Cherub
Publié le
22.3.18
Par
Nolt
Gros plan sur une série de romans pour la jeunesse bien écrite et loin d'être aseptisée : Cherub.
S'il existe des séries "young adult" de qualité (Gone par exemple), il est difficile de trouver des romans spécifiquement dédiés aux enfants qui ne soient pas trop niais et fadasses. L'on sait que la mode est au charcutage d'œuvres anciennes qui tenaient la route (le Club des Cinq notamment) pour, entre autres, des raisons de "politiquement correct" [1]. Et vu la tendance actuelle, visant à limiter la liberté des auteurs (cf. cet article), il est donc plus qu'étonnant de trouver une série s'adressant à un jeune public qui ne soit pas vidée de toute aspérité.
Mais commençons tout d'abord par planter le décor de cette saga signée Robert Muchamore.
Cherub est une agence gouvernementale secrète anglaise, employant des enfants de 10 à 17 ans. Ces derniers sont recrutés dans les orphelinats et reçoivent un enseignement de qualité et un entraînement physique poussé. Ils peuvent alors ensuite effectuer des missions (qu'ils peuvent refuser) sur le terrain, là où des adultes se feraient très vite soupçonner et repérer.
L'on suit dans les premiers tomes James Adams, un jeune garçon de 12 ans qui s'est attiré de gros ennuis en blessant plus ou moins involontairement la sœur d'un des petits caïds de son quartier. Et après quelques problèmes avec la police, la série noire continue pour James qui, après le décès de sa mère, se voit séparé de sa demi-sœur et placé dans un orphelinat. C'est dans cet endroit sinistre qu'il va être recruté...
Il y a pas mal de choses à dire sur ce titre, mais commençons tout d'abord par la vraisemblance. À première vue, des gamins agents secrets, question crédibilité, ça part moyen. Et pourtant, l'auteur parvient à justifier la création de cette agence (qui remonte à la Seconde Guerre mondiale) et à délimiter raisonnablement son domaine d'activité. Bien sûr il y a quelques péripéties imprévues (et un programme d'entraînement un peu hard pour des enfants), mais globalement on arrive à croire à chaque mission.
D'ailleurs, à ce sujet, en préparant cet article, j'ai lu, sur le site du Figaro, qu'il s'agissait d'une sorte de "James Bond junior" auquel les enfants pouvaient parfaitement s'identifier parce qu'il a leur âge. Une phrase, deux âneries (je doute que la journaliste ait vraiment lu ne serait-ce que le premier roman de la série vu qu'elle ne dit rien sur le contenu, si ce n'est des conneries). D'une part, l'identification ne fonctionne pas sur l'âge des personnages (cf. cet article), et heureusement d'ailleurs, sinon on ne s'identifierait pas à grand-monde. D'autre part, c'est tout sauf du James Bond. Tout le côté folklorique est absent : pas de gadgets, de poursuites effrénées, de glamour à la 007. L'univers décrit est bien plus âpre et terre-à-terre.
C'est d'ailleurs sur ce point que nous allons nous attarder. Muchamore n'hésite pas à aborder des sujets réputés délicats (surtout lorsque l'on s'adresse à des enfants [2]), comme l'alcool, la drogue, la violence ou encore la sexualité (et notamment l'homosexualité). L'on assiste parfois à des scènes assez dures (certaines blessures plutôt graves), voire humiliantes (un personnage obligé de lécher le sol).
Le contenu n'est donc pas édulcoré, et c'est une chance. D'une part parce que cela permet d'installer une vraie tension (pour enfant, certes, mais une tension réelle), d'autre part parce qu'on ne lit pas, quand on est adolescent (ou pré-adolescent), pour s'entendre raconter des sornettes mais pour au contraire découvrir et expérimenter en étant en sécurité. Là-dessus, Cherub remplit parfaitement son rôle.
