Bob Morane - Renaissance
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Retour sur un reboot avorté et bien injustement condamné à l'époque par le "papa" de Morane.

Une cover qui, au début des années 50,
fait rêver bien des lecteurs.
Henri Vernes
, on l'a vu, n'est pas un brillant auteur (cf. cet article, revenant sur les défauts récurrents de ses romans). Attention, il ne s'agit pas d'un avis sur son style. Il faut bien comprendre cela, dès le départ. Dire "je préfère Metallica plutôt que Michel Sardou", c'est un avis sur deux styles de musique fort différents. Mais James Hetfield et Michel Sardou chantent juste. Et un couac, ce n'est pas une affaire d'inclination personnelle mais de technique pure.
Henri Vernes manque totalement de technique littéraire. Il ne sait pas raconter une histoire. Ça paraît dingue vu le succès du bonhomme, mais remettons les choses dans leur contexte. Quand le premier roman de Bob Morane sort, en 1953, tout est aligné pour en faire un succès. Tout d'abord, les jeunes gens de l'époque n'ont guère autre chose à leur disposition que la lecture comme divertissement. Le livre est encore un medium "roi". De plus, c'est le début des éditions "de poche" et des romans bon marché, donc bien plus accessibles. Enfin, les couvertures des romans Bob Morane, publiés dans la collection Marabout Junior, sont superbes, exotiques et pleines de promesses. Henri Vernes a eu... du bol. D'autant plus que c'est un ami à lui qui le recommande à l'époque à l'éditeur. Il n'a même pas eu besoin de démarcher qui que ce soit. 

Comme on l'a déjà vu dans l'article évoqué plus haut (en prenant comme exemple les romans La Couronne de Golconde et L'Ombre Jaune), Vernes est parfaitement indigent en ce qui concerne le savoir-faire lié à l'écriture (cf. les romans pour la jeunesse de Vladimir Volkoff pour découvrir, à l'inverse, un auteur qui maîtrise parfaitement son art). Les personnages de Vernes sont survolés, les péripéties s'enchaînent maladroitement, l'action est fade, il n'y a ni émotion ni véritables moments de tension. Ce sont des romans écrits à la va-vite par quelqu'un qui emploie un style "rapport de police" (il se passe ça, puis ça, puis ça...). Il n'y a aucun effet, aucune construction, aucune réflexion sur la manière de développer les intrigues, toutes liées à des hasards ou des Deus ex machina. Et nous allons le démontrer à nouveau en prenant des exemples de récits écrits par Vernes et qu'il a lui-même adaptés (au scénario) en BD. 
Tout cela est nécessaire pour comprendre, et remettre en cause, son avis très tranché sur la série Bob Morane - Renaissance. Voilà ce qu'il en avait dit : "J’ai trouvé le résultat médiocre. On a complètement changé les personnages. Quant au scénario, il est écrit par des personnes qui ne savent pas écrire. Je ne compte pas le nombre de séquences où il ne se passe rien."

Or, tout cela est faux. Les deux tomes de la série sont fort bien écrits et il se passe des tas de choses. Mais voilà, Vernes en est resté à l'idée simpliste et fausse que l'action doit primer et être toujours présente. Seulement, si l'on se fiche des personnages, si la narration n'est pas efficace, si l'histoire échoue à faire naître intérêt et émotion, on peut bien aligner autant de fusillades, de poursuites et de bagarres que l'on souhaite, ça ne rendra pas un récit insipide plus intéressant.
Ce qu'il appelle des "séquences où il ne se passe rien", c'est en réalité tout ce qui manque dans ses romans. C'est-à-dire la construction minutieuse, l'efficacité narrative, les effets maîtrisés, les personnages bien installés, etc. Et ce n'est pas "rien" tout cela, c'est au contraire ce qui donne son cachet au récit. 

De "l'action" selon Vernes, aride et terne (Opération Wolf, cf. paragraphe ci-dessous).


Prenons deux exemples de Vernes au scénario. Dans Opération Wolf par exemple (avec des dessins de très bonne facture signés Coria), l'auteur accumule effectivement les scènes d'action (poursuites en voiture, combats, attaques de chiens...), seulement, tout cela est à la fois mal décrit et, surtout, très mal amené. Ce qui empêche toute dramatisation. Le début de l'histoire est d'ailleurs symptomatique des facilités employées par Vernes : Bob et Bill Balantine tombent "par hasard" sur une jeune femme qui se fait agresser dans un lieu parfaitement désert. Un peu plus tard, deuxième hasard providentiel, alors qu'ils sont en passe d'être arrêtés par la police locale, le chef d'une agence de renseignement qu'ils connaissent bien débarque à point nommé. On est vraiment dans ce qu'il y a de plus amateur au niveau de l'aspect narratif.
Dans Commando Épouvante (dessiné par le même Coria), Vernes continue, selon la recette qu'il pense miraculeuse, d'accumuler des scènes d'action sans enjeu réel et mal préparées. Le récit tient un peu mieux la route (notons que c'est souvent le cas lorsqu'un élément surnaturel survient) car il y a tout de même un mystère qui installe un début d'intérêt, mais là encore, toutes les scènes censées être marquantes sont gâchées. Par exemple, quand Morane découvre le cadavre de Bill (en tout cas, il pense à ce moment-là qu'il est mort), tout se déroule en trois cases, ne générant absolument aucune émotion. Or, ce sont deux amis proches, ayant vécu ensemble moult aventures. Cette scène devrait être percutante, pas anecdotique !
Et des exemples comme ça, l'on peut en trouver dans toutes les BD que Vernes scénarise (et dans tous ses romans, forcément). 


Un exemple de scène pourtant cruciale qui ne dégage rien par manque de construction (Commando Épouvante).


Dans Bob Morane - Renaissance, fort heureusement, tout est bien différent. 
Les dessins sont de Dimitri Armand, la colorisation de Hugo Facio et, ce qui nous intéresse surtout ici, le scénario est signé Luc Brunschwig et Aurélien Coudray
Les deux gars ne savent tellement "pas écrire" que dès les premières planches, ils ont planté le décor, décrit subtilement le caractère des personnages principaux (pas en énonçant qu'ils sont courageux par exemple, mais en les montrant faire preuve de courage) et balancé une scène poignante entre les deux héros (lors de la visite de Morane à son ami Ballantine, détenu à ce moment). 
Alors, on peut apprécier ou pas cette nouvelle version de Bob Morane. Il est vrai qu'elle est différente (mais quand on fait un reboot, autant prendre quelques libertés). Par contre, prétendre que c'est mal écrit, c'est ne rien savoir de l'écriture. C'est au contraire très bien foutu. 
Et les fameuses scènes ou soi-disant "il ne se passe rien" (des moments intimes, des dialogues importants) sont essentielles. C'est là le ciment du récit. Sans cela, l'action s'effondre, car elle n'a alors pas de but, pas de propos à soutenir.

Au final, Bob Morane - Renaissance n'aura duré que deux tomes, malgré un certain succès en librairie  et de véritables qualités. Voilà qui est fort dommage. Mais bon, l'édition n'est pas une science exacte, les auteurs savent à quoi s'en tenir. Par contre, se faire traiter d'incapables par le romancier et scénariste le plus indigent de sa génération, ça doit quand même picoter un peu. Il nous a semblé souhaitable de rétablir la vérité d'un point de vue technique et de souligner la qualité d'écriture de ce premier reboot (un autre suivra quelques années plus tard avec une autre équipe, mais nous en parlerons une autre fois).

Un face à face riche en émotions et très bien amené, qui nourrit la caractérisation des personnages (Renaissance, tome 1).