En 2009, l'évènement Marvel s'appelle
Secret Invasion. Si la saga n'est pas parfaite, elle a eu le mérite d'introduire l'intéressante période Dark Reign. Retour sur la grande invasion skrull.
Rappel des Faits
Les
Vengeurs, à l'occasion d'un combat contre la
Main, se sont rendu compte après avoir tué
Elektra que cette dernière était en fait un
Skrull.
Jessica Drew, alias Spider-Woman, décide d'en informer
Tony Stark qui se rend immédiatement compte du danger de la situation. Ni la technologie, ni la magie ou les pouvoirs mutants ne peuvent détecter les Skrulls. La paranoïa s'installe alors au sein d'une communauté déjà fortement divisée par la guerre civile encore toute fraîche.
Quelles organisations, quels groupes de héros ont été infiltrés ? Depuis combien de temps ? Est-il encore temps de réagir à cette invasion silencieuse ? Les Masques se posent beaucoup de questions et n'ont, pour le moment, que bien peu de certitudes.
L'histoire en elle-même n'aura pas été forcément passionnante, bien moins en tout cas que
Civil War. Peut-être parce que le sentiment de paranoïa n'aura finalement pas été aussi bien exploité que prévu. Peut-être également parce que les nombreuses affiches promotionnelles "Embrace Change" laissaient augurer au moins d'une petite période d'occupation et de cohabitation (un peu comme dans la série
V) qui n'a pas eu lieu. À la place, les auteurs se sont contentés des classiques gros combats, auxquels il faut néanmoins ajouter quelques
tie-ins qui relèvent un peu le niveau (celui de
Black Panther par exemple, publié en VF dans un Marvel Monster) mais qui s'avèrent un peu maigres pour réellement imposer une vision alternative du conflit.
Quoi qu'il en soit, ce sont surtout les conséquences de
Secret Invasion qui se révèlent intéressantes.
Chaises Musicales
Niveau bouleversement, on tape dans le lourd. Tout d'abord
Tony Stark, ex-ministre de la défense, directeur du
SHIELD et membre des
Illuminati, tombe en disgrâce et se voit accusé d'être responsable de l'impréparation des différentes organisations infiltrées par les extraterrestres. Jugement un peu dur tout de même mais qui permet de mettre un terme au règne d'Iron Man en tant que super-boss.
À ce niveau de responsabilités, une place vide ne le reste jamais bien longtemps. Et le choix du successeur de Stark est pour le moins étonnant puisque c'est
Norman Osborn, patron des
Thunderbolts (série publiée un temps dans le mensuel
Spider-Man), qui parvient à tirer les marrons du feu et à devenir patron du SHIELD (ou plutôt de ce qui le remplacera) et des Vengeurs ! Une sacrée promotion, un peu vite expédiée narrativement mais qui a le mérite d'ouvrir des possibilités sombres et immenses, un peu comme chez DC lorsque Lex Luthor était devenu président des États-Unis. Après tout le choix est logique, un personnage aussi détestable avec un pouvoir aussi grand entre les mains devient évidemment d'autant plus effrayant.
Le brave Norman ne perd d'ailleurs pas de temps puisqu'il a déjà réuni un petit groupe sympa (ses Illuminati à lui) composé de Namor, Fatalis, Loki, Hood et, curieusement,
Emma Frost.
Face aux Ténèbres
Voilà donc le sens du label
Dark Reign (cf. notre
Chronologie Marvel), non pas une victoire de la civilisation skrull mais la montée en puissance de personnages plutôt douteux. Car un Osborn en tant que Bouffon Vert était déjà dangereux, comme chef des Thunderbolts, il a prouvé son cynisme et son sens de la manipulation, mais en leader des Vengeurs et
bras droit du président, il pourrait bien se révéler épouvantable.
Pour autant, il n'a pas entièrement le champ libre. On se doute bien que les anciens Vengeurs ("new" ou "mighty") ne vont pas subitement prendre leur retraite. Stark, même s'il accuse le coup et subit encore les remarques cinglantes d'un Thor, est plutôt du genre à rebondir. Enfin, Nick Fury est de retour et à la tête des Secret Warriors. Autant d'éléments qui, bien que disparates, devraient tenter de faire échec à la "normanisation" des esprits.