Un autre aspect important, et encore inattendu dans des récits pour enfants, est le non-manichéisme des personnages. Dans le premier tome, James infiltre une communauté abritant de dangereux éco-terroristes. Des frappadingues prêts à buter des centaines de personnes à l'anthrax, donc du sérieux. Mais malgré tout, le jeune garçon découvre aussi leur côté humain, leurs motivations (qui, contrairement aux moyens qu'ils emploient, sont déjà plus nobles), etc. Dans le second tome, c'est encore plus évident. James doit côtoyer un trafiquant de drogue. Là, on se dit que le mec est juste un mafieux, que rien ne peut justifier ses actes. Cependant, là encore, on découvre une autre facette du personnage, dans son rôle de père, qui l'humanise grandement et injecte une dose d'amertume à l'histoire. Les personnages, même "méchants", ne sont ainsi jamais réduits à leur seul défaut principal, ce qui, même dans la littérature pour adultes, n'est pas si courant.
James lui-même est loin d'être un héros idéal, uniquement bourré de qualités. Bien sûr le garçon s'avère sympathique, sensible, intelligent, mais il peut aussi faire preuve d'impulsivité, être rancunier et mesquin, voire même violent sans réelle raison. Il va également évoluer au fil des épisodes, gagner en maturité, passer des épreuves pour parvenir, peu à peu, à l'âge adulte et céder la place à d'autres agents qu'il encadrera.
Le style de l'auteur est quant à lui particulièrement vif et fluide, la narration est nerveuse, parfaitement rythmée. Les descriptions sont peu nombreuses, pour aller directement à l'essentiel (peut-être l'un des points faibles de la saga, certains lieux méritant sans doute une plus grande mise en valeur). Les dialogues sont quant à eux fort bien écrits, l'auteur ne tombant pas dans le piège consistant à trop infantiliser ses personnages (les enfants s'exprimant rarement comme les adultes l'imaginent).
La série principale est aujourd'hui terminée et compte 17 tomes. Il existe une série spin-off se déroulant pendant la guerre, aux débuts de l'organisation, ainsi qu'une adaptation en BD (moins intéressante à première vue) et un projet de série TV.
Le site officiel de la série, très bien fait, dispose d'un contenu intéressant également : lexique, présentation des personnages, cartes, fonds d'écran et même de courts récits additionnels.
C'est pratiquement un sans faute donc pour Cherub, qui propose une saga s'avérant passionnante et épicée (sans aller trop loin non plus [3]), ainsi que des personnages attachants.
Ultra-conseillé pour vos enfants. Peut même s'avérer sympa pour des adultes.
[1] L'un des romans de la série, qui mettait en scène un jeune gitan, battu par son père, a été réécrit pour ne froisser personne, le gamin passant d'enfant battu à enfant... injustement grondé. Ce qui enlève bien entendu tout l'aspect dramatique du récit et ne justifie plus l'intervention du fameux Club. Les dérives sont aussi grammaticales, tous les temps étant remplacés par le présent de l'indicatif et les descriptions jugées trop longues étant supprimées (cf. cet article).
[2] Le site de la Fnac annonce la série comme étant abordable "dès 13 ans". Honnêtement, ça me semble un peu "vieux". J'imagine qu'un lectorat de 10/12 ans éprouvera plus de plaisir et de frissons que des ados de 14 ou 15 ans, qui peuvent déjà lire des romans pour adultes. En tout cas, rien de traumatisant dans la saga, malgré son côté mature (c'est bien moins gnangnan, pour prendre un exemple connu, que le Harry Potter à l'école des sorciers de Rowling).
[3] Question sans doute aussi de point de vue. On a quand même droit à une overdose à la coke d'une gamine de douze ans par exemple. Cela peut avoir l'air choquant, mais l'auteur, en montrant le côté dégueulasse de cette drogue (saignements de nez, vomissements et autres joyeusetés) fait certainement plus pour la prévention que bien des spots bienveillants mais trop généralistes et mielleux pour être efficaces.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|