Crusaders 1/3 - La colonne de fer
Publié le
30.6.19
Par
GriZZly
Merci aux auteurs de Crusaders.
Crusaders est une bande dessinée de science-fiction dont le premier des trois tomes est sorti le 9 mai 2019 aux éditions Soleil. Le plan de vol est établi par le scénariste Christophe Bec, déjà auteur d'autres ouvrages chez le même éditeur (Prométhée, Olympus Mons, Eternum... le monsieur a la tête dans les étoiles !) et le tracé de la trajectoire est esquissé par le dessinateur Leno Carvalho, talentueux autodidacte brésilien qui s'essaie ici à sa première franco-belge après avoir tâté du marché US (Station, Zombies Tales, The Bionic Woman).
La première partie de ce triptyque à venir m'a rappelé une conversation frustrante qu'il m'est arrivé d'avoir... trop souvent à mon goût.
— Même en science-fiction, il faut rester crédible : il n’est pas possible de voyager très loin dans l’espace en raison du temps que cela prendrait, il faudrait de véritables vaisseaux-colonies où se succéderaient des centaines de générations d’humains.
— Ou voyager plus vite que la lum…
— Ce n’est pas possible.
— Oui mais si on trouvait le moyen de…
— Ce n’est pas possible !
Je suis d’un naturel patient mais ce genre de
personnes à l’imagination bridée, ça m’énerve. Ce sont des gens de cet acabit
qui ont dû se gausser de Jules Verne en son temps lorsqu'il écrivit De la Terre à la Lune… mais l’Histoire a
pourtant donné raison au bon Jules.
En science-fiction, il faut un minimum de
science, un vernis scientifique qui crédibilise suffisamment la narration pour
suspendre temporairement notre esprit critique et offrir à l’imagination des
auteurs un univers cohérent dans lequel se déployer. Mais une fois que c’est
posé, si le récit a, par exemple, développé une explication plausible à des
voyages grandes distances à une vitesse défiant les lois physiques communément
admises à l’heure actuelle, il est de bon ton d’accepter l’explication et de
laisser dès lors l’histoire suivre son cours. Malheureusement, trop d’auteurs
se sentent cloisonnés par ce que cautionne notre science… et
oublient donc que dans "science-fiction", il y a aussi "fiction".
C'est pour cela que je commence cet article par un merci.
En suivant un peu la logique du film Contact (avec Jodie Foster), l'on nous offre ici une astuce scénaristique simple mais élégante pour passer outre les limites de notre science et pouvoir ainsi faire voyager quelques humains d'élite à 32 milliards d'années-lumière de leur colonie natale sur Titan : ils usent pour cela d'une technologie alien qu'ils ne maîtrisent que mal et comprennent à peine. Du coup, l'inexplicable est inexpliqué car il est inexplicable pour les personnages eux-mêmes. Bien joué ! Ce n'est pas révolutionnaire mais c'est assez convaincant pour "faire taire Jean Terre-à-terre".
C'est "space", comme histoire, non ?
À dire vrai, c'est encore difficile à dire en l'état. Nous avons là entre les mains le premier de trois livres et celui-ci prend son temps pour exposer un long incipit se concluant par ce qu'il est sans doute judicieux de considérer comme le début de l'action réelle de cette histoire.
— Ben du coup, ça raconte rien, c'est nul.
— Bien sûr que si, voyons : ça raconte la situation initiale et l'élément perturbateur... Tu as fait une longue crise de narcolepsie pendant toute ta scolarité ou quoi ?
— Bien sûr que si, voyons : ça raconte la situation initiale et l'élément perturbateur... Tu as fait une longue crise de narcolepsie pendant toute ta scolarité ou quoi ?
Nous suivons Natalia Tarkovski, fillette vivant dans une colonie sur Titan (la plus grande lune de Saturne) quelques dix générations après que les United States of Earth (on n'y est pas encore, je le crains) aient décidé de résoudre la surpopulation terrienne et la raréfaction des ressources en s'envoyant en l'air vers d'autres planètes. Enfin... quand je dis "s'envoyer en l'air", c'est on ne peut plus incorrect puisque les humains de Titan sont désormais "fabriqués" sur place par synthèse cellulaire dans des utérus artificiels.
