Bob Morane #1 : Les 100 démons de l'Ombre Jaune
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Le bob revient avec sa tête de Gérard Lanvin.
Il se la joue old school et ça, c'est plutôt cool.


Après la tentative peu fructueuse (mais ouais, chacun son avis...) et désormais avortée du Lombard de dépoussiérer Bob Morane avec un reboot contemporain, Soleil nous gratifie d'un album inaugurant une nouvelle série qui, elle, entend proposer une adaptation plus fidèle, même si elle s'accorde des libertés toutes naturelles et propres à l'exercice.
Nous rencontrons donc ici l'ami Bob en tant que commandant de l'armée française aux coudées franches. Flanqué de son sempiternel et sympathique sidekick Bill Balantine, il a pour mission d'aider les troupes françaises à combattre les sympathisants d'Hô Chi Minh en Indochine (je vous interdis de fredonner le titre auquel vous pensez ; on ne s'abaissera pas à ça !). Mais bien entendu, comme si cette seule mission n'avait pas déjà, en soi, de quoi faire frémir tout être sensé, rien ne se passera comme prévu et, bien vite, Bob se retrouvera à devoir faire face à d'innombrables guerrières redoutables et identiques en tous points à M. Ming (l'Ombre Jaune) himself et à rien moins qu'une menace extraterrestre. Après tout, c'est Bob Morane, hein... pas le premier scout en short venu !
Parachuté en territoire ennemi en compagnie d'un scientifique un peu mystérieux et de soldats d'élite, il affrontera tous les dangers sans guère sourciller, en héros à l'ancienne. Toutefois, il laissera de temps à autre des personnages secondaires s'exprimer eux aussi au point que Bob Morane, dans l'histoire, n'est au final pas omniprésent.

Bob Morane, c'est quelque 300 romans et 80 bandes dessinées en 70 ans d'existence. Et malgré cela, je n'ai jamais été un grand fan de la série. Mais c'est là un avis purement subjectif : j'ai toujours trouvé que ses histoires ressemblaient à des assemblages plus ou moins heureux de bric et de broc tantôt militaires, tantôt fantastiques, tantôt touchant à la science-fiction... Tout ça empaqueté dans un même récit, ça me donne souvent l'impression que ça part dans tous les sens dans l'unique but de balader le lecteur sans jamais vraiment proposer autre chose que de l'action.
C'est divertissant, pour sûr. Mais c'est à peu près tout ce que j'allais chercher dans les romans que je piochais, gamin, dans la grosse caisse de livres hérités de feu mon grand-père quand je sortais un bouquin signé Henri Vernes : de l'aventure, du dépaysement, de la lecture facile et sans prise de tête.
Pour moi, c'est ça, Bob Morane : du divertissement décomplexé qui assume son côté pulp et ne craint jamais de trop en faire.


À ce titre, je pense pouvoir dire que l'histoire de la BD signée Christophe Bec et Eric Corbeyran n'a rien à envier à son modèle : une jungle indomptée, des ruines antiques, des bases militaires, de l'action, de l'exotisme, de la baston, de la science-fiction, des personnages hauts en couleurs et parfois même charismatiques... tout y est.
Les inconditionnels du héros devraient sans peine s'y retrouver et apprécier le respect que les deux auteurs ont eu pour le matériau original. 
On trouve même, pour les plus fans d'entre vous, une sorte d'origin story aux personnages des triplés  Hink, Honk et Hunk (les Hénaurmes) qui explique les raisons de leur... hum... restons corrects... de leur manque assez flagrant de facultés intellectuelles, dirons-nous.
Certes, il est fait certaines concessions de-ci de-là à la facilité pour rendre ce premier tome digeste, pour que les novices n'aient pas à se farcir toute la mythologie des romans et des bandes dessinées déjà écrits, mais rien qui puisse faire hurler qui que ce soit à l'hérésie.

La BD s'offre même le luxe d'un découpage narratif faisant quasiment penser à une avancée temporelle de son héros vers nous : débutant dans une Indochine réaliste des années 50, il sera vite confronté à des femmes ninjas que les action movies des années 80 n'auraient pas reniées, pour se conclure sur une ambiance oscillant entre Alien et l'univers de David Cronenberg... Toujours cette impression de patchwork purement divertissant jouant avec les références de la pop culture... Mais ça marche. Aussi bien qu'un roman de Bob Morane, en somme (NDLR : si tant est que l'on puisse considérer qu'un roman de Vernes "fonctionne" bien, cf. cet article). Alors si ça marche sur moi, ça marchera sans doute plus encore sur les afficionados. Non ?

