Retroreading : Langelot, agent secret
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Illustration tirée des ouvrages parus aux éditions du Triomphe.


Après Bob Morane, c'est un héros plus discret - et ô combien mieux écrit ! - que nous abordons aujourd'hui : Langelot.

Si l'agent du S.N.I.F. (Service National d'Information Fonctionnelle) ne bénéficie pas d'une renommée aussi grande que le commandant Morane, nous allons voir qu'il n'a pas grand-chose à lui envier. Fort jeune (il a à peine 18 ans quand débutent ses aventures), Langelot est un garçon intelligent, plein de ressources, qui pratique l'équitation, le judo et la natation. On est toutefois déjà moins dans la liste de qualités interminable imposée par Vernes.
L'auteur mettant en scène ce jeune espion est resté durant une longue période dissimulé sous le pseudonyme de Lieutenant X. Lorsque les romans (40 tout de même) de la série ont été réédités (aux éditions du Triomphe), il est alors apparu sous son vrai nom, Vladimir Volkoff. Écrivain (il a écrit de nombreux romans, essais et ouvrages pour la jeunesse, comme son autre série phare, Larry J. Bash), enseignant, traducteur, le gaillard a été lui-même officier de renseignement. Forcément, ça aide lorsque l'on écrit sur le sujet.

Comme nous allons le voir, la comparaison avec les premiers romans consacrés à Morane s'avère pertinente : il s'agit d'ouvrages destinés à la jeunesse, proposant des intrigues axées sur l'action et l'aventure, et publiés plus ou moins à la même époque, le roman Langelot, Agent Secret, qui ouvre la série, étant paru en 1965.
Seulement, là où Henri Vernes se prenait consciencieusement les pieds dans le tapis, avec un style fade, une absence de technique littéraire et des retournements faciles, Volkoff livre, lui, une véritable leçon d'écriture.

Cela commence dès la première scène, où le lecteur peut découvrir un Langelot en pleine action. Très vite, l'on se rend compte que le jeune homme est intelligent, débrouillard et qu'il ne manque pas d'humour. Volkoff, au contraire de Vernes, n'énonce pas ces qualités au lecteur, il s'arrange pour qu'il les perçoive par lui-même. C'est non seulement plus élégant, mais autrement plus efficace. Par exemple, lorsque l'on se contente de vous dire qu'untel est courageux, vous n'êtes nullement impliqué émotionnellement, alors que lorsque vous constatez par vous-même le courage dont fait preuve l'un des protagonistes, vous êtes non seulement impliqué au cœur de l'action, mais vous avez l'impression (même inconsciente) que vous êtes arrivé seul à cette conclusion, ce qui permet de "valider" de manière imparable le statut (héros ou épouvantable monstre) du personnage.

Autre différence de taille entre l'habile Volkoff et un Vernes laborieux : l'humour. En effet, ce n'est pas parce que l'on écrit du polar, de la SF ou de l'épouvante que l'on ne peut pas recourir parfois au second degré, ou intégrer une romance, ou une réflexion sur un thème précis. Un roman, un bon en tout cas, ne peut se résumer à aligner les poncifs du genre qu'il est censé représenter.
Volkoff, en introduisant une certaine légèreté, permet aussi de rendre les scènes d'action, par contraste, plus impactantes. Scènes qui sont d'ailleurs bien mieux écrites : exit la lourdeur du style "rapport de police", l'auteur, ici, emploie une méthode bien plus dynamique et agréable, sans donner l'impression que l'on assiste au déroulé d'un plan trop rigide.
Les rebondissements sont mieux gérés également, ils découlent notamment d'une suite logique, patiemment mise en place, et n'ont donc pas cet effet désastreux de facilité ou de deus ex machina. De plus, le hasard n'aidant pas le héros, il y gagne franchement en panache.

Enfin, l'on peut également souligner le fait que Volkoff ne sacrifie pas tout à l'action pure. Outre l'humour déjà mentionné, il faut souligner quelques réflexions fort bienvenues, sur notamment la solitude de l'agent spécial, son mode de vie à part, mais aussi, à l'occasion, la condamnation de la toute-puissance des multinationales. 
Réflexions non dénuées parfois d'une certaine mélancolie, voire même d'un élan poétique. Mine de rien, tout cela contribue à faire de ces romans de véritables œuvres littéraires, travaillées et reposant sur un savoir-faire indéniable.
Non seulement l'on ne s'ennuie pas une seconde, mais si l'on sait jauger la structure d'un récit et les différents effets qui soutiennent l'intrigue, l'on n'a alors pas du tout l'impression d'être pris pour un benêt tant Volkoff soigne chaque élément. L'auteur disait d'ailleurs de cette série qu'il l'avait écrite avec "autant de plaisir et de conscience" que ses autres romans. Et c'est peu de dire que cela se ressent.

