Les veuves électriques #1


Odette, Jasmine et Gabrielle entrent en guerre contre le nucléaire.
Ça va péter ! Enfin non, le terme est mal choisi, là, mais vous avez compris...


Un matin comme un autre à Chissouane. 
Sébastien, Jean-Pierre et Piéric partent de chez eux pour aller travailler à la centrale nucléaire qui emploie une bonne partie de la population locale.
Sébastien part sur la pointe des pieds pour éviter de réveiller son épouse avec laquelle il s'est disputé la veille, Jean-Pierre part avec son fils Brendan, et Pieric arrive en retard à son poste, comme à son habitude. Une fois sur place, les trois hommes démarrent leur journée dans la bonne humeur, comme à l'accoutumée, sous le regard d'un Brendan un peu à la traîne.

Malheureusement, un incident va survenir et les trois hommes vont mourir, irradiés par une fuite radioactive, alors que Brendan les regarde agoniser, depuis un sas qu'il a refermé par erreur...

Quelques jours plus tard, on assiste à l'enterrement des trois hommes et l'on fait plus ample connaissance avec leurs trois veuves.
C'est aussi le premier moment où l'on se rend compte que l'on n'est pas dans une bande dessinée jouant la carte de la gravité mais celle de l'humour allant du potache à l'absurde. Les noms de famille des personnages tiennent plus des albums d'Astérix que du réalisme documentaire de la série Tchernobyl (que je ne peux que vous recommander) ; les représentants de l'État viennent présenter leurs condoléances en tenues antiradiations en mode "pilotage de discours automatique", et accessoirement sont aussi torchés qu'un macramé ; et Brendan se révèle plus largué encore que prévu en se mettant à vanter devant les trois femmes éplorées la grande sécurité de la centrale qui vient de leur ôter leurs maris...


Révoltées, les trois veuves vont bientôt décider, à l'occasion d'une petite sortie bien trop arrosée, d'organiser une manifestation devant la mairie... et c'est là que les trois belles vont vraiment commencer à déraper façon Sébastien (Loeb ou Ogier, c'est comme vous voulez).
Le mouvement n'aura clairement pas le succès escompté puisque, en dehors de nos trois héroïnes, seuls l'ivrogne local et le pauvre Brendan seront présents (et encore, l'alcolo est là par hasard et Brendan n'assume en rien sa participation à une manif contre son employeur). Toutefois, le média local, stimulé par nos trois femmes, va relayer l'information qui va attiser l'intérêt de médias nationaux qui vont eux-mêmes monter ce non-événement en épingle au point de donner au public l'impression d'un événement de grande ampleur... Tout ce ramdam va pousser le gouvernement à réagir et l'on va voir intervenir, contre nos cinq pauvres manifestants, une brigade entière de C.R.S. qui vont aller jusqu'à un affrontement rappelant douloureusement des épisodes récents et citronnés de la vie revendicative française. Le gouvernement et le président eux-mêmes, d'ailleurs, sont représentés de la plus irrévérencieuse des façons... Ils y sont quasiment autant tournés en ridicule que s'ils étaient filmés en train de se prêter à faire des blagues avec des amuseurs publics à deux balles dans une émission médiocre destinée à un public ignare. Autant dire que c'est donc hautement improbable et par conséquent insultant pour les nobles institutions françaises ! 


À partir de là, dans une ambiance foutraque, la bande dessinée va faire feu de tout bois et se gausser de tous les travers de l'actualité : les hommes politiques sont des salopards hypocrites rongés par tous les vices, les médias manipulent l'information de façon totalement éhontée, les forces de l'ordre sont cause des plus grands désordres et, pour être bien sûr de ne pas faire de jaloux, même nos militantes sont mesquines et ridicules.
Cette BD, pour militante qu'elle semblait être initialement, verse bien vite dans la comédie qui n'épargne personne et, si l'on conserve une certaine tendresse pour le trio féminin autour duquel elle est construite, il faut bien avouer que tout le monde y passe, mêlant comédie satirique, de mœurs et de caractère.


Le modeste dramaturge amateur que je suis a apprécié l'écriture de ces personnages tous dignes de figurer dans une comédie théâtrale à la française. Relom (Traquemage, Maharadchat) signe ici un scénario qui me semble parfois exagérément caricatural mais étrangement crédibilisé par des personnages et des dialogues à la mesure de ladite caricature. Les premiers gags bien lourds (comme ces élus en tenues antiradiations) m'ont un peu décontenancé car je pensais que j'avais entre les mains un ouvrage qui se voulait davantage réaliste... Mais non : si l'album est militant, il milite par le rire sans jamais glorifier aucun comportement et en braquant une loupe cruelle sur les absurdités et les défauts de chacun. Dès qu'on a intégré ça, l'album est extrêmement plaisant et fait penser à certaines comédies théâtrales ou filmées qui firent les beaux jours de temps passés qui osaient davantage, à cette époque bénie où rire de tout permettait de parler de tout.

Damien Geoffrey
(Village global, Michel Fourniret), au fil de ces 62 planches, emploie un trait entre réalisme et caricature. D'ailleurs, c'est on ne peut plus cohérent avec l'histoire qui fait de même. Les visages sont expressifs, rares sont les cases sans un décor fouillé, et les couleurs sont efficaces sans pour autant qu'il y ait à tomber en pamoison devant elles (ce qui ne serait ici d'aucune utilité).

Un brin naïve dans son traitement, cette BD utilise donc maintes formes d'humour pour aborder des thèmes sociaux dont elle rit autant qu'elle les dénonce. La mise en place prenant environ la moitié de l'album, j'attends pour ma part la suite avec une certaine impatience, car on sent dans la deuxième moitié un souffle comique et aventureux qui risque bien d'être plus accrocheur.
C'est un tome 1 qui donne envie et c'est déjà très bien... mais ce ton de moins en moins existant en BD demande quelques planches d'adaptation ou de réadaptation, et l'on attend de voir si le tome 2 transformera l'essai en continuant à mener nos trois amies toujours plus loin dans leur opposition rigolote face à ces autorités globalement incompétentes et hypocrites.
Quand on pense que tout cela commence par trois décès, c'est quand même bien la preuve qu'entre gens intelligents, on peut rire de tout... et ça fait du bien ! Merci à Delcourt pour cet ouvrage quasi anachronique.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Il est plaisant de constater qu'un peu de talent suffit à faire encore rire de tout !
  • La narration est fluide.
  • L'humour n'a guère de limite.
  • Le dessin est cohérent avec la démarche.
  • Aucun militantisme ni aucune moraline indigeste à l'horizon : juste des portraits déformés de nos contemporains.
  • Il faut un peu de temps au récit comme au lecteur pour prendre un rythme de croisière... au début, un retour franc à ce type d'humour pourtant bienvenu est un rien déstabilisant.
  • Ça déplaira aux professionnels de l'indignation... Oups. Non, ça, c'est un point positif, pardon !

