The End, par Zep
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Pour peu qu'on aime la science-fiction ou le cinéma, The End ne propose rien de nouveau : si le thème est fort et plus que jamais d'actualité, il a déjà été abordé de nombreuses fois en littérature et le scénario n'est pas sans rappeler un des films les moins cotés de M. Night Shyamalan. On n'aura pas droit non plus à la puissance des images et à la sombre poésie d'un J. G. Ballard pour sa Forêt de cristal. Ce n'est donc pas vraiment son originalité qui constituera un argument d'achat.
Mais à bien regarder le nom de l'auteur, à manipuler l'objet livre, on se dit qu'il y a là-dessous quelque chose d'intéressant. À défaut d'être surpris, on peut raisonnablement penser qu'on passera un moment sinon intriguant, du moins délassant, sans parler des éventuelles questions que le sujet sera amené à engendrer chez le lecteur.

D'abord, bien installé au-dessus du titre, s'affichent trois lettres connues du grand public : Zep, le créateur de l'illustre Titeuf. Ici, point de houppette blonde et de gamins en goguette, pas de "zizi sexuel" ni de gros mots rigolos : Zep démontre qu'il est bien davantage qu'un illustrateur pour enfants avec cet album imposant, massif, à la couverture fascinante et aux pages épaisses. L'éditeur Rue de Sèvres met les petits plats dans les grands avec cet ouvrage surdimensionné, presque luxueux, au toucher agréable et dont la pagination refuse de heurter l’œil, même le plus aguerri : loin des couleurs criardes habituelles de l'auteur, elle affiche un découpage classique aux cadres adoucis, estompés, comme si l'intégralité de l'histoire n'était qu'un songe éveillé, un souvenir brumeux, une illusoire utopie. Et Théodore, l'ancien activiste stagiaire en botanique, offre un portrait presque christique avec ses faux airs de messie hippie.

Théodore se présente ce matin à la réserve de Doksla, en Suède, pour se mettre au service de l'équipe du professeur Frawley, un paléo-botaniste un peu illuminé qui passe son temps à écouter les Doors en boucle ; c'est Moon, l'accorte secrétaire à la mèche coquine, qui l'accueille et lui présente le projet en cours, l'étude des messages sylvestres, ces communications supposées entre les arbres qui ont permis que certains d'entre eux puissent résister à des désastres planétaires. Théo va donc récolter des échantillons et effectuer des relevés réguliers susceptibles d'étayer les thèses révolutionnaires du professeur et, petit à petit, des événements lui mettront la puce à l'oreille : le comportement étrange des animaux de la réserve, qui se montrent inhabituellement amicaux ; la multiplication d'une espèce inconnue de champignons qui se mettent à proliférer au pied des arbres ; et la présence d'une usine de Pharmacorp, que Théo met en corrélation avec un tragique incident survenu auparavant, dans les Pyrénées espagnoles, lorsque 32 personnes ont mystérieusement perdu la vie, victimes d'un malaise soudain. Le sang de l'activiste en lui ne fait qu'un tour et il se met en demeure de démontrer l'activité néfaste du groupe pharmacologique et son impact sur l'environnement. Sauf que la vérité est bien loin de ce qu'il envisageait, tandis que le monde entier se dirige inexorablement vers un cataclysme sans précédent... celui du titre, de la chanson de Jim Morrison & co ? À vous de juger.

Jouant sur les tons monochromes (sépias, prune, bleu, vert), usant d'une ligne claire mettant en valeur les silhouettes, Zep construit une histoire à rebondissements, semant quelques fausses pistes capables d'entraîner les lecteurs trop sûrs d'eux tout en partageant des théories captivantes sur le monde végétal. Les situations s'enchaînent sans temps mort, avec parfois une désagréable sensation de précipitation (nuisant au développement des personnages) heureusement temporisée par quelques planches, en pleine page, muettes, misant sur l'impact des images. Malgré un tempo élevé, une certaine sérénité baigne l'histoire, une forme d'inéluctabilité zen, où l'humain aura beau s'efforcer de changer les choses, il devra se résoudre à accepter l'évidence. On peut raisonnablement être gêné par cette propension à ne pas densifier les protagonistes, ne pas leur conférer l'épaisseur nécessaire à un minimum d'identification, mais leur aspect quelque peu spectral peut aussi être voulu afin de servir au mieux le propos.

Un album attachant, un projet dans l'air du temps. Une semi-réussite.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un projet intéressant, qui s'inscrit parfaitement dans les préoccupations actuelles.
  • Un album imposant qui saura enjoliver une bibliothèque (pour peu qu'on lui trouve de la place).
  • Une texture de page agréable.
  • Une pagination classique assurant une lecture confortable.
  • Un choix de couleurs pastel épousant parfaitement le sujet.
  • Quelques très belles planches.

  • Une anticipation classique, sans surprise, aux ressorts déjà vus.
  • Des personnages fantomatiques, manquant de substance.