Planet Hulk



Retour sur Planet Hulk, l'une des plus belles sagas consacrées au Géant de Jade.

Il pensait qu'ils étaient ses amis mais eux pensaient qu'il était un monstre. Une menace. Alors, ils l'ont banni.
C'est ainsi que Hulk, expédié dans l'espace sur décision des Illuminati, échoue sur un monde technologiquement avancé mais culturellement proche de l'ancien empire romain. On y pratique notamment les jeux du cirque et Hulk, surnommé la Balafre Verte, fait un parfait guerrier pour divertir les foules.
Il n'est d'ailleurs pas seul, on va notamment lui associer un insecte au destin étonnant, un homme de pierre, une Ombre déchue et même un Brood. Bientôt, les victoires de l'équipe se transforment en légende. Les parias grondent.
Il ne leur manquait qu'un cri pour se lever...

Le temps de la Balafre Verte est venu. Le Roi Rouge vaincu, le monde dans lequel Hulk a trouvé refuge demande à être dirigé, et par qui d'autre que son libérateur ? Le nouveau souverain souhaite maintenant gagner la paix. Il dépêche des émissaires et négocie avec les races en lutte contre le pouvoir impérial. Après le courage dans l'affrontement, il faut maintenant apprendre l'espoir, retrouver foi en l'avenir et reconstruire.
Mais il est des paix plus dures à remporter que les batailles les plus acharnées.

Hulk en Spartacus des aliens opprimés, il fallait oser. C'est ce que Greg Pak (au scénario) et Carlos Pagulayan (au dessin) ont fait avec une rare intelligence et un indéniable talent.
Tout, dans cette histoire, sonne juste et est parfaitement pensé. Des personnages extraterrestres pour le moins originaux mais jamais ridicules, des civilisations crédibles possédant des coutumes, légendes et technologies fascinantes, une situation dramatique qui monte crescendo, bref, une pure merveille.

Hiroim le Honteux, Ombre de Guerre et Prêtre du Saka.

— Des signes sur des signes, montrant le chemin. Comment ne pourrions-nous croire ? Ce sont les jours du fils de Sakaar, qui sera notre salut, ou du destructeur des mondes, qui sera notre perte. Mais le prophète nous a dit de chercher en nous le fils de Sakaar. Dans nos cœurs. De nos mains. Par notre sang. Il n'y a ni destin ni apocalypse annoncée. Nous faisons notre propre choix. Nous sauver ou nous détruire nous-mêmes.



Graphiquement, c'est tout bonnement magnifique, que ce soit au niveau des décors, des scènes d'action ou des visages expressifs.
L'ambiance elle-même est plus proche du péplum que de la saga cosmique. À travers les aventures d'un Hulk trahi, ivre de rage et de souffrance, ce sont les péripéties d'un groupe hétéroclite que nous suivons. Les personnages qui le composent, malgré leurs différences profondes, sont particulièrement unis car, comme ils le disent si joliment, ils sont liés en guerre, à jamais frères et solidaires dans la lutte, quelle que soit son âpreté. Ou comment des monstres se découvrent un code d'honneur qui fait d'eux non plus des gladiateurs destinés à apaiser les tensions sociales mais bien des guerriers, nobles et chevaleresques, animés par un idéal, une foi presque : combattre les uns pour les autres.

Que dire des ennemis ? Le Roi Rouge d'abord, empereur mégalomane et cruel n'hésitant pas à massacrer ses propres troupes, est délicieusement haïssable. Les Piques restent longtemps une énigme avant que l'on ne découvre quelle menace ces spores représentent réellement. Quant à l'Ombre de l'empereur, loyale stratège liée par un serment qu'elle ne peut briser, elle est aussi redoutable à elle seule qu'une armée de Gardes Crânes.
En ce qui concerne Hulk, Pak en livre un portrait plus humain que jamais, ce dernier trouvant la paix de l'âme, l'amour même, mais étant ramené inexorablement vers la tragédie et ne maîtrisant pas plus son destin qu'une plume sa direction dans le vent. L'auteur installe, au milieu des luttes politiques, des moments d'une rare intensité. Comme lorsque la flore renait grâce au sang vert, ou, mieux encore et plus poignant, lorsque Caiera, en attendant le pire, serre fort un enfant contre elle et lui demande de fermer les yeux alors qu'il pleure et avoue avoir peur. Poignant.

Voici donc un récit incontournable, même pour les lecteurs qui, en général, n'apprécient pas le monstre vert.
Épique, furieuse, la saga Planet Hulk, qui servit de longue introduction à l'event World War Hulk (à la qualité bien moindre), nous plonge dans un maelström d'acier, de sang et de sentiments. Inutile de préciser qu'il est bigrement conseillé de se ruer sur la fabuleuse légende de la Balafre Verte qui, un jour, osa défier le Roi Rouge et fit des esclaves des êtres libres !




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Pak, magique sur ce titre.
  • Environnement crédible et travaillé.
  • Grose charge émotionnelle sur certaines scènes.
  • Un Hulk très humain et touchant.
  • Accessible, même si l'on n'est pas un inconditionnel du Géant Vert.

  • Quelques coquilles dans la VF.

Scooby Apocalypse



Gros plan sur la version post-ap des personnages de Hanna-Barbera avec Scooby Apocalypse.