Étude de Personnage #1 : Achille (Troie)



Lancement d'une nouvelle rubrique consacrée aux études de personnages issus de romans, films, BD ou séries TV. Bien sûr, l'on va plutôt choisir du coup des personnages intéressants à plus d'un titre et bien écrits. Et l'on commence avec rien de moins que le célèbre Achille, et plus précisément la version interprétée par Brad Pitt, dans le film Troie, de Wolfgang Petersen, sur un scénario de David Benioff.

Il faut savoir que le Achille de ce film est très inspiré par celui d'Homère, le scénariste conservant un grand nombre de références directes à l'épopée du héros : son conflit avec Agamemnon, le fait qu'il soit bouleversé par la mort de Patrocle, ses traits de caractère également, notamment sa soif de gloire. C'est donc à la fois une vision classique du personnage, très ancrée dans l'Iliade, mais aussi une intéressante composition moderne que Petersen et Benioff nous livrent. 

Technicité contre Force Brute
L'une des premières scènes dans laquelle Achille intervient le montre en train d'affronter, en combat singulier, un adversaire au physique impressionnant. Son ennemi est plus grand, plus musclé et bien plus puissant physiquement. Mais plutôt que de faire d'Achille un "Conan" musculeux invincible, les auteurs vont avoir le bon goût de transformer le personnage en fin tacticien. En effet, alors qu'Achille se rue sur son adversaire, il a une parfaite lecture de la situation, et au lieu de se lancer dans un choc frontal, il fait un pas de côté, bondit, et parvient à vaincre en une seule frappe d'estoc, sa lame venant pénétrer le "colosse" au niveau du cou.
Cette technicité, on l'a retrouvera également à l'entraînement, lorsqu'un Achille, toujours aussi calme et sûr de lui, enseigne le maniement de l'épée à son cousin, Patrocle. Il va même un instant le dérouter, en changeant son arme de main au cours du combat, ce qu'il interdit formellement à son élève. "Lorsque tu sauras te battre, alors tu pourras oublier les règles" précise-t-il à Patrocle. En cela, l'on n'est pas loin de la philosophie martiale nippone et du stade Li, où le pratiquant refaçonne l'art pratiqué à son image et dépasse le carcan stricte des notions de base, pourtant indispensables.
Ainsi, Achille, le guerrier réputé invincible, n'en est pas moins crédible, car les raisons de son excellence dans l'art de la guerre sont clairement expliquées et montrées.

Tourments et Passions
Si Achille a la réputation d'être un demi-dieu, il se révèle pourtant très humain à de multiples reprises. Que ce soit par son ambition et son ardent désir de notoriété (il souhaite que son nom traverse les siècles) ; par son immense peine lorsqu'il apprend la mort de son cousin ; par sa violence et son emportement, parfois injuste (à l'égard de son lieutenant le plus fidèle) ; ou par sa colère à l'égard d'Hector, dont il va même profaner la dépouille en la traînant derrière son char.
Achille n'est nullement détaché des passions de ce monde, il est faillible, colérique, presque fragile parfois. Si bien des aspects de son caractère peuvent être qualifiés de négatifs, il va toutefois se montrer également capable de compassion, notamment envers Priam. Le roi, venu chercher le cadavre de son fils, parviendra en effet à toucher l'impitoyable leader des Myrmidons. 

Ni Dieux ni Maîtres
Plus que son génie au combat, son courage ou l'admiration que lui portent ses hommes, c'est la profonde indépendance d'Achille qui va le définir.
Il n'obéit en effet nullement à Agamemnon, qu'il méprise (il va jusqu'à l'insulter ouvertement). Il ne participe d'ailleurs même pas à certains combats, considérant qu'ils ne le concernent pas. Il n'est ainsi nullement un pion, ni même un capitaine au service d'un roi, mais bien un être libre, sans attaches.
Il semble ne pas plus être impressionné par les dieux, puisqu'il va jusqu'à défier Apollon en mettant à sac un temple lui étant consacré. Il ne respecte pas plus les coutumes de l'époque ou les us de la guerre lorsqu'il emmène le corps d'Hector, qu'il a vaincu en combat singulier, le privant d'une cérémonie funéraire et lui ôtant ainsi tout espoir de repos paisible et de paix dans l'au-delà. Enfin, Achille n'est même pas attaché aux femmes qu'il aime et côtoie. Instruit de son destin exceptionnel, enivré peut-être même par celui-ci, il fait passer ses faits d'armes et son image avant toute chose.

Héros Tragique
Au final, alors qu'Achille pourrait n'être qu'un personnage monolithique, simpliste et peu engageant, il s'avère être bien plus complexe que son statut ne le laissait supposer. Même s'il est puissant, beau, courageux, il n'est pas qu'une longue liste de qualités insipides. Ainsi, il souffre, peut se mettre en colère, se révéler injuste mais aussi touchant et droit. 
Comme tout être vivant, il n'est pas défini par une seule de ses qualités, ni même par son pire défaut, mais par un savant mélange de lumière et d'ombre.
Et s'il est bien un aspect du personnage qui le rend épique, c'est son aspiration à inscrire son nom dans la légende. Plus que son sens de l'honneur, déjà fort développé, c'est sa volonté de marquer la postérité qui va le conduire à une fin tragique. Pour que son nom puisse traverser les siècles, Achille renonce à l'amour, à la paix de l'âme, aux intrigues et même au bon sens. Il accorde plus d'importance à ses exploits qu'à la famille qu'il pourrait fonder ou à la politique des Rois. Achille, s'il se bat, se bat avant tout pour inscrire son nom dans les mémoires, pour atteindre une forme d'éternité, pour au final vaincre une mort qui ne manquera pas d'arriver et l'emportera aussi, lui, le guerrier pourtant parfait.
C'est sans doute là son plus grand combat, et sa plus grande victoire... Achille, du fond des temps, hurle encore son nom, qui raisonne dans nos esprits. 

En traversant les Siècles
Achille est un personnage qui marque indéniablement les esprits et fait vibrer. Violent, entier, majestueux, humain, féroce et pourtant faillible, il renferme de nombreuses strates, toutes exploitables et riches. Sa fin, à la fois conforme à la mythologie et dramatique, achève d'en faire un héros romantique et profondément touchant. 
Cette version, bien campée par Pitt et parfaitement mise en scène par Petersen, respecte le mythe tout en donnant au héros une aura intemporelle. Impressionnant mais nullement invincible, s'offrant le luxe d'être parfois antipathique, Achille, dans cette version de 2004, frôle la perfection en termes d'écriture tant il combine des notions contraires et parvient, malgré une arrogance palpable et un entêtement fâcheux, à conquérir les cœurs aussi facilement qu'il défait ses ennemis. Il est ainsi parvenu à réaliser son rêve ultime... devenir immortel et hanter à jamais nos mémoires. 





