Prodigy, tome 1 : la Terre maléfique
Publié le
3.12.19
Par
Vance
Déjà, ça pose son bonhomme. Sauf que Crane ne se contente pas d'être un super-nerd (ou geek) et s'est bâti depuis tout jeune un corps d'athlète ainsi que des capacités qui en font un combattant d'exception, un tireur d'élite et un espion hors-pair.
Ouais, le gars a tout ce qu'il faut. Et bien entendu, il a la classe et son prestige rejaillit également sur son charme - bien qu'on ne saura pas grand-chose dans ce volume sur sa vie sexuelle, sans doute trépidante, quoique hors sujet. À moins que... ?
Prodigy, la Terre maléfique est donc conçu comme le premier tome des aventures de ce sur-être (à moins qu'on lui préfère le terme d'hyper-être évoqué en exergue de la Brigade Chimérique - cf. cet article). Avec son allant habituel, Mark Millar expédie l'exposition de son héros avec efficacité et pragmatisme, sur un tempo rappelant l'abattage de Cumberbatch dans la série Sherlock - ce dernier étant l'un des trois modèles ayant servi de base à la conception de notre héros syncrétique, qui tient également, si l'on en croit la préface, de Bruce Wayne et d'Indiana Jones. Avec un soupçon d'Evel Knievel...
Cette fois, loin de Kick-Ass ou de Wanted [voir notre dossier spécial sur Mark Millar], point de personnage principal de basse extraction qui s'élèvera à la force du poignet : ces quêtes-là sont loin derrière notre Crane adulte, qui nous donnera en flashback quelques indications sur les rares moments délicats de sa vie passée (comme lorsqu'il a entrepris d'apprendre les arts martiaux en un week-end histoire de corriger les rustres qui l'avaient un peu trop secoué à l'école). Néanmoins, s'il a acquis ce qu'il faut de maturité et de sagesse en devenant littéralement le sauveur d'une humanité en déroute - l'homme vers lequel on se tourne quand on n'a plus de solution - il a conservé une parcelle de son esprit aventureux, de cette jeunesse fougueuse dont il est trop vite sorti, ce qui l'incite à accepter certains challenges impossible que lui envoient des fans en délire. Au-delà des réussites personnelles, de la résolution de problèmes ou d'équations insolubles, des bienfaits qu'il octroie sans contrepartie (l'argent n'est pas un souci pour quelqu'un ayant un cerveau capable de prévoir les cours à Wall Street ou deviner les cartes de ses adversaires), Crane fonctionne surtout à l'adrénaline, et n'aime rien tant que mettre sa vie en danger pour l'accomplissement illusoire d'un exploit surhumain.
Bref, un super-héros sans cape mais au costume impeccablement taillé, ayant bâti une organisation philanthropique à laquelle les gouvernements n'hésitent guère à demander de l'aide.
Or, parmi les différents cas qui lui sont soumis ce matin, celui de ces matérialisations d'objets survenant en Australie attire son attention, en tout cas une parcelle substantielle de sa concentration, tandis qu'une autre partie de sa psyché travaille à la réalisation d'un projet permettant à la Terre d'éviter un cataclysme planétaire prochain. Et lorsqu'un agent de la CIA vient personnellement lui demander de l'aide concernant cette histoire (qui a entraîné la mort d'un éminent professeur), il décide de s'y pencher encore davantage. Sans se douter (mais un intellect tel le sien peut-il vraiment ignorer les tenants et aboutissants d'une telle affaire ?) qu'il allait fourrer le doigt dans un engrenage mettant au jour une vaste machination, une organisation millénaire et un projet de conquête... extraterrestre.
À la mode Millar, l'irruption du surnaturel intervient relativement vite, le temps qu'on se soit familiarisé avec le héros et son entourage. Les chapitres s'enchaînent rapidement, sur un rythme exigeant, qui nous rappelle aussitôt que Millarworld a été racheté par Netflix depuis 2017 [cf. cet article], et que ce projet est virtuellement destiné à devenir une série TV. Du coup, autant de cliffhangers viendront conclure chaque chapitre, pour une histoire toute en accélération mais manquant parfois de substance, multipliant les fausses pistes pour se précipiter vers une conclusion forcément prévisible - et, du coup, décevante. Même si Crane est constamment sur le fil, multipliant les prises de risques qui sont autant de boosts d'adrénaline, on ne parvient guère à trembler pour un homme qui semble tellement au-dessus de tout, capable de jouer sur plusieurs fronts à la fois. On se demande juste comment il s'en sortira, avec quelle joyeuse lucidité précognitive il avait prévu de réussir son coup au nez et à la barbe de ses adversaires, même les plus coriaces. On est ainsi plus proche du vidéoludique que du roman d'aventures, même si Mark Millar a singulièrement ce don pour nous pondre des méchants vraiment pourris jusqu'à la moelle, voire carrément une organisation occulte de bad guys qui rappellent un peu ceux de Luther Strode.
Intense et délassant, ce volume est conçu comme la tête de pont d'une série qui pourrait fort bien faire recette. Restreignant ses ambitions tout en laissant parler ses fantasmes habituels, l'auteur écossais signe un script jubilatoire bien que superficiel, particulièrement bien servi par un Rafael Albuquerque très à l'aise, capable d'impulser encore un peu plus d'énergie dans des planches au design léché, d'ajouter un peu de grâce et d'élégance à un scénario brutal qui enquille séquences de haut-vol et tueries gratuites.
Sans doute un peu m'as-tu-vu, loin de la portée d'un Old Man Logan voire d'un Superior, mais tout de même moins grotesque que Nemesis. Attendons la suite pour nous faire une idée définitive.
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