Daphne Blake est une journaliste qui anime une émission, Mysterious Mysteries, sur une petite chaîne du câble. En quête d'un bon sujet, son caméraman et elle se rendent à un festival dans le Nevada pour rencontrer Velma, une scientifique qui souhaitent leur faire apparemment quelques révélations.
Le petit groupe se retrouve dans un complexe scientifique qui a pour but de mener à bien un projet de "chien intelligent". Et effectivement, ils rencontrent Scooby-Doo, qui peut communiquer à l'aide de mots simples ou d'émoticônes, ainsi qu'un dresseur, Norville "Shaggy" Rogers. Mais ces travaux sur l'intelligence canine dissimulent en fait un objectif bien plus ambitieux : supprimer tout sentiment d'agressivité - voire toute capacité de réaction - chez l'être humain grâce à des nanites répandues dans l'atmosphère aux quatre coins du monde.
Mais alors que Velma pensait pouvoir empêcher la réalisation de cette folle entreprise, elle ne peut que constater, avec effroi, que les nanites ont été activées. À Paris, Pékin, Moscou, Londres, celles-ci sont déjà à l'œuvre et se reproduisent à une vitesse fulgurante.
Malheureusement, le procédé va avoir un tout autre effet sur la population que celui qui était escompté...

DC Comics a engagé, en 2016, un reboot complet des différentes licences comics de Hanna-Barbera. Parmi celles-ci, Scooby-Doo, dont la nouvelle mouture s'avère être plus adulte et violente que les versions précédentes.
L'idée de départ est simple : plonger Sammy (Shaggy en VO), Scooby, Fred, Daphné et Velma dans un monde post-apocalyptique peuplé de monstres sanguinaires. Et contre toute attente, non seulement ça fonctionne, mais la série s'avère plutôt bien fichue et agréable à suivre.


Si le concept est dû à Jim Lee, le scénario est l'œuvre de Keith Giffen (Futures End, Defenders, Annihilation) et J.M. DeMatteis (Maximum Carnage, Saga du Clone). Aux crayons, l'on retrouve Howard Porter (Fantastic Four, Justice League). Pas franchement des débutants donc.
Outre l'aspect plus violent, la série creuse un peu plus les personnages, qui ne se connaissent d'ailleurs pas tous dès le départ, l'épisode #6 revient par exemple en profondeur sur le passé de Velma.
Dans le groupe, ce sont sans doute Sammy et Daphné qui subissent le plus de modifications, physiques pour l'un (le seul dont le look est vraiment complètement différent) et psychologiques pour l'autre (la jeune journaliste étant plutôt forte et déterminée, voire parfois agressive).

Graphiquement, c'est surtout la colorisation qui pose problème. Celle-ci, très vive et manquant de nuances, ne convient pas forcément pour installer une inquiétante atmosphère de fin du monde, même si l'ensemble reste plutôt joli. Et pour une série qui ne s'adresse plus à un public enfantin, les monstres (très variés) conservent tout de même un aspect très cartoony pour la plupart.
Il y a des flingues, du sang, un côté badass pour certains personnages, mais justement, l'on aurait aimé que l'aspect sombre, cradingue et réaliste soit encore plus accentué. En l'état, cela reste plus une amusante curiosité qu'un véritable récit de survie, dramatique et palpitant. Un peu dommage que les auteurs n'aillent pas vraiment au bout du concept.
Notons que la nouvelle version de la série Wacky Raceland (reboot de Wacky RacesLes Fous du Volant en VF), elle aussi complètement modernisée, se déroule dans le même univers et bénéficie d'une ambiance bien plus adaptée et de dessins somptueux (cf. cette planche).

Une série sympa mais pas complètement aboutie.
À réserver surtout aux nostalgiques de cette team mythique.




Fred et Daphné, en parlant de Velma qu'ils viennent d'assommer.


— Tu penses vraiment que la gifler va aider à la réanimer ?
— Ben... ça marche dans les films.
— Tu viens déjà de la frapper à la tête avec une caméra. N'en rajoute pas.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une habile réinterprétation des personnages.
  • Le nouvel univers global Hanna-Barbera.
  • L'humour.

  • Une ambiance graphique qui ne convient pas vraiment à l'univers post-ap (et qui est bien moins réussie que celle de Wacky Raceland).

Trouble : la révélation ultime sur Peter Parker ?


De la retcon à base de sexe et de scandale, c'est ce que propose Trouble, une mini-série pour le moins étonnante et... sulfureuse.

May et Mary sont deux jeunes étudiantes. Pour passer l'été et se faire un peu d'argent de poche, elles vont travailler à East Hampton en tant qu'employées dans un club de vacances plutôt select. Les voilà chargées de servir, faire le ménage et la plonge... mais heureusement les deux filles ont d'autres projets : s'éclater et draguer un maximum pendant leur temps libre.
Elles font alors la rencontre de deux frères, séduisants et sympathiques. L'un s'appelle Richard Parker. L'autre Ben Parker. Rich est sûr de lui, brillant, fêtard. Ben est plus réservé. Pourtant, c'est lui qui parvient à séduire May, la plus délurée du groupe.
Bientôt, un incroyable chassé-croisé amoureux va décider du destin des quatre jeunes gens. Entre les tromperies, les rêves brisés et les drames, un enfant non désiré va naître.
Il s'appelle Peter.
Il deviendra Spider-Man.

Nous voici donc au cœur de l'une des plus stupéfiantes révélations sur la famille Parker. C'est Mark Millar (cf. notre dossier sur l'auteur) qui se charge du scénario, Terry Dodson est au dessin.
Lorsque le récit sort en France, un malentendu intervient dès le départ. En effet, les cinq épisodes sont publiés dans la collection Max, qui existe aussi en VO et qui est réputée pour accueillir des histoires plutôt hors continuité (encore qu'il existe des exceptions, Alias par exemple est tout à fait intégré à l'univers 616, l'on y voit même Jessica Jones jouer les gardes du corps pour Matt Murdock à l'époque où les médias dévoilent qu'il est Daredevil). Pourtant, aux États-Unis, la mini-série est en fait publiée non dans la gamme Max mais Epic. En clair, à l'origine, les évènements contés dans Trouble sont considérés par Marvel comme faisant partie intégrante de la continuité.
L'éditeur, devant l'accueil pour le moins réservé que feront certains fans à la série, fera (encore !) machine arrière.