Un monde sans fin



1286 pages. C'est gros, imposant : on aborde le volume avec une bonne dose de respect et/ou d'appréhension. C'est aussi peu pratique, en outre, malgré une agréable couverture souple et des pages très fines comme celles d’un missel. Pas le genre à être trimballé aussi souvent que possible, à vous accompagner chez le médecin ou dans les salles de cinéma, quand bien même vous n'auriez qu'une hâte : celle d'arriver au bout du roman. Davantage une édition conçue pour ceux qui se calfeutrent dans la tiédeur de leur lit, se pelotonnent au creux de leur fauteuil favori, baignés dans la torpeur d'une bande-son angélique (Vangelis se prête assez bien à la lecture), voire auréolés d'un silence nocturne et propice.

Un  monde sans fin ne se lit pas à la légère.



L'auteur est Ken Follett. Il s'était fait connaître avec L’Arme à l’œil, histoire d'espionnage sur fond de guerre mondiale qui m’avait un peu choqué par le ton volontairement crû adopté pour certaines scènes. Mais j’étais jeune alors. L'écrivain gallois a ensuite accru sa renommée avec notamment sa série sur Kingsbridge, dont le best-seller Les Piliers de la Terre constitue le premier épisode, Un monde sans fin se situant quelque temps plus tard, au sein d'un royaume d’Angleterre dans lequel commencent à poindre les prémisses d’une Renaissance d’abord intellectuelle, puis artistique ; un décor qui permet au romancier de s’en donner à cœur joie dans la misère, la souffrance, la violence... et le sexe, car malgré l’application de la Magna Carta (vers 1215), le servage paysan demeure la clef de voûte honteuse d’un système féodal que des seigneurs peu scrupuleux cherchent à entretenir au mépris de la rentabilité et du réalisme économique. De fait, un membre de la noblesse a un statut tellement supérieur à celui de la populace, qu’il est censé protéger, qu’il peut pratiquement tout se permettre sur ses sujets : Follett ne lésine pas sur les humiliations et les vexations, les abus psychologiques auxquels s’adonnent ceux qui sont nés avec les rênes du pouvoir.

Un pouvoir qui peut malgré tout s’acquérir, pour peu qu’on ait la chance de montrer sa valeur à qui de droit, en guerroyant sur le sol français que le jeune roi d’Angleterre revendique (à juste titre d’ailleurs) comme sien – et en survivant à ces campagnes meurtrières. Ainsi Ralph, l’un des quatre "conjurés" de circonstance (voir le résumé ci-dessus), jeune gaillard robuste à l’esprit obtus, ne cherchant que la reconnaissance qui s’était refusée à ses parents (eux-mêmes petits seigneurs de province, ils se sont retrouvés criblés de dettes), trouvera-t-il sa place dans l’aristocratie anglaise. Son ascension, au mépris même des lois, fascine et écœure à la fois : brutal et sanguinaire, il est en outre particulièrement rancunier. Par son entremise, nous aurons toutefois la possibilité de vivre le récit de la bataille de Crécy (1346), qui fut une des plus lourdes défaites françaises de l’Histoire. Étonnamment, Follett nous la narre avec passion mais une certaine retenue aussi : l’ost français, très largement supérieur en nombre, est présenté dans toute sa complexité. Arrogants, les chevaliers sont aussi des hommes d’honneur et se révèlent incapables de massacrer l’ennemi qui use de tactiques fuyantes bien qu’opportunes : cette fierté fera leur perte et là où ils auraient dû laminer les troupes anglaises en les harcelant avec leurs arbalétriers et en attendant les renforts, ils préfèrent foncer dans le tas, charger de front des Britanniques roublards et vindicatifs. Du coup, bien qu’écornée par le goût amer de la défaite, l’image de la noblesse française ne vacille pas : elle s’avère juste incapable de s’adapter à des conditions de combat nouvelles. On est loin de la description qu'en a faite Shakespeare dans ses pièces historiques, qui avait tendance à souligner l'ingéniosité des troupes britanniques et à arranger sciemment la réalité des faits en faveur de ses compatriotes.

C’est néanmoins dans le royaume d'Angleterre que se déroule la majeure partie de l’ouvrage et nous suivrons la vie de ces quatre enfants jusqu’à un âge avancé (sur environ quarante ans). À travers eux, c’est un Moyen-âge cruel et sombre qui se dévoile, où les gens s’accrochent à de petits bonheurs afin de mieux oublier les tragédies. Et quand on parvient à contrecarrer les vues narcissiques d’un prieur ambitieux, c’est la peste qui frappe, sans prévenir. Et met au jour l’inutilité des méthodes médicales héritées de l’Antiquité : les moines médecins pratiquent encore les saignées et appliquent des remèdes ancestraux dont beaucoup s’avèrent plus pernicieux que le mal qui ronge les patients. Toutefois, au milieu d’eux se débattent de jeunes enfants prometteurs, qui s’adaptent aux progrès et ont l’esprit assez vif pour interpréter des idées nouvelles et assimiler les connaissances antiques. Merthin, le frère de Ralph, d'abord apprenti charpentier, deviendra bâtisseur, au grand désespoir de ses parents : malgré les sommes colossales qu’il finira par gagner, ils auraient préféré qu’il trouve sa place dans la noblesse. Caris, fille d’un lainier prévôt de la cité de Kingsbridge, manifeste également cette indépendance d’esprit. Et, chez une fille, cette attitude s'avère aussi audacieuse que dangereuse. Sa modernité lui vaudra l’inévitable procès en sorcellerie.

p. 160, §8 : Mattie la Sage prépare un philtre d’amour pour Gwenda.
L’homme qui prépare les onguents et les médecines a pour nom apothicaire. Lorsque c’est une femme qui exerce cette activité, on l’appelle sorcière. […] Les hommes aiment bien tuer une femme de temps en temps.
p. 359, §2 : Caris réfléchit en assistant au mariage du comte de Monmouth.
Elle ne voulait pas des contraintes dont s’accompagnait le mariage : elle ne voulait pas d’un seigneur et maître, elle voulait un amant ; elle ne voulait pas consacrer sa vie à un homme, mais vivre à ses côtés.


Merthin et Caris s’aimeront au premier coup d’œil, et leur relation ne sera pas simple. L’époque le veut ainsi. Et surtout l’auteur, qui s’obstine à les rapprocher puis les éloigner. Ils sont clairement les héros du roman, observateurs éclairés d’une époque trouble. Leur histoire transformera à jamais la structure même de la ville de Kingsbridge. Le pont s’effondre ? Qu’importe, Merthin a une idée de génie pour le reconstruire. Le toit de la cathédrale s’effrite ? Merthin encore sait ce qu’il faut faire. Las, son supérieur, jaloux de sa notoriété et de son savoir-faire, fera tout pour l’empêcher de profiter du fruit de son intelligence. Caris, elle, reprendra les rênes de l’entreprise de son père et la sauvera de la faillite, enrichissant même certains villageois. Mais les hommes aiment encore moins la vivacité d’esprit féminine et elle sera victime des pires vilénies, dictées par une jalousie et une suspicion maladives. Elle devra d’ailleurs, pour sauver sa propre vie, renoncer à tout ce qu’elle aimait.

