C'est un oiseau...
Publié le
29.6.18
Par
Nolt
Retour sur un graphic novel semi-autobiographique qui utilise le mythe de Superman pour parler de sujets graves et intimes. Le titre est évocateur : C'est un oiseau...
Steve est scénariste. Plus précisément, il écrit des comics. Un jour, on lui propose le Graal : travailler sur Superman. Un rêve pour beaucoup d'auteurs. Sauf que pour Steve, c'est le début du cauchemar.
Il n'accroche pas vraiment avec le personnage. Il le trouve ridicule, irréaliste, violent même. Alors qu'il cherche l'inspiration, sa vie privée semble s'écrouler autour de lui. Son père disparaît, sa petite amie le quitte, il en vient même à frapper un ami...
Et puis il y a cette chose dont on ne parle pas. Ce secret honteux qui frappe sa famille depuis des générations. Une maladie dont peu de gens connaissent l'existence. La chorée de Huntington. Elle est héréditaire. Il n'y a aucun traitement. Elle est mortelle dans 100% des cas et attaque le système nerveux jusqu'à transformer ceux qui en sont atteints en pantins désarticulés incapables de contrôler leurs gestes. Ils ne peuvent plus marcher, ne peuvent plus embrasser leurs proches, ne peuvent plus écrire.
Steve a peur. Il cherche à mettre des mots sur l'indicible. À comprendre ce satané Superman qui n'est puissant que sur le papier. De l'autre côté des planches, lorsque l'on meurt, c'est pour de bon.
Voilà probablement, dans notre longue liste des meilleurs comics (cf. ce dossier), l'un des plus touchants et profonds.
Le scénario est signé Steven T. Seagle, les dessins sont l'œuvre de Teddy Kristiansen. Graphiquement, c'est tout simplement exceptionnel. L'artiste alterne différents styles avec une virtuosité magistrale. C'est typé, inventif, parfois presque abstrait, mais toujours très expressif. Un parfait exemple de la complémentarité entre texte et dessin et de ce que l'art séquentiel peut apporter pour sublimer un récit.
L'histoire, quant à elle, n'a que très peu à voir avec Superman évidemment. Il y a bien une petite réflexion sur le personnage et son symbolisme, mais l'essentiel est bien ailleurs.
Seagle possède ce don rare et précieux qu'ont les grands écrivains : il parvient à vous intriguer et à vous embarquer dans son univers dès les premiers mots. En abordant ses personnages d'une manière détournée, apparemment anecdotique, il les rend plus crédibles, plus consistants, plus proches du lecteur.
L'auteur se livre surtout à une réflexion introspective sur le poids du non-dit, l'isolement, la difficulté à communiquer ou même à supporter les autres. Et bien sûr tout cela est fait avec une rare finesse et sans jamais devenir ennuyeux ou pompeux. Certaines répliques font même preuve d'un humour assez inattendu et d'autant plus percutant.
Enfin, Seagle va également parler de son métier en évoquant quelques-uns de ses aspects, comme ce fameux besoin de "ne rien faire" qui consiste précisément à se donner les moyens de "recharger" l'esprit en situations, personnages ou anecdotes, et qui fait aussi partie du processus créatif. Un élément paradoxal que les écrivains comprennent bien, leurs proches un peu moins.
Bref, l'ouvrage est surprenant, maîtrisé et d'une justesse imparable. Un incontournable de plus dans la gamme Vertigo qui en compte déjà tant.
Intelligente, émouvante et même drôle parfois, voilà une œuvre qui prouve, s'il en était encore besoin, qu'un livre ne perd rien de sa force s'il est en partie constitué de dessins. Il s'agit même là d'une de ces BD fascinantes qui vous marquent et contribuent à vous construire en tant qu'individu. Parce que l'art, au fond, ça sert aussi à ça. Faire passer les saloperies de la vraie vie en saloperies de papier que l'on peut maîtriser.
Presque une analyse en somme, sauf que l'auteur, si tout va bien, ne paie pas pour livrer ses angoisses et peut même parvenir à en vivre.
L'ouvrage a été édité par Panini en 2010 (avec un texte valable pour une fois) puis réédité par Urban Comics en 2016.
Rigoureusement indispensable, forcément.
À offrir à ceux qui rigolent quand vous leur dites que vous lisez des comics.
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