Nouvelles Cicatrices et Vieilles Rancunes
Ces dernières années, un évènement - toujours présenté comme important - chasse l'autre avec plus ou moins de réussite.
Secret Invasion ne s'est pas révélé aussi inventif que nous pouvions l'espérer mais permet de redistribuer les cartes de manière intéressante. D'autant qu'à l'époque, les traces de
House of M ou
Civil War n'ont pas encore disparu. Ou pas complètement. Le recensement, l'Initiative, le nombre réduit de mutants et la surveillance dont ils font l'objet, tout cela contribue, dans ce contexte, à rendre l'avenir de l'univers 616 incertain et à offrir un large éventail de choix possibles à ses auteurs.
Certains personnages, comme Daredevil, sont un peu en marge des équipes de héros et des gros évènements. D'autres, comme Spidey, participent activement même si le reboot dont il a été victime (cf.
One More Day), comme une vulgaire bécane sous Windows 95, a anéanti l'épaisseur dramatique du personnage. Mais au milieu de tout cela, Iron Man, Captain America, Hank Pym, la Guêpe, Ms. Marvel ou Arachne sont au cœur de la tourmente, que ce soit dans des séries phares ou plus confidentielles. Et chaque choc, chaque épreuve qu'ils subissent les font gagner en crédibilité et en capital sympathie auprès du lectorat. Du moins, tant que Marvel fait preuve d'audace et, surtout, ose pérenniser certains des changements orchestrés avec plus ou moins de brio.
Car ce qui fait la force d'un éditeur dans le domaine particulier des super-héros, ce n'est pas tant de leur en foutre plein la tronche mais plutôt d'avoir le cran de ne point effacer leurs cicatrices.
Les Publications
Outre la série principale, publiée dans la revue éponyme, de nombreux tie-ins ont été publiés dans diverses collections. Deux Marvel Monster, tout d'abord, s'attardent sur ce qui concerne Ms. Marvel, les New Warriors, War Machine ou Captain Britain.
C'est surtout l'arc consacré à
Black Panther, écrit par
Jason Aaron qui est à conseiller.
L'auteur évite l'écueil du manichéisme en abordant l'affrontement du côté skrull. Il parvient très facilement à rendre le commandant en chef alien particulièrement humain (un comble !) et émouvant. Les premières passes d'armes se font de loin, électroniquement, et rappellent un peu certains vieux films sur la lutte entre sous-marins ennemis, chacun essayant, à distance, de prendre l'avantage. Tout se précipite ensuite pour tomber dans l'épique avec un conflit à l'ancienne évoquant l'ambiance et le lyrisme de
300. Graphiquement, c'est sublime. Les dessins de Jefte Palo, magnifiquement mis en couleurs par Lee Loughridge, jouent sur les contrastes et les noirs dans un style qui pourrait rappeler Mignola par certains aspects. L'équipe créative pourrait en rester là et se dire que c'est déjà un boulot plus que correct mais, loin de se reposer sur leurs lauriers, nos gaillards rivalisent d'inventivité et de maîtrise. Une scène de torture par exemple, dont on ne voit pourtant rien, se révèle poignante et difficile à supporter, un coup de théâtre nous embarque sans que l'on puisse le voir venir, etc. C'est fin, super bien fichu et ça vous submerge de sentiments intenses et variés : tout ce que l'on peut espérer d'un bon récit !
D'autres ouvrages permettaient de compléter le tableau.
Le
Marvel Universe #16 confronte les
Inhumains à l'évènement.
Blackagar Boltagon a été enlevé et est soumis à des expériences épouvantables afin de percer le secret de son pouvoir. Sur Attilan, alors que Maximus a endossé le rôle de nouveau monarque, une première vague skrull est repoussée et les premiers espions sont démasqués.