Reste la dernière, Gwenda. Peut-être le seul des personnages à ne pas avoir été décrit avec de gros traits légèrement caricaturaux. Ralph, foncièrement mauvais, fait écho aux différents prieurs de la cité (pas stupides, mais infatués et obtus). Caris et Merthin, progressistes, font le bien autour d’eux et sont aimés en retour. Gwenda, elle, commence dans la vie au sein d’une famille de journaliers, qui ne vit que de ce que le père peut trouver comme travail. Les hivers sont rudes, souvent mortels. Elle apprend donc à voler. Ça ne lui pose pas de problème, mais elle finit par devenir amie avec Caris. Avant que son père ne la vende à des malfrats, acte qui la poussera à tuer ses ravisseurs afin de retrouver sa liberté. De sang-froid. Pour arriver à ses fins, Gwenda, jeune fille misérable, plutôt laide, n'a pour seul atout qu'une volonté farouche. Son opiniâtreté attire aussi les mauvais coups : une vie de souffrance l’attend, à laquelle on assiste avec un certain ébahissement. Follett se complait souvent à la maltraiter, et ce sadisme de l’auteur apparaît parfois un peu dérangeant dans sa complaisance. Il permet toutefois de la faire rayonner. Et on n’assistera pas à un bête happy end pour elle : née pauvre, ses ambitions sont pauvres aussi. Elle ne cherche qu’un bonheur simple, et la liberté d'en jouir.



Ces quêtes personnelles vont souvent s’associer, ou se heurter. Au milieu de tout cela, l’intrigue de la lettre royale semble n’être qu’une balise, un détail : on s’en fiche un peu à vrai dire. N’allez pas y voir une enquête rigoureuse à la Iain Pears (comme dans Le Cercle & la Croix). Certes, ça ressemble à La Petite Maison dans la prairie au Moyen-âge, mais c’est bien à cette saga familiale qu’on s’accroche. Un aussi gros pavé n’a d’intérêt que dans ses personnages et Follett sait parfaitement les caractériser, les décrire, les faire agir et réagir, penser et s'interroger. Le fond historique est intéressant et la réalité politico-économique plutôt bien rendue bien que la ville de Kingsbridge soit complètement inventée (de l'aveu même de l'auteur, il s'est inspiré de Salisbury pour la cathédrale). Ce qui aurait pu être indigeste s’avère assez agréable – quoique long, c’est vrai, et parfois même un peu répétitif, l'auteur s'évertuant à replacer régulièrement des éléments caractéristiques afin que le lecteur soit toujours à même de situer les personnages dans leur contexte.  

Un genre littéraire (la saga) découpée savamment avec de très nombreux éléments historiques : du pain béni pour les adaptations télévisées. Une mini-série co-produite par la société de Ridley Scott, avec des fonds européens et canadiens, a été diffusée dès 2012 : plutôt fidèle, elle manque cependant d'ambition et s'avère trop sage, allant rarement aussi loin que le roman dans la description des tourments que traversent les personnages principaux ; certaines des images illustrant cet article en sont tirées.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une saga ample et riche, aux personnages fascinants.
  • Du sang, des larmes, des hauts faits et des actes ignobles.
  • Des sources historiques solides, qui procurent un appui fiable au déroulement des événements.
  • Une écriture efficace, ne dédaignant pas les descriptions fouillées ni les répétitions didactiques.
  • Un découpage savamment étudié pour suivre en parallèle le destin des quatre "héros" jusqu'à leurs interactions attendues.


  • Une certaine complaisance dans la description de la violence et des relations sexuelles (souvent non consenties).
  • Un schéma narratif un peu simpliste, scandé par des retournements de situation parfois grossiers.

Le Bureau des atrocités



Bob Howard
est un informaticien doué et lucide. Après une découverte traumatisante, il a été engagé contre son gré dans la Laverie, le plus secret des services secrets britanniques, qui œuvre à traquer les actions occultes dans le monde, en empêchant par exemple que certains scientifiques chanceux ou peu scrupuleux utilisent des théorèmes ouvrant la porte à des entités malfaisantes. Car depuis la Seconde Guerre mondiale, la thaumaturgie repose sur des bases mathématiques, renforcées par l’usage de l’informatique. Et lorsqu’on propose à Bob d’aller aux États-Unis récupérer une chercheuse traquée par des terroristes, il ne se doute pas qu’il se retrouvera sur la piste de l’Ahnenerbe, organisme occulte nazi qui a survécu à la guerre en émigrant sur un autre monde peuplé de forces destructrices.

Ainsi commence Le Bureau des atrocités de Charles Stross. Un livre déroutant, attachant, fascinant et déstabilisant à la fois. D’abord, ce n’est pas vraiment un roman : si vous avez entre les mains le volume de l'étincelante collection Ailleurs & Demain des éditions Robert Laffont (2004), traduit de l’anglais par Bernard Sigaud, vous constaterez immédiatement qu’il est composé de deux longues nouvelles (Les Archives de l’atrocité et La Jungle de béton) qui dépeignent un monde contemporain dans lequel toutes les menaces terroristes pourraient s’expliquer par une lutte permanente et invisible entre des organisations tentant d’avoir la mainmise sur la magie noire et une connaissance exhaustive de l’occultisme et d’autres arcanes millénaires, ainsi que des moyens d’action aussi improbables que terrifiants. Car tout est réaliste et l'auteur nous dépeint des groupes d’influence comme Al-Qaïda sous un angle encore plus effrayant. À l’heure où l’esprit humain se concentre sur les attentats à grande échelle en essayant d’oublier la menace nucléaire, les services de contre-espionnage travaillent d’arrache-pied pour contrer les invocations de créatures liées à des lignes de codes informatiques ou les sortilèges à large rayon d’action calculés sur la base d’équations nébuleuses. 

