Retour sur la série
Under the Dome et ses nombreux égarements.
Décidément, Dôme, le roman de Stephen King, a joué de malchance en ce qui concerne ses adaptations. En 2011 (voir encadré), Albin Michel avait sorti une VF épouvantable, bourrée de fautes, d'approximations, de termes mal traduits et même d'avis personnels du traducteur. Un gros couac pour un éditeur pourtant rodé à l'exercice. Par la suite, l'adaptation du récit en série TV ne fut guère plus heureuse et aboutit à un ridicule salmigondis. Et non, un salmigondis n'est pas un genre de saucisson.
Pour tenter de comprendre pourquoi cette adaptation est totalement ratée, il faut peut-être commencer par écarter les raisons qui n'ont rien à voir avec ce résultat qualitatif décevant.
L'on a pu lire ici où là que le livre ne serait pas si bon que ça, notamment à cause d'une fin trop simpliste (comprenez par là l'explication concernant l'origine du dôme). En réalité, peu importe, le dôme n'est qu'un prétexte et l'essentiel du roman est centré sur l'expérience humaine que constitue la mise "sous cloche" d'une population limitée, obligée de fonctionner en autarcie.
D'autres ronchonnent sur le fait que l'adaptation télévisée ne soit pas suffisamment fidèle au livre, ce qui n'est pas en soi une raison non plus : il était tout à fait possible de bâtir une histoire différente en conservant les fondamentaux du roman tout en s'adaptant aux exigences du support télévisuel. Si l'on se doit d'en conserver l'esprit, il est normal de s'écarter, au moins un peu, de l'intrigue du roman, ne serait-ce que pour des raisons pratiques (certaines scènes, très efficaces à l'écrit, ne le sont pas du tout visuellement) ou artistiques (après tout, les réalisateurs donnent leur version de l'histoire, adoubée de toute façon par la présence de King dans le staff).
Les raisons d'un tel échec sont bien plus simples en réalité.
Pourtant, au départ, les noms défilant au générique avaient de quoi rassurer : Spielberg, Brian K. Vaughan [1], King lui-même... malheureusement, après une première saison plutôt satisfaisante (au moins dans la première moitié), l'on assiste ensuite à un naufrage complet.
Tentons de comprendre pourquoi en voyant les choses sous deux aspects : ce qui est conservé du roman et ce qui est propre à la série TV.
Les personnages, évidemment, sont conservés. Mais dans quel état ! Ils sont tous
complètement aseptisés, notamment
"Big Jim" Rennie et son fils
Junior. Or, ce sont ces deux-là qui créent toute la situation conflictuelle et le suspense du roman. Le père est un horrible salaud, trafiquant de surcroît, qui profite de la situation pour prendre la ville sous sa coupe en montant une milice personnelle basée sur les amis, brutaux, de son fils. Quant au rejeton, il est dingue et commet plusieurs meurtres.
Dans la série TV, Jim est certes plutôt antipathique et plusieurs fois borderline, mais il n'a plus rien de l'odieux salopard du roman, en comparaison, il est même très humain (il est bien plus attaché à sa famille, il s'allie ponctuellement avec Barbie, etc.). Junior, lui, après avoir effectivement commencé à péter les plombs dans la première saison, en emprisonnant son ex-petite amie, bascule rapidement dans le camps des "gentils", avec un perpétuel air niais qui n'arrange rien. Privée de la pire menace (Rennie et son gang), Chester's Mill va évoluer dans une direction radicalement différente (n'oublions pas que le dôme à la base est un révélateur, il n'est pas dangereux en lui-même) [2].
Les ajouts propres à la série TV sont étonnamment tous très étranges, parfois à la limite du ridicule. L'histoire de "fight club" organisé dans une cimenterie, par une Maxine sortie de nulle part et faisant chanter (trop) facilement tout le monde, était déjà très limite. Qui, dans de telles conditions, penserait à organiser des combats clandestins ? Mais bon, cela restait un égarement momentané. La saison 2 va, elle, multiplier les inepties et les incohérences. Accrochez-vous, c'est une véritable pluie d'imbécilités :
- Lorsque le dôme se magnétise, les objets sont attirés selon le bon vouloir des scénaristes et non selon une loi physique logique et constante (quand les personnages approchent du dôme, et bien que nombre d'objets métalliques soient déjà "collés" à celui-ci, leurs propres affaires sont attirées de manière aléatoire).
- Le problème de l'éventuel manque de nourriture et la manière dont il est abordé frisent la parodie : après avoir voulu éliminer une partie de la population au hasard, les leaders optent pour une collecte auprès de la population et ce afin... de redistribuer les vivres.
