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Surprenant.
Parvenir à rédiger un roman de 200 pages autour d'un trio
dans l'espace, c'est à ce point remarquable que, malgré le resserrement de
l'intrigue, le nombre restreint de personnages, l'envie d'en savoir davantage
sur les tenants et aboutissants d'une variation sur le triangle amoureux
l'emporte sur la frustration.
Que les deux du fond qui crient au spoiler se rassurent : c'est dès la fin du premier chapitre que l'auteur nous dévoile la fin de cette histoire ! Mais alors, quid des dix-sept autres ? C'est là que Donaldson révèle son audace et sa finesse et, au lieu de nous dire ce qui se passera, voici comment il conclut ce chapitre :
Et donc, plutôt que de gloser sur les conséquences de cet affrontement dont on ne sait finalement rien, on va reprendre depuis le début et y aller voir de plus près. Le deuxième chapitre nous invite ainsi dans la peau des observateurs un peu plus subtils, pas les piliers de comptoir de base ou les bandits de seconde zone, mais ceux qui, bénéficiant d'une certaine expérience, savent interpréter et connaissent davantage les rouages de cette micro-société qu'est la Station, sa dépendance envers les cargos terrestres et les relations entre les trafiquants et les mineurs des astéroïdes. On s'efforce alors de lire entre les lignes, de décoder le moindre geste, le moindre regard entre ces trois êtres dont on ne sait, finalement, pas grand-chose d'autre que leur réputation et leur physique. On suppute, on déduit, on extrapole : mais là encore, même si on parvient à aller au-delà des apparences, on ne sait toujours pas quelle est, a été, "la véritable histoire" d'Angus, Morn et Nick.
C'est ainsi lors d'une troisième étape que nous allons nous pencher sur chacun d'entre eux, à commencer par cette brute patibulaire, aussi abjecte que pathétique, que semble être Angus Thermopyle, dont on ne connaît qu'une seule passion : celle qu'il voue à son astronef, insolemment baptisé Lumineuse Beauté. De cette manière, en comprenant qui ils sont, comment ils se sont rencontrés, dans quelles circonstances ils se sont croisés, comment Morn en est arrivée à se retrouver aux bras de cet homme répugnant, on finit par défaire les nœuds gordiens scellant cette affaire : victimes, coupables, sauveurs, tortionnaires ne sont pas ce qu'ils semblent être - et parfois, un peu tout cela à la fois. Le dessous des cartes et des situations s'avère complexe, les intentions obscures, les conséquences dramatiques : meurtres, trahisons et destructions nous seront révélés petit à petit, remplissant progressivement les trous dans ce qui paraissait de prime abord une banale histoire de duo à trois.
Le procédé a de quoi surprendre et même agacer. Les amateurs de séries TV y reconnaîtront un schéma similaire à de véritables réussites que sont Damages (tout au moins la première saison) ou encore How to get away with murder qui vient de s'achever : dès le début, on connaît la fin mais les zones d'ombre sont telles qu'on manque d'éléments pour la comprendre tout à fait.
Et incidemment, l'écrivain de nous familiariser avec un
univers qu'il dépeint avec sagacité, sans s'attarder outre-mesure, demeurant en
permanence à hauteur d'homme, centré sur ses trois protagonistes aux rôles
mouvants et aux objectifs insoupçonnés. Les amateurs de SF spatiale se
retrouveront en terrain conquis, balisé par de nombreuses références à de grands
classiques, tellement ancrés dans leur tête qu'ils seraient à peine surpris si
on leur disait que, mais oui ma bonne dame, la Terre a colonisé d'autres
planètes, inventé un mode de propulsion permettant aux hommes d'aller au-delà
du Système solaire (mais ce n'est pas sans risques), lui permettant de continuer à exploiter
avec avidité les ressources minières même les plus lointaines. Qui dit
exploitation minière (par exemple dans la ceinture d'astéroïdes), dit routes
commerciales et trafic de marchandises, donc piraterie et contrebande. L'espèce
humaine ne fera que reproduire ailleurs ce qu'elle a commis sur sa planète mère
: un bar dans une station spatiale fonctionne exactement comme un bar
terrestre. Ceux qui ont vu Outland ne seront guère dépaysés.
