Remade : le virus plus intelligent que vous
Publié le
2.12.17
Par
Nolt
Le genre apocalyptique étant plutôt en vogue en ce moment, voyons ce que nous réserve Remade, un roman sorti en octobre dans nos contrées.
Tout commence avec un début d'épidémie en Afrique. Un virus, qui ferait passer Ebola pour un pet d'écureuil, vient de frapper subitement. Ce virus est pourtant très différent de ce que l'humanité a pu affronter jusqu'ici. Il ne connaît aucune barrière des espèces, il s'avère mortel dans 100% des cas en seulement quelques heures, et, en plus, il fait preuve d'intelligence et d'adaptation pour se propager. Bref, le truc bien flippant.
D'ailleurs, en l'espace d'une semaine à peine, le monde entier passe du simple fait divers à la rumeur inquiétante, puis aux premières mesures d'urgence jusqu'à l'effondrement total. Au milieu de la panique ambiante, Leo, jeune américain venu habiter à Londres après le divorce de ses parents, tente de protéger sa mère et sa petite sœur, Grace.
La survie en milieu hostile, que ce soit après un débarquement extraterrestre, un déploiement de zombies ou un impact de météorite, on commence à connaître. Pourtant, Alex Scarrow, romancier britannique spécialisé dans le thriller, la SF et le "young adult" [1], parvient à capter l'attention, voire même à passionner, et cela grâce à deux éléments complémentaires : d'une part un style fluide et agréable, d'autre part une menace qui va se montrer assez originale.
Parlons déjà du style de l'auteur, toujours difficilement jugeable lorsque l'on évoque une traduction. Je ne sais plus où j'ai vu quelqu'un le qualifier de "simple". Mais, qu'est-ce que ça veut dire, bordel, un style "simple" ? Cela signifie que l'auteur n'oblige pas le lecteur à plonger dans le dictionnaire toutes les deux minutes ? Que c'est fade ? Que ça manque de lyrisme ? Que c'est bâclé ? Impersonnel ? "Simple" ne veut évidemment rien dire lorsque cet adjectif est censé qualifier un style. D'ailleurs, que serait son opposé ? Un style "complexe" ?
Fort heureusement, le style de Scarrow n'est rien de tout ça. L'auteur installe dès les premières pages un sentiment d'angoisse, il rend ses personnages crédibles et attachants, il parvient à balancer les bons effets au bon moment, à faire frémir (souvent plus de dégoût que de peur), bref, ça s'appelle un style efficace. Et c'est d'ailleurs la seule chose que l'on peut juger objectivement, le reste faisant partie du domaine de l'inclination personnelle (surtout lorsque l'on juge une traduction).
Pour le fond, et notamment la fameuse menace, le virus s'avère vraiment très particulier, au point d'être bien plus qu'un virus traditionnel. Sans trop en révéler, disons que le truc lorgne du côté d'un Invasion of the Body Snatchers, mais avec une dimension émotionnelle intéressante due à l'un des personnages.
Voilà peut-être la première réserve : le gros coup de théâtre a lieu à la fin car il s'agit d'une (énième) série et non d'un récit complet. Autre petit élément négatif, le camp de survivants et son "méchant" sentent un peu le déjà-vu. Et le salopard en question, bien que réellement haïssable, a du mal, par son côté benêt, à se hisser au rang d'un Gouverneur (de The Walking Dead, cf. ce roman) par exemple. M'enfin, étant donné qu'ici le virus n'est pas seulement un révélateur de personnalité (comme justement les zombies dans TWD) mais un personnage à lui seul, l'on peut mettre de côté cette petite faiblesse, anecdotique en somme.
Les autres personnages sont plutôt bien écrits, notamment les deux principaux. La personnalité de Grace, la petite sœur, évolue par exemple d'une manière très habile. Très intelligente pour son âge, populaire, quelque peu hautaine et donneuse de leçon, elle a tout d'abord l'ascendant sur son frère, plus timoré, presque asocial, avant de redevenir une petite fille fragile puis... tout à fait autre chose.
Et puis, ce virus "intelligent" attise forcément la curiosité. Vous allez me dire que, même dans la réalité, le virus de la grippe est déjà plus intelligent que certains présentateurs télé, OK, mais là, tout de même, vous verrez, ce qu'il fait est assez troublant.
Petite précision tout de même sur la communication de l'éditeur français, Casterman, qui présente cette histoire comme un roman "entre Stephen King et The Walking Dead". Déjà, situer un récit entre un être humain, fusse-t-il écrivain, et une autre œuvre, c'est tout de même, au minimum, maladroit. Si je dois vous expliquer le goût du jus de grenade, je ne vais pas dire "c'est entre le jus de raisin et Samantha Fox". Bon, forcément, on voit bien ce que l'éditeur veut dire en plaçant King à l'arrache dans une phrase qui n'a plus de sens. Le problème c'est que ce n'est pas forcément vrai. La référence à King porte sur le côté horrifique, or ce qui caractérise King, c'est sa maîtrise dans la construction des personnages. C'est de là que vient le côté effrayant de ce qu'il met en scène, ce n'est pas à cause d'une débauche d'hémoglobine ou de scènes épouvantables, c'est parce qu'il réussit à rendre les personnages tangibles, réels, humains. Et ce pour tous les personnages, du héros principal à son pire ennemi en passant par un gugusse totalement secondaire. Scarrow, lui, est loin de réserver le même traitement aux protagonistes de Remade, justement parce que nombre de personnages, hormis Leo et Grace, sont caricaturaux ou anecdotiques.
Attention donc à ne pas faire confiance à toutes les étiquettes, collées n'importe comment et trop souvent, sous prétexte qu'elles sont vendeuses.
Les possibilités d'évolution de cette intrigue sont énormes et ce premier opus ne constitue finalement qu'une grosse introduction. Reste à savoir si le lecteur sera suffisamment convaincu et appâté pour ce lancer dans une saga. À tenter en tout cas si le pitch vous émoustille.
Le tome 2 (il y en aura trois en tout) est prévu en France pour avril 2018, toujours chez Casterman.
[1] Cette catégorie est d'une stupidité insondable. Si l'on imagine bien pour quelles raisons l'on différencie les romans pour enfants des œuvres pour adultes, l'on voit mal pourquoi un livre viserait spécifiquement les "jeunes" adultes. Si une histoire est bonne et bien écrite, elle convient à tous les âges. Enfin bon, sans doute encore une trouvaille d'un commercial à la con.
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