Attention, voici les spoilers et la partie la plus croustillante.
Quand May était adolescente, elle était plutôt... chaudasse dirons-nous. Ainsi, bien qu'elle sorte dans un premier temps avec Ben Parker, elle va le tromper avec son propre frère Richard (qui sort, lui, avec sa meilleure amie). La situation est déjà délicate mais elle va vite empirer quand May va tomber enceinte. Au moment de l'annoncer à Ben, celui-ci lui dit qu'il a aussi une révélation à lui faire. Après quelques "toi d'abord !", "non toi !", c'est May qui parle la première et annonce qu'elle attend un enfant. Quant à Ben, ce qu'il voulait lui dire avant que leur relation n'aille plus loin, c'est qu'il est... stérile !
L'enfant est donc d'un autre, en l'occurrence de Richard.

Désespérée, terrifiée même (son père est très religieux et pas très accommodant sur les coucheries et les enfants hors mariage), May s'enfuit. Elle tombe sous la coupe d'un type qui la maltraite, déprime de plus en plus, avant de finalement revenir vers Mary. Celle-ci l'accueille évidemment froidement, étant donné qu'elle a rompu avec Richard à cause d'elle. Mais au bout d'un moment, les deux amies trouvent une solution à leurs problèmes respectifs. Elles partent ensemble et, à leur retour, Mary présente le petit Peter comme s'il était son fils. Cela permet à May de rentrer chez elle et de reprendre le cours de sa vie, alors que Mary peut, du même coup, tester le sérieux de Richard en le mettant face à ses responsabilités (l'enfant étant de toute façon bien de lui).
C'est assez vicieux, non ? Nous, on adore !


Cette mini-série, datant de 2003, fait incontestablement partie des réussites de Millar. Non seulement les révélations sont très bien amenées mais, surtout, elles donnent un sens nouveau à la relation Peter/May que l'on sait pour le moins très fusionnelle. L'on comprend ainsi le côté surprotecteur d'une mère qui, en fait, a abandonné son enfant pour le regarder vivre loin d'elle dans un premier temps.
Le personnage de Ben est également très bien écrit, l'auteur parvenant à nous montrer à quel point ce type est droit, sensible et touchant. Évidemment, May ne sort pas grandie du récit (Mary non plus d'une certaine façon), mais on nous l'impose en vieille tantine souffreteuse depuis si longtemps que c'est un bonheur de la voir exploser ainsi toutes les idées reçues que l'on pouvait nourrir à son égard. Mieux encore, c'est la première fois que Millar ose dérouter les lecteurs en tentant d'imposer un regard neuf et humain sur un personnage qui avait, avant cela, autant de charisme qu'une momie.

Bref, c'est excellent, et comme souvent avec ce qui sort un peu des sentiers battus, ça n'a pas plu à tout le monde. Marvel, avec le courage qui caractérise ses pontes, a alors annoncé que "houlala, non, en fait, attendez, on s'est un peu avancé, ça ne s'est pas du tout passé comme ça, on déconnait les mecs, oh".
Dommage.
Un excellent récit, surprenant, habile, émouvant même, malheureusement mis au placard par des gens trop respectueux des conventions et d'un lectorat qui se révèle bien frileux. Attention cependant, pas de super-héros ici, nous sommes plutôt dans un trip "flirts & problèmes d'ados".

Une lecture à conseiller en tout cas, surtout si vous ne voulez plus jamais considérer May de la même façon.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • De la retcon bien foutue.
  • Une manière totalement nouvelle d'aborder le personnage de May Parker.
  • Une théorie plutôt osée mais expliquant bien des choses.
  • Une romance loin d'être niaise. 

  • Une avancée qui sera finalement considérée comme étant hors continuité.

Secret Invasion


En 2009, l'évènement Marvel s'appelle Secret Invasion. Si la saga n'est pas parfaite, elle a eu le mérite d'introduire l'intéressante période Dark Reign. Retour sur la grande invasion skrull.

Rappel des Faits
Les Vengeurs, à l'occasion d'un combat contre la Main, se sont rendu compte après avoir tué Elektra que cette dernière était en fait un Skrull. Jessica Drew, alias Spider-Woman, décide d'en informer Tony Stark qui se rend immédiatement compte du danger de la situation. Ni la technologie, ni la magie ou les pouvoirs mutants ne peuvent détecter les Skrulls. La paranoïa s'installe alors au sein d'une communauté déjà fortement divisée par la guerre civile encore toute fraîche.
Quelles organisations, quels groupes de héros ont été infiltrés ? Depuis combien de temps ? Est-il encore temps de réagir à cette invasion silencieuse ? Les Masques se posent beaucoup de questions et n'ont, pour le moment, que bien peu de certitudes.

L'histoire en elle-même n'aura pas été forcément passionnante, bien moins en tout cas que Civil War. Peut-être parce que le sentiment de paranoïa n'aura finalement pas été aussi bien exploité que prévu. Peut-être également parce que les nombreuses affiches promotionnelles "Embrace Change" laissaient augurer au moins d'une petite période d'occupation et de cohabitation (un peu comme dans la série V) qui n'a pas eu lieu. À la place, les auteurs se sont contentés des classiques gros combats, auxquels il faut néanmoins ajouter quelques tie-ins qui relèvent un peu le niveau (celui de Black Panther par exemple, publié en VF dans un Marvel Monster) mais qui s'avèrent un peu maigres pour réellement imposer une vision alternative du conflit.
Quoi qu'il en soit, ce sont surtout les conséquences de Secret Invasion qui se révèlent intéressantes.

