Mages 1/4 - Aldoran
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Les terres d'Arran

Les terres où jamais le soleil ne se couche, apparemment... ou, plus précisément, les terres faisant que plus jamais l'éditeur Soleil ne se couche tant ça y turbine !
Contrairement à la plupart des autres sites où l'on aborde cette saga, il me sera ici très simple d'expliquer le concept des Terres d'Arran. C'est un univers partagé par plusieurs séries au long cours changeant d'équipe créatrice à chaque tome mais gardant une belle cohérence. Le procédé permet une productivité très importante et contente la collectionnite aiguë de nombre de bédéphiles amateurs de fantasy.
Si je ne doute pas que vous compreniez vite le concept, c'est que tout le monde sur UMAC connaît bien les comics. Or, comme on le sait bien, dans les productions US, ce type de fonctionnement est extrêmement courant. Et la maison Soleil, avec cette saga ou celle de La geste des Chevaliers-Dragons, par exemple, semble bien décidée à adopter avec succès ce modèle. 
On rencontre ici une fantasy plus sombre que dans l'autre saga à succès de l'éditeur, celle englobant les univers de Troy. Là où Troy avec son Lanfeust, ses trolls et autres créatures rigolotes tenait un peu de la light fantasy façon Terry Pratchett (maudit sois-tu si point ne connais Sir Terrence et ses Annales du Disque-Monde), Arran semble plus proche des écrits de David Gemmell (Druss, la Légende) ou de Glen Cook (Les chroniques de la Compagnie Noire).   
Les terres d'Arran, c'était à l'heure actuelle 25 tomes de la série Elfes, 15 tomes de la série Nains et 6 tomes de la série Orcs et Gobelins. Voici venir, jusqu'en janvier 2020, quatre tomes s'intéressant eux à des humains un peu particuliers : les mages !



Aldoran

Dans ce premier tome sur les praticiens des arts magiques d'Arran, l'on apprend qu'il existe quatre types de magies (oh, quatre... comme les quatre tomes prévus pour cette série et dont les couvertures sont déjà connues, montrant chacune un mage d'une discipline particulière... sans doute une coïncidence). 
Le premier tome, Aldoran, parle des élémentalistes. Ce sont des mages usant de l'énergie magique brute puisée de façon assez instinctive dans les quatre éléments et dans le temps lui-même. C'est ce qu'il vous faut étudier si vous voulez vous la jouer Sangoku et balancer des boules d'énergie ou vous protéger avec un champ de force magique. Avouez que pour éviter de se faire martyriser par les copains de classe, se mettre à flotter dans les airs en balançant des éclairs, ça en jette plus que cafter auprès de la maîtresse !
Le deuxième tome prévu s'appellera Eragan et parlera de la magie runique, une magie plus douce demandant une étude plus appliquée qui, à l'aide de runes, amplifie les énergies naturelles environnantes. Tous les joueurs de Donjons et Dragons ou Warhammer JdR ont un jour croisé un nain bardé de runes... et ont compris que ce n'était pas là que pour faire joli !
Altherat sera le titre du tome 3 qui, lui, sera consacré à la nécromancie. Grâce à la pratique de cette magie, ses adeptes peuvent contrôler les morts... un peu comme Orlando qui continue de faire tapiner sa sœur plus de 40 ans après sa mort, par exemple.  
Quant au quatrième tome, il est prévu qu'il se nomme Arundill et nous fasse rencontrer l'interprétation que l'univers d'Arran se fait des alchimistes, qui concentrent la magie sous forme de pierres et potions. Un peu comme la vieille qui vous vend ses mélanges aromatiques bizarres sur le marché et qui va vous fourguer une camelote en malachite supposée régler vos problèmes articulatoires... un peu comme elle mais en version classe.
On sent venir d'ici le personnage qui se la jouera Avatar et sera capable de maîtriser chacune de ces écoles de magie mais je peux me tromper...