Ce n'est donc pas dans cet univers sans véritable nouveauté
(en dehors de la propulsion de Seuil, qui occasionne parfois des dérèglements
psychiques - on n'est pas loin d'Event Horizon) que se trouvera l'intérêt du
roman, mais dans la manière dont l'auteur tisse les destins tragiques de ces
trois êtres, qu'il inscrit progressivement dans cette dimension mythique qu'il
affectionne - au point, dans une postface, de nous faire un cours sur L'Or du
Rhin, la Tétralogie de Wagner qu'il chérit tant qu'elle interpénètre la plupart
de ses ouvrages. Son tour de force est donc d'avoir réussi à construire avec
une remarquable aisance une histoire plus grande que son récit, une véritable
tragédie dont les conséquences débordent de leur propre cadre, appelant des
suites continuant à étendre les points de vue.
Un roman qui ne demande qu'à être adapté au cinéma.
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Rédigé avec savoir-faire et beaucoup d'allant, ce roman palpitant quoique un peu bavard, rédigé d'abord sous forme de feuilleton au début des années 1940, est paru sous sa forme définitive en 1946 et préfigure les récits de chasse aux mutants qui devaient foisonner dans les bandes dessinées au cours des décennies suivantes. Les amateurs des X-Men ["dépoussiérés" par Mark Millar, cf. cet article] y retrouveront nombre de caractéristiques communes aux récits imaginés par Stan Lee ou Chris Claremont (ce dernier partageant sa nationalité canadienne avec Alfred Elton Van Vogt, auteur prolifique de l'âge d'or de la SF anglo-saxonne). Si les lecteurs français connaissent davantage sa trilogie sur Le Monde du à dont la traduction de Boris Vian a contribué à initier un véritable engouement pour le genre dans l'Hexagone, À la poursuite des Slans demeure son premier grand succès et cristallise un des paradigmes de l'écrivain natif du Manitoba : la lutte entre l'Homme et l'espèce qui est destinée à le remplacer. On ne parle pas encore d'homo superior, toutefois le parallèle avec les sagas mutantes notamment chez Marvel est indiscutables.
Cependant, le texte peut souffrir de son aînesse : les critiques ont en effet régulièrement admiré l'imagination foisonnante de Van Vogt tout en déplorant son manque de talent littéraire. La traduction de Jean Rosenthal, élégante bien qu'un peu lourde, est le reflet de son temps. Au niveau hard science, Van Vogt se contente de termes un peu pittoresques et de quelques allégations proches du technobabble des premiers Star Trek (dont beaucoup de spécialistes s'accordent à dire qu'ils sont eux-mêmes largement influencés par Van Vogt) et nous propose un monde étrange, où la technologie n'a quasiment pas évolué (on circule en voiture, on communique par radio) alors que Mars et Vénus ont été colonisées. Cette désuétude et ce manque apparent d'ambition se retrouvent pourtant tempérés par une écriture dynamique, multipliant les péripéties malgré une tendance à des dialogues un peu trop verbeux. On comprend par la suite que le conflit entre humains et Slans a engendré une guerre qui a mis fin aux progrès technologiques qui ne sont désormais que du ressort de ces mutants dotés de petites cornes, vivant dans l'ombre et l'espoir qu'un jour ils pourront à nouveau dominer la Terre et guider l'Homme vers un destin plus grand.Riche en péripéties et en surprises, un roman au style suranné mais encore flamboyant, qui mérite sa place au panthéon de la SF.
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Nous l’annoncions en 2018, l’anthologie Misty, publié par Delirum,
distille un concentré de récits horrifiques issus de la revue éponyme dont la
cible originelle était les jeunes filles, dans la pure tradition des illustrés
britanniques entre les années 50 et 80 [1].