Chaises Musicales
Niveau bouleversement, on tape dans le lourd. Tout d'abord Tony Stark, ex-ministre de la défense, directeur du SHIELD et membre des Illuminati, tombe en disgrâce et se voit accusé d'être responsable de l'impréparation des différentes organisations infiltrées par les extraterrestres. Jugement un peu dur tout de même mais qui permet de mettre un terme au règne d'Iron Man en tant que super-boss.
À ce niveau de responsabilités, une place vide ne le reste jamais bien longtemps. Et le choix du successeur de Stark est pour le moins étonnant puisque c'est Norman Osborn, patron des Thunderbolts (série publiée un temps dans le mensuel Spider-Man), qui parvient à tirer les marrons du feu et à devenir patron du SHIELD (ou plutôt de ce qui le remplacera) et des Vengeurs ! Une sacrée promotion, un peu vite expédiée narrativement mais qui a le mérite d'ouvrir des possibilités sombres et immenses, un peu comme chez DC lorsque Lex Luthor était devenu président des États-Unis. Après tout le choix est logique, un personnage aussi détestable avec un pouvoir aussi grand entre les mains devient évidemment d'autant plus effrayant.
Le brave Norman ne perd d'ailleurs pas de temps puisqu'il a déjà réuni un petit groupe sympa (ses Illuminati à lui) composé de Namor, Fatalis, Loki, Hood et, curieusement, Emma Frost.


Face aux Ténèbres
Voilà donc le sens du label Dark Reign (cf. notre Chronologie Marvel), non pas une victoire de la civilisation skrull mais la montée en puissance de personnages plutôt douteux. Car un Osborn en tant que Bouffon Vert était déjà dangereux, comme chef des Thunderbolts, il a prouvé son cynisme et son sens de la manipulation, mais en leader des Vengeurs et bras droit du président, il pourrait bien se révéler épouvantable.
Pour autant, il n'a pas entièrement le champ libre. On se doute bien que les anciens Vengeurs ("new" ou "mighty") ne vont pas subitement prendre leur retraite. Stark, même s'il accuse le coup et subit encore les remarques cinglantes d'un Thor, est plutôt du genre à rebondir. Enfin, Nick Fury est de retour et à la tête des Secret Warriors. Autant d'éléments qui, bien que disparates, devraient tenter de faire échec à la "normanisation" des esprits.

Nouvelles Cicatrices et Vieilles Rancunes
Ces dernières années, un évènement - toujours présenté comme important - chasse l'autre avec plus ou moins de réussite. Secret Invasion ne s'est pas révélé aussi inventif que nous pouvions l'espérer mais permet de redistribuer les cartes de manière intéressante. D'autant qu'à l'époque, les traces de House of M ou Civil War n'ont pas encore disparu. Ou pas complètement. Le recensement, l'Initiative, le nombre réduit de mutants et la surveillance dont ils font l'objet, tout cela contribue, dans ce contexte, à rendre l'avenir de l'univers 616 incertain et à offrir un large éventail de choix possibles à ses auteurs.
Certains personnages, comme Daredevil, sont un peu en marge des équipes de héros et des gros évènements. D'autres, comme Spidey, participent activement même si le reboot dont il a été victime (cf. One More Day), comme une vulgaire bécane sous Windows 95, a anéanti l'épaisseur dramatique du personnage. Mais au milieu de tout cela, Iron Man, Captain America, Hank Pym, la Guêpe, Ms. Marvel ou Arachne sont au cœur de la tourmente, que ce soit dans des séries phares ou plus confidentielles. Et chaque choc, chaque épreuve qu'ils subissent les font gagner en crédibilité et en capital sympathie auprès du lectorat. Du moins, tant que Marvel fait preuve d'audace et, surtout, ose pérenniser certains des changements orchestrés avec plus ou moins de brio.
Car ce qui fait la force d'un éditeur dans le domaine particulier des super-héros, ce n'est pas tant de leur en foutre plein la tronche mais plutôt d'avoir le cran de ne point effacer leurs cicatrices.



Les Publications
Outre la série principale, publiée dans la revue éponyme, de nombreux tie-ins ont été publiés dans diverses collections. Deux Marvel Monster, tout d'abord, s'attardent sur ce qui concerne Ms. Marvel, les New Warriors, War Machine ou Captain Britain.
C'est surtout l'arc consacré à Black Panther, écrit par Jason Aaron qui est à conseiller. L'auteur évite l'écueil du manichéisme en abordant l'affrontement du côté skrull. Il parvient très facilement à rendre le commandant en chef alien particulièrement humain (un comble !) et émouvant. Les premières passes d'armes se font de loin, électroniquement, et rappellent un peu certains vieux films sur la lutte entre sous-marins ennemis, chacun essayant, à distance, de prendre l'avantage. Tout se précipite ensuite pour tomber dans l'épique avec un conflit à l'ancienne évoquant l'ambiance et le lyrisme de 300. Graphiquement, c'est sublime. Les dessins de Jefte Palo, magnifiquement mis en couleurs par Lee Loughridge, jouent sur les contrastes et les noirs dans un style qui pourrait rappeler Mignola par certains aspects. L'équipe créative pourrait en rester là et se dire que c'est déjà un boulot plus que correct mais, loin de se reposer sur leurs lauriers, nos gaillards rivalisent d'inventivité et de maîtrise. Une scène de torture par exemple, dont on ne voit pourtant rien, se révèle poignante et difficile à supporter, un coup de théâtre nous embarque sans que l'on puisse le voir venir, etc. C'est fin, super bien fichu et ça vous submerge de sentiments intenses et variés : tout ce que l'on peut espérer d'un bon récit !

