gamin ou un amish, ça peut choquer. Dans le ton aussi bien que les dessins, cela reste cependant soft, c'est juste que l'on n'a pas l'habitude de voir ça dans une BD de "super-héros".
Le titre compte 34 épisodes, publiés aux États-Unis entre 2013 et 2016 (et réédités en 5 recueils). Sex a cependant fait son grand retour cette année (sans épisodes mensuels), avec un nouveau tome intitulé World Hunger.
Delcourt n'ayant jamais publié la suite (le premier tome n'a pas dû "trouver son public"), il faudra donc se rabattre sur la VO.

Une série qui demande de s'accrocher un peu au début mais dévoile de grandes qualités sur le long terme.
Brillant.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Très bien construit.
  • Innovant.
  • Gentiment sexy.
  • Intrigues multiples.
  • Quelques pointes d'humour.
  • L'ombre de Batman...

  • Pour ceux qui s'attendaient à "du cul et rien que du cul", désolé, mais ce n'est pas ça du tout.
  • Un seul tome disponible en VF.

Captain Marvel : Monstres & dieux



J’ai toujours aimé Captain Marvel. Je parle ici du déserteur kree devenu défenseur de la Terre et des grandes causes cosmiques (le nom ayant été porté par bon nombre de personnages, avant et après lui et même en dehors de Marvel).
Il est, et d’assez loin, mon super-héros préféré. Une inclination qui date pourtant, remontant à l'époque des premiers Strange édités par Lug. Aux côtés de l'Homme-Araignée, de Daredevil ou de l'Invincible Iron-Man, il y avait ce guerrier interstellaire venu conquérir la Terre avant de prendre fait et cause pour la planète bleue (donc avant Actarus) : des vaisseaux spatiaux, des pistolets laser, des extraterrestres, de grands idéaux, il n'en fallait pas moins pour me convaincre. Dans les pages de ses aventures, je vivais des épopées cosmiques, rencontrais des héros christiques et des vilains totalement charismatiques (quelle invention que ce Thanos, Titan fils de Mentor, amant de la Mort, puisant autant dans l’inspiration de la mythologie hellénique que dans les classiques de la terreur ! [cf. cet article sur les origines du personnage]). Les dialogues eux-mêmes, quoique souvent pompeux, exprimaient un goût certain pour le verbiage philosophique et les destins hors normes : à coups de grandes phrases maniérées, Mar-Vell (son patronyme, plutôt bien trouvé finalement) s’installait comme un personnage aussi classique dans sa conception que novateur dans son évolution. L'ancien soldat kree se vit catapulté protecteur de l’Univers par les bonnes grâces d’entités quasi-divines. Tout, de son élégance naturelle à l’expression de ses pouvoirs (ce vol gracieux souligné d’une traînée d’étincelles, ces rafales photoniques et cette conscience cosmique qui se traduisait – et se traduit toujours ! – par une forme d’harmonie avec l’univers, le visage devenant le reflet de l’espace intersidéral…) me fascinait. Or, Mar-Vell, déjà à cette époque, ne pouvait exister sur notre plan que pendant un laps de temps limité, car il partageait son existence avec celle de Rick Jones, ce jeune que le destin a placé sur la route de personnages aussi incontournables que Hulk ou Captain America.

Et puis j’oubliais Starlin, Jim Starlin, l’artiste qui acheva de faire de Captain Marvel, par le biais de la "saga du Cube cosmique", un super-héros inégalable. J’aimais ce personnage, j’adorais ses histoires, j’admirais les êtres étranges qu’il rencontrait, de Drax le Destructeur à Eon, en passant par les Titans ou l’Intelligence Suprême… et puis Thanos, bordel !

Captain Marvel était donc mon super-héros préféré. Loin devant Vance Astro, leader des premiers Gardiens de la Galaxie.
Il est mort figurez-vous. Dans une histoire publiée en un album mémorable, Marvel affronte un ennemi qu’il ne pourra vaincre : le cancer. Une histoire magistralement écrite qui a laissé des traces, avec un impact supérieur à la mort de Gwen Stacy.
Bien sûr, nombre de héros marvelliens ont été régulièrement ressuscités, parfois pour le meilleur mais souvent de façon maladroite. Mar-Vell, lui, peut-être par respect pour ce personnage à part, ne l’a jamais été jusqu’à récemment.