Le peuple Inhumain, bardé de pouvoirs, est bien plus apte à affronter la situation que les terriens. Déjà, ils imaginent une riposte qui pourrait faire vaciller l'empire skrull tout entier. Pour cela, il leur faut déroger à leur isolement et replonger dans leurs racines : une alliance avec les Krees semble la seule issue, même si celle-ci doit être scellée par un sacrifice.
Le tout est assez habile et plaisant.
Le
Marvel Saga #2 se penchait, lui, sur
Frank Castle, avec des épisodes issus de
Punisher War Journal.
Par contre, difficile de s'enthousiasmer pour une histoire qui n'est qu'une suite de combats sans intérêt, saupoudrés de dialogues peu inspirés et de réflexions ennuyeuses.
Signalons également un court récit de trois épisodes consacrés aux
Runaways et aux
Young Avengers, publié dans le
Secret Invasion Hors Série #1.
Alors que les deux groupes unissent leurs forces, Hulkling, alias Dorrek, le sauveur de la prophétie, l'unificateur de l'empire skrull, fait office de cible principale. En effet, si l'armada avait connaissance de sa présence sur terre, l'invasion pourrait être compromise. Des guerriers aussi puissants que fanatiques sont lancés sur ses traces...
Un arc assez confus et se limitant surtout là encore à une longue baston.
Enfin, le second
Secret Invasion Hors Série s'intéressait à
Thor, avec Matt Fraction au scénario et de fort belles planches de Doug Braithwaite.
L'histoire est assez courte et conte la lutte d'
Asgard contre l'ennemi skrull. Si le Dieu de la foudre et du tonnerre est bel et bien présent, il partage l'affiche avec son alter ego Donald Blake qui, lui, va essentiellement essayer de mener à bien un accouchement au milieu de la tourmente. Le parallèle entre la douleur de l'enfantement et la violence des combats est assez bien mené, le tout donnant l'impression d'un gigantesque maelström de vie et de mort s'abattant sur la petite ville de Broxton, Oklahoma.
Notons également le retour de Beta Ray Bill qui prend lui aussi part aux combats.
En 2013, Panini a réédité la saga principale dans un
Marvel Select, fortement conseillé (si vous tombez dessus en occasion à un prix raisonnable). En plus des huit épisodes de SI, celui-ci contient
Secret Invasion : Prologue et
Secret Invasion : Dark Reign #1.
En Conclusion
Tout cela semblait au départ prometteur et bourré de scènes censées surprendre. Cette idée d'invasion à base de métamorphes est d'ailleurs particulièrement bien trouvée car, évidemment, le lecteur peut y aller de ses suppositions et tenter de se remémorer ce qui pourrait apparaître, dans les épisodes précédents, comme un comportement suspect. Pour ceux qui ne connaissent pas très bien le Marvelverse, il faut admettre qu'il sera nécessaire de bien s'accrocher tant les personnages et les références aux évènements récents (départ de Fury,
Civil War, mort de Cap) sont nombreux. C'est toutefois ce qui fait aussi l'intérêt d'un univers partagé dans lequel les héros tissent, au fil du temps, des relations parfois complexes.
Le concept n'a malheureusement pas été pleinement exploité. De nombreux (et insipides) combats ont souvent tenus lieu de fil conducteur, là où des scènes plus intimistes et dramatiques auraient pu installer une atmosphère bien plus intéressante (ce que Brian Reed parvient un peu à faire dans les
Secret Invasion : FrontLine). La période d'occupation, que l'on sentait venir, n'a pas non plus eu lieu. Reste cependant un grand coup de pied dans la fourmilière, qui a abouti à de nombreux changements et à l'avènement du Dark Reign. Mais c'est là une autre histoire...
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Les points positifs |
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Les points négatifs |
- Un nombre incroyable de personnages concernés.
- Le côté paranoïaque.
- Les FrontLine.
- Le tie-in Black Panther.
- Les conséquences directes, et notamment l'accession au pouvoir de Norman Osborn.
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- Une thématique finalement survolée.
- Pas mal de combats ennuyeux.
- Très complexe si l'on ne connait pas au moins un peu le marvelverse.
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