Le monde de Charles Stross, c’est celui qui résulterait de la rencontre entre Ian Fleming et Howard P. Lovecraft, avec une pointe d’ironie pour l'amalgame. Les amateurs de L’Appel de Cthulhu (le jeu de rôle de Chaosium, cf. cet article, mais plutôt en version Delta Green) ou de X-Files (cf. cet article) lèvent déjà un sourcil à la manière de Spock : ce livre est fait pour eux. Mais d’autres pourront y prendre goût, surtout s’ils apprécient un cynisme omniprésent (celui de l’agent doué mais maladroit qui passe son temps à râler sur son sort) et des situations complètement délirantes, lesquelles rappellent parfois certains épisodes des romans de Brian Lumley, ce continuateur de Lovecraft qui racontait comment on pouvait déloger un Chthonien à coups de bombes A, ou encore le postulat à la base d'un film comme Iron Sky. Sauf que là, les perspectives de fin du monde sont occultes, dans le sens de "cachées du grand public" : que ce soit une entité cosmogonique se nourrissant d’énergie ou un dispositif grillant les cerveaux au travers des caméras de surveillance, seuls les agents spéciaux et quelques témoins malheureux seront au courant.


Bref, des histoires d’épouvante écrites sur une trame d’espionnage. Ou le contraire. L’auteur s’en justifie d’ailleurs, et cite ses sources et ses références, dans une postface particulièrement intéressante, où l’on apprend par exemple que le roman Les Puissances de l’Invisible de Tim Powers surfe sur les mêmes principes.

Ainsi, page 26 :

Voyez-vous, tout ce que vous savez sur la manière dont fonctionne l’univers est correct – seulement il y a un petit problème : ce n’est pas le seul univers dont nous ayons à nous soucier. De l’information peut s’infiltrer d’un univers à un autre. Il y a des choses qui écoutent, et qui répondent : voir Al-Hazred, Nietzsche, Lovecraft, Poe, etc. Ceux-aux-nombreux-angles, comme on dit, vivent au fond de l’ensemble de Mandelbrot, sauf lorsqu’une incantation convenable dans le domaine platonique des mathématiques – informatisées ou non – les attire. (Et vous qui croyiez que cet économiseur d’écran fractal faisait du bien à votre ordinateur…)

La première histoire (la plus longue) devient captivante dans sa seconde moitié, avec ces perspectives d’apocalypse silencieuse et ces morts-vivants nazis d’outre-monde : on trouvera des échos troublants dans le prologue du crossover Marvel Fear itself (cf. notre dossier sur la chronologie Marvel) avec ses disciples de Crâne Rouge tentant d’invoquer des forces mystiques, quoiqu'employées via des tournures plus proches du Hellboy de Mignola. Le début en revanche paraît quelquefois rébarbatif, tant on nage en eaux troubles sans vraiment de repères significatifs ou d’action.
La nouvelle suivante (qui a obtenu le prix Hugo 2005 du meilleur roman court), très dense et plus cohérente, se suit à un rythme soutenu. Ce qu’elle implique fait froid dans le dos. 

Visiblement satisfait de la tournure que prenait son univers décrit, Stross a par la suite rédigé de nombreux autres textes s'inscrivant dans une série sobrement intitulée La Laverie. Cet ouvrage peut donc être considéré comme une bonne entrée en matière et ceux qui ont apprécié seront ravis d'apprendre qu'ils pourront prolonger leur plaisir avec des récits du même acabit, certains ayant également été récompensés (The Apocalypse Codex, prix Locus  en 2013, Equoïde, prix Hugo en 2014) mais tous ne sont pas encore traduits, même si les éditions 500 Nuances de Geek s'y attèlent activement.

À tenter.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Savoureux mélange de dark fantasy, d'anticipation et d'espionnage.
  • Un univers très proche de nous, dont l'auteur explore les zones d'ombre avec acuité et pertinence.
  • Un humour sous-jacent constant, grinçant et parfois brillant.


  • Des références à la pelle, qui peuvent embrouiller le néophyte.
  • Une mise en place dense mais parfois confuse.

Chroniques des Classiques : le Monde inverti



"J'avais atteint l'âge de mille kilomètres."

Voilà sans conteste l'une des phrases d'introduction les plus connues et troublantes de la science-fiction. Toutefois, sa postérité est partiellement biaisée, du fait que l'existence d'un prologue n'en fait pas tout à fait l'introduction du roman. En dehors de ce point de litige totalement inutile, avouons que la phrase a de la gueule et qu'elle invite irrésistiblement à aller voir de plus près.

Helward vient donc d'avoir ses mille kilomètres : le voilà majeur et il choisit d'entrer dans la guilde des Topographes du Futur, suivant les traces de son père qu'il a à peine connu car élevé dans une crèche aseptisée au cœur de la Cité, loin des réalités extérieures du monde qui l'entoure. À présent, il lui faut participer à l'effort collectif et indispensable qui consiste à faire avancer la Cité, sans s'arrêter, vers le Nord, c'est-à-dire vers le Futur, en direction d'un Optimum qui semble proche mais qu'ils ne parviennent jamais à atteindre. Après avoir fait quelques stages parmi les ouvriers qui œuvrent laborieusement à cette avancée salvatrice, participé à des manœuvres in extremis dans le but d'éviter des endroits trop difficiles d'accès (comment faire franchir un canyon à la Cité tout en se protégeant des attaques incessantes de hordes de bandits ?), Helward apprendra pourquoi son entrée dans la Guilde était accompagnée d'un serment jurant de garder le secret sur leurs activités extérieures puis sera envoyé en mission, d'abord dans le Futur pour effectuer des relevés topographiques, puis dans le passé, vers ce Sud qu'ils ont laissé derrière eux. Dans quel but ? Ses supérieurs lui rétorquent qu'il faut en passer par là et qu'il comprendra une fois qu'il y sera ; lors de ce voyage initiatique, il devra escorter des indigènes jusqu'à leur village natal. Sauf que, chemin faisant, la géographie, le temps et la réalité elle-même vont commencer à s'altérer : ne pouvant plus se fier à ses perceptions, Helward aura alors un aperçu stupéfiant du monde sur lequel évoluent ses congénères et il en reviendra transfiguré. À moins qu'il ne puisse revenir ?

Avec ce roman, Christopher Priest s’inscrivait durablement parmi les auteurs les plus prometteurs de la SF anglo-saxonne. Né à Manchester en 1943, l'écrivain anglais avait vaguement fait parler de lui avec entre autres un roman post-apocalyptique sombre et désespéré : Le Rat blanc (1972), quelque part entre Le Fléau de Stephen King (cf. cet article) et V pour Vendetta d'Alan Moore (cf. cet article sur l'auteur). Puis voilà qu'en 1974, son talent et son écriture visionnaire éclaboussent une SF qui se cherche encore de nouvelles références après l'impact de Dangereuses Visions, le recueil révolutionnaire d'Harlan Ellison. Désormais, le monde de la science-fiction sait qu'il va falloir compter sur cet écrivain sortant des sentiers battus, puisant dans la hard science à la Hal Clement tout en questionnant en permanence les concepts, les principes et les fondements de l'univers qu'il met minutieusement en place, faisant insensiblement glisser le lecteur dans un biotope mouvant aux perspectives floues, rongeant ses certitudes et lui offrant des perspectives à la manière d'un Philip K. Dick des grands jours (cf. cet article).