Mais il se trouve qu'il eut un fils.
Genis, qu’il s’appelle. Grand, costaud, beau gosse, il sera pris en charge par un duo d’artistes talentueux qui le propulseront nouveau protecteur cosmique à travers une succession de péripéties hésitant entre loufoquerie et drame. Résumer sa pourtant courte carrière serait une gageure, mais une chose est certaine : il est lui aussi lié à Rick Jones (il faudra bien un jour lui ériger une statue à ce garçon, lui qui a sauvé plusieurs fois l'univers en devant supporter l'ego et les atermoiements de personnalités aussi différentes que Bruce Banner et Steve Rogers). Ce dernier l’initiera au "métier" de super-héros et Genis, après avoir endossé l’identité de Legacy, revendiquera le surnom de feu son père. Seulement, son caractère est loin d’être le même : instable et impulsif, il a suivi une éducation plutôt hédoniste (je fais court) et même l’influence de Rick ne parvient pas à faire de lui l’égal de ce que fut Captain Marvel. D’autant que les dangers qu’il affronte sont grands. Jusqu’au jour où il se fera manipuler par des entités omnipotentes qui boosteront ses pouvoirs, au point qu’il deviendra conscient des futurs possibles et des tragédies passées. De quoi devenir cinglé. Et plusieurs fois.


C’est ici que commence notre album, édité en 2006 dans la collection Monster Edition de Panini (cf. cet article de présentation).
Genis a récupéré le vieux costume de son père, du temps où il était encore officier kree (très classe finalement, dans les tons vert et argent) et canalise son énergie au travers d’un pistolet. Il écoute de moins en moins les plaintes de Rick, isolé dans le Microvers, qui se désole de la tournure que prend la mission divine de Genis, car ce dernier s’est mis en tête de devenir redresseur de torts à l’échelle de l’Univers. Totalement imbu de sa propre puissance, qui l’hypnotise et le terrifie à la fois, il ira jusqu’à braver Thor, seigneur d’Asgard, avant de tester sa justice immanente en s’associant avec un psychopathe réchappé miraculeusement de la chaise électrique, s’autoproclamant juge devant un Spider-Man ébahi. C’en est trop pour Jones qui va péter un câble et le rappeler à l’ordre. Genis, fatigué par l’attitude réprobatrice de son alter-ego, le suicidera, tout en se moquant des représentants des quatre races les plus représentatives de la Galaxie (Krees, Skrulls, Rigelliens et Shi’Ars) décidés à tout faire pour l’arrêter…

Nous voici en présence de douze épisodes de la série regroupés en trois arcs (Monster & Gods, 2 volets ; Coven, 4 volets ; Crazy like a fox, 4 volets) et quelques one-shots, le tout dans une édition qui nous propose en outre de très belles couvertures originales. C’est le grand Peter David qui est aux commandes : l’ancien et respecté scénariste inamovible de Hulk [dont je vous parlais tout récemment encore ici et ] ne s’y embarrasse pas de simplicités narratives au point que le récit paraît souvent confus, nébuleux, même si on se régale des situations dans lesquelles se plonge Genis, de ses réflexions remettant en cause jusqu’aux fondements de l’éthique humaine et le principe de la Justice, ainsi que de quelques duels impressionnants dans lesquels le fils de Mar-Vell fait étalage d’une puissance impressionnante.
David laisse régulièrement s'exprimer son humour cavalier mais excelle aussi dans ces moments où la folie de Genis reprend le dessus, plongeant le lecteur dans un abîme de perplexité dans lequel il ne parviendra que difficilement à distinguer le réel de l’illusoire : car le nouveau Captain Marvel est moins un être vivant qu’un concept brisant les barrières du temps, né adolescent d’un fragment d’ADN, héros malgré lui et profondément conscient de son pouvoir. Des réalités alternatives surgies de son passé resurgiront de vieux démons qui lui paraîtront tout à fait réels : il se découvrira même une sœur qui elle-même le dépouillera de son statut de gardien de l'univers.

Un voyage palpitant, parfois embrouillé, totalement jubilatoire et servi par des dessinateurs de talent (dont Kyle Hotz et Michael Ryan), qui nous mènera aux lisières de la folie et nous fera prendre conscience de ce que sont les "vraies" responsabilités liées à un grand pouvoir. On regrettera que le résumé fourni en sommaire soit aussi peu précis, les données sur les épisodes précédents ne permettent pas de profiter pleinement du scénario très touffu.
Mais pour qui aime, c’est un délice.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une édition bien dense et pertinente rassemblant douze histoires pour un prix modique.
  • Quatre dessinateurs au style assez homogène et au trait acéré.
  • Un anti-héros fascinant.
  • Des confrontations de grande ampleur.
  • Un humour piquant, grande spécialité d'un scénariste passé maître dans ce domaine.