Il était important que ces deux "retroreading" se suivent et permettent de comparer ces deux héros, mais surtout, à travers eux, deux auteurs radicalement différents. Étant jeune, je n'ai jamais trop accroché à Bob Morane. Et j'aurais bien été en peine d'expliquer pourquoi à l'époque. Ces romans m'ennuyaient et me tombaient des mains alors que, pourtant, les résumés de quatrième de couverture excitaient mon intérêt. À l'opposé, je trouvais Langelot trop gentillet, moins "badass" dirait-on aujourd'hui, et pourtant, une fois commencé, je ne pouvais plus lâcher un livre de cette série.
Je comprends aujourd'hui, avec mon expérience de lecteur et d'auteur, que la différence ne provenait pas d'une quelconque inclination personnelle (j'étais prêt à me passionner pour Morane, tout comme je suivais avec délectation les aventures de Langelot), mais bien de la qualité intrinsèque de ces romans au genre semblable mais au contenu si différent. 

Dès la première ligne, Volkoff cueille le lecteur et fait en sorte de ne plus le lâcher. Ne croyez surtout pas qu'il s'agisse là de talent : c'est du travail. Cela prend du temps, exige des efforts, de la patience, une grande maîtrise. Voilà pourquoi c'est si rare. C'est une voie difficile qu'il faut emprunter, parsemée de ronces et d'ornières, mais une fois arrivé au bout, quel plaisir de se retourner sur les obstacles franchis !
Plus un auteur est habile, plus il est consciencieux, moins vous avez de chance de lui échapper. Bien entendu, il existera toujours une part d'impondérable que nul écrivain ne peut contrôler, difficile en effet de forcer un lecteur qui déteste les romans d'aventure à se plonger dans une telle saga. Mais si vous venez l'esprit ouvert, prêt à honnêtement aborder un nouvel univers, alors l'auteur, le vrai, celui qui bosse, celui qui ne cède pas au mirage des raccourcis, vous permettra toujours de jubiler entre les lignes, de ressentir des émotions bien réelles, de prendre un plaisir que seule l'alliance du papier et de l'encre peut prodiguer. 

Si vous êtes bibliothécaire, prof, libraire ou parent, vous mettrez certainement en avant des œuvres plus récentes pour tenter de convaincre les plus jeunes que lire est un plaisir indicible (que le cinéma ne peut reproduire). Mais s'il vous prenait l'idée saugrenue de conseiller une série plus ancienne, ayant son charme et d'immenses qualités, n'hésitez pas à penser à ce bon vieux Langelot. À l'inverse de Morane, il n'a pas eu droit à des chansons ou des BD à sa gloire, mais je vous assure qu'il vous marquera bien plus. Non parce qu'il est fondamentalement différent de Morane (après tout, ce sont deux aventuriers que seuls l'âge et quelques détails physiques séparent), mais parce que Langelot est écrit par un auteur connaissant son métier et ne bradant pas ses ouvrages. 
Cette différence, pour qui respecte et connaît le travail d'écriture, n'est pas anecdotique. C'est un gouffre qui sépare l'anecdotique de l'essentiel. De par son travail, son intelligence et sa rigueur, Vladimir Volkoff, dit entre autres Lieutenant X, s'inscrit au panthéon des écrivains qui ont fait de la pop culture non une littérature au rabais, mais une littérature noble par sa richesse et respectable par son accessibilité.

Il est aisé de revêtir les habits de la profondeur en étant chiant. L'écrivain respectable est celui qui rend ses écrits compréhensibles et agréables. C'est éveiller l'intérêt et le conserver, donc divertir, qui est le plus dur en littérature. Une fois que vous savez faire ça, tous les horizons vous sont ouverts...
Si vous ambitionnez de devenir un jour écrivain, il vous faudra lire, beaucoup (si vous n'avez pas lu entre 500 et 1000 romans, difficile d'exercer correctement un métier littéraire). Il vous faudra aussi comprendre pourquoi certaines scènes fonctionnent alors que d'autres n'atteignent pas leur but. Il faudra puiser dans certains classiques, lire aussi des essais, mais parmi les romanciers ayant donné ses lettres de noblesse à la pop culture, outre Maurice Leblanc et Stephen King, je vous conseille très vivement Vladimir Volkoff. Ne le prenez pas pour un pignouf parce qu'il a écrit des romans pour la jeunesse, il l'a fait avec un sens artistique et une rigueur technique que nombre de pédants pourraient lui envier. Notamment en démontrant que l'on pouvait viser un public jeune sans pour autant verser dans la facilité et l'indigence. Rien que pour ça, il figure dans mon Top 10 personnel des écrivains pour qui j'éprouve respect et reconnaissance. 

C'est en ne prenant pas pour des cons les gamins d'aujourd'hui qu'ils deviendront demain des adultes accomplis et intelligents. C'est en plaçant la barre toujours un peu trop haut, surtout quand des tas de béotiens vous hurlent de l'abaisser, qu'on progresse, qu'on avance, qu'on se construit et, qu'au final, l'on touche à une certaine idée du bonheur. 


Langelot à travers le temps, à l'époque de la Bibliothèque Verte.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un personnage principal sympathique et charismatique.
  • Une narration fluide et habile.
  • Un humour fort agréable.
  • Des rebondissements bien amenés.
  • Une réflexion, certes embryonnaire mais présente, sur des sujets de fond.


  • Les premiers romans peuvent paraître un peu datés (on parle par exemple de "calculatrice" et non d'ordinateur), mais ils ne manquent pas de charme pour autant (et les plus récents sont sortis dans les années 80, donc souffrent moins de ce côté désuet).