Le Punisher de Garth Ennis
Publié le
8.9.18
Par
Nolt
Le Punisher est déjà un personnage violent et borderline, mais sous la plume de Garth Ennis, Frank Castle atteint des sommets inégalés.
Si vous aimez Garth Ennis, auteur aussi trash qu'intelligent, qui a fait ses preuves sur des séries mythiques telles que Preacher, The Boys ou même la moins connue La Pro, l'on ne peut que vous conseiller de vous ruer sur les 13 tomes de la collection Max (un label Marvel qui se veut plus adulte et violent que les séries classiques) regroupant son run sur le titre The Punisher.
Les différents récits, souvent très violents, méritent pleinement le "pour lecteurs avertis" arboré sur la couverture. Le malaise s'installe dès le début, prend aux tripes et ne lâche plus le lecteur, fébrile et tremblant.
Ennis donne par exemple dans le médical lorsqu'il fait opérer un trafiquant par Castle, ce dernier lui sortant les boyaux sous anesthésie pour lui montrer que, de toute façon, il parlera. Il donne dans le non politiquement correct et viole tous les codes de l'honneur lorsqu'il fait bastonner à mort une femme par ce Punisher qu'il veut décidément intraitable. Il fait dans le feu de joie, enfin, lorsque Frank vide un bidon d'essence sur un type attaché à une chaise puis l'allume tout en filmant la scène en guise d'avertissement.
Si vous pensez que le camp des "bons" doit se composer de gentils bisounours, vous n'en trouverez pas chez Ennis. Même ses flics sont racistes, homophobes, pourris jusqu'à l'os, digne reflet d'une société nauséabonde où les valeurs les plus morales ont disparu. Le monde d'Ennis est sale. Il pue. Il transpire la douleur et la haine. Et lorsque les taches de sang disparaissent sur le trottoir... c'est qu'elles ont été détrempées par les larmes. Mais dans ce monde si effrayant, il reste une justice. Une justice qui exige que ceux qui la rendent se salissent autant les mains que les criminels.
Les inconditionnels du Punisher en ont ici pour leur argent. La violence est portée à son paroxysme, le lecteur étant partagé entre la volonté de vengeance et le dégoût face à des méthodes qui nous renvoient à nos pires démons et à quelques interrogations dont sans doute la plus importante : à force de le regarder, quand donc l'abîme finit-il par nous voir et plonger en nous ? Nietzsche n'est pas loin. La monstruosité non plus. Et c'est tout le dilemme, laisser les monstres agir en toute impunité ou devenir un monstre soi-même pour les combattre.
Forcément, pour faire jeu égal avec quelqu'un de la trempe de Castle, il faut du répondant en face. Ennis va ainsi créer un adversaire à la mesure du Punisher avec Barracuda, un tueur bien badass que l'on découvre dans le tome #7 et qui aura même droit à un arc lui étant pleinement réservé dans le tome #10 (cf. la scène #36 de notre Bêtisier Marvel pour avoir un aperçu du style du bonhomme). Leur confrontation finale (et titanesque) aura lieu dans le tome #12, qui va encore plus loin dans la surenchère en mettant un gamin innocent au milieu des coups de hache, amputations et autres morsures bien placées.
Niveau dessin, divers artistes se partagent la réalisation des planches de la série. L'on peut citer Darick Robertson, Lan Medina, Leandro Fernandez, Howard Chaykin ou encore Goran Parlov. Ce dernier utilisera habilement a plusieurs reprises les visages de certains acteurs célèbres (Morgan Freeman, Christopher Walken...) pour incarner certains protagonistes.
Il faut dire que du côté des personnages, le casting s'avère varié et corsé : une ancienne star du X (détentrice du record du plus grand nombre de doubles anales en 24h, ce qui lui fera dire, d'une élégante manière, qu'elle n'a "plus jamais chié solide après"), un prêtre pédophile, le fils hémophile et rachitique d'un caïd du milieu, un clan de veuves vengeresses, des talibans, des communistes, bref, une belle galerie, complétée par des seconds couteaux tous plus lâches et dégoûtants les uns que les autres.
Pour les petits ratés visuels, ils sont presque tous dus à Chaykin (qui n'est heureusement pas l'illustrateur qui intervient le plus souvent sur la série). Si l'on peut encore passer sur les traits épais et patauds des visages, il est difficile d'excuser certaines maladresses plus graves, notamment des erreurs de proportions assez énormes.
La grande conclusion du run d'Ennis est malheureusement un peu décevante, l'auteur versant dans une facilité morale et un manichéisme qu'on ne lui connaît habituellement pas.
Ce dernièr récit voit le Punisher affronter des généraux corrompus et se frotter à la Delta Force. Le final apporte une réelle conclusion et se fait, parallèlement, sur fond de guerre du Vietnam, les planches étant entrecoupées par des extraits d'un livre (imaginaire) traitant de cette guerre et du Punisher. Évidemment, il faut voir là un parallèle avec des conflits plus actuels, et notamment une condamnation du complexe militaro-industriel et de certaines sociétés (Halliburton étant même citée ouvertement). Le début de réflexion proposé par Ennis s'avère cependant étonnamment simpliste et convenu.
Au milieu de toutes ces digressions se voulant philosophiques, Castle surnage néanmoins. Il a abandonné le questionnement et a choisi son camp. Il est la plénitude, la Justice dans ce qu'elle a de plus orgasmique. Il a choisi de protéger les innocents plutôt que de trouver des excuses aux criminels. Et en tuant, il sauve des vies. C'est un monstre. Mais un monstre avec une éthique, un code de l'honneur, une morale.
Corsé, brutal, bourré de testostérone et sans tabou, le Punisher est ici transcendé par un scénariste qui utilise la violence et le côté cru de ses dialogues pour enrober une réflexion bien plus violente encore sur l'humanité. Un comic noir et lucide, à conseiller aux lecteurs réellement "avertis".
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