  • Des références obscures et un résumé un peu chiche qui n'aide guère le lecteur.
  • Un personnage qui manque finalement de charisme et ne supporte pas la comparaison avec son géniteur.

Tokyo Revengers - Retour vers le "furyo" futur


Le troisième tome de Tokyo Revengers sera en vente le 21 août. Celui-ci poursuit l'histoire originale de Takemichi, jeune délinquant revenu douze ans dans le passé pour empêcher la mort de son ancienne petite amie "dans le futur". Étrange mélange des genres, Tokyo Revengers est un manga de type "furyo" (sur les délinquants), rappelant parfois les célèbres GTO ou encore Bleach et Erased. L'œuvre flirte aussi avec le fantastique voire la science-fiction (l'inépuisable thématique du voyage dans le temps) mais aussi le thriller bien ficelé et, évidemment, la baston. Découverte.

Dans les tomes 1 et 2, on suit Takemichi. En 2017 : le jeune homme est brun, célibataire et enchaîne les petits boulots peu glorieux. Un jour il entend aux informations que Hinata est morte, ainsi que son frère Naoto, victimes collatérales d'une guerre des gangs urbains. Il se rappelle alors de son adolescence, au collège, quand il sortait avec Hina. Peu après, quelqu'un le pousse sous un métro et Takemichi atterrit en 2005, précisément en quatrième, quand il était blond et une petite racaille. Ce saut dans le temps (qui trouve une explication par la suite) est l'occasion de modifier le passé et, peut-être, sauver Hina et Naoto.

Takemichi ne reste pas "coincé" dans le passé, il peut revenir dans le présent/futur (2017) en serrant la main de Naoto (le frère d'Hina). De la même manière, Naoto peut renvoyer Takemichi dans le passé, faisant ainsi des "allers-retours" entre les deux époques et pouvant constater si ses actions de 2005 ont une répercussion "dans le futur", sur des évènements qui devaient avoir lieu en 2017. Le destin de chaque personnage peut ainsi se modifier si Takemichi empêche ou provoque une rencontre par exemple. Naoto étant devenu un talentueux policier en 2017, il s'associe avec Takemichi pour comprendre les rouages qui ont conduit à l'affrontement entre les bandes rivales de délinquants 12 ans plus tard.
Surprenante car rarement prévisible (un des points forts de la série), l'histoire se dirige vers des sentiers audacieux propres au genre : Takemichi se retrouve bien vite ami avec le charismatique Mikey, futur responsable de la mort de sa petite amie par exemple.


Tokyo Revengers parvient à maintenir un suspense et un rythme remarquable en partant de ce concept original et intéressant. Tout est parfaitement maîtrisé dans la narration : on navigue avec une fluidité exemplaire dans le temps, on comprend les enjeux, on s'attache aux protagonistes, etc. Il y a très peu à redire, c'est même très drôle, on sourit voire on rit souvent ! Entre les gags visuels, l'absurdité de certaines situations, les échanges entre l'esprit "plus âgé" de Takemichi et son "lui plus jeune", etc. l’œuvre est parsemée d'un humour simpliste et efficace, refusant d'adopter un austère premier degré qui aurait conféré une ambiance sans doute trop sérieuse et trop sombre à l'ensemble pour réellement fonctionner. L'équilibre entre chaque style (humour, baston, science-fiction...) est donc dosé intelligemment. Pour chipoter, on peut évoquer une certaine difficulté à retenir les noms (et "fonctions") de chaque personnages (surtout s'ils n'ont pas les mêmes looks dans le passé et le "présent"), une petite présentation en début d'ouvrage ne serait pas de trop. Chaque chapitre  (nommé épisode) se nomme par un seul mot en anglais commençant par "Re" (Reborn, Resist, Resolve, Relieve et Revolve pour le premier tome par exemple).