- Lorsque Jim négocie avec l'extérieur pour livrer l'œuf (un élément central dans la série), les militaires refusent l'évacuation de la population alors que c'est encore possible : pourquoi ?
- Jim apprend à Rebecca l'existence de l'œuf, dont elle ignore visiblement tout. Cela ne l'empêche pas de lui demander si elle ne pourrait pas fabriquer en vitesse un détecteur capable de le localiser. C'est une simple prof de science mais il doit la prendre pour Reed Richards.
- Le moment où la température chute à l'intérieur du dôme est le plus involontairement drôle. Tout d'abord, alors que les gens se regroupent pour lutter contre le froid, un personnage demande la température à l'extérieur. On lui répond alors : "Deux degrés, et ça continue à descendre !" Certes deux degrés, ce n'est pas franchement une température estivale, mais tout de même, pas de quoi mourir de froid, surtout à l'intérieur des bâtiments. Or, les gens revenant de l'extérieur ont du givre dans les cheveux et semblent transis de froid comme s'il faisait -30 !
- L'accident de Dale et Julia est ahurissant également, une véritable ode à la connerie. Ils se retournent à bord d'une ambulance sur une route verglacée. Julia est blessée à la jambe, une sorte de tige métallique lui ayant transpercé la cuisse. Dale annonce qu'ils ne peuvent absolument pas rejoindre la ville à pied, le froid et la blessure de Julia leur interdisant cette option (ça ne l'empêchera pas de le faire plus tard, en la portant en plus). Admettons. Un peu plus tard, il a une idée. Vous allez voir, elle est gratinée et ne résout rien, en fait, elle crée des problèmes supplémentaires.
Pour éviter une éventuelle hémorragie en retirant la tige métallique, Dale suggère à Julia de... mourir. En fait, il la découvre pour la faire rentrer en hypothermie et provoquer un arrêt cardiaque. Puisqu'il n'y a plus de pulsations cardiaques, hop, il enlève la tige sans risque de voir gicler le sang, puis il la prend dans ses bras et rejoint la ville (très rapidement et sans être gêné par le froid si intense qu'il tue la fille, qui était pourtant à l'intérieur de l'ambulance, en quelques minutes). Et là, un massage cardiaque, et hop, le tour est joué, elle revient à la vie, merci messieurs-dames. Mais... puisqu'il s'agissait de la transporter à bout de bras, n'était-il pas plus raisonnable de la transporter vivante, en laissant simplement la tige en place ? Et pourquoi attend-il d'être arrivé sur place pour la ranimer, au risque de voir le manque d'oxygène occasionner des dégâts sérieux au cerveau ? Et depuis quand provoquer la mort de quelqu'un est-il plus sûr que risquer une hémorragie que l'on sait très bien éviter, soit par un simple garrot, soit en laissant cette foutue tige en place ?!
- Lyle, qui est récupéré nageant au milieu des plaques de glace, se porte comme un charme et ne frissonne même pas alors qu'il est trempé (en comparaison, Dale, qui était sec, semblait frigorifié alors qu'il était à l'abri dans l'ambulance, avec le chauffage en prime)... [3]
- À un moment, alors que les protagonistes s'inquiètent des vivres qui leur restent, ils décident de les transporter en lieu sûr, Julia en sort alors une bien bonne : "Avec le froid, on risque de tout perdre..."
Ben oui, c'est bien connu, un aliment congelé devient impropre à la consommation, argh. Les scénaristes n'ont visiblement jamais entendu parler des congélateurs...
Bref, on le voit avec ces quelques exemples, les idioties ne manquent pas. Et souvent, ce sont des erreurs si grossières, des approximations si évidentes, qu'elles dénotent un manque certain de sérieux et d'engagement [4].
Tout cela sans parler des tunnels qui apparaissent et disparaissent, permettant d'aller à l'extérieur quand le besoin s'en fait sentir. Ou des personnages qui reviennent d'entre les morts, ou se sont volontairement fait passer pour morts sans que cela ait le moindre intérêt. En réalité, l'on a constamment l'impression que les scénaristes improvisent dans l'urgence, par tranches de cinq minutes, sans jamais savoir où ils vont ni comment ils vont résoudre les problèmes qu'ils créent. La gestion du dôme, qui devient un élément central du récit, n'est guère plus convaincante. Ce dernier change de couleur, fait pleuvoir du sang, rétrécit, tourne, ronronne et fait des claquettes (ah non, les claquettes c'est un ajout personnel, tout le reste est vrai).
