Maudit sois-tu 1/3 - Zaroff
Publié le
27.9.19
Par
GriZZly
"Tu ne tueras point, ou du moins... pas tout de suite.
Laisse ta proie s'épuiser... Laisse-lui respirer l'odeur âcre de la peur qui suinte par les pores de sa peau ruisselante...
Car l'homme sait. L'animal n'a pas conscience de sa propre mort, contrairement à l'homme. L'homme, lui, sait qu'il va mourir.
Il te tourne le dos, mais tu l'imagines hagard. Il te fuit et tu le devines terrorisé... car il sait. Il sait qu'il est maudit !
Dans l’œil de la bête, il y a l'innocence. Mais le regard de l'homme devenu proie révèle cette vérité : « Je suis moribond ».
Si l'animal meurt, l'homme, lui, périt. Nul n'y échappe..."
Le titre du premier tome de cette trilogie ne laisse que peu de doutes quant au sujet de cet album : c'est le comte Zaroff qui va ici nous intéresser.
Pour ceux qui l'ignorent, Zaroff est une figure emblématique du cinéma de genre depuis Les chasse du comte Zaroff tourné en 1932 et inspiré d'un roman de Richard Connell.
Ce film décrit un homme pervers, fasciné par la chasse à l'homme, allant jusqu'à présenter à ses futures victimes sa salle des trophées (comptant nombre de têtes de ses précédentes proies humaines) et ne montrant à leur égard aucune forme de pitié.
N'hésitez pas à regarder ce film en passant outre les décors en carton et le surjeu de certains comédiens : non seulement le propos est dérangeant au possible pour l'époque mais, en plus, cela donne une idée de l'audace dont le cinéma d'alors était capable. À notre époque où les réalisateurs pensent un peu trop souvent qu'il nous faut des monstres en CGI à l'écran pour que l'on frissonne (alors que je ne pense pas être le seul à m'être bidonné comme un gamin devant un Bugs Bunny en regardant le remake de Ça), ça fait du bien de se rappeler que la vraie horreur, l'authentique frisson innommable n'est pas le fait d'un monstre mais plus certainement d'un humain se conduisant monstrueusement. La bête hors de nous ne sera jamais aussi terrifiante que celle que chacun de nous pourrait bien porter en lui (et non, je ne parle pas de femmes enceintes, faites un effort !).
Pour ceux qui l'ignorent, Zaroff est une figure emblématique du cinéma de genre depuis Les chasse du comte Zaroff tourné en 1932 et inspiré d'un roman de Richard Connell.
Ce film décrit un homme pervers, fasciné par la chasse à l'homme, allant jusqu'à présenter à ses futures victimes sa salle des trophées (comptant nombre de têtes de ses précédentes proies humaines) et ne montrant à leur égard aucune forme de pitié.
N'hésitez pas à regarder ce film en passant outre les décors en carton et le surjeu de certains comédiens : non seulement le propos est dérangeant au possible pour l'époque mais, en plus, cela donne une idée de l'audace dont le cinéma d'alors était capable. À notre époque où les réalisateurs pensent un peu trop souvent qu'il nous faut des monstres en CGI à l'écran pour que l'on frissonne (alors que je ne pense pas être le seul à m'être bidonné comme un gamin devant un Bugs Bunny en regardant le remake de Ça), ça fait du bien de se rappeler que la vraie horreur, l'authentique frisson innommable n'est pas le fait d'un monstre mais plus certainement d'un humain se conduisant monstrueusement. La bête hors de nous ne sera jamais aussi terrifiante que celle que chacun de nous pourrait bien porter en lui (et non, je ne parle pas de femmes enceintes, faites un effort !).
Mais c'est bien d'une BD que nous allons parler : le premier tome de la prometteuse trilogie Maudit sois-tu, imaginée par Philippe Peleas, dessinée par Carlos Puerta, et dores et déjà disponible aux éditions Ankama.
Un, dos, tres
Cette trilogie prend le pari de réunir en une seule histoire trois icônes romanesques : ledit Comte Zaroff, le docteur Moreau (oui,celui qui recrée la vie, sur son île) et la romancière, ayant bel et bien existé, Mary Shelley.
Le projet présent, faisant fi de ce que l'on sait de ces personnages, les réemploie dans une chronologie alternative et les lie scénaristiquement pour en faire les trois protagonistes d'une histoire originale contée à rebours. Nous commençons donc ici avec ce qui est vraisemblablement la conclusion de la malédiction touchant les protagonistes qui ont pour point commun évident une forme du "complexe de Dieu", tantôt destructeur, tantôt créateur mais toujours sacrilège.
Le scénario global de la trilogie devrait receler bien des surprises déjà amorcées ici mais ce premier tome n'est, pour sa part, "que" le récit de la traque vengeresse de Zaroff visant à mettre fin aux lignées des quatre personnes selon lui responsables de la malédiction des Zaroff, vieille de plusieurs siècles.