Éditée par Glénat dans leur collection Shônen Manga, Tokyo Revengers a débuté en 2017 au Japon et compte actuellement 12 volumes reliés. Le titre est toujours en cours de publication et s'est écoulé à plus de 2 millions d'exemplaires au Pays du Soleil Levant ! La série est arrivée en France en avril 2019. Son deuxième tome est en vente depuis juin dernier, le troisième le sera dans quelques jours (voir premier encadré ci-dessous) et le quatrième (que nous avons déjà lu, voir second encadré) est annoncé pour le 2 octobre prochain. Le cinquième est prévu pour janvier 2020.

Au scénario et aux dessins, Ken Wakui, quasi inconnu chez nous. Si cet artiste a déjà signé quatre autres titres avant Tokyo Revengers, c'est la première fois qu'une de ses séries est traduite et disponible en France. Pour les curieux, il a notamment débuté en 2005 avec Shinjuku Swan qui s'est achevée en 2013 après 38 volumes, puis Abaddon en deux volets (2010 et 2012) avant d'être mise en pause. De 2014 à 2015, il produit Sekisei inko (5 tomes) et, enfin, Dessert Eagle en 2015 et 2016 (là aussi complet en 5 tomes). Ses œuvres, orientées seinen, évoquent ses thématiques fétiches (violences, délinquance…) qu'il a donc à nouveau repris dans Tokyo Revengers, considérée comme son œuvre la plus aboutie et réussie. Ken Wakui reconnaît s'être inspiré de sa propre personne au début des années 2000, quand il était un jeune voyou, pour nourrir son manga. Son style graphique est relativement simple mais efficace, un côté étonnamment "propre" confère à l'ensemble un aspect doux et lisse très agréable. Le tout est suffisamment détaillé pour être beau et juste assez pour ne pas être trop surchargé. Wakui excelle aussi quand il lorgne vers les grimaces et l'absurdité de certaines scènes. Seul point à déplorer : un manque de fond et de décors dans certaines cases, privilégiant un blanc trop présent.



Critique du tome 3 | Sortie le 21 août 2019

Après un affrontement entre le clan Tokyo Manjikai et le clan Moebius, Takemichi se retrouve à l'hôpital. Quand il se réveille, il apprend que Mikey et Draken, numéros 1 et 2 du gang, se sont disputés. Cette embrouille pourrait bien conduire à la mort de Draken et par ricochet du destin au funeste sort qui attend Hina. Takemichi ne doit plus sauver une personne mais plusieurs, sa quête se poursuit avec pour nouvelle mission la réconciliation entre Mikey et Draken. Kyomasa, ancienne victime de Draken, cherche aussi à tuer ce dernier…

Ce troisième tome reste dans la même lignée que les précédents avec une mise en avant plus prononcé du couple Takemichi/Hina, assez touchant au demeurant, et à nouveau beaucoup d'humour. Les interrogations effleurées dans les deux volets précédents quant au voyage dans le temps sont, elles aussi, plus accentuées : et si Takemichi était responsable, à cause de ses nouvelles actions dans le passé, des conséquences dans le futur ? À ce stade, difficile de trancher pour comprendre la direction empruntée par la série, il semble pourtant (comme vu dans le premier tome), qu'un évènement chamboulé dans le passé modifie bien le futur tout en restant dans la même ligne temporelle (façon Retour vers le futur). Cela ne créé donc pas des mondes alternatifs ou une boucle ultime (cf. cet article). Ces trois façons de travailler la thématique du voyage dans le temps sont les plus populaires (et a priori les seules existantes tant le sujet est dense et complexe).










Critique du tome 4 | Sortie le 2 octobre 2019

Draken est sévèrement blessé. Takemichi doit le sauver coûte que coûte mais il doit (à nouveau) affronter Kiyomasa. Un nouvel ennemi charismatique, Hanma, apparu à la fin du volume précédent, se dévoile davantage…

Ce quatrième tome perd un peu de sa singularité — surtout dans sa première partie — à cause de quelques clichés propres au genre shônen : dépassement de soi, force de l'amitié, combat interminable, vrai-faux suspense sur le sort d'un personnage, etc.  La seconde partie renoue avec l'humour et le côté "bad boy comique" (un des points forts de la série) puis retourne dans "le futur" (donc le présent initial). La tournure de la fiction rappelle alors l'excellent film L'Effet Papillon dans lequel le héros cumulait les allers-retours dans le passé afin de modifier son avenir mais sans trouver le futur parfait où tout son entourage est en vie et épanoui. De quoi relancer efficacement Tokyo Revengers, surtout avec la promesse de la fin de l'ouvrage.