Et là, on sent que le scénariste aime ce type de sujet puisqu'il glisse un petit détail (pour le moment encore anecdotique, sera-t-il exploité ?) en suggérant que ces humains pourtant "artificiels" continuent entre eux à se définir selon leurs origines génétiques et à se chambrer selon les clichés que l'on y accole généralement. C'est une façon, aussi, d'expliquer que notre Natalia est génétiquement sibérienne... et à vrai dire, son tempérament semble en effet correspondre à celui qu'il faut aux femmes russes pour vivre dans cette nordique région.
Comme quoi, on peut vivre à l'époque des "États-Unis de la Terre" et n'en avoir pas encore fini avec les préjugés ethniques. C'est un détail mais c'est bien vu.
Alors attention, hein... on a en effet des esquisses de relations interpersonnelles mais le scénario n'en a pas grand-chose à faire ; c'est la grande histoire qui l'intéresse... on n'est pas dans l'excellent UW1 de Denis Bajram (chez le même éditeur) qui prenait tout son temps pour raconter la grande histoire du futur à travers des événements à l'échelle humaine. Mais bon, Bajram avait six tomes pour raconter son histoire, lui... en trois tomes, on va à l'essentiel.
Alors attention, hein... on a en effet des esquisses de relations interpersonnelles mais le scénario n'en a pas grand-chose à faire ; c'est la grande histoire qui l'intéresse... on n'est pas dans l'excellent UW1 de Denis Bajram (chez le même éditeur) qui prenait tout son temps pour raconter la grande histoire du futur à travers des événements à l'échelle humaine. Mais bon, Bajram avait six tomes pour raconter son histoire, lui... en trois tomes, on va à l'essentiel.
Le papa de Natalia est très pédagogue et nous révisons donc avec notre petite héroïne les bases de l'univers de l'histoire et... de l'Univers tout court aussi, puisque papa aime à expliquer à fifille les fondamentaux de l'astrophysique dont nous aurons besoin (n'ayez pas peur, ça reste digeste). C'est une BD généreuse en phylactères chargés... on n'a pas encore atteint le célèbre "Blake et Mortimer level" mais on s'en approche dans certaines cases.
Natalia grandit et se voit chargée d'une mission unique dans l'histoire de l'Humanité : rejoindre l'armada des Crusaders.
Les Crusaders sont cinq vaisseaux gigantesques que les autorités de Titan ont construits sur base de plans reçus dans un message codé en provenance d'une petite galaxie primitive très massive.
Les Crusaders sont cinq vaisseaux gigantesques que les autorités de Titan ont construits sur base de plans reçus dans un message codé en provenance d'une petite galaxie primitive très massive.
Une sélection tant physique que psychologique amène Natalia a prendre le commandement de l'armada et c'est alors qu'elle et les équipiers sous ses ordres se lancent dans l'inconnu. À bord de vaisseaux dont ils méconnaissent la plupart des capacités, vers une très lointaine destination dont on ne sait rien, pour répondre à l'appel d'êtres dont ils ignorent tout, les voilà à la merci d'un scénario qui les dépasse... comme les dépassera tout ce qu'ils découvriront au fil des pages dans un étalage de démesure très bien servi par le dessin de Carvalho.
Sans doute voués à quelque grand dessein... dans quelques grands dessins.
Parce que oui, quand on fait de la SF sur des feuilles de 23x32cm, il faut bien trouver des astuces pour que l'immensité de l'univers puisse être un peu ressentie, et pour ça, rien de tel que des illustrations en pleine page.
On trouve cinq belles doubles pages, une page pleine et plusieurs grands fonds de pages illustrés. Cette BD respire, bien que coincée dans ses cases... comme on respire dans l'espace, enfermés dans nos combinaisons spatiales (rhôôô, je suis un poète !).
Par contre, ne vous attendez pas à des trouvailles particulières à ce sujet, on ne joue pas ici avec le langage de la bande dessinée, on a une utilisation très sobre et classique de l'espace (haha !) de chaque planche... on est loin du travail de recherche et du métalangage de Benoit Dahan avec Dans la tête de Sherlock Holmes dont je vous parlais il y a peu ! Allez me lire ça de suite... l'article, oui mais surtout l'album !