Misty fut créée par Pat Mills, à qui
l’on doit l’hebdomadaire 2000 AD et le cultissime Judge Dredd. Elle
connut son heure de gloire à la fin des années 70, là où, en France, les bandes
dessinées à destination d’un public féminin brillaient par leurs quasi-absences.
L’anthologie concoctée par l’éditeur francophone Delirium alterne des récits à épisodes et de très courtes nouvelles. Les auteurs creusent le sillon de l’ambiance et des phénomènes paranormaux avec une certaine subtilité puisque même l’aspect social n’est pas oublié. Pouvoir psychique, manipulation mentale, dimension parallèle... constituent le sommaire de ce numéro riche en atmosphères éclectiques qui propose un joli panorama du fantastique des années 70-80.
Le livre se compose de 5 histoires :
Moonchild : brimée par ses camarades de classe qui voient en elle une sorcière, Rosemary Black endure les sévices de sa mère qui pense que le mal croit en elle ; la faute a une cicatrice en forme de croissant de lune. Pourtant, cette femme qui refuse l’électricité est elle aussi considérée par ses voisins comme maligne. Les ragots, le milieu scolaire sont autant d’épreuves pour Rosemary, dont le cœur oscillera entre le Bien ou le Mal. Moonchild ne cache pas sa relecture de Carrie, écrit par Stephen King.
Racines : Jill Trotter se retrouve chez son grand-père, dans un petit village loin de tout. La nature est belle, les personnes âgées, en pleine forme ! Mais pourtant, tout cela parait bien irréel.
Les quatre visages d’Ève : Ève Marshall est sujette à de nombreux cauchemars depuis son lit d’hôpital. Elle ne se souvient de rien avant son accident. Seule, sans amie, elle découvre que la fenêtre de sa chambre dispose de barreaux, qu’un gardien rôde dans le jardin avec son chien. Impossible pour elle de sortir... Mais voilà qu’au beau milieu de la nuit, ses parents l’emmènent dans une maison isolée. Cette histoire est inspirée par Audrey Rose, un film de Robert Wise.
L’ombre d’un doute : la jeune Mary entend claquer la porte de la grange, en pleine nuit ; elle décide d’aller voir ce qu’il se passe.
Les sentinelles : Deux immeubles se font face, deux tours jumelles. L’un agréable à vivre, l’autre, en délabrement. La famille de Jan est expulsée du logement qu’elle occupe ; contraints de squatter dans le bâtiment en ruine, ils seront confrontés à des événements troublants. Les auteurs nous proposent de suivre des personnages au sein non pas d’une maison hantée, mais d’un immeuble !
Pour un prix modique, au vu du nombre de pages, l'anthologie Misty, s’avère, pour le lecteur francophone, une véritable curiosité de ce que les Britanniques offraient aux jeunes filles. Si les graphismes accusent leur époque, ils n’en demeurent pas moins variés, élégants et soignés. Le découpage se veut audacieux mais frôle de temps en temps l'indéchiffrable. Les noirs et blancs apparaissent très contrastés, avec des détails parfois bouchés et charbonneux ; les planches proviennent de pages numérisées des revues. Peu de coquilles dans cette compilation, si ce n’est la présence d’une tirade mal placée sur la tête d’un personnage.
L’anthologie Misty nous montre que l’on peut
créer des récits où les auteurs ne ménagent pas leurs héroïnes, en ciblant un public
de jeunes filles sans tomber dans la mièvrerie, avec des dessins gracieux et des
mises en pages ambitieuses, à défaut d’être toujours parfaitement lisibles. Un
second opus serait le bienvenu !
Pour ceux que la langue de Shakespeare ne
rebute pas, quelques recueils sont disponibles et proposent des thèmes comme "Loups-Garous femelles"...
Anthologie Misty, traduit de l’anglais par Jean-Paul Jennequin et François Peneaud. Scénario de Pat Mills et Malcom Shaw. Dessins de Juan Ariza, John Armstrong, Maria Barrera Castell, Mario Capaldi, Brian Delaney. 176 pages, 24 euro
[1] Pour en
savoir plus sur l’histoire de la bande dessinée britannique pour les jeunes
filles :
ici.
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