D'autres ouvrages permettaient de compléter le tableau.
Le Marvel Universe #16 confronte les Inhumains à l'évènement.
Blackagar Boltagon a été enlevé et est soumis à des expériences épouvantables afin de percer le secret de son pouvoir. Sur Attilan, alors que Maximus a endossé le rôle de nouveau monarque, une première vague skrull est repoussée et les premiers espions sont démasqués.
Le peuple Inhumain, bardé de pouvoirs, est bien plus apte à affronter la situation que les terriens. Déjà, ils imaginent une riposte qui pourrait faire vaciller l'empire skrull tout entier. Pour cela, il leur faut déroger à leur isolement et replonger dans leurs racines : une alliance avec les Krees semble la seule issue, même si celle-ci doit être scellée par un sacrifice.
Le tout est assez habile et plaisant.


Le Marvel Saga #2 se penchait, lui, sur Frank Castle, avec des épisodes issus de Punisher War Journal.
Par contre, difficile de s'enthousiasmer pour une histoire qui n'est qu'une suite de combats sans intérêt, saupoudrés de dialogues peu inspirés et de réflexions ennuyeuses.
Signalons également un court récit de trois épisodes consacrés aux Runaways et aux Young Avengers, publié dans le Secret Invasion Hors Série #1.
Alors que les deux groupes unissent leurs forces, Hulkling, alias Dorrek, le sauveur de la prophétie, l'unificateur de l'empire skrull, fait office de cible principale. En effet, si l'armada avait connaissance de sa présence sur terre, l'invasion pourrait être compromise. Des guerriers aussi puissants que fanatiques sont lancés sur ses traces...
Un arc assez confus et se limitant surtout là encore à une longue baston.

Enfin, le second Secret Invasion Hors Série s'intéressait à Thor, avec Matt Fraction au scénario et de fort belles planches de Doug Braithwaite.
L'histoire est assez courte et conte la lutte d'Asgard contre l'ennemi skrull. Si le Dieu de la foudre et du tonnerre est bel et bien présent, il partage l'affiche avec son alter ego Donald Blake qui, lui, va essentiellement essayer de mener à bien un accouchement au milieu de la tourmente. Le parallèle entre la douleur de l'enfantement et la violence des combats est assez bien mené, le tout donnant l'impression d'un gigantesque maelström de vie et de mort s'abattant sur la petite ville de Broxton, Oklahoma.
Notons également le retour de Beta Ray Bill qui prend lui aussi part aux combats.

En 2013, Panini a réédité la saga principale dans un Marvel Select, fortement conseillé (si vous tombez dessus en occasion à un prix raisonnable). En plus des huit épisodes de SI, celui-ci contient Secret Invasion : Prologue et Secret Invasion : Dark Reign #1.

En Conclusion
Tout cela semblait au départ prometteur et bourré de scènes censées surprendre. Cette idée d'invasion à base de métamorphes est d'ailleurs particulièrement bien trouvée car, évidemment, le lecteur peut y aller de ses suppositions et tenter de se remémorer ce qui pourrait apparaître, dans les épisodes précédents, comme un comportement suspect. Pour ceux qui ne connaissent pas très bien le Marvelverse, il faut admettre qu'il sera nécessaire de bien s'accrocher tant les personnages et les références aux évènements récents (départ de Fury, Civil War, mort de Cap) sont nombreux. C'est toutefois ce qui fait aussi l'intérêt d'un univers partagé dans lequel les héros tissent, au fil du temps, des relations parfois complexes.
Le concept n'a malheureusement pas été pleinement exploité. De nombreux (et insipides) combats ont souvent tenus lieu de fil conducteur, là où des scènes plus intimistes et dramatiques auraient pu installer une atmosphère bien plus intéressante (ce que Brian Reed parvient un peu à faire dans les Secret Invasion : FrontLine). La période d'occupation, que l'on sentait venir, n'a pas non plus eu lieu. Reste cependant un grand coup de pied dans la fourmilière, qui a abouti à de nombreux changements et à l'avènement du Dark Reign. Mais c'est là une autre histoire...



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un nombre incroyable de personnages concernés.
  • Le côté paranoïaque.
  • Les FrontLine.
  • Le tie-in Black Panther.
  • Les conséquences directes, et notamment l'accession au pouvoir de Norman Osborn.

  • Une thématique finalement survolée.
  • Pas mal de combats ennuyeux.
  • Très complexe si l'on ne connait pas au moins un peu le marvelverse.

Superman : Identité Secrète



Retour sur un excellent récit de DC Comics : Superman - Secret Identity.

Les parents du jeune Kent ont cru bon de lui faire une bonne blague à sa naissance : ils l'ont appelé Clark. Comme le Superman des comics. Ce qui lui vaut bien entendu un nombre incroyable de blagues de mauvais goût.
Parfois, Clark s'isole un peu, pour écrire, pour s'évader, comme s'il voulait s'enfermer dans une forteresse de solitude...
Et puis un jour, il découvre qu'il a des pouvoirs. Il peut voler, se déplacer à une vitesse hallucinante, soulever plusieurs tonnes !
Sa vie change. Tout devient possible.
Mais il est des secrets qui s'avèrent bien lourds à porter seul. Clark, qui découvre qu'il est épié, traqué même, va devoir choisir entre préserver ses proches ou partager avec eux ce qui fait de lui un être unique.