On trouve cinq belles doubles pages, une page pleine et plusieurs grands fonds de pages illustrés. Cette BD respire, bien que coincée dans ses cases... comme on respire dans l'espace, enfermés dans nos combinaisons spatiales (rhôôô, je suis un poète !).
Par contre, ne vous attendez pas à des trouvailles particulières à ce sujet, on ne joue pas ici avec le langage de la bande dessinée, on a une utilisation très sobre et classique de l'espace (haha !) de chaque planche... on est loin du travail de recherche et du métalangage de Benoit Dahan avec Dans la tête de Sherlock Holmes dont je vous parlais il y a peu ! Allez me lire ça de suite... l'article, oui mais surtout l'album !
Toujours est-il que le dessin est beau et efficace, tout y est maîtrisé et agréable à l’œil. Les couleurs sont bien utilisées, l'esthétique des bases spatiales, de la technologie extraterrestre et même du cosmos lui-même est efficace.
Carvalho a bien intégré les codes du trait réaliste franco-belge actuel, à tel point que l'on pourrait confondre son dessin avec celui de bien d'autres dessinateurs... ce n'est pas vraiment un reproche puisque c'est joli mais je préfère quand même les dessinateurs revendiquant davantage une patte personnelle.
Carvalho a bien intégré les codes du trait réaliste franco-belge actuel, à tel point que l'on pourrait confondre son dessin avec celui de bien d'autres dessinateurs... ce n'est pas vraiment un reproche puisque c'est joli mais je préfère quand même les dessinateurs revendiquant davantage une patte personnelle.
Du coup, un sans faute ?
Ben non... désolé, mais non.
Il y a une bête petite chose que je suis bien obligé de lui reprocher. Un truc anodin mais qui se révèle avoir pris une importance démesurée au fil de ma lecture : le manque de lisibilité de certains flashbacks.
Je suis sûr que bien des bédéphiles seront prêts à se moquer de moi mais certaines des (nombreuses !) analepses de la bande dessinée m'ont forcé à revenir un peu en arrière parce que... je n'avais pas pigé qu'il s'agissait d'une scène antérieure à la narration principale.
Il y a une bête petite chose que je suis bien obligé de lui reprocher. Un truc anodin mais qui se révèle avoir pris une importance démesurée au fil de ma lecture : le manque de lisibilité de certains flashbacks.
Je suis sûr que bien des bédéphiles seront prêts à se moquer de moi mais certaines des (nombreuses !) analepses de la bande dessinée m'ont forcé à revenir un peu en arrière parce que... je n'avais pas pigé qu'il s'agissait d'une scène antérieure à la narration principale.
Il y a un paquet de périodes de narration et plusieurs points de vue, le tout entrecoupé de retours en arrière et jamais un code particulier ne nous avertit qu'on remonte dans le temps... pas de "filtre de couleur", pas de bandeau exprimant l'époque, rien.
Suis-je idiot ? Peut-être. Mais on ne m'ôtera pas de l'idée que c'est presque vicieux, autant de sauts dans le temps sans rien pour nous les annoncer.
Ce n'est pas compliqué, la relecture de cet album m'a semblé dix fois plus agréable que sa lecture pour cette seule raison : j'avais la chronologie en tête et donc plus aucun frein ne venait gêner ma perception de l'histoire.
Suis-je idiot ? Peut-être. Mais on ne m'ôtera pas de l'idée que c'est presque vicieux, autant de sauts dans le temps sans rien pour nous les annoncer.
Ce n'est pas compliqué, la relecture de cet album m'a semblé dix fois plus agréable que sa lecture pour cette seule raison : j'avais la chronologie en tête et donc plus aucun frein ne venait gêner ma perception de l'histoire.
Et donc, de la bonne SF ?
Je vais lister quelques mots que vous croiserez et qui fleurent bon la science-fiction : wormhole, courbure de l'espace-temps, point Lagrange L2, forces gravitationnelles... On n'est pas dans un Boule et Bill !
Oui, c'est de la SF qui convainc assez pour que l'on puisse y croire. Elle s'offre même le luxe d'avoir une héroïne fan des Star Trek classiques. Ajoutez à ça un peu d'ironie avec des habitants de Titan très vite confrontés à une réalité... titanesque, et vous obtiendrez un album qui, sans être parfait, donne bien envie de voir poindre le tome 2.
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