Étrangement, Priest n’a pas vraiment confirmé par la suite, même s’il a rédigé quelques œuvres très intéressantes et attiré plusieurs producteurs de cinéma (comme pour Le Prestige, que les frères Nolan ont mis en images dans une adaptation particulièrement réussie). Il faut dire qu’il semble souvent se mettre à la marge d’un genre qu’il fréquente depuis ses premiers écrits, critiquant ouvertement certaines tendances ou prises de position. Nettement moins prolifique que Dick, il a conservé dans sa carrière une propension à brouiller les perceptions du lecteur en multipliant les points de vue, déconstruisant ses intrigues et cultivant le secret pour des personnages qui évolueront au fil de la lecture jusqu’à découvrir ce qui renversera bien souvent leur propre conception de la réalité.

Le Monde inverti est donc incontestablement son chef-d’œuvre et prend aisément sa place dans tout Top 100 de la SF qui se respecte. En dévoilant très progressivement un univers à la fois étrange et familier tout en suivant l’initiation et l’évolution d’un personnage passe-partout (Helward n’est jamais vraiment sympathique et passe le plus clair de son temps à se poser des questions sur les motivations de ses supérieurs et la pertinence de ses actes), l’auteur joue constamment avec les attentes du lecteur, l’intriguant par les nombreux mystères environnant la ville dans laquelle grandit le héros et nourrissant le suspense par le recours à des recommandations paternalistes : "Tu comprendras plus tard", "tu n’es pas encore prêt pour cette révélation" ou encore "tu jugeras par toi-même quand le moment viendra". Ce qui fait que, malgré le manque patent de charisme de Helward, on ne peut que l’accompagner dans son parcours au sein des guildes qui régentent strictement la vie dans cette curieuse ville mouvante, condamnée à avancer sans cesse en traversant des contrées parfois hostiles, parfois bienveillantes, mais toujours éphémères.

Pendant la majeure partie de l’ouvrage, on se sent mal à l’aise du fait de fondations illusoires, de suppositions non avérées et d’une construction qui semble linéaire, mais qui introduit des éléments discordants : le prologue nous présente un personnage féminin vivant dans un village qu’on croirait tiré d’un western de Leone – mais aux deux tiers du roman, nulle mention n’en est faite ; la première partie est narrée par un Helward opiniâtre et décidé, puis la deuxième est racontée à la troisième personne. Quid ? Les interrogations succèdent aux frustrations avec l’espoir d’une révélation à la hauteur des attentes. Et lorsque cela survient, le vertige nous prend. 

Avec une grande malice et beaucoup d’à-propos, Priest crée une œuvre intemporelle, un grand roman de SF qui parvient à surprendre sans paraître daté, insérant çà et là quelques éléments technologiques épars qu’on ne parvient pas réellement à rattacher à un véritable contexte temporel.
Certains épisodes stupéfient par des visions presque transcendantes tandis que d’autres nous font penser à ces histoires d’arches stellaires, avant de nous orienter vers le genre post-apocalyptique. Et on ne peut que saluer le talent de certains des artistes qui ont tenté de les traduire en images (pour les couvertures, dont certaines sont reproduites ici).

Quoique manquant cruellement d’émotion, la plupart du temps écrit avec une forme de détachement presque cruelle, le roman joue avec nos certitudes et intrigue sans relâche. Et en confrontant deux points de vue opposés sur la perception de cet univers aux lois indéfinies, Priest se permet de nous laisser dans une expectative aussi retorse que brillante.
Incontestablement fascinant.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un roman majeur, qui a fait date dans le genre.
  • Une vision du monde inédite, osée et percutante, dont certaines images sont renversantes et vertigineuses.
  • Une narration alternant les points de vue afin de perturber sciemment le lecteur.
  • Une conclusion qui laisse pantois.


  • Un personnage principal sans saveur ni charisme.

Collector #13 : bustes/tirelires



Ce nouveau Collector s'intéresse à des bustes un peu particuliers, et plutôt bon marché, puisqu'il s'agit en fait de... tirelires.

Alors, il y a certes un côté un peu cheapouille là-dedans, mais mine de rien, vous allez voir que l'on trouve quand même des modèles qui ont de la gueule. Et surtout, ces bustes en plastique ont l'avantage d'être à la fois très accessibles (aux alentours d'une vingtaine d'euros) et plutôt imposants. Cela va de 17 à 22 cm de hauteur, voire plus, sur une envergure similaire, voir légèrement supérieure. 

Pratiquement, l'ouverture de la tirelire est située sous le buste, donc ça ne se voit pas du tout, et la fente pour insérer les pièces est placée derrière, ce qui ne pose pas de problème non plus. Il y a bien quelques soucis de peinture sur certains modèles, mais ça reste minime et il faut vraiment scruter le binz pour s'en rendre compte. Autrement dit, dans une vitrine, ça fait plutôt bien le job.

Mais venons-en à la présentation de quelques-uns de ces bustes (que vous pouvez apercevoir dans les photos ci-dessous).

Pour commencer, Spider-Man. Il est disponible en deux versions. Celle que nous vous présentons ici, qui va jusqu'à la taille, et un buste plus classique (sans les bras). Les deux sont plutôt sympathiques, même si les couleurs me semblent moins bien gérées sur la version "sans les bras" (on reviendra sur cet aspect avec Iron Man).



Pour rester dans l'univers arachnéen, un très beau Venom, bien musculeux et menaçant.



Probablement l'une des plus chouettes tirelire de la gamme : Thanos ! Le visage est parfait, quelques petits défauts de peinture au niveau du costume, mais rien de bien méchant.




Iron Man, dans une version pas tout à fait aboutie à mon sens. Sur les photos des sites de vente, la couleur de l'armure était bien plus belle et plus sombre, un peu dans le style de la Mark 29 "Extremis" (cf. notre grand dossier sur les différentes armures). Ici, le rouge est plus vif, le jaune aussi d'ailleurs, ce qui donne un aspect plus "jouet". Dommage.



Un Loki plutôt élégant et bien conçu. Juste une petite réserve au niveau des sourcils...



On reste dans le domaine asgardien avec Thor. Des bavures au niveau du costume un peu plus flagrantes, et un visage un peu... figé. On aurait préféré le fils d'Odin dans sa période "barbue" afin d'éviter cet air un poil trop juvénile.



Une valeur sûre, le Batman inspiré de la série animée des années 90. Cartoony, mais franchement joli.



Les univers comics ne sont pas les seuls représentés, voici par exemple un très beau Goldorak. Indispensable tant les produits abordables concernant ce DA/manga sont rares. 