Cette mini-série, à l'origine publiée en 2004 en quatre longues parties, constitue une saga de près de 200 planches. Le scénariste n'est autre que Kurt Busiek (Astro City, Marvels), les dessins sont réalisés par Stuart Immonen qui va faire preuve d'un talent extraordinaire en dépeignant un monde à la fois réaliste et d'une beauté stupéfiante. Les décors sont détaillés, les visages expressifs, les plans variés et souvent impressionnants.
L'ambiance qui se dégage de l'ensemble fait penser à certains récits de Jeph Loeb, que ce soit évidemment son Superman : For all seasons ou Spider-Man : Blue, pour le côté doux-amer. À cette relecture intimiste et tendre du personnage, Busiek va également associer un brin de paranoïa, Kent subissant - un peu à la manière d'un Hyperion (cf. la partie Supreme Power de notre dossier Straczynski) - les manipulations et les agissements parfois douteux du gouvernement.


Cette histoire complète suit Clark Kent de son adolescence jusqu'au crépuscule de sa vie, alors que ses pouvoirs déclinent. On le voit rencontrer Lois, fonder une famille, trembler pour celle-ci. Et au final, malgré quelques scènes super-héroïques classiques (Kent sauve un gamin de la noyade, il vient en aide à un avion en perdition...), l'auteur s'éloigne du schéma classique (pas de super-vilains par exemple) pour rentrer dans une thématique plus adulte, plus universelle aussi.
Peut-on mentir aux gens que l'on aime pour les protéger ? Jusqu'à quel point a-t-on le droit d'influencer ses propres enfants ?
Dans un monde où Superman n'existe que dans les comics, Kent, pour se protéger, a choisi de s'habiller comme lui. De devenir une légende urbaine. Un sujet dont on se moque. C'est là une technique bien connue des services spéciaux du monde entier : si vous ne pouvez pas garder un secret, si c'est trop énorme pour être contenu, faites en sorte de le discréditer. Ce qui n'est pas crédible cesse d'être dangereux.

Ce que Kent a bien compris, c'est que pour vivre heureux, il lui fallait vivre caché, à l'abri de la foule et des sourires, torves et avides, des médias. Là encore le genre super-héroïque pur est détourné, avec talent, pour finalement discourir sur un sujet bien plus vaste que les seuls encapés.
Ce que l'on retiendra de ce récit, ce n'est cependant pas tant les pistes de réflexion qu'il offre que la nouvelle vision qu'il impose pour le personnage. Superman, trop kitsch pour être aussi iconique qu'un Batman, trop puissant pour attendrir le lecteur, devient subitement fragile, mortel, désemparé. Humain en un mot.
Cette histoire fait également partie de ces contes, simples mais pas si naïfs que ça, qui marquent et permettent de croire, au moins un peu, que la bonté existe, quelque part. Cachée peut-être, habilement dissimulée par des gens qui savent qu'elle peut faire d'eux une cible.
Disponible chez Urban Comics (19€).

Un moment magique et hors du temps.
À lire absolument.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers graphique somptueux.
  • Une vision intelligente et originale du personnage.
  • Profond, réaliste et émouvant.
  • Un récit qui dépasse largement le cadre du genre super-héroïque.

  • RAS.

Neonomicon : quand Alan Moore revisite Lovecraft



Le panthéon lovecraftien a inspiré bien des auteurs, l'adaptation qu'en fait Alan Moore est probablement l'une des plus abouties à ce jour et a pour nom Neonomicon.

Des meurtres ayant le même mode opératoire mais commis par des individus ne se connaissant pas et n'ayant aucun point commun. Voilà ce sur quoi Sax, un agent fédéral, enquête. Ses découvertes le mènent sur la piste d'un dealer et de ce qui semble être une nouvelle drogue.
Pour diverses raisons, il ne pourra poursuivre ses investigations et d'autres fédéraux vont prendre le relais : Merril Brears, qui se remet doucement d'un problème d'addiction au sexe, et son collègue, l'agent Lamper, quelque peu ennuyé de n'être pas le genre de sa partenaire nymphomane. Ensemble, ils vont se lancer sur la piste d'une secte diffusant du matériel pornographique très... spécial.
Peu à peu, les éléments d'un gigantesque puzzle se mettent en place, comme si tout avait un rapport avec les écrits de H.P. Lovecraft.
Pour les agents du FBI commence alors une rencontre avec l'indicible.
Car quelque part, quelque chose rêve. Et attend.

Voilà probablement l'un des meilleurs titres de la collection Urban Indies. Mais commençons par le début. Si H.P. Lovecraft a accédé à la célébrité, ce n'est pas tant pour ses qualités d'écrivain - son style restant assez lourd et ses personnages peu creusés - que pour le panthéon qu'il a bâti. Le mythe a depuis continué de fasciner, que ce soit au travers des œuvres d'autres auteurs ou grâce au célèbre jeu de rôle, L'Appel de Cthulhu. Parfois, des tentatives d'adaptation BD ont vu le jour, notamment Les Montagnes Hallucinées, publié chez Akileos, et qui souffrait d'un défaut rédhibitoire : un graphisme aseptisé qui, par sa ligne claire très naïve, avait du mal à rendre effrayants ou même crédibles des lieux pourtant décrits comme imposants et terrifiants, avec force superlatifs, par Lovecraft en personne.