Au final, le récit mettant en scène la prise de pouvoir d'un petit dictateur local devient une course à l'œuf, parsemée d'épreuves plus ou moins vraisemblables, aux résolutions tirées par les cheveux. L'étude de cas du roman, basée sur l'isolement et l'ascension d'un groupe aussi dangereux que néfaste, se transforme en farce bâclée.
Si l'idée de départ était passionnante (avec un excellent roman fournissant de belles pistes), à l'arrivée, l'on a une adaptation fade, maladroite, bourrée de sottises et tirant franchement en longueur.
Dommage.
Pour ceux qui hésiteraient entre les deux, ruez-vous sur le roman. Il est bien plus sensé et excitant.
Dôme - le roman
Dale Barbara est un brave type. Un brave type qui s'est attiré, dans la petite ville de
Chester's Mill, l'hostilité du deuxième conseiller,
"Big Jim" Rennie. Et parce que Dale est aussi malin qu'intelligent, il décide de quitter la ville. Sauf que, malheureusement, plus personne ne peut quitter la petite bourgade. Parce qu'un champ de force, invisible mais bien réel, vient de changer la donne. Il y a maintenant l'extérieur, le vaste monde, et Chester's Mill, sous le dôme.
La situation est déjà désagréable en soi, mais elle va vite virer au tragique. Il suffit que le pacemaker du chef de la police explose pour que tout soit bouleversé. Un petit politicien, aussi néfaste qu'ambitieux, va trouver là l'occasion de resserrer son emprise sur la ville. Il va attiser la peur, embaucher des incapables pour assurer la sécurité et, au final, se révéler un apprenti-dictateur, intouchable car préservé par une bulle providentielle.
Sur le fond, voilà un excellent roman de King, installant une thématique fascinante et reposant sur un rythme et des effets narratifs aussi efficaces que maîtrisés. Par contre, la traduction réserve bien des surprises...
Tout y passe. Coquilles, fautes "volontaires" (par ignorance et non inadvertance), manque d'adaptation et même opinions personnelles du traducteur en note, l'on a droit à un festival. Et c'est vraiment pénible car, forcément, toutes ces aspérités irritent les mains qui tournent les pages et les yeux qui les lèchent. Tout cela contribue à faire sortir le lecteur de sa lecture, ce qui est probablement le pire effet que puisse produire une "adaptation". Quelques exemples ? OK, ce n'est pas ça qui manque. Un steak "médium" ("à point" en gros), qui est évidemment une expression connue chez nos amis américains ou anglais, mais qui, chez nous, n'a pas lieu d'être et qui est ici utilisée de manière appuyée. Pourquoi n'est-ce pas traduit ? Ce n'est pas une taille mais une cuisson ! Attention, ce n'est rien, l'on va avoir un nombre assez ahurissant de coquilles (des adjectifs disparaissent ou des termes impropres surgissent au milieu d'une phrase), bref, on monte dans les tours. Le mieux, c'est encore une note expliquant le crash-a-rama. Voilà la définition que l'on trouve en bas de page : "version moderne, en plus répugnant encore, des courses de stock-cars". "En plus répugnant" ? On ne voit pas trop en quoi une course serait répugnante, mais surtout, qu'est-ce que l'opinion personnelle du traducteur vient foutre ici ?
Parfois, c'est carrément à une incompréhension crasse du traducteur que le lecteur est confronté : le nom "Apollo Creed" est employé comme s'il s'agissait d'un stade et non d'un homme ; le "Food City", qui est un magasin, est désigné indifféremment comme une ville ou un supermarché ("à Food City", "au Food City"). L'on a la fâcheuse impression que, voulant sortir l'ouvrage au plus vite, l'éditeur n'a même pas jugé bon de faire relire ce texte.
Bref, à lire en VO si possible, car cette histoire, ici bien mieux développée que dans la série TV, et le questionnement qu'elle soulève valent largement le coup.
[2] L'excellent
Girls, des frères Luna, édité en France chez Delcourt, se basait déjà sur le même principe : un dôme isolant un village et permettant à ses habitants de se révéler sous un jour nouveau.
[3] En sachant que l'on perd 25 fois plus vite sa chaleur corporelle dans l'eau, cela pose tout de même un sérieux problème de vraisemblance.
[4] Certaines erreurs sont peut-être liées à la VF, comme l'indication des fameux 2 degrés alors que tout est gelé, ou l'énorme "oh mon Dieu, le froid va détruire nos réserves de nourriture !!", mais l'essentiel des maladresses provient bien du scénario original.