Tyrom et Shannon

L'histoire de ce tome a beau se dérouler dans les terres d'Arran, il n'en reste pas moins qu'elle prend place dans la ville de Castelek, cité indépendante de tout royaume... et par conséquent dépourvue de mage vu que chaque mage est légalement obligé d'attacher ses services à un souverain sous peine d'emprisonnement.
La jeune Shannon y rencontre un vieil ermite amnésique, Tyrom, à qui elle va coller comme un morpion à un abstinent. Heureusement pour elle, Shannon est attachante et l'ermite est moins bourru que ce que son physique de frigo américain empli de poches de testostérone de taureau pourrait le laisser supposer.
Très vite, la situation en ville va se dégrader avec l'arrivée de troupes hostiles et le duo ira de drame en drame et de révélation en révélation. Rien dans le scénario n'est fondamentalement nouveau mais c'est mené tambour battant et la BD ne laisse jamais à son lecteur le temps de s'ennuyer. La narration y est soignée et les nécessaires informations sur l'univers sont distillées au fil des cases sans alourdir le récit. Jean-Luc Istin sait écrire et joue ici avec quelques codes peu usités pour faire de son/ses mage(s) un/des être(s) un peu différent(s) de l'archétype que Tolkien ou d'autres nous ont vendu. D'ailleurs, l'importance géopolitique des mages n'est pas sans faire écho à certaines de nos problématiques contemporaines et peut amener à des réflexions assez intéressantes.

Évidemment, c'est joli !

Oui, évidemment. Parce que le niveau standard d'exigence de Soleil à ce sujet est bien connu et parce qu'Arran n'a jamais déçu de ce point de vue. Duarte au dessin (un peu japonisant mais à bon escient seulement) et Nanjan aux couleurs nous offrent des planches assez conventionnelles mais très lisibles et témoignant d'un maîtrise évidente du langage bédéistique comme du langage des plans et échelles cinématographiques. Pas trop d’esbroufe, le dessin est au service de l'histoire et non l'inverse mais ça n'empêche pas que l'album est beau. Objectivement.
Étrangement, initialement, le design de cette masse tatouée qu'est Tyrom, avec ses bras comme des troncs d'arbre et son espèce de khôl autour des yeux, me rebutait franchement. Pourtant, au fil de la lecture du livre, j'ai bien dû constater que je m'y étais vite fait et même si son gabarit et ses tatouages ne pouvaient manquer de me rappeler la bien plus charismatique maman de Zorn & Dirna chez le même éditeur, son apparence étrange ne me gênait plus.
Tant que j'en suis à faire des rapprochement entre des personnages, la rousseur de Shannon, vêtue de vert, et le bandeau bleu de son ami Pier me rappelaient sans cesse l'incendiaire Pélisse et le pauvre Bragon de La quête de l'oiseau du temps (par Le Tendre chez Dargaud, encore un incontournable). Soit c'est un hommage un peu caché et je remercie les auteurs de m'avoir donné envie de relire ce classique de la BD fantasy européenne, soit c'est moi qui débloque mais... merci à eux quand même !
Cet album se vendra bien, à n'en pas douter. Il est plutôt bon, il est beau, il prend place dans un univers très populaire, il ouvre une série de quatre tomes (plus facile d'avoir l'intégrale de Mages que de Elfes pour le portefeuille moyen)... même son dos est joli à regarder, comme toujours avec cette série ; il sera donc agréable même sur l'étagère.
Où veux-je en venir ? Très simple : depuis des années, Soleil  nous gratifie de collections que l'on peut aimer ou non, mais je suis bien obligé de leur reconnaître que le niveau de qualité global est très honnête et ce ne peut être que le fruit d'un mélange d'exigence et de passion.
Derrière cette grosse entreprise, on sent encore les artisans aux cœurs qui battent pour porter leurs projets et ce n'est à mon avis qu'à cette seule condition que l'on doit la cohérence d'un univers s'étendant déjà sur plus de quarante albums...
À ça ou au dirigisme absolu d'une maison d'édition autoritaire au possible, évidemment. Mais ce n'est pas l'effet que ça me fait !




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers cohérent.
  • Un dessin maîtrisé.
  • Une mise en couleurs soignée.
  • Un scénario assez rythmé.
  • Une approche un peu originale des mages.

 

  • Un character design de Tyrom qui me laisse encore un peu dubitatif.
  • Quelques retournements de situation un peu téléphonés.
  • Une mise en page peut-être un peu classique.