Pour l'anecdote, les dix chapitres qui composent ce tome (épisodes 24 à 33), ainsi que ceux des volumes précédents, sont toujours composés de la même formulation évoquée plus haut, fidèle à cette nomination en "Re" en anglais : Realize, Respect, Revenge


Tokyo Revengers est donc fortement conseillé, ne serait-ce que pour l'originalité de son histoire et le mélange des genres atypique ! On peinait, ces dernières années, à trouver un shônen marquant, audacieux et qui pourrait devenir tout aussi culte que nombre de ses prédécesseurs, dans le genre furyo, on tient sans doute le digne héritier de GTO !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un concept original qui tient sur la longueur.
  • Beaucoup d'humour.
  • Une narration fluide et exemplaire.
  • Deux timelines passionnantes.
  • Un mélange des genres qui fonctionne et respecte un équilibre pourtant fragile.
  • Imprévisible, malin et captivant.
  • Des dessins élégants et "propres".
  • Une galerie de personnages très attachants...
  • ... que l'on peine parfois à identifier.
  • Quelques cases sans fond.

Intégrale Fantomiald



L'on retrouve le plus cool des canards avec le premier tome de l'intégrale Fantomiald.

En avril dernier, Glénat publiait le premier volume d'une intégrale consacrée à Fantomiald (cf. la Parenthèse de Virgul #9). L'éditeur avait déjà sorti des ouvrages consacrés à la version "super-héroïque" de Donald il y a quelques années, cette fois cependant, les épisodes sont repris dans l'ordre chronologique de leur parution en Italie. Ce qui devrait ravir les plus anciens fans.
Les lecteurs moins versés dans les personnages de Disney seront peut-être étonnés d'entendre parler de publications italiennes à leur sujet, pourtant, Fantomiald (ou Paperinik en VO) est une invention purement transalpine, due au scénariste Guido Martina et au dessinateur Giovan Battista Carpi.
Ces derniers, en 1969, profitent de la très grande popularité de Donald (et de quelques suggestions de lecteurs) pour explorer une autre facette du personnage, à la base plutôt malchanceux et souvent grand perdant des récits dans lesquels il figure.
 Ainsi naît Fantomiald, plutôt gentil brigand rusé que véritable héros, en tout cas à ses débuts.

Tout commence lorsque Donald reçoit un courrier lui annonçant qu'il vient de remporter une villa à la loterie. L'heureux gagnant pense que sa chance a tourné avant de se rendre compte que la poste a commis une erreur (ah, en Italie aussi...) et que le prix était destiné à Gontran. Mais pas question pour Donald de rendre ce bien, synonyme de nouveau départ, à son légitime propriétaire. Il part donc découvrir la bâtisse et se rend compte que celle-ci aurait tout de même besoin d'un sérieux ravalement de façade. Fort heureusement, la villa contient aussi quelques surprises, notamment le journal de Fantomius, un justicier masqué qui s'attaquait aux puissants et disposait de nombreux gadgets pour l'aider dans sa tâche.
Ainsi germe donc, dans l'esprit de Donald, l'idée de Fantomiald, un alter ego lui permettant de se venger de ses ennemis, de ceux qui ont l'audace de vouloir le faire travailler ou des impudents qui essaieraient de tourner autour de Daisy.


Ce tome comprend cinq histoires, publiées entre juin 1969 et octobre 1971. Pour chaque épisode, une page dédiée présente une illustration récente, la cover originale en miniature, les noms du ou des scénaristes et dessinateurs, ainsi que les dates de première publication, en Italie et en France, avec les références des revues concernées.
Après ses premières incartades, le canard masqué va devoir faire face à un imposteur ou encore à une crise de claustrophobie de l'oncle Picsou, tout en étant aidé par le brave Géo Trouvetou, qui lui fournira bon nombre de gadgets fort utiles.
Bien entendu, Fantomiald, tout comme les autres publications de la famille Duck, est plutôt destiné à un jeune public, mais pouvoir se replonger ainsi dans ces anciens récits génère inévitablement chez le lecteur adulte un petit pincement au cœur nostalgique. Si en tout cas vous avez lu quelques-unes de ces histoires étant jeune, sinon, à moins que ce soit la première fois que vous ouvriez un livre depuis votre enfance, il n'y a aucune raison pour que vous soyez nostalgique.