En effet, s'il y a quelque chose que l'on attend d'un comic dont l'intrigue prend sa source dans les eaux lovecraftienne, c'est bien qu'il inspire autre chose qu'un intérêt poli. En présence de créatures immondes, de lieux insensés, l'on se doit de frissonner, d'être mal à l'aise, tendu...
Et cela, Alan Moore l'a parfaitement compris, et il le prouve en signant un scénario intelligent et percutant (cf. également la série d'article consacrée à Providence). L'on savait l'auteur capable de prouesses (comme Watchmen ou From Hell), il se révèle ici au moins aussi habile que sur ses comics les plus cultes.
Le récit est magnifiquement construit, réservant des surprises de taille et une réelle montée en puissance (au point qu'il a fallu ruser pour ne rien dévoiler de crucial dans le résumé qui ouvre cet article). Ensuite, l'essentiel est là : peur, dégoût, suspense, horreur... et même quelques petites pointes d'humour qui ne sont pas liées à Lovecraft mais permettent de souffler un peu de temps à autre.


Moore, en vieux briscard, conserve l'ambiance du mythe (tout peut rapidement tourner à l'étrange et à l'épouvante la plus viscérale) tout en permettant aux personnages d'y faire référence régulièrement. Il ne se contente pas d'adapter l'une des nouvelles de Lovecraft, ni même d'emprunter son bestiaire, mais il modernise l'ensemble, le redéfinit, lui donne un nouveau sens, aussi inattendu qu'inquiétant.
Bien sûr, pour que la magie opère, il fallait un dessin à la hauteur. C'est Jacen Burrows (ayant officié sur Crossed) qui s'est attelé à la tâche. Le pari est parfaitement réussi, et ce à plus d'un titre. Tout d'abord, le monde "réel" est très bien représenté, dans un style réaliste et détaillé qui donne beaucoup de cachet à certains lieux qui se devaient à la fois de paraître banals et inquiétants, corrompus, presque sur le point de basculer dans une autre réalité. Ensuite, l'aspect "surnaturel" est parfaitement traité : lieux, créatures ou hallucinations sont rares mais d'autant plus marquants. Certaines scènes sont particulièrement efficaces et stressantes, la menace n'étant dévoilée que peu à peu pour aboutir à une horreur que l'on soupçonnait, qui est d'ailleurs toujours latente, mais dont on parvient à se délecter tant elle sert le propos et reste baroque.

L'on en vient ici à un aspect important : le niveau de violence et de perversion. Contrairement à certains comics particulièrement gore, les auteurs ne sont pas ici dans l'excès. Bien entendu l'on voit du sang, des membres arrachés même parfois, mais le plus dérangeant reste ce qui est suggéré. Voire ce qui est dit, les dialogues étant pour beaucoup parfois dans le malaise (totalement voulu) qui est suscité.
Tout cela destine cette histoire à un public adulte. Représenter l'horreur décrite par Lovecraft, dans toutes ses dimensions, accouplements contre-nature compris, nécessitait de rendre certaines planches très explicites. Le sexe est ici violent, pervers, mais finalement justifié : non seulement le voyeurisme est peu présent, mais Moore s'offre également une sorte de petite analyse psychologique, ayant pour but Lovecraft, qui pourrait se lire comme une tentative d'auto-analyse inconsciente. Car après tout, l'absence de sexe (sous une autre forme que le symbole) chez Lovecraft, aussi bien que sa débauche malsaine ou presque systématiquement déviante chez Moore (une analyse de l'œuvre de Moore dans son aspect sexuel serait assez intéressante et révélerait une approche très particulière, même dans ses comics les plus "soft") semblent révélatrices d'un rapport au sujet pour le moins peu serein, licence poétique mise à part.

Pour résumer, nous sommes là en présence d'un récit astucieusement construit, revisitant intelligemment le mythe développé par Lovecraft et le sublimant même au travers de dessins efficaces mais finalement peu racoleurs.
Magistral.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le mythe créé par Lovecraft, parfaitement employé.
  • Un scénario d'une rare maîtrise, qui va jusqu'à mettre au cœur de l'histoire sa propre source d'inspiration.
  • Des dessins parfaitement adaptés à l'ambiance gothique et glauque.
  • Une tension constante et de véritables scènes choc.
  • Une horreur malsaine qui fait son petit effet mais a le bon goût de n'être pas trop explicite.

  • Attention, à réserver à un public averti et adulte.

Spider-Man : Blue


La Saint Valentin a un sens bien spécial pour ce vieux Tisseur, c'est ce que nous allons constater dans l'excellent Spider-Man : Blue.

Le 14 février est une date particulière pour Peter Parker. C'est l'occasion pour lui de se souvenir de Gwen Stacy. Il se débrouille pour aller discrètement jeter une rose du haut d’un pont… "le" pont. Celui qui a coûté la vie à son premier amour. C'est à partir de ce rituel mélancolique et d'un gros coup de blues que Jeph Loeb, au scénario, et Tim Sale, aux dessins (le tandem de Batman : The Long Halloween), vont revenir sur un moment crucial du passé de Spidey, si crucial qu'il fait partie des éléments fondateurs du mythe de l'Araignée.
Les titres de cette mini-série, publiée aux débuts des années 2000 (et en 2006 en France, dans la collection 100% Marvel), sont éloquents : My funny Valentine, Let’s fall in love, Anything goes, Autumn in New York, If i had you et All of me. C'est donc plus de sentiments que de castagne qu'il sera question ici.

Cependant, les auteurs parviennent à rendre ce retour en arrière agréablement nostalgique, avec des scènes d'une émotion intense qui prennent aux tripes. Par exemple, les quelques mots d'une Mary Jane, ayant compris ce que Peter s'apprêtait à faire, et qui lui demande alors de "passer le bonjour à Gwen" et de lui dire qu'elle lui manque aussi. Impossible de ne pas avoir les yeux qui piquent à ce moment-là. Voilà sans doute la magie véritable des livres et des bons sorciers qui les écrivent : créer de véritables émotions à partir d'un peu de papier et d'encre...