C'est bien écrit, tant au niveau de la trame que des dialogues et il est agréable de voir à quel point les mots que Peleas met dans la bouche des protagonistes trouvent échos dans la moindre mimique tracée par un Puerta dont le travail impressionne par son style si particulier.
Et Zaroff de nous énumérer les victimes de son plan à venir... |
Sombres dessins pour sombres desseins
N'hésitant pas à flirter avec le photoréalisme, le dessin et la mise en couleurs de cet album m'ont presque parfois donné une sensation de roman-photo... Le style des expressions faciales et la gestion de la lumière fait de chaque case une sorte de mini-tableau et, parfois, seules quelques hachures bienvenues nous rappellent encore, à ce stade, que tout cela est le fruit du travail d'un dessinateur.
L'aspect visuel vous fera immanquablement penser au style des affiches de ces vieux films où l'on peignait les visages des comédiens au lieu d'utiliser des photographies (dès que j'ai vu le dessin de Zaroff, je n'ai pu m'empêcher de penser à la représentation de Clark Gable sur l'affiche de Autant en emporte le vent).
Dire que cet album est beau serait un euphémisme, même si je sais pertinemment que ce style ne saurait plaire à tout le monde (mais si même moi qui suis initialement un lecteur de BD "à gros nez" admire ce genre d'ouvrage, c'est que le travail des auteurs a quand même quelque chose de remarquable).
Méticuleusement choisies, les proies de Zaroff doivent lui permettre de prendre sa revanche sur le passé. |
Écriture à l'encre noire
Scénariste et dessinateur se sont bien trouvés. Tous deux semblent soucieux du détail, avides de recherches et méticuleux. Les images que je joins ici doivent vous convaincre de la qualité du travail graphique mais sachez également que la psychologie des personnages est travaillée et crédible.
C'est bien simple... elle semble même plus réaliste que celle de certains de nos contemporains dont la personnalité semble être le énième calque d'un PNJ ("personnage non joueur", c'est un terme de jeux de rôles... vous faites pitié si vous ne savez pas ça, les amis !) écrit sur un coin de table branlante.
C'est bien simple... elle semble même plus réaliste que celle de certains de nos contemporains dont la personnalité semble être le énième calque d'un PNJ ("personnage non joueur", c'est un terme de jeux de rôles... vous faites pitié si vous ne savez pas ça, les amis !) écrit sur un coin de table branlante.
Qu'il s'agisse des personnages empruntés à la culture populaire ou de ceux inventés pour ce seul récit, aucun ne semble creux ou incohérent. Et ça, les amis, après des mois de consommation de séries Netflix parfois peu reluisantes, ça fait du bien.
Ici, c'est noir parce que c'est fantastique, c'est noir parce que c'est une histoire de vengeance, c'est noir parce que c'est une enquête portant sur des meurtres horribles... ce n'est pas juste "noir parce que ça fait stylé, t'as vu ?".
Ces proies n'ont souvent rien de bien reluisant et cela nous amène, en tant que lecteurs, à souvent accepter le point de vue de Zaroff... Oui, le point de vue du chasseur d'hommes ! |
Générosité
En plus d'être déjà bien foutu à la base, cet album a le bon goût de partager avec vous sa passion et sa culture puisqu'il s'achève sur quatre pages intéressantes au sujet de Zaroff, de ses adaptations au cinéma et de leur contexte historique.
Et, comble de générosité, il se termine sur trois planches préfigurant à n'en pas douter le tome suivant, consacré, lui, à Moreau.
Quatre proies, pour une seule partie de chasse. "Si l'animal meurt, l'homme, lui, périt." |
La complexité du complexe
C'est un peu capillotracté, je l'admets, mais je trouve ironique (et flatteur pour les auteurs) qu'une BD traitant d'êtres d'exception, tentant chacun à leur façon de supplanter Dieu (en copiant son œuvre, en voulant la surpasser ou en s'arrogeant le droit de la détruire), aille elle aussi jusqu'à ce niveau de réalisme dans les traits de crayons et les traits de caractère.
Cette mise en abîme des auteurs traitant du complexe de dieu et s'adonnant au plaisir de créer une œuvre réaliste au possible est d'une grande élégance et, rien que pour cela, cet album est une découverte à conseiller.
Cette mise en abîme des auteurs traitant du complexe de dieu et s'adonnant au plaisir de créer une œuvre réaliste au possible est d'une grande élégance et, rien que pour cela, cet album est une découverte à conseiller.
J'espère que cet humble avis aura titillé votre curiosité ; Maudit sois-tu vaut le détour !
Prenez l'objet en mains, ouvrez-le et, si le style graphique ne vous déplaît pas (ça peut arriver, c'est particulier), foncez !
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|