Sachez qu'il existe bien d'autres modèles si ceux-ci ne vous conviennent pas, de Gwen Stacy à Deadpool, en passant par le JokerRD-D2Freddy Krueger ou certains personnages de manga. De quoi se faire un petit plaisir sans pour autant se ruiner.
Quant au prochain Collector, il sera un peu plus ciblé (et onéreux) puisque nous nous intéresserons à divers produits dérivés concernant cette fois les mythiques Lantern Corps !

Psykoparis (intégrale)


Paris sans une seule bagnole. Paris sans un seul flic. Paris livré à la violence et aux combats à l'arme blanche...

Ça aurait pu être le pitch d'un film de Luc Besson mais il n'en est heureusement rien !


Oui, heureusement ! Parce que Psykoparis ne peut assumer son délire décomplexé et sa débauche de violence, sa galerie de personnages et sa foultitude de situations que grâce à la qualité de sa narration offrant à chaque protagoniste principal assez de visibilité pour avoir son propre arc intéressant et à l'univers assez de tangibilité pour le rendre crédible. Ce que Besson, à mes yeux, ne sait pas faire. Oui, c'est juste un tacle gratuit, droit dans la jugulaire ! Ah mais c'est que la BD que l'on va aborder aujourd'hui s'y prête à merveille... Alors dégraissez votre lame, polissez-la, huilez-la, remettez-la au fourreau mais gardez une main sur son manche, parce que ça va trancher des membres façon ken justu... ou broyer des tronches en mode masse d'arme, chacun ses goûts, ne soyons pas sectaires.

Tristan Roulot et Corentin Martinage (déjà associés chez le même éditeur grâce à la très rigolote série Goblin's) ont signé chez Soleil cette série dont nous recevons aujourd'hui l'intégrale. Il y développent un univers improbable où Paris est soumise à la justice des duels à l'arme blanche, dirigée par un maire corrompu, financée par une vieille usurière sans aucune morale et peuplée d'une faune d'humains divers et variés s'étant tous choisis une arme de prédilection (sauf collectionneurs éclectiques jonglant entre les armes selon les situations).
N'attendez rien d'autre, à la lecture de cet ouvrage, que du fun : nulle contestation au sujet de l'organisation de nos sociétés, aucune critique de la violence urbaine, pas une seule réflexion sur quoi que ce soit... Libre à nous de gloser sur ces sujets mais Psykoparis ne s'en préoccupe pas, il se voit comme un défouloir, une sorte de jeu vidéo open world en BD laissant toute liberté à la fougue de son concept simplissime pour nous offrir des scènes improbables mais sympathiques aux yeux de notre génération ayant grandi avec les films de Tarantino et autres Rodriguez.
Liberté, fougue, concept simple, scènes improbables.... certes. Mais le chien fou est néanmoins tenu en laisse par une écriture (Tristan Roulot) intelligente maîtrisant parfaitement le rythme, toiletté par un dessin (Corentin Martinage) alliant la modernité à l'efficacité et nourri par une mise en couleurs (Jean-Noël Le Moal, Julie Poupart et Mikl) dynamique et esthétique.

Du coup, le truc fait dans la qualité avec, pourtant, une idée initiale tenant sur un sparadrap pour orteil. Et rien que pour ça, moi qui suis amateur de jeux vidéo, je les remercie. Nous autres, joueurs, on sait parfaitement qu'un bon jeu n'est pas nécessairement un jeu complexe. Parfois, une simple idée de gameplay toute bête mais innovante peut suffire si l'on est assez malin pour l'exploiter de mille façons, si l'on a la curiosité de l'utiliser pour revisiter des thématiques maintes fois abordées mais jamais par ce biais, si on a l'audace de lui laisser sa chance et de dévoiler tout son potentiel de divertissement.
Un hit peut parfois tenir en quelques mots : un hérisson hyper rapide, un plombier qui passe par des tuyaux et tue ses ennemis en sautant dessus, des blocs à aligner pour les faire disparaître, un gros balèze qui défouraille des démons à l'aide d'armes de guerre, une ville entière à gérer tout seul, un avion à piloter comme un vrai pilote, un tournoi de combattants de rues... ou, en BD, une ville de Paris où tout le monde porte une arme blanche et où règne la loi du plus fort.
Et, comme pour me donner raison dans mon analogie avec le monde vidéoludique, comme dans un jeu vidéo, un concept simple se vit, il ne s'explique pas : personne ne veut savoir pourquoi Sonic est bleu et court aussi vite, pourquoi Mario est entouré de tuyauteries tellement grandes qu'il peut s'y glisser, ce que représentent les blocs de Tetris, les vraies motivations et les états d'âme du Doomslayer, pourquoi le maire de Simcity a la possibilité de demander à Godzilla de ravager sa propre ville, si le pilote de Flight Simulator est bien syndiqué ou d'où sort la capacité de Chun Li de faire l'hélicoptère la tête en bas en faisant tournicoter ses énormes jambonneaux. On s'en fout. On veut juste qu'ils le fassent, on veut que ça arrive, on veut que le concept tout simple s'ébroue et entre en action...
D'ailleurs, regardez ce que ça donne quand un produit culturel essaie de répondre à ces interrogations... souvent, c'est assez pénible à voir (ne parlons pas des films Sonic, Super Mario ou Doom, par exemple... histoire de tâcher de rester polis).
Eh bien, il en est de même ici : Pourquoi n'y a-t-il aucune voiture dans Paris ? Peu importe ! Pourquoi la police n'y existe-elle pas ? Qu'est-ce que ça peut faire ? Et ailleurs en France ou en Europe, ça se passe comment ? On s'en cogne.
On a une map : Paris. On a un gameplay : à l'arme blanche. Et on a une mission : survivre à la situation cataclysmique provoquée par la situation initiale qui, puisque l'on veut donner un ton humoristique à l'ensemble, sera un vulgaire quiproquo. 