Bec a récemment signé le bien moins enthousiasmant Le sanctuaire des hérétiques, dont le tome 2 était relativement décevant et le très crépusculaire et sauvage Tarzan, seigneur de la jungle. Voilà un homme très occupé. Trop occupé pour offrir le meilleur de lui-même à notre ami Angel (du Sanctuaire des hérétiques) ?
Corbeyran, pour sa part, est à l'origine du prometteur Sideshow.
Oui, ce sont des noms que l'on a pas mal rencontrés en nos pages ces derniers mois !


Au dessin de ce Bob Morane, on découvre la patte de Paollo Grella qui a le bon goût de donner à son trait contemporain des faux airs de celui de Vance, dessinateur de la précédente adaptation à succès des aventures du beau ténébreux. Bob Morane arbore donc son look qui reste sans doute le plus populaire auprès des fans avec cette coiffure si reconnaissable, ces favoris épais et cette chemise ouverte sur un torse viril... Moi, j'ai toujours regretté que jamais Gérard Lanvin, dans les années 90, n'ait tourné d'adaptation filmique de Bob Morane : il avait tellement la gueule de l'emploi et le côté physique du personnage, à l'époque. On est passé à côté de quelque chose, je trouve...

Toujours est-il que, passées les quelques premières pages où le dessin se cherche un peu sur certains visages, on se laisse séduire par ce classicisme revisité du tracé de Grella. 
La maquette de la BD fait furieusement penser aux anciennes éditions : de la couverture au logo en passant par les pages de garde... tout vous ramène dans le passé. Mais, dès la première planche, le dessin et la mise en couleurs de Sébastien Gérard vous signifient d'emblée que c'est bien une BD de 2021 que l'on a entre les mains. Les couleurs, d'ailleurs, apportent leur lot de nuit américaine, de poussière dans les bases militaires, de lumière du soleil verdie par les feuillages dans les forêts... c'est souvent assez joli. 
Très anecdotiquement, j'ai été surpris de la différence d'interprétation de Bill Balantine entre la couverture (où il me rappelle le catcheur John Cena, étrangement) et les cases de la BD... mais c'est loin d'être gênant. Certains trouveront peut-être, par contre, plus embêtant le fait qu'il serve assez souvent de comic relief. Je ne me souvenais pas qu'il avait ce rôle de façon aussi marquée dans les romans... ça pourrait agacer les plus puristes (et c'est, du coup, une initiative que je soutiens avec beaucoup de bienveillance : faisons chier les puristes !).
Tout aussi anecdotiquement, l'Ombre Jaune a ici droit à une excellente incarnation avec un physique qui fait immanquablement penser à Yul Brynner dans Le roi et moi, les dents pointues en plus. C'est très, très proche de sa description dans les romans et ça fait plaisir. 

Ce premier tome compte 54 pages et offre une conclusion à son histoire. C'est la formule qui semble avoir été choisie pour cette nouvelle série qui offrira donc des histoires autonomes. Selon les dires des auteurs, le tome 2 devrait s'intituler Les prisonniers du temps et aborder le voyage temporel en envoyant Bob rencontrer les dinosaures (oui, sans rire), renouant par là avec un thème cher à la série... Il se murmure même que l'on pourrait y entrevoir une raison originale de leur disparition. Viendrait ensuite, pour le tome 3, une histoire qui pourrait prendre place à Macao.

Le trio d'auteurs a été adoubé récemment par le papa de Bob Morane, Henri Vernes. Même s'il ne détenait déjà plus les droits sur son personnage fétiche, il a écrit une préface à cet ouvrage dans laquelle il dit remettre la série entre leurs mains en toute sérénité. Malheureusement, à 102 ans, le prolifique auteur qu'il était vient de tirer à jamais sa révérence... Qu'il nous soit permis, par la lecture de cet hommage efficace et respectueux qu'est Les 100 démons de l'Ombre Jaune, de penser à lui une dernière fois avant de laisser Bob aux mains de ses nouveaux tuteurs.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • C'est aussi divertissant qu'un bon roman de Bob Morane.
  • C'est fidèle à la série originale, autant que possible.
  • C'est assez intelligemment fait pour ne pas nécessiter de connaître au préalable les personnages
  • C'est bien dessiné, bien mis en couleur et assez bien écrit.
  • Il faut évidemment être sensible aux aventures de Morane pour être charmé... mais même sans cela, la BD reste tout à fait plaisante.