Trahison sanglante : Sherlock Holmes & le Dossier Dracula
Publié le
28.3.24
Par
Vance
De prime abord, le roman de Mark A. Latham donne cette désagréable impression de répondre à cette question qu'on se posait tous quand on était des gamins, avec nos figurines de super-héros : qui est le plus fort entre [insérer ici deux héros qui ne devraient normalement pas se rencontrer] ? En l'occurrence, qui entre le redoutable Van Helsing, pourfendeur de vampires, et le génial Holmes possède le cerveau le plus brillant ? Confronter les écrits de Conan Doyle et ceux de Bram Stoker était forcément tentant, presque autant que faire enquêter le célèbre détective sur le cas de Jack l'Éventreur - ne serait-ce que parce qu'ils abordent des événements contemporains. D'ailleurs, Fred Saberhagen (l'auteur de la série sur les Berserkers), l'avait tenté à deux reprises comme dans l'Affaire Holmes-Dracula en 1978 (voir ci-contre).
Comme l'explique l'auteur anglais dans une postface, si l'on part du principe que les événements décrits dans le roman de Stoker se déroulent en 1893 (de nombreux éléments viennent corroborer ce fait, même si quelques autres sont moins concluants), Holmes pourrait parfaitement s'y intéresser puisqu'il est établi qu'il a repris du service vers 1894, trois ans après sa "mort" dans la nouvelle le Dernier Problème. Latham reprend pour le coup la même structure narrative (c'est donc Watson qui raconte l'histoire à la première personne) afin de nous relater cette étonnante aventure. Peu de temps après les faits présents dans la Maison vide (premier texte du recueil le Retour de Sherlock Holmes), le résident de Baker Street se voit confier un dossier envoyé par son frère, Mycroft : le "Dossier Dracula". Si Mycroft désire son aide c'est que cela doit être un problème fort épineux, et qu'il en va de la sûreté de l'État.
Ce dossier consiste en un ensemble de notes fondées essentiellement sur les témoignages des survivants de cette affaire qui a troublé la capitale britannique : les circonstances de la mort de plusieurs personnes à Londres apparemment liée aux agissements d'un mystérieux comte roumain dont la traque a été menée par le professeur Van Helsing assisté de quelques acolytes (soit vous avez lu le roman de Stoker, ou vu le film de Coppola, ou encore parcouru le très bel album - voir ci-contre -de Georges Bess auxquels cas les noms de Mina Murray ou R.M. Renfield vous seront familiers ; sinon, vous pouvez faire un tour sur nos sélections consacrées aux vampires et à l'évolution du mythe). Très vite, notre détective s'aperçoit d'incongruités dans la suite des événements rapportés : certains éléments ne collent pas entre eux et il entrevoit aussitôt une machination cachée derrière ce que le grand public a cru. Pour Holmes, résolument cartésien (comme pour l'affaire du Chien des Baskerville, il se montre hautain voire cassant lorsqu'on aborde devant lui le surnaturel), il n'y a jamais eu de vampire, de malédiction ou de sortilèges, mais plus probablement une série d'actes savamment orchestrés visant à jeter de la poudre aux yeux dans le but de dissimuler des agissements nettement moins glorieux qu'une hypothétique chasse au monstre. Dès lors, un duel à distance entre Abraham Van Helsing et le grand détective peut s'enclencher et, si le premier dispose de plusieurs coups d'avance, et nargue constamment notre héros, le lecteur sait que ce dernier dispose toujours d'atouts dans sa manche qu'il ne révèle qu'en temps utile - et dont souvent Watson ne sait rien.
L'intrigue, tortueuse à souhaits, bourrée de personnages secondaires pour lesquels un tableau généalogique ne serait pas de trop, progresse de manière classique par révélations, coups du sort, intervention d'adjuvants et prise de risques. Sans sortir des schémas dévoilés dans le canon holmesien, le détective déploie ici toute sa palette de talents : il les lui faudra pour espérer venir à bout d'un adversaire au moins aussi coriace que Moriarty. Ses remarquables facultés d'observation et de déduction sont largement mises à contribution, toutefois on le verra aussi mêlé à des pugilats (les fans du détective savent qu'il est adepte d'un art martial asiatique et que Guy Ritchie n'a donc que peu exagéré ses aptitudes physiques dans ses deux films - voir ci-dessous) et même défendre chèrement sa vie à coups de revolver.
Face à lui, les masques tombent et bon nombre de personnages s'avèrent bien différents de ce que le public croyait savoir. Le tout est mené bon train, en dehors d'un ou deux chapitres un peu plus longs dans lesquels Sherlock se lance dans de grands dialogues visant à dévoiler, quoique très progressivement, les éléments de l'enquête qu'il a réussi à recouper.
Pas de quoi s'ennuyer, d'autant que les réflexions du bon docteur, toujours aussi titillé par son ami - qui le pousse régulièrement à déduire par lui-même - ponctuent certains événements avec un humour bon enfant. On regrettera peut-être quelques accrocs dans la construction et une conclusion sans doute un peu hâtive, mais le roman est une réussite dans ce que les puristes appellent des "pastiches", d'autant que Bragelonne a soigné la présentation de cette collection cyberpunk avec une couverture qui se voit ornée de filigranes dorés dont les motifs sont repris en tête de chapitres, et dont les pages s'avèrent dotées d'une tranche tout aussi dorée, ce qui fait de ce volume un bel objet à glisser dans une bibliothèque.
Pour le coup, attendez-vous bientôt sur UMAC à une chronique sur les romans de Lovegrove issus de cette même collection avec Holmes se frottant au mythe de Cthulhu... Sinon vous pouvez également voir ce que donnent les adaptations en bande dessinée ou en manga des aventures du plus célèbre des détectives.
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