Visuellement, le style de Sale est particulièrement efficace. Les covers sont fort jolies, les dessins, un peu rétro et parfaitement colorisés, installent une ambiance douce-amère. Les planches sont habilement composées et contrastées, avec d'élégants aplats. C'est un réel plaisir de s'attarder sur certaines planches, qu'elles montrent un Tisseur se baladant au-dessus de la ville, un kiosque à journaux ou une balade en moto. On frise la perfection.


Le récit, utilisant habilement des moyens originaux mettant le lecteur au centre des souvenirs d’un Parker désabusé et profondément sincère, est simplement l'une des plus belles histoires de Spider-Man. D'ailleurs, pour ceux qui s'inquièteraient du côté un peu trop sentimental de cette mini-série, sachez que les super-vilains et les combats font tout de même leur apparition. L'on a notamment droit à des bastons, très esthétiques, avec le Bouffon Vert, le Rhino, le Lézard, le Vautour et Kraven. L'on peut même noter une apparition éclair d'Octopus et du Scorpion, ce qui constitue un tour relativement complet des principaux ennemis historiques du Tisseur.

Ces moments "super-héroïques" alternent avec des scènes de la vie quotidienne, où l'on retrouve Mary Jane, Gwen ou encore Flash Thompson (dans des flahbacks notamment). Et là encore, c'est particulièrement bien écrit.
Parker a tellement l’habitude de pleurnicher et de jouer au poissard de service qu’il faut être réellement inventif pour nous faire, encore, nous apitoyer sur son sort de super-héros malchanceux. Et ces deux bougres y parviennent. Non pas en ressassant un Spidey enivré de doutes et de misères passées, mais en montrant le regard, adulte et dur, d’un homme qui se retourne sur sa jeunesse et apprend à accepter ce qui a changé et ne reviendra plus. Ce ne sont plus des jérémiades mais bien un constat, comme un baume sur une blessure qui devait, enfin, en finir de saigner et devenir une belle et fine cicatrice.

Si Marvel a réussi une chose en plusieurs décennies d’histoires, c’est bien celle-là : ne jamais ressusciter Gwendolyn (enfin, presque jamais). Car, au final, et malgré la colère des fans à l'époque, la mort de Gwen a fait plus pour l’identification et la fidélisation au héros que n’importe quel combat. Spider-Man, le vrai, celui des comics, nous ressemble car, quoi qu’il arrive, il a perdu Gwen comme nous avons nous-mêmes perdu notre innocence ou d’autres choses. Il est certes dangereux de jouer avec ce côté humain des héros, mais il serait suicidaire de ne point le faire. Marvel réussit parfois cet exploit d’allier pouvoirs et fragilité, costumes ridicules et émotions bien réelles, irréalité des combats et sincérités des sentiments. C'est ici le cas.


Blue aurait pu être la mini-série de trop dans le genre "Spidey déprime", loin de là, Loeb et Sale parviennent à magnifier cette tragédie et à en faire un drame d'une justesse et d'une beauté incomparable. Car si l'on avait souvent vu Peter être malmené ou déprimer, personne n'avait encore à ce point sublimé son spleen. Le Monte-en-l'air a remisé ses vannes pour un temps. Il est hanté par l'image de Gwen. Par son absence. Si perdu qu’il en vient à confier son histoire à un simple dictaphone. Juste pour qu’une trace persiste. Une trace de l’indicible. Une trace de ce qu’il ne peut confier à personne, et surtout pas à ceux qu’il aime. Une trace de ce qui n’est plus et que jamais, personne, ne pourra remplacer.
Ce n’est plus une question d’amour, de compréhension, c’est au-delà de tout.

Certains béotiens considèrent encore les comics comme des BD bas de gamme, de l'art au rabais pour les gamins et les demeurés. Voilà un livre qui pourrait bien les faire changer d'avis. Il suffit de tourner ces pages pour se rendre compte qu'il y a, dans ces quelques dessins, bien plus que ce qu'ils semblent représenter. Ce n'est pas seulement un peu de papier. C'est un endroit où les larmes ruissellent sans irriter la peau. Où la lumière coule sans éblouir. Où la mort de Gwen a un sens. Où une MJ nous consolera. Où Spider-Man n'affronte pas seulement des criminels mais aussi ses propres démons.
L'on aurait pu croire que Gwen Stacy était un faire-valoir, un pâle souvenir, un poids mort. C’est tout le contraire. Elle est de ces pertes qui font avancer. Elle est de ces faiblesses qui se transforment un jour en force, lorsqu’on a le courage de les regarder vraiment. Elle est de ces choses qui, plus que jalonner un chemin, le façonnent. Il fallait bien deux auteurs de génie pour lui rendre ce bel et vibrant hommage.

Une lecture absolument indispensable pour tous les fans du Tisseur.
Et même pour ceux qui le sont moins.


Spider-Man, sous la plume de Jeph Loeb.

— Chaque année, le jour de la Saint Valentin, je viens à cet endroit. Discrètement. Personne n'est au courant. C'est pour me souvenir d'une femme qui comptait tellement pour moi que je voulais passer ma vie avec elle. J'ignorais qu'en fait, c'était elle qui allait toujours rester à mes côtés.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit poignant et riche en émotions.
  • Visuellement sublime.
  • Une magnifique ode à un personnage mythique.
  • Un beau panel de super-vilains.
  • RAS.