Eh oui, voici bien le nœud dudit quiproquo : le fameux petit carnet bleu de Maman ! Et oui, j'ai conscience que dit comme ça, ça ne paraît pas folichon... Mais Maman est une usurière tellement riche qu'elle finance toutes les triades, nombre de ménages et la ville elle-même. Et Maman, elle aime ses petits qui lui doivent de l'argent parce qu'ils lui en rapportent bien plus qu'ils lui en doivent... sauf quand ils sont mauvais payeurs. Parce que Maman, elle est généreuse mais elle est aussi rancunière : elle n'a aucun remord à vous envoyer ses sbires vous transformer en méchoui au moindre impayé. Et ça, c'est connu de tout le monde.
Dans l'appartement de Maman, il y a un petit secrétaire blanc contenant un carnet bleu. Le carnet bleu de Maman, où elle trace soigneusement ses lignes de comptes d'une écriture scolaire comme on n'en fait plus. Avoir son nom dedans, c'est avoir une dette... avoir son nom rayé, c'est en être libéré parce qu'on a remboursé. C'est aussi simple que ça !
Mais Maman va prendre quelques vacances. Oh, juste quelques jours, guère plus. Juste le temps de changer d'air, même si elle sait qu'elle reviendra vite aux affaires : ils lui manquent très vite, ses petits !
Alors, pendant son voyage, Maman va laisser derrière elle son petit carnet bleu, dans son secrétaire blanc. Laisser derrière elle les soucis, les lignes de compte et les exécutions primaires.
Sauf que, pendant son voyage, une bande de sympathiques pieds nickelés a besoin  d'un appartement vide à squatter quelques heures pour organiser une bonne grosse teuf pas du tout covid-friendly... et ces gosses ne trouveront rien de mieux que squatter sans le savoir l'appartement de Maman. C'est déjà une erreur, bien entendu. Mais Maman pourrait peut-être le leur pardonner, au prix de quelques extrémités tranchées... Par contre quand ils décident en plus, pour se faire un peu d'oseille (oui, les jeunes, de la moula, si ça vous amuse), de fourguer le mobilier à un receleur du coin.... vous voyez venir le souci ?
Eh oui... le carnet ! 
Le fourgue, toutefois, ne veut pas du petit meuble blanc et il se retrouve chez la mère de Cid (le leader autoproclamé de cette bande de bras cassés) en guise de cadeau d'anniversaire foireux. 

Et à partir de là, tout s'emballe (et cent balles, c'est pas cher pour un carnet contenant autant de reconnaissances de dettes) : Maman revient, voit son appartement saccagé et constate la disparition de son carnet. Dans l'urgence, comme elle ne peut répondre à un clan japonais s'enquérant du montant de leur dette et qu'elle ne peut admettre avoir perdu les comptes, elle règle la situation de façon expéditive. Bien vite, cela se sait et la nouvelle fait le tour de Paris : Maman n'a plus son carnet bleu ! 
Et c'est l'amorce d'une suite de nombreuses réactions en chaînes : entre les gens qui veulent mettre la main sur le carnet pour le détruire et soulager les créanciers, ceux qui veulent le rendre à Maman pour s'attirer ses bonnes grâces et ceux payés par Maman pour le récupérer, une guerre ouverte et sans merci va éclater dans Paname et nous offrir une galerie de psychopathes hauts en couleurs aux motivations claires et à la volonté indéniable.

Ça va être un carnage débridé au milieu duquel Cid et ses potes ne comprendront que rarement ce qui se passe et esquiveront comme il le pourront (parfois pas du tout) les lames aiguisées et autres armes de corps à corps dont on leur réserve les services.
Toutes les couches sociales de la ville vont être touchées par les événements, depuis les parias vivant dans les catacombes jusqu'aux plus nantis des bourgeois. Et tous, d'une façon ou d'une autre, vont se croiser, interagir, s'affronter, s'allier ou se découper en rondelles sans que jamais cela ne soit confus le moins du monde pour le lecteur.


Car en effet, c'est là la prouesse de cet album à mes yeux : il multiplie les belligérants et les arcs scénaristiques mais sans jamais perdre son lecteur. C'est dû, à mon sens, à ses deux auteurs qui se sont drôlement bien trouvés.

Roulot est d'une clarté absolue dans la description des motivations de chacun. Leurs objectifs personnels sont exposés naturellement tellement vite dans le récit que l'on ne doute jamais de leurs motivations et que l'on comprend toujours les raisons de leurs actes.
Martinage, quant a lui, est remarquable dans la caractérisation des personnages. Son style pictural nous offre des dizaines de personnages impossibles à confondre entre eux (ce qui est un soulagement agréable après avoir lu certains comics ou certains mangas où plusieurs personnages semblent issus du même labo de clonage).

Psykoparis, ça va souvent à cent à l'heure mais ça sait se ménager des pauses. Dans la vitesse comme dans la lenteur, la narration est efficace et le dessin s'adapte ainsi que la mise en page et la colorisation.
C'est de la lecture coupable mais rendue facile à assumer tant la qualité est au rendez-vous.
En gros, c'est un peu comme ces films d'action hongkongais où un seul type en défouraille soixante autres sans qu'une seule goutte de sueur ne perle sur son front... On devrait envoyer la suspension d'incrédulité se faire cramer les fesses au-dessus d'un volcan en activité mais on s'y cramponne pour continuer à mater Cho Yun Fat survivre à vingt décès inévitables à la minute parce que c'est trop cool, parce que ce gars à un charisme qui ferait passer Stallone pour un frigidaire en panne, parce que c'est filmé avec une expertise ridiculisant des réalisateurs ricains pourtant doués et bénéficiant pour une seule scène d'un budget dix fois supérieur mais... c'est tellement fou, osé, maîtrisé, fait avec passion, qualitatif et couillu que vous voulez bien gober n'importe quelle démesure.  

Et, en l'état, on peut trouver le scénario de Psykoparis débile... mais ce serait ne rien avoir compris au travail d'orfèvre du scénariste qui a rendu si limpide et passionnant ce qui aurait pu n'être qu'une bouillie insipide et chiante à la Banlieue 13.
On peut trouver le dessin racoleur et flashy mais ce serait ne pas en appréhender les qualités de caractérisation, de dynamisme, de lisibilité reléguant au rang de bonbons acidulés nombre de mangas, comics ou BD enchaînant les scènes d'action que l'on survole sans même les regarder.
On pourrait croire qu'il ne se passe pas grand-chose mais ce serait passer à côté du poids de l'histoire de chacun des personnages, qui change tellement et avec tant de bonheur des milliers d'histoires sans enjeux ni sans conséquences où l'on ressuscite à tour de bras des protagonistes usés jusqu'à la toile.

Alors voilà. Psykoparis sort en intégrale de 136 pages aux éditions Soleil.
Si vous voulez lire de la BD qui claque avec des combats qui giclent mais qui ne vous prend pas pour un attardé tout juste bon à avaler ce avec quoi on le gave, si vous voulez un défouloir bédéistique qui prend son travail et son lecteur au sérieux... Lâchez votre Naruto ou votre One Piece numéro 7987, laissez tomber les marvelleries aux personnages capables de boire du plomb en fusion et offrez-vous une BD où, quand un sabre tranche en deux, c'est "game over" et jamais, jamais "same player, shoot again". 
 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un dessin et une mise en page vifs et dynamiques, modernes et de qualité.
  • Une qualité d'écriture rare, dans ce genre de titres "défouloirs".
  • Un humour qui fait souvent mouche.
  • Des clins d'œil en pagaille.

  • À dire vrai... la brièveté. Oui, c'est surprenant vu les 136 pages mais il y a pas mal de clans et triades dont on aurait pu développer la quête qui est juste suggérée.
    Moi, 300 pages, ça m'allait très bien aussi ! 
    Mais ça aurait peut-être trop dilué le tout... possible.