Niveau traitement éditorial, c'est très correct. La version française est plutôt bonne si l'on excepte quelques répétitions, rien de dramatique. Quelques petites maladresses cependant : un cadre bleu qui n'a pas été nettoyé dans un phylactère, ou encore le titre du dernier épisode, différent dans le sommaire et les pages BD. Encore une fois, rien de bien méchant, pas de quoi en tout cas arracher trois plumes à un tadorne.
Signalons également une petite intro présentant la collection, agrémentée de quelques couvertures du Journal de Mickey, dont une grand format.
Bref, un honnête recueil regroupant plus de 280 pages BD dévoilant les premiers coups du célèbre Fantomiald.
Vivement conseillé si vous aimez le personnage !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Fantomiald !!
  • Un bel ouvrage, plutôt soigné.
  • Enfin une intégrale dans l'ordre chronologique.

  • Quelques coquilles sans gravité.

Spider-Man par Peter David



Retour sur une ancienne aventure du Tisseur intitulée : La mort de Jean Dewolff.

Le capitaine Jean Dewolff vient d'être retrouvée chez elle, abattue par un tueur en série. L'homme, qui se fait appeler le Rédempteur, va rapidement allonger la liste de ses victimes en s'en prenant à un juge, puis un prêtre.
Spider-Man est bouleversé par la nouvelle de la mort de la jeune femme et va tout faire pour retrouver son assassin. Mais alors que d'habitude, seul son sens de la justice le guide, il a cette fois envie d'autre chose. De vengeance.
Et si après toutes ces morts autour de lui, Peter allait trop loin ? Après son oncle Ben, Gwen, le capitaine Stacy, maintenant Jean... il est plus que jamais décidé à protéger les innocents des criminels. Quitte, peut-être, à en devenir un lui aussi.

En 2012, Panini sort ce Marvel Best-Of consacré au Tisseur. Les sept épisodes regroupés dans ce volume sont signés Peter David (Hulk, Spider-Man 2099, Madrox) et dessinés par Rich Buckler et Sal Buscema. La première saga (tirée de Peter Parker, The Spectacular Spider-Man #107 à #110) date de 1985/1986 et est suivie par un récit contant, un an après, le retour du Rédempteur (dans Spectacular Spider-Man #134 à #136).


Graphiquement, c'est surtout la colorisation qui s'avère grossière et particulièrement flashy, mais bon, rien de surprenant si l'on se réfère aux standards de l'époque. L'histoire, par contre, est plutôt quelque peu en avance sur son temps, avec une thématique sombre et adulte. Spidey est confronté à ses propres pulsions violentes mais, surtout, Peter David parvient à n'être jamais manichéen et à ne pas imposer un point de vue absolu. Les failles de la justice sont notamment évoquées, tout comme la peur des victimes, les risques de débordements liés à l'auto-défense, la force abêtissante et brutale des mouvements de foule, et cetera. Même le tueur en série est décrit de manière très humaine et inspire plus pitié et amertume que sentiments revanchards.

Les auteurs glissent également quelques messages "subliminaux" en forme de clins d’œil, avec par exemple un passant ressemblant curieusement à Charles Bronson (interprète de la série, polémique à l'époque, des Death Wish) tenant un journal titrant "un soi-disant justicier". N'oublions pas de signaler également l'humour propre à David, avec quelques répliques plutôt savoureuses (voir encadré ci-dessous).
Avec la justice comme sujet principal, l'on ne s'étonnera pas de voir en guest Daredevil, alias l'avocat Matt Murdock. Electro joue également un rôle dans la deuxième partie de l'ouvrage, dont la lecture s'avère plutôt agréable.
Enfin, la traduction est correcte mais signalons tout de même un petit problème technique sur quelques planches : un texte en italien, en bleu, apparaît parfois en dessous de la traduction française. Cela ne pose pas trop de problèmes sur des phylactères blancs, mais lorsque ceux-ci ont un fond de couleur, l'ensemble a un côté "gribouillis" peu esthétique et difficilement lisible.

Un bon comic, bénéficiant d'un sujet sérieux traité avec intelligence.


Peter Parker et Matt Murdock sous la plume de Peter David.


— En entendant les battements de cœur de Peter Parker puis, plus tard, ceux de Spider-Man, tu as su que c'était la même personne ? Comment tu appelles ce pouvoir ?
— Écouter.






+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une thématique intéressante et intelligemment traitée.
  • La subtilité et les traits d'humour de David.

  • Une colorisation souffrant des limites techniques de l'époque.
  • Des problèmes d'impression pour la VF (Marvel Best-Of/Panini).